L'autre conséquence concrète immédiate est le programme en cours pour Ariane 6 et Vega C. La solution de le remplacer n'est pas envisageable à nos yeux. En effet, un lanceur plus innovant et plus performant qu'Ariane 6 nécessiterait beaucoup de temps et ne pourrait vraisemblablement pas être développé avant la deuxième moitié de la décennie 2020. Les États-Unis et la Chine auront en outre accentué leur avance, tant dans les lanceurs que dans les autres domaines liés au spatial. Il faut donc poursuivre la réalisation le plus vite possible d'Ariane 6, car c'est la seule garantie pour maintenir des compétences, garantir l'accès indépendant à l'espace et poursuivre la réorganisation de la filière, qui est essentielle au-delà de la question du lanceur.
Pour autant, cela n'est pas contradictoire avec une évolution d'Ariane 6 à échéance rapprochée afin de garantir sa compétitivité dans la durée. D'abord, et ce n'est un secret pour personne, le critère de retour géographique entraîne un choix par défaut qui n'est pas forcément celui de l'efficience. Un « reset » à la fois industriel et de gouvernance des programmes nous semble donc indispensable, qui implique, simultanément, de dénouer le lien aujourd'hui complètement rigide entre les deux, en confiant un leadership aux États les plus innovants sans exclure pour autant les autres des processus industriels. Cela implique de prévoir un soutien adapté pour faire « pivoter » en conséquence des industries dans certains États membres, en rééquilibrant si nécessaire les quotes-parts. Faute de temps, et parce que nous souhaitions d'abord voir dans quelle direction la tectonique des plaques semblait bouger au niveau des acteurs publics européens, nous ne nous sommes pas rendus en Allemagne et en Italie, qui sont les partenaires cruciaux de cette aventure commune qu'est le lanceur européen. À l'issue de ces auditions, après la ministérielle informelle de l'ESA du 25 octobre, après le Conseil Compétitivité Espace prévu le 30 novembre, il nous semble essentiel de poursuivre notre travail par un dialogue ouvert et attentif avec nos homologues allemands et italiens, ainsi que les autorités et experts de ces deux pays.
Ensuite, des choix relatifs à l'innovation technologique doivent être faits très rapidement. Le réutilisable est souvent considéré comme n'ayant que peu de sens dans le contexte européen de basse fréquence de lancement : il fait courir le risque de perte de compétences et d'atrophie de l'appareil industriel. Une réflexion sur ce thème fait sens si on l'analyse en termes de « briques technologiques », et elle est d'ailleurs en cours, une feuille de route technologique CNES-Industrie est en train d'être finalisée ; une note scientifique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les lanceurs spatiaux réutilisables est en cours de rédaction par notre collègue Jean-Luc Fugit.
Nous n'allons pas ici privilégier une option technique plutôt qu'une autre ! Mais deux aspects en particulier ont retenu notre attention Le premier pose la question des financements. Il s'agit ici de mener de front deux programmes, et non plus un seul, alors que les ressources disponibles sont pour l'essentiel consacrées au programme Ariane 6 Vega C. Sauf à accepter d'attendre la fin du développement de ce programme, le choix d'une évolution (« Ariane 6+ ») implique d'accroître les financements tant publics que privés. L'Europe doit être capable de consolider Ariane 6 et d'investir en parallèle dans de nouvelles technologies.