Je vais essayer de vous répondre en séparant les sujets économiques et financiers et ceux fiscaux, par commodité. Je ne répondrai peut-être pas directement à chacun, mais j'espère que tout le monde se reconnaîtra néanmoins.
J'ai d'emblée évoqué le risque italien pour la croissance, pour la cohésion de la zone euro mais aussi pour l'Italie elle-même. La Commission, et moi en particulier, a la volonté politique absolue de ne pas provoquer ou d'accepter une crise entre Rome et Bruxelles. Nous avons besoin de l'Italie pour ce qu'elle est, à savoir un pays fondateur de l'Union européenne et au coeur de la zone euro. Je suis persuadé que l'avenir de l'Italie est au coeur de l'Europe et de la zone euro. On peut d'ailleurs observer, car il y a toujours des paradoxes électoraux, qu'alors que le gouvernement italien est sur ces sujets dans une position sinon hésitante, du moins pas toujours lisible, la population italienne est très attachée à l'appartenance du pays à l'euro.
Dans ce contexte, vous m'avez interrogé sur la possibilité d'un accord, sur la procédure de déficit excessif et sur le jeu d'autres acteurs.
La volonté de la Commission européenne, et ma volonté, est vraiment de parvenir à un accord. Quand je parle de dialogue, il ne s'agit pas d'une sorte de formalisme gracieux, ni de rechercher des responsabilités, en essayant de les faire porter sur les autres – il n'y pas de blame game, si vous voulez bien pardonner cet anglicisme : non, c'est la conscience que nous ne pouvons trouver de solutions qu'ensemble. Après, les choses sont un peu plus compliquées...
En ce qui concerne les règles, évoquées par Jean-Louis Bourlanges, il ne faut ni surestimer ni sous-estimer nos outils. Je pense qu'on ne meurt pas, en effet, de la procédure de déficit excessif – la France n'en est pas morte – mais que c'est une procédure solide, précise, longue, avec des possibilités de sanctions que, pour ma part, j'ai toujours cherché à éviter, pour tous les pays. Avoir recours aux sanctions ne me paraît pas l'attitude intelligente à adopter, mais elles existent, si nécessaire. Par ailleurs, les trajectoires peuvent être différentes. Je ne veux pas paraphraser un ancien Premier ministre, mais la pente peut être plus ou moins rude. Il y a donc tout un dialogue à avoir. C'est une procédure dont on ne meurt pas, mais je pense très sincèrement qu'il vaut mieux éviter d'y entrer : ce que cela change, c'est qu'on se trouve avec une trajectoire qui impose des mesures de correction, lesquelles ont forcément un coût sur la croissance et représentent un effort considérable pour le pays concerné et sa population.
Le problème d'un accord, monsieur le président, est qu'il faut s'entendre sur ce qu'il pourrait être. On peut trouver un accord sur les règles, on peut s'en rapprocher. C'est dans ce cadre que l'on travaille : cela ne peut pas être une discussion de marchands de tapis. Le commissaire que je suis a plutôt été accusé, au cours des dernières années, d'être du côté de la flexibilité et de ne pas être assez dur – il est peut-être arrivé à certains membres de votre Assemblée de me le reprocher. Je m'en suis toujours tenu aux règles, avec la dose de flexibilité qu'elles autorisent, et je n'ai pas changé. Cela vaut aussi pour l'Italie, quand je dis que ma porte est ouverte. Mais il y a une chose que je ne peux pas faire : c'est tordre les règles.
Certains d'entre vous doivent jouer au tennis : quand vous servez et que votre balle touche légèrement la ligne à l'extérieur, vous savez qu'un arbitre bienveillant, s'il n'y a pas de machine, peut considérer que vous avez marqué le point. Si la balle est dans le couloir et que l'arbitre a regardé de côté, il peut encore considérer que le point est marqué, par exemple si vous jouez avec des amis... Mais si vous envoyez la balle dans les bâches, alors aucun arbitre ne peut accepter de considérer que vous avez marqué le point. La balle est dans les bâches, c'est tout, et en l'occurrence la Commission est l'arbitre.
Il faut être assez simple sur ce qu'on peut faire : il faut travailler sur la base des règles. Si le déficit est de 2,4 %, je ne peux pas dire qu'on va toper sur 2,3 %. Il y a des procédures assez précises qui doivent être suivies, et c'est vers cela qu'il faut tendre ensemble. On va donc travailler et parler encore. Je suis persuadé qu'on finira par y arriver, car c'est notre intérêt commun. C'est l'intérêt de l'Italie de ne pas s'endetter et c'est celui de la zone euro de voir l'Italie respecter les règles.
Je le dis au passage devant la représentation nationale de la France : les règles ont été respectées par tous. Si chacun se mettait à faire cavalier seul, il n'y aurait déjà plus de zone euro. C'est pourquoi je ne considère pas qu'il faut encourager ce type de comportement. Il est quand même paradoxal de voir que certains saluent ces déviations alors que nos pays et nos peuples ont fait un effort pendant la crise, pendant dix ans, pour ramener la moyenne des déficits de 6 % en 2010 à 0,6 % en 2018.
On va tout faire, je l'ai dit, mais je ne veux pas cacher à quel stade nous en sommes. Nous n'avons pas pris hier la décision d'ouvrir une procédure de déficit excessif : nous avons constaté une situation. Si le Conseil nous demande d'agir – et on sait vers quoi on va – on doit préparer la procédure. Mais le dialogue est là, tout le temps.
Vous avez parlé de M. Tria : je ne compte plus le nombre de réunions et d'entretiens téléphoniques que j'ai eus avec lui – il y en a quasiment tous les jours. C'est un homme de bonne volonté, et il y a beaucoup d'Italiens qui sont très attachés à notre parcours commun. Au-delà de sa personnalité, c'est le ministre des finances de l'Italie, et il n'est pas le seul à travailler sur ce sujet. Le Président du conseil italien sera ainsi à Bruxelles samedi soir pour une réunion de travail. Ne soyons pas dans une attitude de confrontation : cherchons plutôt la solution, ensemble.
Il y a aussi d'autres paramètres qui peuvent jouer. En effet, tout n'est pas fixé à l'avance dans une procédure de déficit excessif : le rythme, la trajectoire et les efforts dépendent aussi de ce que les uns et les autres sont prêts à consentir. Mais nous n'en sommes pas encore là. Je le répète : ma porte est ouverte.
Un dernier mot sur l'Italie – je suis conscient d'être un peu long sur ce sujet, mais je sais à quel point il est important : je ne commente jamais les décisions de la BCE, et je soutiens toujours la « vista » de Mario Draghi. On est là dans un cas qui doit l'intéresser particulièrement...
En ce qui concerne les marchés, je voudrais souligner que nous ne souhaitons pas les téléguider. La Commission n'est pas un spéculateur mais un régulateur. Elle n'est pas là pour agiter la spéculation. Mais il ne faut pas non plus se laisser paralyser par la réaction des marchés. Nous appliquons les règles car c'est notre rôle, et elles sont un des paramètres à partir desquels les marchés peuvent réfléchir. Il y a toujours un débat à cet égard, et on a fréquemment porté contre moi cette accusation : quand le commissaire parle, les spreads s'agitent. Or c'est totalement faux : il ne faut pas confondre le thermomètre et la fièvre. Nous sommes le thermomètre : ce qui donne de la fièvre aux marchés, ce dont des mesures qu'ils n'apprécient pas ou dont ils pensent qu'elles ne sont pas bonnes pour la situation de l'Italie. C'est ce qui explique le niveau actuel des spreads. Je n'ai pas à commenter, en revanche, tel ou tel niveau qui serait critique.
En ce qui concerne la France, monsieur le président, je refuse totalement de comparer sa situation avec celle de l'Italie, non parce que la France est mon pays, mais parce qu'une telle comparaison n'aurait pas de sens. Vous ne l'avez pas faite, d'ailleurs : je le dis seulement parce qu'on nous écoute et qu'on nous regarde – vous pouvez être sûrs que tous les journalistes italiens le font en ce moment.
Non, cette comparaison n'est pas pertinente. D'un côté, l'Italie fait un effort négatif de 0,8 point de PIB – plus en réalité ; sa dette publique est de 130 % et sa prévision de déficit nominal de 2,9 % – alors qu'il devait seulement atteindre 0,6 % ! La déviation est considérable et sans précédent. De l'autre côté, certes, la dette publique française reste trop élevée, mais elle n'est que de 98,7 %. Son déficit nominal a substantiellement diminué, puisque le sous-jacent atteint 1,9 %. Certes l'effort structurel est encore trop limité, mais il est positif – à 0 2 %. L'année 2019, qui ne me satisfait pas totalement, est donc meilleure que 2018, puisque l'effort était alors nul.
J'ai écrit au gouvernement français et je parle constamment avec les autorités françaises, notamment avec Bruno Le Maire. J'ai conscience des efforts réalisés. Il faut les poursuivre, ils sont nécessaires ! Dans l'intérêt du pays, la trajectoire de réduction de la dette devrait être plus robuste.
La Commission ne propose pas de trajectoire spécifique de réduction des dépenses publiques. Ce n'est pas son travail. Quand un pays est en procédure de déficit excessif, une recommandation proposée par la Commission est adoptée par le Conseil. Mais, à l'heure actuelle, la France n'est plus dans le cadre de cette procédure. Elle doit donc simplement respecter les règles, qui suggèrent fortement de faire des efforts réguliers, à 0,6 point de PIB par an – 0,3 % compte tenu des déviations autorisées. Vous le constatez, nous nous en approchons, tout en étant encore un peu en dessous. En conséquence, je demande au gouvernement français de poursuivre ses efforts et de présenter dans les prochaines années des budgets proches des efforts demandés par le pacte de stabilité et de croissance.
Ce qui se passe en Italie n'est pas de même nature...
Vous m'avez posé plusieurs questions sur le budget de la zone euro. Lorsque j'ai évoqué le « 3 + 1 », j'ai oublié de parler du « 1 ». Il est pourtant fondamental, c'est le contrôle démocratique. Un budget de la zone euro doit absolument être accompagné d'une ouverture des procédures démocratiques. Il ne peut se concevoir sans un ministre des finances et un parlement de la zone euro, en l'occurrence le Parlement européen. D'ailleurs, cela permettrait également à votre parlement national d'exercer son contrôle. Si je n'étais pas commissaire, mais ministre des finances de la zone euro, j'imagine que je serai régulièrement auditionné par votre commission au titre des différentes activités de l'Eurogroupe.
Cette responsabilité démocratique est indispensable. C'est d'ailleurs le sens de l'histoire car, quand nos concitoyens regardent l'Europe, ils voient une sorte de boîte noire. C'est frappant dans le débat italien. On parle des commissaires comme de bureaucrates non élus. Mais enfin, j'ai siégé à votre place pendant quelques années et j'ai fait partie du gouvernement ! Je ne suis pas un bureaucrate, mais un homme politique, et je le reste. Tous les commissaires sont d'ailleurs dans la même situation. Ils appartiennent à des formations politiques et ont tous des engagements politiques. En outre, nous ne sommes pas « non élus » car notre désignation relève des mêmes procédures que celle d'un ministre : nous sommes désignés par des gouvernements nationaux, puis investis par le Parlement européen. D'ailleurs, contrairement aux ministres – et je ne leur souhaite pas –, nous passons une audition devant une commission qui a la possibilité de recaler les candidats. C'est déjà arrivé, même pour cette Commission.
Pour autant, si nos concitoyens ont cette perception, c'est que le contrôle n'est pas suffisamment exercé et qu'il est trop lointain.
Vous avez évoqué les cas de la Grèce et du Portugal. Concernant la Grèce, je ne suis pas d'accord avec vous. Ce n'est pas l'austérité qui a créé la crise ! Cette thèse est rabâchée, mais c'est une erreur de lecture historique. Ceux qui nous ont précédés ont attaqué la crise grecque et ils ont eu raison : les comptes publics de ce pays étaient falsifiés – avec l'aide de banques internationales ; ses structures économiques étaient archaïques, ses structures sociales hypercoûteuses – le coût des retraites en Grèce était de plusieurs points de PIB supérieur à celui de la moyenne de la zone euro ; enfin, son économie n'était pas soutenable, elle était incapable de faire face à l'appartenance à la zone euro.
Si la Grèce avait été laissée seule face à ses problèmes, sa situation aurait été bien pire. C'est la crise qui a exigé des efforts, et non l'inverse. Il faut saluer la sortie de la Grèce de l'austérité. Le budget grec pour 2019 n'est plus un budget d'austérité ; les coupes sur les retraites sont annulées et des mesures sociales sont prévues.
Madame la députée, c'est l'endettement extrême qui mène à l'austérité ! Quand on est trop endetté, un jour, il faut payer la facture ; une dette se rembourse, sauf à considérer qu'on l'efface. Dans ce cas, on pénalise les créanciers – effacer la dette grecque aurait représenté une charge de 1 000 euros par contribuable européen !
S'agissant du Portugal, je souris quand j'entends des parlementaires que je connais bien et avec lesquels j'ai beaucoup travaillé saluer ce pays comme un modèle de politique de gauche. Je connais Antonio Costa depuis très longtemps – nous avons été vice-présidents du Parlement européen ensemble. C'est un parfait social-démocrate, très européen, modéré, extraordinairement habile et talentueux, qui mène de bonnes politiques et fait fournir à son pays des efforts mesurés, constants et crédibles. C'est parce que le Portugal fait ces efforts qu'il peut redistribuer, et non l'inverse.
Le Portugal est lui aussi en risque de non-conformité, pour des raisons obscures en vérité. En effet, son déficit budgétaire est nettement inférieur à 1 %, puisqu'il atteint 0,6 %. Certains imaginent que le Portugal est l'exemple même de la relance keynésienne. Ce n'est pas du tout le cas. Il fournit simplement un effort intelligent qui lui permet de bien redistribuer, tout en respectant la croissance et en réduisant sa dette. En outre, le pays connaît un boom économique.
En conclusion, n'ayez pas une lecture biaisée de la situation du Portugal, vous risquez d'être déçue. C'est l'exemple parfait des bonnes pratiques dont j'aimerais que d'autres pays s'inspirent.
Le président m'a interrogé sur l'état d'avancement des dossiers fiscaux. Ces quatre ans de mandat à la Commission nous ont permis de publier quatorze directives de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. En la matière, l'Europe est leader mondial. Nous appliquons scrupuleusement les normes BEPS (pour Base Erosion and Profit Shifting, soit érosion de base d'imposition et transfert de bénéfices) de l'OCDE, en allant toujours au-delà. Ainsi, les directives ATAD ou le listage des paradis fiscaux que nous opérons sont bien plus stricts que les normes de l'OCDE et celles de l'ensemble du reste du monde, ce dont je suis fier.
Pour autant, je laisse quelques réformes structurelles à mon successeur car 2019 sera une année législative blanche. Les dossiers sont en bon ordre, peuvent être conclus assez vite, mais ne seront pas réglés à la fin de mon mandat. C'est le cas de l'ACCIS. Monsieur Giraud, vous cherchiez le GPS ; moi aussi... Ce dossier n'émerge plus dans les discussions du Conseil ECOFIN ; je le regrette. Les travaux techniques sont d'excellente qualité – nous pourrons d'ailleurs vous en faire un point précis si vous le souhaitez. Avec quelques mois supplémentaires de travail, le prochain Conseil pourrait aboutir car la situation n'est pas celle que j'ai trouvée à mon arrivée ; le projet d'ACCIS était alors au point mort.
Il faut encore répondre à certaines questions légitimes, vous en avez soulevé, notamment la compatibilité entre les encouragements à l'investissement et ce qui existe à l'échelon national. Cette décision revient au Conseil. Pour autant, l'incitation donnera de la force à la proposition. Il faut donc arriver à combiner les différents enjeux et non à les opposer.
S'agissant de la TTF, je suis très attaché à ce sujet et j'y ai beaucoup travaillé. La coopération renforcée actuelle a été lancée lorsque j'étais ministre des finances, conjointement avec mon ami Wolfgang Schäuble. Six ans plus tard, je dois constater que le dossier n'a pas beaucoup avancé. La France et l'Allemagne veulent désormais étudier une proposition différente sur la base des taxations existantes, qui sera examinée par le prochain Conseil ECOFIN.
J'exprime ici un point de vue personnel : ce n'est qu'en modifiant la règle de l'unanimité que l'on pourra relancer ce projet avec une ambition suffisante. Ce dossier n'est pas une déception pour moi, mais une insatisfaction. Nous aurions dû aller plus fort et plus vite et, a minima, conclure cette coopération renforcée. Je m'y suis efforcé comme ministre des finances, puis comme commissaire européen. Mais dès lors qu'il s'agit d'une coopération renforcée, le Conseil est décisionnaire et la Commission n'apporte que son expertise technique et son poids politique.
Concernant la taxation de l'énergie, nous évaluons le cadre communautaire : un rapport sera publié début 2019 en vue d'une éventuelle révision de la législation à la majorité qualifiée. C'est le sujet qui me procure le plus d'insatisfaction... Alors qu'il nous faut agir à l'échelle européenne, les blocages ont été majeurs. Nous ne pouvons continuer ainsi : il faut désormais absolument avancer.
S'agissant de la taxation numérique, nous ne sommes pas loin d'un accord, mais ce sera difficile avant la fin du mandat.
Deux scénarios se profilent : dans le premier, il y absence d'accord franco-allemand, ce qui serait regrettable car cette taxe est d'intérêt général. Nous ne devons pas nous préoccuper des réactions de certains pays extra-européens qui chercheraient à nous bloquer. Je souhaite vraiment que les discussions intensives entre Bruno Le Maire et Olaf Scholz, ainsi qu'entre la chancelière Merkel et le président Macron, aboutissent à un accord. Sera-t-il suffisant ?
C'est là qu'intervient le second scénario. Même si nous aboutissons à un accord, pour différentes raisons, certains pays comme la Suède, le Danemark ou l'Irlande ne voudront peut-être pas l'approuver le 4 décembre. Pour autant, je souhaite que nous allions le plus loin possible dès le 4 décembre et que cette année ne s'achève pas sans avancées décisives en matière de taxation du numérique.
Derrière ce sujet, Joël Giraud et d'autres députés l'ont évoqué, se pose la question de notre rapport au monde. En effet, le numérique doit être taxé à l'échelle internationale. Le bon niveau est celui de l'OCDE ou du G20. L'idée d'une « sunset clause » – la révision ou de la non-application de la taxation européenne en fonction du calendrier de mise en oeuvre d'une telle taxe au niveau international – a la sympathie de la Commission. Pour autant, nous ne souhaitons pas attendre l'OCDE. C'est une source de débats avec certains qui en font un prétexte pour l'inaction.
Prenons nos responsabilités, donnons l'exemple à l'OCDE puis, lorsque la norme internationale sera publiée, elle remplacera la norme européenne. D'où l'intérêt d'adopter une directive le 4 décembre car, ensuite, la campagne électorale commencera, une nouvelle Commission et un nouveau Parlement seront élus et ce dossier sera traité après 2020.
Concernant les listes noire et grise des paradis fiscaux, je trouve surprenant que tout le monde se concentre sur la liste noire, alors que la liste grise est plus importante. La liste noire concerne les pays globalement non conformes. Il y en a peu – tant mieux ! En effet, quel plaisir peut-on trouver à stigmatiser tel ou tel pays ?
À l'inverse, la liste grise concerne soixante-cinq pays qui ont pris des engagements en matière fiscale : s'ils les tiennent, ils sortent de la liste ; s'ils ne les tiennent pas, ils basculent alors dans la liste noire.
Je ne vous ouvrirai pas mon agenda mais je peux vous assurer que beaucoup de ministres de territoires qui ont des progrès à faire – y compris de grands pays ou de pays très proches de la France – viennent me voir pour discuter de l'évolution de leur législation. Cette évolution n'aurait jamais eu lieu si nous n'avions pas instauré cette liste grise. Cela prouve son efficacité.
L'objectif n'est jamais de punir, mais de faire bouger les choses. Et elles bougent ! La Commission prépare actuellement les dossiers qui seront ensuite examinés par le groupe « Code de conduite » du Conseil. La délibération interviendra lors du Conseil ECOFIN de février, mais le travail est constant car seul le processus compte. Ce processus est extrêmement efficace puisque, pour éviter d'intégrer la liste noire et donc sortir de la liste grise, beaucoup de pays ont pris des mesures qu'ils n'auraient jamais prises seuls.
S'agissant du vote à la majorité qualifiée, madame Louwagie, je ferai des propositions en début d'année. Je souhaite être ambitieux, mais également lever les blocages très importants des États membres. Nous devons donc commencer par ouvrir des brèches dans cette prétendue souveraineté fiscale. C'est pourquoi je proposerai sans doute trois paquets – ce que l'on doit faire, ce que l'on peut faire avec un peu de volonté politique et ce qui demande davantage d'efforts. En effet, la réaction spontanée des États membres, c'est « touche pas à mon fisc ! ». Mme Cariou a pu le constater, il n'est pas toujours simple de faire bouger les lignes et les administrations fiscales. J'en sais également quelque chose, de par mon expérience.
Vous m'avez également interrogé sur les objectifs. Je me contenterai d'une réflexion politique générale, et personnelle. Certes, un commissaire doit toujours être solidaire de la Commission, mais ma sensibilité personnelle me conduit à vous donner mon point de vue. Je suis conscient que la baisse des crédits de la politique de cohésion suscite des inquiétudes. Mais il faut relativiser la diminution des fonds alloués à la France – 5 % – car elle est inférieure à la moyenne européenne et bien inférieure à celle de 20 % que connaissent les pays de l'Est du fait de leur rattrapage. En outre, la France est dans une situation relativement privilégiée puisque la quasi-totalité de ses régions sont éligibles au statut le plus favorable de « région en transition », ce qui leur permet de bénéficier de cofinancements plus élevés. Enfin, je me suis engagé afin que les régions ultrapériphériques, dont les handicaps objectifs entravent le développement, continuent à bénéficier d'un traitement plus favorable, comme mon prédécesseur avant moi et probablement mon successeur après moi.
En espérant que ces précisions apaisent les inquiétudes, je les comprends malgré tout et je le dis devant vous, après l'avoir dit devant l'Association des maires de France : il est important que la France, très attachée à sa cohésion, se mobilise pour défendre cette politique précieuse car elle réduit les divergences et les inégalités, qui sont l'ennemi. Je prends cette liberté car c'est un combat qui vaut la peine d'être mené.
Je conclurai sur le Brexit, sur lequel le rapporteur général m'a notamment interrogé. Il est trop tôt pour spéculer sur l'approche que suivra le Royaume-Uni en matière de fiscalité. En tout cas, il n'est pas question pour moi de transiger. Nous resterons très vigilants. Je suis néanmoins plutôt optimiste quant à moi : la thèse d'un Singapour géant à nos frontières que certains défendent est largement fictive. Le Royaume-Uni restera un pays européen, un pays membre du G7 et du G20. Depuis six ans et demi que je suis en charge des questions relatives aux finances, j'ai pu constater que le Royaume-Uni a toujours été extrêmement proactif sur tous les sujets fiscaux – BEPS, numérique, etc. Ce n'est donc ni sa mentalité ni son intérêt d'agir différemment. En outre, il n'en aura pas la marge de manoeuvre budgétaire. Je suis sûr que le Royaume-Uni restera très fortement impliqué dans les instances internationales en matière de lutte contre la fraude et pour la transparence fiscale.
L'accord prime désormais, même si, ma collègue Margrethe Vestager l'a dit, la Commission sera très vigilante afin d'éviter des avantages concurrentiels injustifiés. Les règles devront être alignées à la fois sur les normes de l'Union européenne et sur les normes internationales. Un accord sera la meilleure façon de gérer notre relation avec ce grand pays, voisin et ami, tellement indispensable.