Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du mardi 10 octobre 2017 à 15h00
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat sur l'avenir de l'union européenne

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Madame et monsieur les ministres, mesdames les présidentes de commission, mes chers collègues, avec ce débat, nous avons l'occasion de revenir sur les causes profondes de la crise existentielle qui mine l'Europe.

Je ferai tout d'abord un constat : si le lien de confiance entre les peuples et l'Union européenne est si gravement atteint, c'est le résultat, non pas de la défiance populaire envers un bouc émissaire mais, comme le disait Pierre Bourdieu, de la mise en pratique d'une utopie, le néolibéralisme, convertie en programme politique. Oui, c'est bien le fruit abîmé d'un programme politique dont nous héritons aujourd'hui, un programme aux orientations économiques et monétaires libérales assumées depuis trente ans par les dirigeants successifs, un programme qui s'accompagne d'une dérive antidémocratique au sein même des institutions européennes.

Comment projeter l'Europe dans un autre avenir sans revenir sur les grands choix européens, depuis le traité de Maastricht en 1992, en passant par le traité de Lisbonne imposé aux forceps en 2009 ou le pacte budgétaire européen de 2012 ? Nous verrions alors combien chacune de ces dates compose la partition du programme politique mis au service de ceux qui dominent les rapports économiques, les grands groupes transnationaux et bancaires.

Aussi, monsieur le ministre, pourquoi ce déni de réalité à l'égard du néolibéralisme, ce terreau sur lequel germent tous les replis nationalistes et xénophobes européens ? Pourquoi ?

Mes chers collègues, disons-le clairement : le socle politique de l'Union européenne entre profondément en contradiction avec tout volontarisme politique européen. En disant cela, je souhaite, bien sûr, revenir sur les propos du Président de la République du 26 septembre dernier.

En déclinant sa vision volontariste de l'avenir de la construction européenne quelques heures après le résultat du scrutin allemand, le chef de l'État a indéniablement voulu prendre la main sur l'agenda européen et sur son contenu. À la lecture de son discours, auquel il faut reconnaître une belle vigueur europhile, on remarque nombre d'angles morts et d'incohérences qui laissent planer le doute sur la sincérité de certaines propositions.

Je prendrai pour exemple le volet politique extérieure et de défense : « notre objectif doit être la capacité d'action autonome de l'Europe, en complément de l'OTAN », affirme le Président, ajoutant que « l'Europe devra ainsi être dotée d'une Force commune d'intervention, d'un budget de défense commun et d'une doctrine commune pour agir ». Voilà qui fixe clairement le cadre d'une Europe de la défense, mais celle-ci continue de se fondre dans le moule états-unien, et aucune précision n'est donnée sur le fondement de la « doctrine commune ». Il n'est ainsi jamais question de l'autonomie de la politique extérieure de l'Union et de sa capacité d'action au service de la paix dans le monde et de la coopération entre les peuples. Une telle autonomie devrait pourtant constituer le préalable à la mise en place d'une force d'intervention.

Parmi les contradictions les plus visibles du discours de la Sorbonne, une autre concerne la nouvelle critique de la sacro-sainte concurrence libre et non faussée et des méfaits de la compétition fiscale et sociale au sein de l'Union européenne, problématiques que nous connaissons bien pour les dénoncer depuis trente ans comme facteurs principaux du creusement des inégalités sociales et territoriales en Europe. Sur ce point, le discours du Président de la République n'est pas sans rappeler celui du président Sarkozy à Toulon, le 28 septembre 2008. Découvrant les méfaits de la financiarisation de l'économie suite à la crise des subprimes, il voulait soudainement moraliser le capitalisme financier et en finir avec les paradis fiscaux.

Dans la même veine, Emmanuel Macron affirme vouloir en finir avec la divergence fiscale en harmonisant les taux d'impôt sur les sociétés et en réformant la directive sur le travail détaché. Il propose que « le niveau le plus élevé de cotisations soit payé, mais au profit du pays d'origine ». Que d'intentions louables pour les peuples européens de la part d'un président qui, ainsi, s'affiche progressiste, alors qu'au même moment, dans son propre pays, il entend faire passer des mesures exactement inverses en alignant le taux d'impôt sur les sociétés vers le bas, en démantelant l'impôt sur la fortune, en supprimant la taxe sur les dividendes ! Derrière le verbe du nouveau Démosthène européen se cachent ainsi des pratiques qu'il faut bien qualifier de philippiques pour ses propres concitoyens.

Dans la continuité de ce cabinet de curiosités rhétoriques présidentielles, la question budgétaire occupe une large place. Emmanuel Macron plaide pour un « budget commun » au service de « davantage d'investissements » et du développement de nos « biens communs ». Autre originalité : il affirme vouloir un grand budget européen pour l'action, mais se plie, dans le même temps, aux canons de la Commission en supprimant, en 2018, 16 milliards d'euros de dépenses publiques utiles. En d'autres termes, il a l'art de donner des marques de réorientation européenne en mettant en oeuvre des choix nationaux contraires.

Mais le comble n'est-il pas d'entendre le Président de la République défendre une taxe sur les transactions financières au niveau européen, avec une « assiette large », tout en abrogeant le lendemain même, dans le projet de loi de finances de son gouvernement, l'extension de l'assiette de la taxe sur les transactions financières nationales aux opérations infrajournalières ?

La nécessité d'un vrai budget européen, nous la soutenons depuis très longtemps, mais sans occulter deux réflexions, l'une touchant aux ressources nouvelles à affecter pour de nouvelles dépenses commune, l'autre à la nature et aux objectifs de ces nouvelles dépenses. Nous avons le devoir d'y répondre collectivement, mais sans laisser de côté le coeur des responsabilités.

Ainsi, si nous saluons l'esquisse de nouvelles taxes européennes dans le domaine numérique ou environnemental, nous pouvons nous interroger sur un trou noir de la pensée budgétaire présidentielle : la lutte contre l'évasion fiscale. Pourquoi n'y faire jamais référence ? Mille milliards d'euros de recettes soustraites chaque année au bien public dans l'Europe des Vingt-Huit ! C'est plus, en une seule année, que la totalité du budget actuel de l'Union pendant six ans ! Voilà de quoi alimenter un budget commun à la hauteur !

En complémentarité de la proposition d'un parquet européen contre la criminalité organisée et le terrorisme, pourquoi ne pas avancer plus vite dans le fonctionnement effectif d'un parquet financier européen aux pouvoirs étendus ? Les criminels financiers réfugiés au Luxembourg ou à Jersey ne font-ils pas sauter sans vergogne les digues de la solidarité européenne ? C'est une question, chers collègues, de crédibilité et de cohérence.

Poussons la construction d'une vraie force européenne d'intervention contre l'évasion fiscale, à l'appui de services fiscaux nationaux renforcés ! Faisons sauter les verrous, tel celui de Bercy que vous continuez de défendre ! Organisons, en Europe, une COP fiscale mondiale ! C'est à ces étoiles-là qu'il faut accrocher nos charrues.

Côté investissements d'avenir, portons là encore notre ambition sans rester figés dans le dogme du veau d'or. Nous avons besoin d'un grand plan européen d'investissements en faveur des transitions écologique et énergétique. Dépassons, par exemple, les contraintes actuelles de la concurrence dans le domaine de l'énergie : elles amplifient les déséquilibres, les inégalités et la précarité. Si l'énergie est un des « biens communs » chers au Président de la République, mettons sur les fonts baptismaux un grand pôle public européen, depuis la recherche fondamentale jusqu'à la distribution. Coopérons vraiment pour répondre aux objectifs de réduction des émissions de C02, sinon, ils ne seront jamais atteints !

Le Président de la République a également plaidé pour défendre « l'ambition de la zone euro ». Mais pourquoi ne jamais faire référence au rôle stratégique que devrait jouer la Banque centrale européenne ? La refonte des statuts de la BCE doit être posée. Elle se veut indépendante des peuples ? Elle est ultra-dépendante des marchés financiers ! Et si elle ouvre en grand le robinet à liquidités, c'est seulement pour certains : 1 700 milliards d'euros de garanties dégagés après la crise de 2007-2008 ; 767 milliards de prêts à taux zéro ou négatif au secteur bancaire depuis 2014. Pour quels résultats ? L'action de la BCE sur l'économie réelle est quasi invisible, sauf pour les détenteurs d'actifs !

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