Intervention de Gilles Bloch

Réunion du mercredi 21 novembre 2018 à 9h40
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Gilles Bloch :

Mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d'abord à vous remercier de votre présence. C'est pour moi un grand honneur de me présenter devant vous en tant que candidat à la présidence de l'INSERM. J'aimerais vous faire partager ma conviction que je pourrai exercer ce mandat avec succès et vous exposer les actions que j'envisage pour cette institution.

M. le président ayant évoqué mon parcours, je vais me concentrer sur les années les plus récentes. En 2009, après avoir occupé différents postes sur la montagne Sainte-Geneviève, je suis revenu au CEA pour prendre la direction des sciences du vivant, qui couvre un champ disciplinaire un peu plus large que celui de l'INSERM puisqu'il inclut le végétal. Cette expérience a été particulièrement enrichissante et m'a permis de vivre en osmose avec des unités de l'INSERM hébergées en son sein. Du fait de la large implantation de cette direction à Saclay, je me suis intéressé à l'émergence de l'université de Paris-Saclay dont j'ai été élu président en 2015. Au cours des trois ans et demi où j'ai exercé ces fonctions, j'ai appris beaucoup de choses, qui pourront se révéler utiles dans mon potentiel futur mandat. Après de multiples turbulences, la construction de l'université est en bonne voie. Je laisse derrière moi un chantier bien avancé et c'est donc sereinement que je peux me présenter devant vous. L'expérience diversifiée que j'ai acquise, du travail de recherche à la définition de politiques scientifiques et d'orientations stratégiques, me paraît de nature à me qualifier pour exercer ces nouvelles fonctions.

Avant de vous présenter les priorités que j'ai définies, je cernerai les grands défis auxquels l'INSERM est confronté, au niveau national et international.

Le premier est la compétition très forte pour les talents dans laquelle la France est engagée, du fait notamment de l'émergence de nouveaux pôles d'attraction en Asie.

Le deuxième est la nécessité d'adosser la biologie et la médecine à des équipes multidisciplinaires qu'il faut savoir constituer ainsi qu'à des infrastructures technologiques qui sont déterminantes dans la course à la science. Il importe d'inscrire l'INSERM dans des réseaux internationaux, seul horizon possible pour certaines grandes études.

Pour le troisième défi, mon expérience récente sera particulièrement précieuse. L'INSERM devra s'insérer résolument dans la politique de sites affirmée depuis une décennie par les gouvernements successifs afin de répondre à la compétition internationale entre grandes universités.

Le dernier défi à relever a trait à la forte contrainte qui s'exerce sur les subventions de l'État dans notre pays, alors que certains de nos compétiteurs reçoivent des financements publics plus généreux.

Pour faire face à ces défis, j'envisage quatre grandes priorités d'action qui se situent dans la continuité du travail de mes prédécesseurs, André Syrota et Yves Lévy, et dans le cadre du contrat d'objectifs et de performance (COP) avec l'État.

Premièrement, l'INSERM, en tant qu'organisme spécialisé en matière de santé, doit jouer un rôle pivot au service de la société. L'Institut ne sera crédible que s'il continue de s'appuyer sur une large base d'excellence scientifique. Il faut donc poursuivre le sillon de la recherche fondamentale en laissant une large part à l'initiative des équipes des laboratoires et travailler sur le front des connaissances comme des applications médicales. C'est cela qui fait la renommée de l'Institut au niveau international.

Les domaines d'excellence de la France sont multiples. Je n'en citerai que quelques-uns : la cancérologie, l'infectiologie, l'immunologie, les neurosciences, le cardiométabolisme. Nous devons consolider nos positions grâce aux recrutements et à la structuration des équipes. Le système français des unités mixtes de recherche (UMR) fonctionne bien. D'autres structures ont émergé, comme les instituts hospitalo-universitaires (IHU), dont il faut faire usage avec parcimonie.

Pour jouer ce rôle pivot, l'INSERM doit déployer ses actions à deux échelles différentes : d'une part, à l'échelle nationale, voire européenne et internationale, en articulation avec les autres grands organismes nationaux, afin de lancer de grands programmes, organiser des infrastructures trop lourdes pour être portées par un seul site et faire évoluer les cadres réglementaires ; d'autre part, à l'échelle locale, en accompagnement des politiques des grands sites universitaires.

L'INSERM doit donc – deuxième priorité – assumer à l'échelle nationale sa position privilégiée de seul grand organisme spécialisé dans la recherche en santé. Cette position lui procure une vision thématique unique et lui permet d'impulser des programmes d'envergure, qu'il s'agisse de grands plans nationaux ou de programmes transversaux. Il appartient à l'INSERM de porter, au service du collectif, les grands plans tels que le plan cancer, le plan « Médecine France génomique 2025 » ou le futur plan de lutte contre l'antibiorésistance. Elle doit également redonner de l'élan à ceux qui ont besoin d'être relancés – je pense au plan dédié aux maladies neurodégénératives. D'autres plans font l'objet d'une réflexion avancée : il lui faudra les déployer avec les moyens nécessaires. Citons le plan national santé environnement (PNSE), avec un accent particulier à mettre sur l'exposition de la population aux polluants et autres facteurs à l'origine de maladies multifactorielles.

Il appartiendra aussi à l'INSERM d'approfondir les actions menées autour des services et systèmes de santé, qui font partie du contrat d'objectifs et de performance 2016-2020. Elles pourront peut-être se déployer dans le cadre plus large d'un plan national consacré à la santé publique. C'est un domaine où la France n'est pas très avancée et dans lequel le retour sur investissement serait considérable car les sommes dégagées par les économies en matière de dépenses de santé seraient bien supérieures aux sommes investies.

En outre, l'INSERM doit se mobiliser pour développer des infrastructures nationales. Yves Lévy a lancé les accélérateurs de recherche technologique qui ont vocation à diffuser des technologies auprès des équipes de l'INSERM mais je crois que nous pouvons aller plus loin. Avec des grands partenaires comme le CEA ou le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'INSERM aura à s'investir dans les recherches technologiques. Nous voyons émerger avec le plan sur l'intelligence artificielle de nouveaux outils. Il y a des ressources à explorer, en faisant du data mining, pour les mettre à disposition non seulement des chercheurs mais aussi de la communauté médicale, en particulier pour fournir de nouveaux instruments de diagnostic.

Enfin, à l'heure de l'open science, la biologie et la recherche médicale doivent se construire sur des réservoirs de données massives. Le Gouvernement a récemment lancé le Health Data Hub, qui inclura de grandes bases de données de santé, fournies notamment par l'assurance maladie. Il importera de réfléchir à un élargissement aux données de recherche clinique et pré-clinique afin de favoriser pour les équipes de recherche un changement d'échelle dans la façon de concevoir les problématiques.

J'en viens à la troisième priorité d'action : à l'échelle locale, l'INSERM doit résolument s'investir dans la construction de politiques de site avec des grandes universités ou des centres hospitaliers universitaires (CHU). La concentration de 80 % de ses forces sur douze sites l'aidera à nouer de tels partenariats. C'est une dimension que j'ai une tendance naturelle à vouloir développer après mes trois ans et demi d'expérience à Paris-Saclay. C'est au niveau des sites, avec des laboratoires couvrant toutes les compétences, qu'on construit des dynamiques multidisciplinaires, facteur d'évolution rapide de la recherche biomédicale. C'est grâce à des écosystèmes locaux plus fertiles que nous aboutirons à des ruptures scientifiques.

Le levier majeur dont disposent nos établissements est la possibilité de recruter les bonnes personnes au bon endroit. Il importe que l'INSERM renforce, au niveau local, l'articulation de son dispositif national de recrutement avec les autres acteurs nationaux comme le CNRS, mais aussi et surtout avec les acteurs locaux que sont les écoles et les universités : politiques de vivier commun, complémentarité entre les différentes filières de recrutement, voire co-recrutements de profils spécifiques. C'est également au niveau local que l'on pourra mieux mobiliser l'INSERM et ses personnels autour des enjeux de la formation. De très belles actions ont déjà été menées. Je pense en particulier à l'école de l'INSERM Liliane-Bettencourt. Nous pouvons aller plus loin en profitant de la formidable opportunité que nous offre la réforme des études de santé pour mieux former des profils médicaux à la recherche.

Ma quatrième priorité d'action porte sur le sujet-clef de la valorisation et du transfert. C'est au niveau local que beaucoup d'enjeux doivent être traités. J'estime qu'INSERM Transfert doit mieux articuler son action avec les structures de chaque site. Il existe des tensions – j'en ai fait l'expérience avec la SATT de Paris-Saclay – et il faut veiller à ce que le service rendu à la communauté l'emporte sur les querelles de territoires. Nous devrions trouver des solutions site par site pour progresser.

Au-delà de ces ajustements locaux, il y a de grandes initiatives à lancer en ce domaine. Dans le prolongement des préconisations du récent rapport sur la médecine du futur, nous pourrions imaginer de grandes plateformes collaboratives avec des industriels implantés au sein de certains hôpitaux. L'Institut de la vision, labellisé IHU, est un exemple récent de partenariat entre grand groupe et structure hospitalière.

L'INSERM est en bonne position pour porter de grands partenariats nationaux avec certains industriels. Depuis plusieurs mois, des discussions sont engagées sur la construction d'une filière de bioproduction, comme il en existe déjà à l'étranger.

Pour soutenir toutes ces actions, il faut des femmes et des hommes bien choisis ainsi que des moyens financiers.

S'agissant des ressources humaines, je soulignerai à nouveau l'importance d'une meilleure articulation des politiques de recrutement au niveau local pour ce qui est des chercheurs. Il me semble également important de travailler sur les autres catégories de personnel : ingénieurs, techniciens, personnels administratifs. Le système actuel est complexe et globalement peu satisfaisant. Il mériterait d'être revu, en prenant en compte les possibilités de mobilités croisées entre établissements d'un même site dans une perspective d'enrichissement professionnel.

Un autre chantier attend l'INSERM : reconsidérer le régime indemnitaire, qui n'est pas très favorable. Pour garantir une bonne articulation dans la politique de recrutement au niveau local, il faut gagner en cohérence.

L'INSERM héberge dans ses laboratoires 2 700 contractuels et en emploie directement plus de 700. Il faudra porter une attention particulière à leur formation et à leur avenir professionnel. Ils sont indispensables au fonctionnement de nos laboratoires et nous nous devons leur apporter une vraie plus-value dans leur expérience professionnelle.

J'en viens à mon dernier point : les finances. L'INSERM est habitué à aller chercher des ressources à l'extérieur. Elle le fait même très bien puisqu'un tiers de son budget est constitué de ressources propres. De nouvelles pistes s'offrent à cette institution. Vous savez sans doute qu'il est envisagé d'utiliser des ressources provenant de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) pour mieux financer les grands plans nationaux. Il importe également de travailler inlassablement à la construction de partenariats de haut niveau avec de grands industriels internationaux. Reste une piste qui n'a pas été suffisamment exploitée : le partenariat avec de grandes mutuelles et compagnies d'assurances autour de la prévention et la santé publique, qui appelle un travail spécifique. Il faut en outre améliorer les financements européens. Un nouveau programme-cadre va s'ouvrir et il convient d'agir de manière continue pour renforcer l'organisation qui permet aux chercheurs de défendre leurs projets.

Enfin, il m'apparaîtrait intéressant d'étudier l'opportunité de créer une fondation afin que l'INSERM puisse collecter des dons. Il ne s'agit pas, bien sûr, de venir concurrencer les grands acteurs du secteur caritatif déjà bien établis mais de trouver un positionnement national spécifique, notamment autour des grands enjeux de prévention et de santé publique, qui permettrait de motiver de nouveaux donateurs.

Toutes ces pistes devront bien sûr être approfondies avec les personnels de l'INSERM et avec ses partenaires. Et je souhaite, mesdames, messieurs les députés, pouvoir m'atteler à ce chantier dès que possible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.