La commission entend, en audition conjointe avec la commission des affaires européennes, M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes.
Notre réunion de ce matin, organisée conjointement avec la commission des affaires européennes, s'inscrit dans le cadre de nos rendez-vous réguliers avec M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes.
Monsieur le commissaire, nous vous remercions de votre disponibilité constante pour ces échanges importants – et que vous appréciez autant que nous, me semble-t-il. Votre précédente audition par nos deux commissions remonte au 24 mai dernier, voici tout juste six mois. Depuis, la Commission européenne a publié, le 8 novembre, ses prévisions économiques d'automne et a fait connaître, hier, son avis sur les projets de budget des États membres. Nous accorderons bien sûr une attention particulière à ce que vous nous direz de la France, mais notre intérêt porte évidemment aussi cette année sur le risque italien, dont vous allez certainement nous parler.
Avant les questions qui vous seront posées par certains de nos collègues, je suppose que vous souhaiterez également faire le point sur l'évolution de certains dossiers dont vous êtes chargé, non seulement ceux relatifs à différents pays de l'Union européenne, mais aussi ceux portant sur des questions transversales que nous évoquons régulièrement – je pense en particulier à la fiscalité des entreprises du numérique, ou encore aux directives relatives à l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ACCIS).
Monsieur le commissaire, nous sommes heureux de vous recevoir aujourd'hui afin de vous entendre sur les nombreux sujets d'actualité qui nous préoccupent.
L'un de ceux-là est le budget italien. Nous aimerions savoir où en est le dialogue avec le gouvernement italien, et quelles seront les propositions de la Commission au Conseil en la matière.
L'actualité de l'Union économique et monétaire a également été marquée par les progrès effectués récemment en faveur d'un budget pour la zone euro. Les ministres des finances français et allemand ont présenté leur projet au dernier Conseil sectoriel, qui détaille les points actés lors du sommet de Meseberg en juin dernier. Français et Allemands sont convenus que ce budget de la zone euro pourrait constituer une part du budget européen et permettre de promouvoir la compétitivité, la convergence et la stabilisation de la zone euro.
Quelles sont, selon vous, les chances d'une avancée rapide, à partir de cette base, en vue du prochain sommet des ministres des finances de la zone euro, en décembre ?
La commission des affaires européennes travaille par ailleurs sur les propositions de la Commission européenne relatives à la fiscalité des activités numériques. Le projet se heurte à de nombreuses résistances au Conseil, nous le savons bien – je l'ai également constaté lors de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) qui s'est tenue récemment, au cours de laquelle certains États membres sont montés au créneau contre ce projet. Pourriez-vous nous éclairer sur les chances qu'un tel projet voie le jour ?
Enfin, monsieur le commissaire, je souhaite avoir votre avis sur le Brexit. Nous examinons actuellement un projet de loi visant à habiliter le Gouvernement à prendre des mesures permettant de limiter au maximum les conséquences néfastes d'un Brexit sans accord. Où en sont les évaluations de la Commission européenne quant à l'impact économique que pourrait avoir un tel retrait ?
Je vous remercie pour votre invitation, à laquelle je réponds avec plaisir, comme toujours, indépendamment de la nécessité que j'y vois. Tout au long de mon mandat, je serai heureux de venir devant vos commissions, notamment à l'occasion des rendez-vous du semestre européen qui se tiennent, par définition, tous les six mois, afin d'échanger sur l'action de la Commission européenne et sur les travaux que vous menez au sein de votre Assemblée.
Notre rencontre me donne d'abord l'occasion de vous présenter la situation économique de l'Union européenne. Après en avoir évoqué les perspectives économiques il y a quelques jours, j'insisterai aujourd'hui sur certaines évolutions qui me paraissent notables sur la période 2018-2019, mais aussi sur ce que nous commençons à envisager pour 2020.
Hier, la Commission a adopté ses décisions et ses opinions sur les budgets en zone euro, comme elle le fait chaque année à l'automne, et il appartient maintenant au Conseil « Affaires économiques et financières » (ECOFIN) et à l'Eurogroupe de s'en saisir.
Je vais commencer par évoquer les principaux enseignements de ces travaux. Premièrement, les fondamentaux de l'économie européenne restent solides, et devraient permettre à l'économie européenne de croître. Nous avons eu en 2017 une année exceptionnelle, en tout cas au regard des quinze années l'ayant précédée. La croissance se poursuit : elle doit s'élever à 2,1 % cette année, à 1,9 % en 2019 – dans la zone euro, mais aussi dans l'ensemble de l'Union européenne –, et nous nous attendons à ce qu'elle marque un très léger ralentissement en 2020, en atteignant 1,7 % dans la zone euro et 1,8 % dans l'Union européenne. Comme vous le voyez, l'expansion économique se poursuit et se généralise pour concerner tous les États membres, ce qui est une très bonne nouvelle.
Deuxièmement, l'embellie sur le marché de l'emploi se confirme. Le niveau de l'emploi a en effet atteint un record historique, et le chômage continue à diminuer. Évidemment, compte tenu du fait que la croissance est plus faible dans la zone euro, le recul du chômage et la montée de l'emploi y sont également plus lents. Le taux de chômage devrait tomber à 8,4 % cette année, puis à 7,9 % en 2019 et à 7,5 % en 2020 : comme vous le voyez, la descente est régulière.
Troisièmement, le redressement des finances publiques en zone euro se poursuit. Au cours des trois prochaines années, le déficit des pays de la zone euro resterait nettement en dessous de 1 %, à un niveau sans doute compris entre 0,6 % et 0,8 % – aux nostalgiques du 3 %, je rappelle qu'il ne s'agissait pas d'une cible, mais d'une limite –, et pour la deuxième année consécutive, tous les pays de la zone euro sont en dessous de 3 %, avec une moyenne située à moins de 1 %.
Néanmoins, la montée des incertitudes à l'échelle internationale et le nombre croissant de risques exercent un effet modérateur sur nos prévisions de croissance, ce qui doit être pris en compte pour la suite. Le premier risque vient du fait que les tensions commerciales restent élevées, particulièrement entre la Chine et les États-Unis. En cas d'escalade – a fortiori si celle-ci aboutissait à une guerre économique et commerciale généralisée –, l'effet déstabilisateur sur le commerce international et sur la croissance mondiale pourrait être considérable. Il y a toujours une crise à venir, et la prochaine pourrait venir de là.
Le deuxième risque réside dans la montée des prix du pétrole qui, en plus d'alimenter l'inflation, pourrait également freiner la croissance, même si sur ce point les évolutions récentes sont plus contrastées qu'auparavant.
Enfin, les incertitudes restent importantes en ce qui concerne les perspectives des pays émergents, particulièrement fragilisés par la hausse du dollar, qui alourdit de manière inévitable le poids de leur dette. Par ailleurs, ces pays sont plus exposés à un retournement de la politique macro-économique américaine qui me paraît inévitable – le tout est de savoir quand, et s'il consistera en une évolution précipitée ou maîtrisée. En tout état de cause, ces pays représentant maintenant la moitié du produit intérieur brut (PIB) mondial, leur ralentissement pèserait lourdement sur la croissance mondiale, donc sur la croissance européenne.
Je ne veux pas négliger les risques au sein de la zone euro, à commencer par ce que pourraient être les conséquences du Brexit sur l'activité économique européenne. À ce stade des négociations, il ne m'est pas permis de dire grand-chose à ce sujet : bien que l'essentiel de ce qui nous attend soit connu aujourd'hui, nous nous trouvons dans une phase très particulière, puisqu'un Conseil européen décisif doit se tenir dans trois jours, le 25 novembre prochain. Nos prévisions de croissance pour l'Union européenne et le Royaume-Uni, stables pour le moment, reposent sur l'hypothèse d'un statu quo dans les relations entre les deux acteurs. Tant que l'accord sur le Brexit n'est pas voté, l'incertitude demeure, et les perspectives actuelles sont susceptibles de varier en fonction de la nature de la relation qui s'instaurera entre l'Union européenne et le Royaume-Uni : rien n'est gravé dans le marbre.
La seconde incertitude européenne réside dans le fait que la situation italienne reste une source d'inquiétude. Des tensions sont apparues sur les marchés de la dette souveraine et de la zone euro à la suite des élections italiennes et de la présentation du plan budgétaire du gouvernement italien pour l'année 2019, sur laquelle je reviendrai dans quelques instants.
Pour résumer la situation paradoxale que nous connaissons, je dirai que si le contexte économique n'a jamais été aussi favorable – et durablement favorable – depuis la crise de 2008, les risques, eux, n'ont jamais été aussi élevés.
Ce diagnostic constitue la toile de fond des décisions prises hier par la Commission et constituant son paquet d'automne, dans le cadre du semestre européen pour 2019 qui nous réunit ce matin. Bien sûr, monsieur le président, je commencerai par évoquer la situation de la France, qui vous intéresse sans doute tout particulièrement. De notre point de vue, la France continue son travail d'assainissement de ses finances publiques, mais il lui reste du chemin à parcourir. La trajectoire du déficit public est positive : certes, le niveau prévu pour 2019 est de 2,8 % du PIB, ce qui est élevé nominalement, mais il ne faut pas perdre de vue que ce chiffre est essentiellement dû à un ressaut statistique ponctuel – ce qu'on appelle un one-off dans le jargon bruxellois – de 0,9 % du PIB, correspondant à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en une réduction pérenne de cotisations sociales. Si l'on mettait de côté cette opération, le déficit public serait en réalité de 1,9 % du PIB en 2019 et de 1,7 % en 2020. Si l'on se concentre sur le nominal – qui n'est pas, tant s'en faut, la seule donnée à prendre en compte –, on peut dire que les efforts menés ces dernières années portent leurs fruits, puisque l'on s'éloigne de la zone des 3 %.
Il y a malheureusement un « mais », qui revêt une grande importance aux yeux de la Commission et de nos partenaires européens : l'effort structurel, qui constitue un élément décisif pour la réduction de la dette française – car il faut constamment se préparer à affronter les périodes difficiles – est encore insuffisant, puisqu'il ne dépasse pas 0,2 point du PIB, ce qui est l'effort minimal. Certes, ce chiffre n'a pas à être comparé avec celui de l'Italie, où l'on relève une déconsolidation massive de 0,8 à 1 point, mais la Commission considère que la France risque, comme d'autres pays, de se trouver en situation de non-conformité avec les exigences du pacte de stabilité de croissance pour 2019. Ce risque, qui ne s'est pas matérialisé et ne représente pas pour nous une source de préoccupation, est cependant bien réel au regard de l'objectif de réduction de la dette publique.
En ce qui concerne la dette, justement, nous avons un message assez simple : notre pays – je dis « notre pays » parce que c'est aussi le mien – a une dette publique qui frôle les 100 % du PIB. Réduire cette dette est une nécessité qui exige des efforts structurels significatifs et, si ceux-ci ne sont pas accomplis, la dette ne pourra que se stabiliser ou diminuer légèrement, mais elle ne se réduira pas franchement. Or, je le répète, le fait que nous traversions actuellement une bonne période ne doit pas nous faire oublier que nous en connaîtrons de plus difficiles – comme le disait John Fitzgerald Kennedy, le meilleur temps pour réparer sa toiture, c'est lorsque le soleil brille !
La bonne nouvelle du paquet, qui ne concerne pas directement la France, c'est que la grande majorité des États membres ont conduit avec détermination le chantier du redressement de leurs comptes publics. Sur les dix-neuf États membres de la zone euro, treize ont présenté à la Commission européenne des projets de plan budgétaire conformes – au moins globalement – aux exigences européennes. N'oublions pas qu'il n'y a pas si longtemps, un nombre substantiel de ces pays – notamment le nôtre – se trouvaient en procédure de déficit excessif et que plusieurs d'entre eux – l'Irlande, le Portugal, Chypre et la Grèce – étaient sous programme. Depuis, nous avons fort heureusement fait du chemin, ce qui confirme, si besoin en est, la solidité de l'économie européenne – et va, je l'espère, inciter nos pays à mettre en oeuvre encore davantage de réformes structurelles afin de stimuler la croissance économique. À l'heure actuelle, il reste six États membres, à savoir la Belgique, la France, l'Italie, le Portugal, la Slovénie et l'Espagne, qui présentent un risque de non-conformité qui doit nous inciter à rester vigilants – sans que l'ensemble constitué par ces pays puisse être considéré comme une catégorie homogène.
Pour conclure sur l'économie, je voudrais évoquer deux cas très particuliers, celui de l'Italie et celui de la Grèce, qui représentent respectivement une mauvaise et une bonne nouvelle.
En ce qui concerne l'Italie, la Commission a confirmé hier l'existence d'un risque de « non-conformité sérieuse » – une nouvelle catégorie, bien distincte des autres – aux dispositions du pacte de stabilité et de croissance. C'est la conséquence logique, et à vrai dire assez attendue, de la décision des autorités italiennes de ne pas modifier leur projet de budget 2019 après un premier avis du 23 octobre indiquant clairement que ce budget n'était pas du tout conforme aux règles européennes – ni, d'ailleurs, à l'intérêt de l'Italie. Nous continuons de penser que le projet de plan budgétaire présenté par l'Italie présente des risques sérieux pour l'économie italienne, pour ses entreprises, ses contribuables et ses épargnants, tout simplement parce que c'est un budget qui fera croître encore la dette publique italienne – ou, au mieux, la stabilisera –, dans un contexte européen où la réduction de la dette est générale. En Italie, cette dette atteint déjà 130 % du PIB, et constitue un fardeau pesant sur les épaules de tous les Italiens. J'entends parfois prononcer des phrases ronflantes faisant référence au « budget du peuple », mais un budget qui augmente la dette n'est pas un budget bon pour le peuple : les 65 milliards d'euros de service de la dette – soit 1 000 euros par Italien – représentent une charge insupportable dont le remboursement pèsera toujours sur les plus vulnérables. Par ailleurs, alors que nous avions fait part au gouvernement italien de nos doutes et de nos questions sur le déficit structurel sur la croissance et sur la dette, nous n'avons jamais obtenu la moindre réponse de sa part. Dans ces conditions, la Commission prend ses responsabilités, et agit afin de garantir la stabilité de l'économie italienne et celle de la zone euro.
Un élément procédural mérite d'être mentionné. Lors de la réunion d'hier, nous avons également conclu ce que l'on appelle un rapport de l'article 126, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui vise à examiner si la violation des critères doit ou non aboutir au lancement d'une procédure de déficit excessif sur le critère de la dette – ce qui est différent d'une procédure de déficit excessif sur le critère du déficit. Si cette procédure était menée à son terme, ce serait la première fois dans l'histoire de l'Union européenne. Nous n'avons pas pris la décision hier – j'insiste sur ce point, car certains médias ont parfois tendance à compacter le temps –, mais nous en avons pris le chemin, et il appartient maintenant aux États membres de donner leur avis sur notre rapport dans un délai de deux semaines. S'ils sont d'accord avec les conclusions de la Commission – tout porte à croire que ce sera le cas, puisqu'il ne s'agit ici que d'appliquer des règles arithmétiques bien fondées –, nous devrons alors préparer la procédure de déficit excessif et adresser à l'Italie une nouvelle recommandation relative aux mesures qu'elle devrait prendre pour corriger sa trajectoire.
Sur cette question, j'ai un mot d'ordre qui n'est pas factice ou formel, mais au contraire très sincère, c'est que dans ces conditions, le dialogue avec le gouvernement italien est plus nécessaire que jamais. En effet, il est hors de question de prendre des mesures sans avoir échangé et sans avoir tenté jusqu'au bout de corriger les choses et de rapprocher les points de vue. La porte de la Commission et la mienne restent évidemment ouvertes, et le Président du conseil italien, M. Giuseppe Conte, viendra à Bruxelles samedi soir pour rencontrer Jean-Claude Juncker et certains commissaires, dont votre serviteur. Je peux vous assurer que nous ferons tout pour qu'un rapprochement puisse s'opérer et pour éviter une situation qui serait préjudiciable aux uns comme aux autres.
Le second cas particulier que je voulais évoquer, celui de la Grèce, constitue une bonne nouvelle. Depuis notre dernière rencontre, ce pays a continué de réaliser des progrès déterminants puisque, comme vous le savez, il a conclu cet été avec succès son troisième programme d'ajustement économique et il a retrouvé sa place au sein de la zone euro. Pour la première fois, la situation de la Grèce a été examinée dans le cadre du semestre européen, alors qu'elle était jusqu'à présent à part, s'agissant d'un pays sous programme. Je dois dire que son entrée dans le semestre est assez réussie et même plutôt brillante, puisque pour 2019, nous estimons que le projet grec est conforme aux objectifs fixés – non pas globalement conforme avec un risque, mais totalement conforme. Cet État enregistre un excédent primaire de 3,5 % du PIB, ce qui prouve que les efforts qui ont été faits avec l'accompagnement des partenaires de la Grèce ont été efficaces. Je ne dis pas que tout a été parfait, car des erreurs ont été commises et les Grecs ont dû faire de gros sacrifices, mais les progrès réalisés ont permis à la Grèce de retrouver le chemin d'une croissance viable, estimée à 2,3 % pour l'année prochaine, et de finances publiques saines.
La très bonne nouvelle, c'est que la situation actuelle permet enfin la mise en oeuvre de mesures sociales. Ainsi, la Commission propose l'annulation des coupes dans les retraites, des mesures prélégiférées pour 2019, mais que la Commission et moi-même avions toujours estimées infondées – si elles avaient été effectuées, ces coupes auraient représenté une réduction de 14 % du montant de la retraite de 1,4 million de personnes, donc une augmentation considérable du nombre de retraités pauvres en Grèce –, et plusieurs autres mesures sociales sont prévues dans le prochain budget. Je pense que la Grèce est vraiment en train de sortir de l'ornière et de repartir de l'avant, ce qui est formidable pour tous ceux qui ont travaillé sur ce dossier durant des années, comme je l'ai fait moi-même. On a toujours tendance à en faire des tonnes lorsque surviennent les crises, mais on ne parle jamais des trains qui arrivent à l'heure ! Le train grec a repris sa course, ce qui est une excellente nouvelle pour tous ceux qui aiment ce pays – je sais qu'il y en a sur tous les bancs de votre Assemblée.
Vous m'avez interrogé sur la zone euro, madame la présidente. Sur ce point, je voudrais d'abord dire que nous accueillons très positivement la proposition franco-allemande formulée à Meseberg au mois de juin dernier et reprise dans le cadre de l'Eurogroupe lundi 19 novembre. Cette proposition est tout à fait conciliable avec notre propre proposition du printemps dernier sur une fonction de stabilisation pour la zone euro, et les travaux qui se mènent au sein de la zone euro jusqu'à la fin de cette année devront, à mon sens, avoir pour objectif de concrétiser trois avancées plus une – le « 3+1 ».
Premièrement, il est maintenant absolument nécessaire de compléter l'union bancaire en adoptant ce qu'on appelle un backstop, c'est-à-dire un soutien budgétaire au Fonds de résolution unique (FRU). Deuxièmement, nous devons renforcer le rôle du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui devra un jour faire partie des institutions européennes. Un accord sur ce point a été conclu entre la Commission et le MES afin d'éviter les duplications et les concurrences indues, et je pense que nous pourrons encore progresser sur cette question à l'occasion du paquet de décembre. Troisièmement, en ce qui concerne le budget de la zone euro, je pense qu'un chemin peut se dessiner entre la proposition franco-allemande et la proposition de la Commission, sous réserve de lever certaines oppositions, notamment l'opposition néerlandaise qui s'est très clairement exprimée. Les réticences ne doivent pas nous inciter à reculer, mais au contraire nous encourager à avancer de manière très déterminée, parce que la zone euro a besoin d'un budget si nous voulons qu'elle reprenne sa fonction de convergence et de stabilisation – si l'euro est une sécurité, il doit également constituer un élément de dynamisme et de justice.
Pour ce qui est des initiatives prises par la Commission dans le domaine fiscal, je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été fait au cours de ces quatre dernières années en matière de transparence et de justice fiscale. Je salue votre décision de créer une mission dédiée au scandale « CumEx », et c'est avec beaucoup d'intérêt que je prendrai connaissance de ses travaux. Si ce scandale mérite qu'on s'y intéresse de près, notamment afin de tenter de déterminer les responsabilités des acteurs qui y sont impliqués, j'ai le sentiment que nous avons heureusement déjà accompli des progrès depuis la révélation des faits, à la fois en matière d'échange automatique d'informations, de reporting et de coordination entre les administrations fiscales, qui n'empêcheraient peut-être pas qu'une telle affaire puisse encore survenir, mais rendraient sa réédition plus difficile. En tout état de cause, s'il y a encore de propositions à faire, les travaux de votre Assemblée seront plus que bienvenus.
Je veux maintenant évoquer un point d'actualité, à savoir la proposition de la Commission sur la fiscalité du numérique, qui constitue à la fois la priorité de la fin de mon mandat et celle de la Commission en cette fin d'année. Comme je vous l'avais exposé en mai, j'ai présenté deux propositions qui me paraissent majeures pour garantir une fiscalité équitable de l'économie numérique et faire en sorte que les grandes entreprises de ce secteur payent leur juste part d'impôt là où elles créent des profits et de la valeur. La première de ces propositions, qui est la plus structurante, consiste à moderniser les règles relatives à l'impôt sur les sociétés en introduisant un concept de présence numérique, partant du principe que la seule présence physique ne permet pas de taxer les entreprises du numérique. En combinant cette mesure à l'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés, je crois que nous pourrions aboutir à la fiscalité des entreprises du XXIe siècle, dont nous avons absolument besoin.
Ma seconde proposition, à la fois plus spectaculaire et de plus court terme – elle a d'ailleurs vocation à être transitoire –, consiste en l'instauration d'une taxe temporaire sur le chiffre d'affaires généré par certaines activités numériques dans l'Union. Je ne vous apprends pas que, malgré les efforts de la Commission et malgré les efforts du gouvernement français – qui travaillent sur cette question dans une très forte proximité, n'ayant au demeurant rien à voir avec la nationalité du commissaire concerné, mais relevant simplement d'une volonté politique partagée –, il n'y a toujours pas d'accord entre les États membres sur ce sujet, et la finalisation de l'accord évoqué de longue date entre la France et l'Allemagne se fait attendre. Je regrette cette absence d'accord et je continue d'espérer que les États membres parviendront à surmonter leurs oppositions avant la fin de l'année, car nous entrerons ensuite dans une période blanche sur le plan de la législation – il sera loin d'en être de même sur le plan politique. À quelques mois des élections européennes, nous pourrions donner une très belle preuve d'Europe à ceux qui doutent de la construction européenne si nous pouvions montrer que nous sommes les premiers dans le monde à nous attaquer à un tel sujet.
En tout état de cause, il s'agit d'une question qu'aucun pays ne peut résoudre seul. Je ne sais pas quelle serait la position française si une directive n'était pas adoptée, mais j'ai observé dans plusieurs pays la tentation, que je ne critique pas sur le fond, de mettre en place des mesures nationales, ce qui risque d'aboutir à l'application en patchwork d'une taxation qui, pour être efficace – donc pour mieux protéger nos propres entreprises du numérique –, doit plutôt être mise en oeuvre de manière uniforme à l'échelle européenne. Je suis lucide et, si je salue le soutien de la France, je sais qu'il ne sera pas simple de parvenir à un consensus en vue de l'ECOFIN du 4 décembre, dans dix jours – bien évidemment, cela ne doit pas nous décourager de continuer à y travailler, bien au contraire.
Pour conclure, je dirai que cette question nous montre les limites imposées par la règle de l'unanimité. Entamant la dernière année de mon mandat, je me rends compte que j'ai fait beaucoup plus en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales que ce que je pensais faire. Si le portefeuille de commissaire de la fiscalité est traditionnellement ingrat, il a été formidable en ce qui me concerne. La Commission a en effet fait adopter quatorze directives importantes dans un délai très court, faisant plus en la matière qu'au cours des vingt dernières années !
Je suis très fier de ce qui a été fait, mais également lucide sur ce qui ne l'a pas été. Ainsi, nous n'avons pas travaillé sur les grands piliers de l'imposition, nous n'avons pas finalisé la réforme de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ni achevé l'ACCIS ; si nous sommes tout près d'un accord sur la fiscalité du numérique, nous risquons tout de même de ne pas le conclure ; enfin, nous n'avons pas suffisamment progressé sur la taxe sur les transactions financières (TTF) et sur la taxation de l'énergie. Sur tous ces sujets majeurs pour nos concitoyens, mesdames et messieurs les députés, mon expérience me conduit à la conviction que la règle de l'unanimité nous condamne à rester bloqués, ce qui est impensable, car les Européens, et notamment nos concitoyens, attendent la mise en oeuvre d'indispensables réformes structurelles – à juste titre, car c'est bien cela que l'on est en droit d'attendre de l'Europe.
Je proposerai donc – ce sera peut-être mon legs au terme de mon mandat de commissaire – le passage au vote à la majorité qualifiée sur un grand nombre de questions fiscales en début d'année prochaine, conformément à ce qu'a annoncé le Président de la Commission dans son discours sur l'état de l'Union. Je suis persuadé que cette réforme, qui nous permettrait d'agir plus vite et plus efficacement dans le domaine fiscal, constituerait également un progrès démocratique, car il n'est pas normal que la volonté d'un seul puisse primer sur la volonté de tous les autres et les empêcher d'avancer sur des sujets essentiels pour nos concitoyens. Bien évidemment, le moment venu, je serai très heureux d'avoir le soutien de votre Assemblée, et je suis tout disposé à revenir devant vous afin d'évoquer spécifiquement les dossiers fiscaux et faire le point sur ceux que la Commission va laisser inaboutis – si tous sont avancés, aucun n'a pu être réglé, notamment à cause de la règle de l'unanimité. Le passage à la majorité qualifiée permettrait aussi d'élargir le champ d'action de la politique fiscale en Europe : pour moi, la fiscalité doit impérativement se mettre au service d'objectifs politiques plus larges, tels que la protection de l'environnement – au moyen d'une taxation des activités polluantes – ou la régulation du secteur financier – au moyen d'une taxe sur les transactions financières.
Mesdames et messieurs les députés, à quelques mois seulement d'un scrutin européen crucial pour l'avenir de l'Union européenne, nous devons nous efforcer de démontrer à nos concitoyens la plus-value de l'action européenne dans les dossiers qui comptent. Durant les prochains mois, qui constituent une période critique, la Commission va continuer à faire son travail et à peser dans ces débats, mais ce sont de véritables combats politiques qui vont se dérouler dans l'ensemble des pays membres, à commencer par le nôtre, auquel je suis particulièrement attaché.
Je crois que nous sommes nombreux, monsieur le commissaire, à partager votre opinion sur la règle de l'unanimité, qui peut se révéler terriblement bloquante. Au moment où l'Union européenne doit faire des progrès en passant la vitesse supérieure, il me paraît impossible de maintenir cette règle. Certes, c'est sans doute plus facile à dire qu'à faire, mais il faut en tout cas faire bouger les choses.
Depuis notre dernière rencontre, certains sujets ont évolué. Le risque italien, un risque systémique compte tenu du poids de l'économie italienne dans le poids de l'économie européenne, s'est ainsi accru depuis le mois de mai. Pensez-vous qu'il y ait une possibilité d'accord entre les autorités italiennes et la Commission, et sur quelle base pensez-vous que les autorités italiennes vont éventuellement faire évoluer leur projet de budget ?
Comme vous, je pense évidemment que la dette constitue à terme un fardeau impossible pour les peuples, et que, de ce point de vue, les mesures budgétaires italiennes sont inappropriées. Compte tenu du contexte politique italien, pensez-vous que les autorités italiennes et l'Union puissent trouver un terrain d'entente et, à défaut, quelles sanctions ou quelles mesures seriez-vous prêt à prendre ?
Monsieur le commissaire, les mêmes questions se posent au sujet de notre pays. Il y a évidemment une amélioration de la situation des finances publiques parce qu'il y a de la croissance, d'abord, ce qui rend la situation plus simple. Mais c'est une amélioration trop lente et qui, en termes relatifs, n'est probablement pas non plus ce qu'elle devrait être. L'appel à la fiscalité n'est plus possible : vous avez vous-même, en d'autres temps, dénoncé le « ras-le-bol fiscal ». Il faut donc adopter des mesures concernant les dépenses. On voit bien que l'effort structurel est trop faible et que la réduction de la dette est également limitée. L'évolution des dépenses est problématique même si elle s'est ralentie, ce qui est bien naturel, par rapport aux années précédentes. La Commission européenne a-t-elle une trajectoire pour la réduction des dépenses publiques qui permettrait à la France de rejoindre les pays de la zone euro ? Nous sommes toujours 1 point au-dessus d'eux – chacun progresse, et nous aussi, heureusement. Je crois que le chiffre de 2,8 % est effectivement ponctuel : il faut raisonner avec 1,9 %, mais cela reste 1 point de plus que la moyenne de la zone euro, ce qui est trop si l'on veut réellement retrouver une souveraineté financière, une marge de manoeuvre et des mobilités dont nous aurons besoin pour affronter les prochaines crises, mais aussi pour réformer notre pays.
En ce qui concerne les questions fiscales, pensez-vous qu'il faudrait une taxation européenne de l'énergie ? Doit-on y travailler, et la Commission le fait-elle ? Les peuples se soulèvent sur ce sujet, peut-être parce que c'est la goutte d'eau, ou la goutte de carburant qui fait déborder le réservoir... Mais il n'y a probablement pas que ça. Doit-on aller vers une vision plus européenne de la transition énergétique, même si tous les pays ne sont pas au même niveau ? S'agissant de l'ensemble des chantiers fiscaux que vous avez évoqués, quels sont ceux qui ont des chances d'aboutir ou, du moins, de devenir irréversibles d'ici à la fin du mandat de la Commission et du Parlement européen ?
Enfin, le budget de la zone euro est évidemment une avancée importante : je crois qu'il faut se doter d'un budget, ou en tout cas d'une marge de manoeuvre spécifique. Pensez-vous que tout cela sera durable et que le calendrier, comme le contenu du budget, pourront devenir plus clairs dans les mois qui viennent ?
Merci pour votre exposé, monsieur le commissaire, et pour la constance avec laquelle vous venez devant nos deux commissions.
Afin d'essayer d'être complémentaire avec ce qui vient d'être dit, je voudrais vous poser deux séries de questions qui portent sur le volet « fiscalité » de votre portefeuille.
Quelles seront les nouvelles marges de manoeuvre du Royaume-Uni en termes de droit fiscal à partir du 30 mars 2019, c'est-à-dire au lendemain du Brexit ? J'aimerais savoir si un dumping fiscal agressif, visant à contrecarrer les effets négatifs du Brexit, est possible, et dans quelles conditions. Si tel était le cas, comment l'Union européenne devrait-elle réagir ? Avez-vous, comme dirait la présidente de la commission des affaires européennes, un Kriegsplan ?
L'exécutif britannique a annoncé l'instauration, d'ici à 2020, d'une taxe sur le chiffre d'affaires réalisé au Royaume-Uni par les entreprises du numérique au-delà de 500 millions de livres. Craignez-vous que l'introduction de cette taxe sur les GAFA souligne la lenteur des négociations sur ce sujet au sein de l'Union ou que cela permettra au contraire de les « booster », car il faudra bien trouver une solution pour ceux qui restent de l'autre côté de la Manche ?
Nous suivons avec beaucoup d'attention le parcours des propositions de directives qui ont été faites en mars dernier. Je vous ai déjà interrogé sur cette question, mais on parle beaucoup de la « sunset clause » évoquée par Bruno Le Maire et je voudrais donc que l'on soit très précis sur les évolutions de la solution à long terme, afin de voir comment on avance dans ce domaine.
J'ai aussi quelques questions à vous poser sur les négociations en cours en matière de fiscalité au sein de l'Union européenne. Outre la transposition de la directive sur la lutte contre l'évasion fiscale, dite « ATAD » (anti tax avoidance directive), j'aimerais savoir où nous en sommes pour d'autres projets phares de la Commission. Tout d'abord, quel est très précisément l'état des négociations sur la directive ACCIS depuis la déclaration commune de Meseberg ? Le soutien au projet de la France et de l'Allemagne est acté, il y a la limitation du premier volet aux règles d'assiette proprement dites, sans les avantages fiscaux, mais je m'interroge sur la « super-déduction » pour la recherche et développement, dont la compatibilité avec notre crédit d'impôt recherche fait débat. La déduction pour la croissance et l'investissement fait-elle toujours partir des visées de nos dirigeants ? Du côté de la Commission, quel est vraiment le calendrier ? J'avoue que j'y perds un peu mon latin.
Enfin, je voudrais savoir où vous en êtes en ce qui concerne le calendrier et les modalités de vérification des engagements pris par les pays inscrits sur la « liste grise » de l'Union européenne.
Je tiens d'abord à souligner la qualité de vos travaux au sein de l'Union européenne, tant sur le plan économique que sur le plan moral.
En tant que co-rapporteur de la mission d'information de la commission des affaires européennes sur l'espace fiscal européen, je souhaite vous interroger sur le déficit d'harmonisation dans ce domaine, qui est à l'origine d'un véritable manque à gagner budgétaire pour les États membres. Le paradoxe est que le maintien de l'outil fiscal dans la sphère nationale obère, de fait, la capacité souveraine à imposer certains facteurs de production particulièrement mobiles à l'échelle européenne.
Le projet ACCIS est une réponse dont nous ne pouvons que nous féliciter, certes, mais l'idée qu'il existe une fiscalité à deux vitesses pose un problème dans le contexte politique actuel car cela accroît considérablement le sentiment d'inégalité à l'égard de l'impôt : on ne peut plus accepter que les géants du numérique, les GAFA, paient 14 points d'impôt de moins que les entreprises françaises et européennes – leur taux d'imposition est en effet de 9 % contre 23 % pour les autres entreprises. Le traitement de ces acteurs qui profitent de nos données pour générer leur propre chiffre d'affaires pose une vraie question d'équité et de justice.
Telle est la problématique des discussions en cours sur une première taxation de compensation dans ce domaine au plan européen. L'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne et dix-neuf autres États membres ont rejoint la position française. L'enjeu est l'unité : si cette proposition de directive fiscale européenne n'est pas adoptée le 4 décembre prochain, lors de la prochaine réunion du Conseil ECOFIN, chaque État créera sa propre taxe, comme certains pays l'ont déjà annoncé, ce qui sonnera le glas de l'unité fiscale européenne qui a été annoncée. Or un point d'équilibre entre la France et l'Allemagne n'est toujours pas vraiment trouvé, vous l'avez dit tout à l'heure.
Pouvez-vous nous présenter, comme vous avez commencé à le faire, un état des travaux menés par la Commission européenne en matière d'harmonisation fiscale, qu'il s'agisse du projet ACCIS, de la taxation des GAFA mais aussi de l'ensemble des mesures visant à améliorer le recouvrement des recettes fiscales dans l'Union européenne ? Celle-ci a l'opportunité, rare, d'être la première à mettre en place, en devançant l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une politique majeure qui est adaptée aux besoins essentiels du XXIe siècle.
Merci, monsieur le commissaire, pour votre intervention liminaire qui a déjà apporté des réponses à diverses questions que nous nous posions.
En ce qui concerne la proposition de passer à la majorité qualifiée, pouvez-vous nous dire comment les autres États membres réagissent ? La France est-elle rejointe par d'autres pays ou pas du tout ?
On a beaucoup parlé de la TTF depuis que je suis ici, c'est-à-dire sept ans, mais c'est un peu moins le cas aujourd'hui : il est beaucoup plus question de la fiscalité sur le numérique. Ce premier sujet est-il définitivement abandonné ? Vous avez évoqué cette taxe mais sans vous étendre beaucoup.
S'agissant du cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027, une réduction importante du budget consacré à la politique de cohésion et à la politique agricole commune (PAC) est envisagée. Malgré une évolution des critères de classement des régions qui est positive, car elle est plutôt favorable à la France, la réduction de ce budget pèserait. Je suis un peu inquiète de l'évolution des objectifs qui a été présentée – leur nombre passerait de onze à cinq. Je me suis même laissé dire que l'on pourrait abandonner le cinquième objectif, qui concerne notamment les territoires puisqu'il vise à assurer « une Europe plus proche des citoyens », avec le développement durable des zones urbaines, rurales et côtières. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les positions des États membres au sujet de ce cinquième objectif, qui, à mes yeux, est important pour la France ?
Mille excuses, monsieur le commissaire : j'ai été retenu par une réunion sur le Brexit qui m'a pris plus de temps que je l'aurais souhaité, et j'interviens donc alors que vous avez peut-être déjà répondu aux questions que je me pose à propos de l'Italie, où l'on voit bien comment les choses se dessinent.
Les initiatives que la Commission pourrait prendre en matière de déficit excessif sont très bien, elles sont inscrites dans les traités, mais la France a vécu pendant dix ans dans cette situation, et elle n'en est pas morte : tout cela est donc relativement limité.
Comment voyez-vous, même si je vous fais un peu sortir de votre compétence avec cette question, l'attitude qui pourrait être celle d'une autre institution qu'est la Banque centrale européenne (BCE) par rapport à des menaces de déstabilisation ?
D'une façon générale, quel regard portez-vous sur les perspectives de mise en cause de la dette italienne et de son prix sur les marchés ? Je ne sais pas si vous avez la même analyse que moi, mais je trouve que M. Tria, qui se débat dans une situation extrêmement difficile et qui est manifestement là pour essayer d'éviter le pire, avec l'appui du président Mattarella, a dit quelque chose d'intéressant : il a déclaré que si l'écart entre la dette allemande et la dette italienne s'élevait à plus de 400 points de base, il faudrait faire quelque chose.
Cela vous paraît-il l'annonce d'un revirement, qui pourrait d'ailleurs coïncider avec des évolutions de la politique italienne, notamment une rupture potentielle entre la Ligue, qui se fiche un peu de tout ça, ou en tout cas qui est beaucoup plus attentive à d'autres sujets que les questions fiscales, et Cinque Stelle, qui pousse plutôt à la roue quand il est question de déficit ?
Je voudrais revenir sur le budget de l'eurozone. Vous avez été un des partisans de cette initiative, que nous sommes nombreux à approuver. Je pense néanmoins qu'elle devra s'accompagner d'une coopération sur les politiques dont nous parlons et qu'il faudra qu'elle soit approuvée par les citoyens, à travers leurs représentants. Quand on parle de la zone euro avec les gens, on voit qu'ils ont du mal à comprendre : il y a un déficit démocratique sur ce point.
M. Juncker avait annoncé, en mai dernier, un budget de 30 milliards d'euros sur sept ans, si j'ai bonne mémoire, pour aider certains pays à maintenir l'investissement au moyen de prêts. Pensez-vous que l'initiative franco-allemande peut entrer dans ce cadre ? Et à quelle date peut-on imaginer que la zone euro aura un véritable budget ? Il est question de 2021, mais il faudra que ce budget soit approuvé non seulement par les dix-neuf pays de la zone euro, mais aussi par tous les États membres, ce qui constitue quand même un écueil : c'est un véritable parcours du combattant. Il faut se lancer, mais je voudrais avoir votre avis, de façon très objective, sur les chances d'aboutir à un véritable budget de la zone euro en 2021.
Je voudrais faire une remarque à propos du budget de l'Italie. J'entends vos inquiétudes au sujet du poids de la dette pour les générations futures. Mais que dire de la politique de la Grèce ? Si elle paraît aujourd'hui dans les clous européens, il y a des conséquences immédiates pour la population, en particulier la jeunesse, qui fuit le pays tant la situation est intenable. On voit bien quels sont les effets, dès maintenant, de la terrible austérité qui règne. Il y a donc deux regards différents. J'aimerais aussi vous interroger sur les raisons pour lesquelles on ne parle jamais du Portugal. Ce pays semble répondre aux critères européens tout en menant une politique qui paraît sortir la population de l'austérité.
Je vais essayer de vous répondre en séparant les sujets économiques et financiers et ceux fiscaux, par commodité. Je ne répondrai peut-être pas directement à chacun, mais j'espère que tout le monde se reconnaîtra néanmoins.
J'ai d'emblée évoqué le risque italien pour la croissance, pour la cohésion de la zone euro mais aussi pour l'Italie elle-même. La Commission, et moi en particulier, a la volonté politique absolue de ne pas provoquer ou d'accepter une crise entre Rome et Bruxelles. Nous avons besoin de l'Italie pour ce qu'elle est, à savoir un pays fondateur de l'Union européenne et au coeur de la zone euro. Je suis persuadé que l'avenir de l'Italie est au coeur de l'Europe et de la zone euro. On peut d'ailleurs observer, car il y a toujours des paradoxes électoraux, qu'alors que le gouvernement italien est sur ces sujets dans une position sinon hésitante, du moins pas toujours lisible, la population italienne est très attachée à l'appartenance du pays à l'euro.
Dans ce contexte, vous m'avez interrogé sur la possibilité d'un accord, sur la procédure de déficit excessif et sur le jeu d'autres acteurs.
La volonté de la Commission européenne, et ma volonté, est vraiment de parvenir à un accord. Quand je parle de dialogue, il ne s'agit pas d'une sorte de formalisme gracieux, ni de rechercher des responsabilités, en essayant de les faire porter sur les autres – il n'y pas de blame game, si vous voulez bien pardonner cet anglicisme : non, c'est la conscience que nous ne pouvons trouver de solutions qu'ensemble. Après, les choses sont un peu plus compliquées...
En ce qui concerne les règles, évoquées par Jean-Louis Bourlanges, il ne faut ni surestimer ni sous-estimer nos outils. Je pense qu'on ne meurt pas, en effet, de la procédure de déficit excessif – la France n'en est pas morte – mais que c'est une procédure solide, précise, longue, avec des possibilités de sanctions que, pour ma part, j'ai toujours cherché à éviter, pour tous les pays. Avoir recours aux sanctions ne me paraît pas l'attitude intelligente à adopter, mais elles existent, si nécessaire. Par ailleurs, les trajectoires peuvent être différentes. Je ne veux pas paraphraser un ancien Premier ministre, mais la pente peut être plus ou moins rude. Il y a donc tout un dialogue à avoir. C'est une procédure dont on ne meurt pas, mais je pense très sincèrement qu'il vaut mieux éviter d'y entrer : ce que cela change, c'est qu'on se trouve avec une trajectoire qui impose des mesures de correction, lesquelles ont forcément un coût sur la croissance et représentent un effort considérable pour le pays concerné et sa population.
Le problème d'un accord, monsieur le président, est qu'il faut s'entendre sur ce qu'il pourrait être. On peut trouver un accord sur les règles, on peut s'en rapprocher. C'est dans ce cadre que l'on travaille : cela ne peut pas être une discussion de marchands de tapis. Le commissaire que je suis a plutôt été accusé, au cours des dernières années, d'être du côté de la flexibilité et de ne pas être assez dur – il est peut-être arrivé à certains membres de votre Assemblée de me le reprocher. Je m'en suis toujours tenu aux règles, avec la dose de flexibilité qu'elles autorisent, et je n'ai pas changé. Cela vaut aussi pour l'Italie, quand je dis que ma porte est ouverte. Mais il y a une chose que je ne peux pas faire : c'est tordre les règles.
Certains d'entre vous doivent jouer au tennis : quand vous servez et que votre balle touche légèrement la ligne à l'extérieur, vous savez qu'un arbitre bienveillant, s'il n'y a pas de machine, peut considérer que vous avez marqué le point. Si la balle est dans le couloir et que l'arbitre a regardé de côté, il peut encore considérer que le point est marqué, par exemple si vous jouez avec des amis... Mais si vous envoyez la balle dans les bâches, alors aucun arbitre ne peut accepter de considérer que vous avez marqué le point. La balle est dans les bâches, c'est tout, et en l'occurrence la Commission est l'arbitre.
Il faut être assez simple sur ce qu'on peut faire : il faut travailler sur la base des règles. Si le déficit est de 2,4 %, je ne peux pas dire qu'on va toper sur 2,3 %. Il y a des procédures assez précises qui doivent être suivies, et c'est vers cela qu'il faut tendre ensemble. On va donc travailler et parler encore. Je suis persuadé qu'on finira par y arriver, car c'est notre intérêt commun. C'est l'intérêt de l'Italie de ne pas s'endetter et c'est celui de la zone euro de voir l'Italie respecter les règles.
Je le dis au passage devant la représentation nationale de la France : les règles ont été respectées par tous. Si chacun se mettait à faire cavalier seul, il n'y aurait déjà plus de zone euro. C'est pourquoi je ne considère pas qu'il faut encourager ce type de comportement. Il est quand même paradoxal de voir que certains saluent ces déviations alors que nos pays et nos peuples ont fait un effort pendant la crise, pendant dix ans, pour ramener la moyenne des déficits de 6 % en 2010 à 0,6 % en 2018.
On va tout faire, je l'ai dit, mais je ne veux pas cacher à quel stade nous en sommes. Nous n'avons pas pris hier la décision d'ouvrir une procédure de déficit excessif : nous avons constaté une situation. Si le Conseil nous demande d'agir – et on sait vers quoi on va – on doit préparer la procédure. Mais le dialogue est là, tout le temps.
Vous avez parlé de M. Tria : je ne compte plus le nombre de réunions et d'entretiens téléphoniques que j'ai eus avec lui – il y en a quasiment tous les jours. C'est un homme de bonne volonté, et il y a beaucoup d'Italiens qui sont très attachés à notre parcours commun. Au-delà de sa personnalité, c'est le ministre des finances de l'Italie, et il n'est pas le seul à travailler sur ce sujet. Le Président du conseil italien sera ainsi à Bruxelles samedi soir pour une réunion de travail. Ne soyons pas dans une attitude de confrontation : cherchons plutôt la solution, ensemble.
Il y a aussi d'autres paramètres qui peuvent jouer. En effet, tout n'est pas fixé à l'avance dans une procédure de déficit excessif : le rythme, la trajectoire et les efforts dépendent aussi de ce que les uns et les autres sont prêts à consentir. Mais nous n'en sommes pas encore là. Je le répète : ma porte est ouverte.
Un dernier mot sur l'Italie – je suis conscient d'être un peu long sur ce sujet, mais je sais à quel point il est important : je ne commente jamais les décisions de la BCE, et je soutiens toujours la « vista » de Mario Draghi. On est là dans un cas qui doit l'intéresser particulièrement...
En ce qui concerne les marchés, je voudrais souligner que nous ne souhaitons pas les téléguider. La Commission n'est pas un spéculateur mais un régulateur. Elle n'est pas là pour agiter la spéculation. Mais il ne faut pas non plus se laisser paralyser par la réaction des marchés. Nous appliquons les règles car c'est notre rôle, et elles sont un des paramètres à partir desquels les marchés peuvent réfléchir. Il y a toujours un débat à cet égard, et on a fréquemment porté contre moi cette accusation : quand le commissaire parle, les spreads s'agitent. Or c'est totalement faux : il ne faut pas confondre le thermomètre et la fièvre. Nous sommes le thermomètre : ce qui donne de la fièvre aux marchés, ce dont des mesures qu'ils n'apprécient pas ou dont ils pensent qu'elles ne sont pas bonnes pour la situation de l'Italie. C'est ce qui explique le niveau actuel des spreads. Je n'ai pas à commenter, en revanche, tel ou tel niveau qui serait critique.
En ce qui concerne la France, monsieur le président, je refuse totalement de comparer sa situation avec celle de l'Italie, non parce que la France est mon pays, mais parce qu'une telle comparaison n'aurait pas de sens. Vous ne l'avez pas faite, d'ailleurs : je le dis seulement parce qu'on nous écoute et qu'on nous regarde – vous pouvez être sûrs que tous les journalistes italiens le font en ce moment.
Non, cette comparaison n'est pas pertinente. D'un côté, l'Italie fait un effort négatif de 0,8 point de PIB – plus en réalité ; sa dette publique est de 130 % et sa prévision de déficit nominal de 2,9 % – alors qu'il devait seulement atteindre 0,6 % ! La déviation est considérable et sans précédent. De l'autre côté, certes, la dette publique française reste trop élevée, mais elle n'est que de 98,7 %. Son déficit nominal a substantiellement diminué, puisque le sous-jacent atteint 1,9 %. Certes l'effort structurel est encore trop limité, mais il est positif – à 0 2 %. L'année 2019, qui ne me satisfait pas totalement, est donc meilleure que 2018, puisque l'effort était alors nul.
J'ai écrit au gouvernement français et je parle constamment avec les autorités françaises, notamment avec Bruno Le Maire. J'ai conscience des efforts réalisés. Il faut les poursuivre, ils sont nécessaires ! Dans l'intérêt du pays, la trajectoire de réduction de la dette devrait être plus robuste.
La Commission ne propose pas de trajectoire spécifique de réduction des dépenses publiques. Ce n'est pas son travail. Quand un pays est en procédure de déficit excessif, une recommandation proposée par la Commission est adoptée par le Conseil. Mais, à l'heure actuelle, la France n'est plus dans le cadre de cette procédure. Elle doit donc simplement respecter les règles, qui suggèrent fortement de faire des efforts réguliers, à 0,6 point de PIB par an – 0,3 % compte tenu des déviations autorisées. Vous le constatez, nous nous en approchons, tout en étant encore un peu en dessous. En conséquence, je demande au gouvernement français de poursuivre ses efforts et de présenter dans les prochaines années des budgets proches des efforts demandés par le pacte de stabilité et de croissance.
Ce qui se passe en Italie n'est pas de même nature...
Vous m'avez posé plusieurs questions sur le budget de la zone euro. Lorsque j'ai évoqué le « 3 + 1 », j'ai oublié de parler du « 1 ». Il est pourtant fondamental, c'est le contrôle démocratique. Un budget de la zone euro doit absolument être accompagné d'une ouverture des procédures démocratiques. Il ne peut se concevoir sans un ministre des finances et un parlement de la zone euro, en l'occurrence le Parlement européen. D'ailleurs, cela permettrait également à votre parlement national d'exercer son contrôle. Si je n'étais pas commissaire, mais ministre des finances de la zone euro, j'imagine que je serai régulièrement auditionné par votre commission au titre des différentes activités de l'Eurogroupe.
Cette responsabilité démocratique est indispensable. C'est d'ailleurs le sens de l'histoire car, quand nos concitoyens regardent l'Europe, ils voient une sorte de boîte noire. C'est frappant dans le débat italien. On parle des commissaires comme de bureaucrates non élus. Mais enfin, j'ai siégé à votre place pendant quelques années et j'ai fait partie du gouvernement ! Je ne suis pas un bureaucrate, mais un homme politique, et je le reste. Tous les commissaires sont d'ailleurs dans la même situation. Ils appartiennent à des formations politiques et ont tous des engagements politiques. En outre, nous ne sommes pas « non élus » car notre désignation relève des mêmes procédures que celle d'un ministre : nous sommes désignés par des gouvernements nationaux, puis investis par le Parlement européen. D'ailleurs, contrairement aux ministres – et je ne leur souhaite pas –, nous passons une audition devant une commission qui a la possibilité de recaler les candidats. C'est déjà arrivé, même pour cette Commission.
Pour autant, si nos concitoyens ont cette perception, c'est que le contrôle n'est pas suffisamment exercé et qu'il est trop lointain.
Vous avez évoqué les cas de la Grèce et du Portugal. Concernant la Grèce, je ne suis pas d'accord avec vous. Ce n'est pas l'austérité qui a créé la crise ! Cette thèse est rabâchée, mais c'est une erreur de lecture historique. Ceux qui nous ont précédés ont attaqué la crise grecque et ils ont eu raison : les comptes publics de ce pays étaient falsifiés – avec l'aide de banques internationales ; ses structures économiques étaient archaïques, ses structures sociales hypercoûteuses – le coût des retraites en Grèce était de plusieurs points de PIB supérieur à celui de la moyenne de la zone euro ; enfin, son économie n'était pas soutenable, elle était incapable de faire face à l'appartenance à la zone euro.
Si la Grèce avait été laissée seule face à ses problèmes, sa situation aurait été bien pire. C'est la crise qui a exigé des efforts, et non l'inverse. Il faut saluer la sortie de la Grèce de l'austérité. Le budget grec pour 2019 n'est plus un budget d'austérité ; les coupes sur les retraites sont annulées et des mesures sociales sont prévues.
Madame la députée, c'est l'endettement extrême qui mène à l'austérité ! Quand on est trop endetté, un jour, il faut payer la facture ; une dette se rembourse, sauf à considérer qu'on l'efface. Dans ce cas, on pénalise les créanciers – effacer la dette grecque aurait représenté une charge de 1 000 euros par contribuable européen !
S'agissant du Portugal, je souris quand j'entends des parlementaires que je connais bien et avec lesquels j'ai beaucoup travaillé saluer ce pays comme un modèle de politique de gauche. Je connais Antonio Costa depuis très longtemps – nous avons été vice-présidents du Parlement européen ensemble. C'est un parfait social-démocrate, très européen, modéré, extraordinairement habile et talentueux, qui mène de bonnes politiques et fait fournir à son pays des efforts mesurés, constants et crédibles. C'est parce que le Portugal fait ces efforts qu'il peut redistribuer, et non l'inverse.
Le Portugal est lui aussi en risque de non-conformité, pour des raisons obscures en vérité. En effet, son déficit budgétaire est nettement inférieur à 1 %, puisqu'il atteint 0,6 %. Certains imaginent que le Portugal est l'exemple même de la relance keynésienne. Ce n'est pas du tout le cas. Il fournit simplement un effort intelligent qui lui permet de bien redistribuer, tout en respectant la croissance et en réduisant sa dette. En outre, le pays connaît un boom économique.
En conclusion, n'ayez pas une lecture biaisée de la situation du Portugal, vous risquez d'être déçue. C'est l'exemple parfait des bonnes pratiques dont j'aimerais que d'autres pays s'inspirent.
Le président m'a interrogé sur l'état d'avancement des dossiers fiscaux. Ces quatre ans de mandat à la Commission nous ont permis de publier quatorze directives de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. En la matière, l'Europe est leader mondial. Nous appliquons scrupuleusement les normes BEPS (pour Base Erosion and Profit Shifting, soit érosion de base d'imposition et transfert de bénéfices) de l'OCDE, en allant toujours au-delà. Ainsi, les directives ATAD ou le listage des paradis fiscaux que nous opérons sont bien plus stricts que les normes de l'OCDE et celles de l'ensemble du reste du monde, ce dont je suis fier.
Pour autant, je laisse quelques réformes structurelles à mon successeur car 2019 sera une année législative blanche. Les dossiers sont en bon ordre, peuvent être conclus assez vite, mais ne seront pas réglés à la fin de mon mandat. C'est le cas de l'ACCIS. Monsieur Giraud, vous cherchiez le GPS ; moi aussi... Ce dossier n'émerge plus dans les discussions du Conseil ECOFIN ; je le regrette. Les travaux techniques sont d'excellente qualité – nous pourrons d'ailleurs vous en faire un point précis si vous le souhaitez. Avec quelques mois supplémentaires de travail, le prochain Conseil pourrait aboutir car la situation n'est pas celle que j'ai trouvée à mon arrivée ; le projet d'ACCIS était alors au point mort.
Il faut encore répondre à certaines questions légitimes, vous en avez soulevé, notamment la compatibilité entre les encouragements à l'investissement et ce qui existe à l'échelon national. Cette décision revient au Conseil. Pour autant, l'incitation donnera de la force à la proposition. Il faut donc arriver à combiner les différents enjeux et non à les opposer.
S'agissant de la TTF, je suis très attaché à ce sujet et j'y ai beaucoup travaillé. La coopération renforcée actuelle a été lancée lorsque j'étais ministre des finances, conjointement avec mon ami Wolfgang Schäuble. Six ans plus tard, je dois constater que le dossier n'a pas beaucoup avancé. La France et l'Allemagne veulent désormais étudier une proposition différente sur la base des taxations existantes, qui sera examinée par le prochain Conseil ECOFIN.
J'exprime ici un point de vue personnel : ce n'est qu'en modifiant la règle de l'unanimité que l'on pourra relancer ce projet avec une ambition suffisante. Ce dossier n'est pas une déception pour moi, mais une insatisfaction. Nous aurions dû aller plus fort et plus vite et, a minima, conclure cette coopération renforcée. Je m'y suis efforcé comme ministre des finances, puis comme commissaire européen. Mais dès lors qu'il s'agit d'une coopération renforcée, le Conseil est décisionnaire et la Commission n'apporte que son expertise technique et son poids politique.
Concernant la taxation de l'énergie, nous évaluons le cadre communautaire : un rapport sera publié début 2019 en vue d'une éventuelle révision de la législation à la majorité qualifiée. C'est le sujet qui me procure le plus d'insatisfaction... Alors qu'il nous faut agir à l'échelle européenne, les blocages ont été majeurs. Nous ne pouvons continuer ainsi : il faut désormais absolument avancer.
S'agissant de la taxation numérique, nous ne sommes pas loin d'un accord, mais ce sera difficile avant la fin du mandat.
Deux scénarios se profilent : dans le premier, il y absence d'accord franco-allemand, ce qui serait regrettable car cette taxe est d'intérêt général. Nous ne devons pas nous préoccuper des réactions de certains pays extra-européens qui chercheraient à nous bloquer. Je souhaite vraiment que les discussions intensives entre Bruno Le Maire et Olaf Scholz, ainsi qu'entre la chancelière Merkel et le président Macron, aboutissent à un accord. Sera-t-il suffisant ?
C'est là qu'intervient le second scénario. Même si nous aboutissons à un accord, pour différentes raisons, certains pays comme la Suède, le Danemark ou l'Irlande ne voudront peut-être pas l'approuver le 4 décembre. Pour autant, je souhaite que nous allions le plus loin possible dès le 4 décembre et que cette année ne s'achève pas sans avancées décisives en matière de taxation du numérique.
Derrière ce sujet, Joël Giraud et d'autres députés l'ont évoqué, se pose la question de notre rapport au monde. En effet, le numérique doit être taxé à l'échelle internationale. Le bon niveau est celui de l'OCDE ou du G20. L'idée d'une « sunset clause » – la révision ou de la non-application de la taxation européenne en fonction du calendrier de mise en oeuvre d'une telle taxe au niveau international – a la sympathie de la Commission. Pour autant, nous ne souhaitons pas attendre l'OCDE. C'est une source de débats avec certains qui en font un prétexte pour l'inaction.
Prenons nos responsabilités, donnons l'exemple à l'OCDE puis, lorsque la norme internationale sera publiée, elle remplacera la norme européenne. D'où l'intérêt d'adopter une directive le 4 décembre car, ensuite, la campagne électorale commencera, une nouvelle Commission et un nouveau Parlement seront élus et ce dossier sera traité après 2020.
Concernant les listes noire et grise des paradis fiscaux, je trouve surprenant que tout le monde se concentre sur la liste noire, alors que la liste grise est plus importante. La liste noire concerne les pays globalement non conformes. Il y en a peu – tant mieux ! En effet, quel plaisir peut-on trouver à stigmatiser tel ou tel pays ?
À l'inverse, la liste grise concerne soixante-cinq pays qui ont pris des engagements en matière fiscale : s'ils les tiennent, ils sortent de la liste ; s'ils ne les tiennent pas, ils basculent alors dans la liste noire.
Je ne vous ouvrirai pas mon agenda mais je peux vous assurer que beaucoup de ministres de territoires qui ont des progrès à faire – y compris de grands pays ou de pays très proches de la France – viennent me voir pour discuter de l'évolution de leur législation. Cette évolution n'aurait jamais eu lieu si nous n'avions pas instauré cette liste grise. Cela prouve son efficacité.
L'objectif n'est jamais de punir, mais de faire bouger les choses. Et elles bougent ! La Commission prépare actuellement les dossiers qui seront ensuite examinés par le groupe « Code de conduite » du Conseil. La délibération interviendra lors du Conseil ECOFIN de février, mais le travail est constant car seul le processus compte. Ce processus est extrêmement efficace puisque, pour éviter d'intégrer la liste noire et donc sortir de la liste grise, beaucoup de pays ont pris des mesures qu'ils n'auraient jamais prises seuls.
S'agissant du vote à la majorité qualifiée, madame Louwagie, je ferai des propositions en début d'année. Je souhaite être ambitieux, mais également lever les blocages très importants des États membres. Nous devons donc commencer par ouvrir des brèches dans cette prétendue souveraineté fiscale. C'est pourquoi je proposerai sans doute trois paquets – ce que l'on doit faire, ce que l'on peut faire avec un peu de volonté politique et ce qui demande davantage d'efforts. En effet, la réaction spontanée des États membres, c'est « touche pas à mon fisc ! ». Mme Cariou a pu le constater, il n'est pas toujours simple de faire bouger les lignes et les administrations fiscales. J'en sais également quelque chose, de par mon expérience.
Vous m'avez également interrogé sur les objectifs. Je me contenterai d'une réflexion politique générale, et personnelle. Certes, un commissaire doit toujours être solidaire de la Commission, mais ma sensibilité personnelle me conduit à vous donner mon point de vue. Je suis conscient que la baisse des crédits de la politique de cohésion suscite des inquiétudes. Mais il faut relativiser la diminution des fonds alloués à la France – 5 % – car elle est inférieure à la moyenne européenne et bien inférieure à celle de 20 % que connaissent les pays de l'Est du fait de leur rattrapage. En outre, la France est dans une situation relativement privilégiée puisque la quasi-totalité de ses régions sont éligibles au statut le plus favorable de « région en transition », ce qui leur permet de bénéficier de cofinancements plus élevés. Enfin, je me suis engagé afin que les régions ultrapériphériques, dont les handicaps objectifs entravent le développement, continuent à bénéficier d'un traitement plus favorable, comme mon prédécesseur avant moi et probablement mon successeur après moi.
En espérant que ces précisions apaisent les inquiétudes, je les comprends malgré tout et je le dis devant vous, après l'avoir dit devant l'Association des maires de France : il est important que la France, très attachée à sa cohésion, se mobilise pour défendre cette politique précieuse car elle réduit les divergences et les inégalités, qui sont l'ennemi. Je prends cette liberté car c'est un combat qui vaut la peine d'être mené.
Je conclurai sur le Brexit, sur lequel le rapporteur général m'a notamment interrogé. Il est trop tôt pour spéculer sur l'approche que suivra le Royaume-Uni en matière de fiscalité. En tout cas, il n'est pas question pour moi de transiger. Nous resterons très vigilants. Je suis néanmoins plutôt optimiste quant à moi : la thèse d'un Singapour géant à nos frontières que certains défendent est largement fictive. Le Royaume-Uni restera un pays européen, un pays membre du G7 et du G20. Depuis six ans et demi que je suis en charge des questions relatives aux finances, j'ai pu constater que le Royaume-Uni a toujours été extrêmement proactif sur tous les sujets fiscaux – BEPS, numérique, etc. Ce n'est donc ni sa mentalité ni son intérêt d'agir différemment. En outre, il n'en aura pas la marge de manoeuvre budgétaire. Je suis sûr que le Royaume-Uni restera très fortement impliqué dans les instances internationales en matière de lutte contre la fraude et pour la transparence fiscale.
L'accord prime désormais, même si, ma collègue Margrethe Vestager l'a dit, la Commission sera très vigilante afin d'éviter des avantages concurrentiels injustifiés. Les règles devront être alignées à la fois sur les normes de l'Union européenne et sur les normes internationales. Un accord sera la meilleure façon de gérer notre relation avec ce grand pays, voisin et ami, tellement indispensable.
Monsieur le commissaire, je tiens à vous remercier pour deux legs.
Le premier concerne la sortie de la règle de l'unanimité, essentielle dans une famille ou une communauté d'intérêts : pour avancer sur des sujets aussi importants que la justice fiscale, les politiques sociales ou d'autres, on doit parfois accepter d'être en minorité. Sinon, et pour reprendre votre métaphore tennistique, les échanges sont trop longs, il n'y a pas de montée au filet et les téléspectateurs finissent par s'ennuyer...
Votre second legs concerne l'affirmation plus claire de la plus-value de l'action européenne sur les politiques publiques. Une politique européenne fonctionne particulièrement bien ; elle donne de l'ambition aux jeunes, tout en renforçant leur sentiment d'appartenance à l'Europe : c'est Erasmus. Ce dispositif monte en puissance, de nouveaux publics sont touchés – apprentis, stagiaires de la formation professionnelle. Dans cette nouvelle période budgétaire, quelle est l'ambition pour Erasmus ? La Commission proposerait un doublement des crédits et le Parlement européen veut aller encore plus loin. Cela va-t-il majoritairement toucher les apprentis ? Nous devons valoriser les filières en apprentissage car le chômage des jeunes n'existe pas dans les pays qui l'ont fait – Allemagne, Pays-Bas, Autriche. Qu'en pensez-vous ?
Monsieur le commissaire, l'effort structurel de la France est, dites-vous, minimal. Soit, mais une fois qu'on a dit cela, que fait-on ? La France est signataire du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Or, depuis des années, elle ne respecte pas cette règle, même si son déficit est désormais en deçà de 3 %.
Par ailleurs, j'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit de la dette publique française. Celle-ci est trop élevée, et elle est le fruit non seulement du déficit, qu'il faut financer chaque année, mais aussi du passé, car notre pays s'est fortement endetté au moment de la crise. Par conséquent, des échéances très importantes arrivent. Notre dette, qui frôle régulièrement les 100 % du PIB, risque, à un moment donné, de basculer au-delà de ces 100 %. J'ajoute qu'un relèvement de ses taux directeurs par la BCE aurait inévitablement un impact sur notre déficit. Puisque vous avez évoqué la procédure de déficit excessif sur le critère de la dette prévue à l'article 126, paragraphe 3, du TFUE, je souhaiterais que vous nous donniez votre appréciation de la situation, car j'ai le sentiment que vous êtes, aujourd'hui, plus libre que par le passé pour parler de la France.
Monsieur le commissaire, je vous remercie d'être présent ce matin pour nous donner l'avis de la Commission européenne sur les projets budgétaires des différents pays de la zone euro. Vous avez évoqué l'exception italienne ; je n'y reviendrai pas. Il me semble cependant qu'elle expose l'Europe, son projet et ses équilibres, à un risque important, car on a le sentiment que le gouvernement italien se sert de sa confrontation avec Bruxelles pour asseoir sa popularité, à un moment où les eurosceptiques n'ont jamais été aussi forts.
Vous avez souligné, par ailleurs, la réussite socialiste au Portugal. Cette réussite m'inspire quelques regrets : peut-être ne sommes-nous pas allés assez loin dans l'application de nos convictions, en assurant un meilleur équilibre entre l'offre et la demande. Mais elle me rend également optimiste : dans un présent plutôt jaune, elle nous permet d'envisager l'avenir en rose. Toutefois, n'êtes-vous pas, sinon irrité, du moins interpellé par cette réussite qui, en refusant l'austérité budgétaire, est antinomique avec les critères du pacte de stabilité et de croissance ? Du reste, ces critères d'évaluation économique ne devraient-ils pas être complétés par des critères d'évaluation des risques sociaux ?
Pour conclure, je salue votre proposition, qui me paraît essentielle, concernant le vote à la majorité qualifiée. Mais, si cette décision est prise, le sera-t-elle à la majorité absolue ou à la majorité relative ?
Alors que les collectivités territoriales françaises sont confrontées à des difficultés financières qui suscitent actuellement un débat très houleux, la proposition de la Commission d'amputer les financements de la politique de cohésion et de la PAC n'est-elle pas un mauvais signal ? Ne risque-t-elle pas de contribuer à fragiliser l'Europe forte que nous voulons construire et à démobiliser les Français à l'approche des élections européennes ?
En préambule, je précise, à l'intention de mes collègues, que j'ai été invité à assister à cette audition, au même titre que tous les parlementaires européens, par Mme la présidente de la commission des affaires européennes.
Monsieur le commissaire, cher ancien collègue, je reviendrai, vous me le pardonnerez, sur le cas de l'Italie. J'ai bien entendu votre désir, très légitime, d'éviter toute rupture, mais l'observateur extérieur constate tout de même que ce pays est engagé dans un bras de fer, pour reprendre une métaphore utilisée par la presse, avec la Commission. Celle-ci a formulé des observations sur le projet de budget italien, budget que le gouvernement italien n'a pas voulu modifier. Vous avez évoqué la procédure pour déficit excessif. Si le gouvernement italien maintient sa position, quelle sera celle de la Commission, voire celle du Conseil ? Ou que proposera la Commission au Conseil ? S'il s'agit de sanctions – lesquelles se traduisent, sauf erreur de ma part, par des amendes –, que se passera-t-il si le gouvernement italien refuse de les payer ? Rien, à mon avis, car, après le « Brexit », l'Union européenne ne me paraît pas en mesure de s'offrir une aggravation du contentieux avec un État membre, qui plus est fondateur de l'Union. Est-il néanmoins possible que soit enclenchée la procédure de l'article 7 ? Quelles sont, en somme, les perspectives envisageables, compte tenu de votre refus, très légitime, de la rupture ou de la confrontation ?
Je souhaite témoigner ici qu'en matière de fiscalité, la Commission actuelle aura fait davantage qu'au cours des vingt dernières années. Ayant moi-même vécu la fin de la Commission Barroso et tous les blocages qui existaient à l'époque, je peux mesurer le chemin parcouru depuis dans la lutte contre l'optimisation et la fraude fiscale. En témoignent les textes relatifs à la transparence qui ont été adoptés ; il appartient désormais aux États de s'en saisir. Leurs effets sont attendus avec impatience par nos concitoyens, et on peut les comprendre, compte tenu des contraintes qui pèsent sur la dépense publique.
Je me félicite que la Commission favorise une solution qui englobe l'ACCIS et la notion d'établissement stable sur le fondement de la présence numérique. Il faut continuer à pousser très fortement en ce sens. Il y va non seulement d'un élément essentiel de la souveraineté européenne, mais aussi de gains de compétitivité pour les entreprises européennes. Pouvez-vous nous dire ce qui adviendra si ce dossier n'a pas abouti à la fin du mandat de la Commission actuelle – ce qui semble devoir être le cas – et sur quelles bases redémarrera la future Commission ?
Par ailleurs, une députée européenne qui s'est beaucoup investie dans le reporting pays par pays me disait, la semaine dernière, que les autorités françaises n'étaient pas assez allantes en la matière. Or, il me semble que le texte est finalisé. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Enfin, il y a environ un an, vous avez appelé les États membres à se saisir des listes de paradis fiscaux. Ainsi, en France, nous avons incité le Gouvernement à inscrire la liste noire dans la loi relative à la lutte contre la fraude que nous avons adoptée à l'automne. Nous avons, en outre, prévu une clause de revoyure concernant la liste grise ; la France tirera, le cas échéant, les conséquences de l'inscription sur la liste noire de ces États sous surveillance.
Monsieur le commissaire, je vous remercie pour les informations que vous nous avez communiquées ce matin. Je sais que la Commission mène actuellement une réflexion importante sur le logement, notamment sous l'angle de la réhabilitation énergétique et de l'engagement européen dans le domaine du bâti. Il est, du reste, vraisemblable que cette question émergera dans le débat public européen à la faveur des prochaines élections européennes. Je souhaite cependant appeler votre attention sur la situation du logement social français. Celui-ci a été qualifié par l'Union européenne de service d'intérêt économique général, car il bénéficie de clauses, en tout cas d'aides exorbitantes du droit commun. L'Union a donc prévu un mécanisme de contrôle et de surcompensation, destiné à vérifier que les aides directes de la puissance publique dont ces logements bénéficient ne contrarient pas les règles du marché. Certes, cette question ne relève qu'à la marge de votre portefeuille. Mais la fiscalité relève bien de votre compétence ; or, il se pourrait que ce mécanisme conduise à l'application d'une fiscalité assez dure. Dès lors, peut-être pourriez-vous nous dire quelle appréciation la Commission européenne porte sur ce sujet.
Monsieur le commissaire, il y a un an, la Commission européenne a annoncé une réforme du régime de TVA, dont vous nous avez dit, tout à l'heure, qu'elle n'avançait pas à la vitesse à laquelle vous auriez voulu qu'elle avance. Cette réforme est pourtant nécessaire pour limiter les fraudes et éviter les distorsions de concurrence. Pouvez-vous nous dire quels sont les éléments de blocage ?
Par ailleurs, vous avez un droit de regard sur l'application de ces règles dans les différents pays. Or, vous le savez, les éleveurs français ont dénoncé l'utilisation de ce système de TVA par les Allemands, qui essaient de détourner la législation pour qu'un maximum de leurs éleveurs relèvent du régime forfaitaire plutôt que du régime TVA. Sur ce dossier, dont je sais qu'il vous tient à coeur, vous avez mis en demeure, en mars dernier, les Allemands de vous communiquer un certain nombre d'éléments. Où en est-on aujourd'hui ?
Je ne suis pas une spécialiste de l'Europe, mais j'observe que, lorsqu'il s'agit de répondre aux contraintes de la politique européenne, on demande une certaine solidarité, notamment face à la dette. Comment se fait-il que l'on ne parvienne pas à retrouver cette solidarité quand il s'agit d'harmonisation fiscale ?
Je commencerai en évoquant les mesures relatives à la jeunesse du prochain paquet budgétaire 2021-2027. La Commission a développé, dans ce nouveau projet de budget, une véritable stratégie en faveur de la jeunesse, dont elle fait une des priorités de l'avenir de l'Union européenne. Sa première et sa principale proposition consiste à doubler le budget d'Erasmus, en le portant à 30 milliards d'euros, avec l'objectif d'accroître la mobilité des étudiants, des jeunes de moins de 30 ans avec ou sans diplôme et de tous les apprentis. L'objectif doit être un Erasmus pour tous. Pour y parvenir, des efforts constants seront nécessaires tout au long des prochains paquets budgétaires. J'étais, il y a encore quelques jours, dans la région Nouvelle-Aquitaine, où j'ai assisté à des échanges entre apprentis allemands et français : il y a là quelque chose de formidable ! Erasmus ne doit pas être réservé aux publics inclus ; il doit s'ouvrir aux jeunes plus éloignés des formations supérieures traditionnelles. C'est, assurément, l'avenir. Ainsi le doublement du budget s'accompagne d'un élargissement des cibles : il ne s'agit pas de donner toujours plus aux mêmes – c'est très important.
Par ailleurs, notre engagement, à hauteur d'1,26 milliard d'euros, pour le corps européen de solidarité nous permettra de proposer davantage de placements en volontariat, en stage ou en milieu professionnel. Enfin, nous proposons de financer, à hauteur de 700 millions, un « Pass interrail » pour tous les jeunes Européens.
J'espère que les décideurs finaux, c'est-à-dire les États au sein du Conseil, ne toucheront pas à cette priorité, car la jeunesse, chacun le sait, devrait être la priorité de tout parti politique et de tout gouvernement soucieux de l'avenir.
Madame Dalloz, peut-être suis-je plus libre dans la mesure où, lorsqu'on achève un mandat, on voit de manière un peu plus claire ce que l'on a fait et ce qu'il reste à faire. Mais, pour le reste, je ne change pas beaucoup. Dans le cadre de l'exercice d'automne, nous anticipons les risques, rien de plus. Ensuite, il faut attendre l'exécution : mai 2019 pour l'année 2018, puis mai 2020 pour l'année 2019 – la procédure se déroule sur plusieurs années. Pour 2020, je ne vous promets rien ; en mai 2019, si vous m'invitez à nouveau, nous pourrons sans doute avoir des échanges utiles.
En ce qui concerne l'article 126, paragraphe 3, ne confondons pas tout : toute comparaison de la France avec l'Italie est à côté de la plaque. Celle-ci en est à son cinquième rapport « 126-3 » et, pour la première fois, nous ne pouvons pas conclure que c'est viable. La France, quant à elle, n'a jamais fait l'objet d'un tel rapport, contrairement à d'autres pays, notamment la Belgique. Cette comparaison n'est donc absolument pas d'actualité, non plus qu'une procédure pour déficit excessif : la France est sortie de cette procédure et il n'y a pas de raison qu'elle y soit à nouveau soumise tant que son déficit ne repassera pas nettement au-dessus de 3 % du PIB.
Je dis nettement au-dessus, parce que le déficit doit dépasser 3 % plusieurs années de suite ou atteindre 3,5 %, ce qui est nettement au-dessus, sur une année – mais je ne veux pas entrer dans les détails techniques.
En tout état de cause, il n'y a aucun de risque de cette nature-là. Néanmoins, la dépense publique doit faire l'objet de réformes structurelles, d'évaluations ; il faut travailler sa qualité, et ce, dans l'intérêt de tous, du Gouvernement comme des députés, quelle que soit leur formation politique, qu'ils soient dans la majorité ou dans l'opposition. Mon message à la France, c'est : encore un effort ! On est passé de 0 à 0,2, sachant que le minimum, pour sortir du risque, est de 0,3. J'espère donc que les prochains budgets continueront à marquer une pente plus favorable.
En ce qui concerne l'intégration des risques sociaux dans le pacte de stabilité et de croissance, nous prenons en compte, depuis le début du mandat, des variables sociales – le chômage des jeunes, le chômage de longue durée, par exemple – dans la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques. Du reste, ce n'est pas un hasard, monsieur Bricout, si, hier, ce paquet a été présenté par Valdis Dombrovskis et moi-même, mais aussi par notre collègue belge Marianne Thyssen. Il faut davantage d'indicateurs sociaux et les critères sociaux doivent être davantage marqués. Cette Commission a fait quelques progrès en la matière, mais il conviendra de les poursuivre et de les étendre ; je ne me satisfais pas de la situation actuelle. Le combat pour l'Europe sociale doit donc être poursuivi.
S'agissant de la baisse de la PAC, la Commission a proposé pour l'agriculture un budget qui demeure important, puisqu'il atteint 365 milliards d'euros. Il baisse, certes, d'environ 5 %, mais les paiements directs ne sont réduits que de moins de 4 % – 3,9 % pour la France. Les fondamentaux de la PAC sont, à mon sens, largement préservés et ses objectifs restent les mêmes : servir de filet de sécurité aux agriculteurs et assurer la souveraineté alimentaire de notre continent. Nous voulons également que la PAC soit plus équitable, c'est-à-dire qu'elle bénéficie davantage aux petites et moyennes exploitations qu'aux grandes. C'est pourquoi nous offrons aux États membres une plus grande flexibilité pour déterminer les aides versées aux agriculteurs. Le débat, monsieur le député, se poursuit, et il faut désormais se tourner vers les acteurs qui vont intervenir, puisque la Commission a formulé sa proposition : le Parlement européen et le Conseil. On voit d'ailleurs que les négociations seront compliquées. Je ne sais pas si elles aboutiront avant les élections européennes ; on peut le souhaiter, théoriquement, mais, je sais d'expérience que ce sera difficile. Nous continuons néanmoins d'avancer.
Monsieur Gollnisch, la confrontation existe, puisque nous avons, avec l'Italie, des points de vue très différents et que les règles doivent être respectées. Je ne l'exclus donc pas, pourvu qu'elle s'accompagne d'un dialogue. Si la confrontation consiste en un dialogue de sourds, s'il s'agit de ne pas se parler et de ne pas chercher de rapprochement, telle n'est pas mon attitude. Ce n'est pas non plus une confrontation au sens d'une opposition ; il s'agit simplement de faire respecter une règle. Le dialogue, le dialogue, le dialogue : ce sera toujours mon mot d'ordre.
Madame Cariou, le dossier de l'ACCIS ne sera pas dans l'état où on me l'a laissé. En effet, lorsque je suis arrivé à la Commission, la proposition de directive était, en vérité, morte. Après avoir évalué ses chances et son actualité, la Commission a donc estimé qu'il fallait la retirer et en proposer une nouvelle. Celle-ci a été beaucoup travaillée, mais les progrès politiques n'ont pas été aussi importants que les progrès techniques. Il appartiendra à la prochaine Commission de décider. Mais nous ne sommes pas du tout dans la même situation : la proposition actuelle est assez robuste et pourrait, si des efforts étaient consentis, si le Conseil décidait de lui donner la priorité qu'elle mérite, être adoptée assez rapidement. Nous avons tout de même avancé sur au moins deux tiers des questions ; le sujet n'est donc pas du tout éteint.
En ce qui concerne ce que l'on appelle le country by country reporting, c'est-à-dire le suivi pays par pays, la transparence est un élément central de notre stratégie pour une fiscalité plus juste au plan mondial. Certaines multinationales estiment que, dans un contexte concurrentiel, elles ne peuvent pas ne pas mettre en oeuvre certaines stratégies de planification fiscale employées par leurs concurrents, même si c'est éthiquement discutable. Ce sujet fait partie de ceux sur lesquels nous avons avancé. Ainsi, je le signale, la Commission a fait adopter très rapidement une directive qui étend l'obligation de transparence envers les administrations fiscales aux intermédiaires – banquiers, conseillers fiscaux, avocats... –, qui doivent signaler les montages de planification fiscale agressive qu'ils vendent à leurs clients. La transparence s'impose à tous. Les organisations non gouvernementales et l'opinion publique dissuaderont les entreprises de s'en éloigner. La proposition de la Commission est en cours de discussion au Conseil et au Parlement européen, et je suis obligé de constater que, si celui-ci est un soutien extrêmement puissant, subsistent au sein du Conseil des réticences que je regrette. Je ne veux pas faire de distinction entre les pays, mais j'attends de tous un effort important.
Aucun cas concernant le logement social français n'est pendant devant la Commission. Celle-ci a, certes, examiné une plainte qui lui avait été soumise par l'Union nationale de la propriété immobilière le 5 mai 2012. Mais cette plainte a été close le 26 septembre 2017, avec l'accord de l'UNPI, suite notamment à l'adoption de la loi du 27 janvier 2017 dite « Égalité et citoyenneté », qui a, semble-t-il, répondu à certaines des préoccupations du plaignant. Nous n'avons pas d'éléments récents susceptibles de nourrir une réflexion sur le modèle de financement du logement social français. Nous sommes cependant toujours prêts, bien entendu, à débattre ou à répondre à des propositions.
Enfin, j'en termine par un sujet qui m'est cher. Il y a encore peu de temps, j'ai reçu dans mon bureau, à la Commission européenne, une délégation d'agriculteurs bretons pour en parler. Comme vous le savez, j'ai ouvert, en mars dernier, une procédure d'infraction concernant le régime forfaitaire de TVA appliqué au secteur agricole en Allemagne. Ce régime forfaitaire a été élaboré dans les années 1970, en tenant compte de la nouveauté représentée à cette époque par la TVA ainsi que de la situation des agriculteurs d'alors, qui n'est évidemment plus celle d'aujourd'hui. L'objectif de cette procédure est d'éviter toute distorsion de concurrence entre les agriculteurs au niveau national et européen. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le régime est également en cours de vérification chez ma collègue Margrethe Vestager, qui est compétente en matière d'aides d'État.
Selon mes services, en qui j'ai toute confiance, l'Allemagne applique le régime de simplification conçu pour les petits agriculteurs de manière trop large. Il en résulte, soit des avantages administratifs indus, soit des distorsions de concurrence au profit des gros agriculteurs allemands, qui reçoivent une compensation de TVA excessive. L'infraction la plus grave semble être, à l'heure actuelle, la surcompensation, à nos yeux illégale et perçue comme une subvention fiscale, des agriculteurs soumis au forfait. À partir de 2015, la Commission dispose d'éléments indiquant que cette surcompensation s'élève à 200 millions d'euros par an, ce qui n'est pas négligeable. L'Allemagne a répondu, au mois de mai, à la lettre de mise en demeure, en défendant à la fois le champ d'application du régime d'aides forfaitaires allemand et le niveau du taux de compensation. Mes services sont en train d'examiner attentivement l'ensemble des données et des arguments, dont la réponse des autorités allemandes, puisqu'il s'agit d'une procédure contradictoire. Si la Commission n'est pas convaincue par les contre-arguments de l'Allemagne – ce qui, disons-le, semble être le cas –, cela pourrait – je ne l'annonce pas, j'en indique la possibilité – conduire à enclencher l'étape suivante de la procédure d'infraction, à savoir l'envoi d'un avis motivé demandant formellement aux autorités allemandes de se conformer au droit de l'Union. Les agriculteurs français doivent donc savoir que ce dossier est suivi et que nous sommes actifs.
Plus généralement, ce cas est révélateur de la difficulté à faire évoluer la directive TVA avec son temps, du fait de la règle de l'unanimité. Il faut mettre fin à cette lourdeur : rendez-vous compte que nous vivons sous un régime transitoire depuis 1993 ! Je ferai donc, l'an prochain, des propositions aux États membres pour introduire une dose de majorité qualifiée en matière fiscale, et je peux déjà vous annoncer que la TVA fera partie de ces propositions. Comment cette décision sera-t-elle prise ? Plusieurs formules sont envisageables : l'unanimité, la « clause passerelle » ou l'article 116. Nous y reviendrons la prochaine fois, si vous me réinvitez.
Nous vous réinviterons, bien sûr. Merci, monsieur le commissaire, pour vos réponses précises.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 15 novembre 2018 à 9 heures
Présents. – M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Benjamin Dirx, Mme Stella Dupont, M. Joël Giraud, Mme Olivia Gregoire, Mme Nadia Hai, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, Mme Amélie de Montchalin, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, Mme Sabine Rubin, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, M. Benoit Simian, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth
Excusés. – M. Marc Le Fur, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva, M. Philippe Vigier
Commission des affaires européennes (*)
Présents. – M. Patrice Anato, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Yolaine de Courson, Mme Sabine Thillaye
Excusés. – Mme Sophie Auconie, Mme Françoise Dumas, Mme Nicole Le Peih, Mme Liliana Tanguy
(*) Non membres, par ailleurs, de la commission des finances
Assistait également à la réunion. – M. Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen
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