Le sujet de l'évaluation m'a toujours tenu à coeur au cours des années. Lorsque je suis arrivé à la DGRI en 2006, la loi de programme sur la recherche, qui venait d'être adoptée, était en cours de mise en oeuvre et j'ai fait partie de l'équipe qui a défendu ce qu'on appelait l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), qui est devenue le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES). Ces organismes, parfois critiqués aujourd'hui pour certains aspects un peu bureaucratiques – mais cela se corrige –, ont fait franchir un cap à notre pays. Je pense qu'auparavant les pratiques étaient un peu trop artisanales. Le sujet me tient donc à coeur.
Quant à l'évaluation des chercheurs, je suis très prudent. Il s'agit de processus internes à l'INSERM, extrêmement bien rodés, auxquels les personnels sont très attachés ; il ne faut pas trop bousculer ces dispositifs. Cela dit, venant du CEA et n'ayant pas oeuvré à l'intérieur de l'INSERM – je l'ai seulement côtoyé –, j'ai vu fonctionner d'autres modes d'évaluation des personnels. Au CEA, le mode d'évaluation est dit « managérial » et repose sur la proximité. Tout ne remonte pas au siège ni n'est décidé par des commissions. Je pense donc possible une dose un peu plus forte de management de proximité. C'est un travers assez français que d'imaginer, dans l'évaluation des personnels, qu'un grand système national où tout est centralisé est très efficace – on peut penser à l'éducation nationale et à d'autres grandes organisations qui gagneraient à pratiquer une évaluation de proximité. Je n'irai pas plus loin sur ce sujet.
Je n'ai pas le temps de vous faire un grand exposé sur les perturbateurs endocriniens – j'en serais d'ailleurs bien incapable sans l'avoir préparé. Cependant, cela rejoint ce que je disais sur le besoin de structurer la science des données à l'INSERM ainsi que les outils d'intelligence artificielle qui permettront des ruptures. Il s'agit d'expositions multifactorielles : outre les perturbateurs endocriniens, que nous commençons à connaître, doivent être pris en compte d'autres polluants chimiques, les agressions physiques, les facteurs de stress, le manque de sommeil, les rythmes circadiens qui ne sont pas respectés. Tout cela a un impact sur les maladies multifactorielles, à commencer par le cancer et certaines maladies métaboliques.
Aujourd'hui, le paradigme de découverte dans lequel on identifie un facteur, une étiologie, et on trouve ensuite un médicament ne fonctionne plus. Nous sommes face à des problèmes éminemment complexes. Si nous ne disposons pas des outils de découverte qui permettent d'appréhender la grande complexité de l'exposition multifactorielle, nous ne ferons pas de progrès. Cela rejoint ce que j'ai très rapidement évoqué : un travail interne à l'INSERM a été mené sur l'exposome humain. Comment l'humain est-il « baigné » dans des facteurs qui l'agressent ? Comment cela peut-il induire certaines pathologies ? Cela me paraît mériter une action de recherche structurée, voire un plan national dans les prochaines années.
L'INSERM travaille très bien avec les associations de patients. Des relations quotidiennes sont entretenues, et cela me paraît essentiel. La recherche clinique n'est effectivement pas possible sans adhésion des patients et des associations qui les représentent. J'irai même plus loin : nous constatons de plus en plus l'apport de certains patients experts dans la définition et la mise en oeuvre de certains programmes, et dans la formation des patients, parce qu'un patient peut mieux participer à certains programmes de recherche s'il est mieux informé. Nous devons construire une organisation avec nos partenaires associatifs. Les patients ne sont pas des numéros dans des essais cliniques, ce sont des personnes qui doivent s'impliquer dans la recherche.
Deux interventions un peu complémentaires ont porté sur les questions d'éthique. Très honnêtement, je n'ai pas pu faire un état des lieux complets des missions de l'INSERM, c'est encore devant moi, et je ne connais pas exactement l'implication de l'Institut dans la préparation de la loi de bioéthique. Ce que je peux dire, c'est que le rôle d'un organisme de recherche est d'apporter des faits scientifiques et d'exprimer des besoins de la communauté de recherche, non d'édicter des normes éthiques qui relèvent de la responsabilité du Parlement et du Gouvernement. Je serai donc très prudent quant à l'expression de mes convictions personnelles. Vous avez évoqué le travail mené autour de la loi de 2004. J'étais alors en cabinet ministériel et je participais à l'élaboration de la ligne politique de la ministre de l'époque. Un vrai débat s'était engagé sur l'opportunité d'autoriser ou d'interdire la recherche sur l'embryon. Pour ma part, je considère que le rôle de l'INSERM est d'apporter des faits et de construire des options qui illustrent les besoins de la communauté scientifique en la matière, et qu'ensuite, c'est au législateur de décider en toute souveraineté. Il est essentiel de disposer de ces cadres éthiques pour travailler dans nos laboratoires et dans la recherche clinique.
Une question concernait l'éventualité de ma démission de Paris-Saclay. C'est une évidence, on ne peut à la fois présider un ensemble aussi complexe que Paris-Saclay et assurer la présidence de l'INSERM, qui nécessite un travail probablement tout aussi prenant. Voilà pourquoi, si je suis nommé, je démissionnerai instantanément de la présidence de l'université Paris-Saclay. Toutefois, je n'exclus pas d'en rester administrateur, puisque l'INSERM est l'un des dix-neuf établissements de la communauté d'universités et d'établissements, et l'un des quatorze établissements qui continuent à soutenir le projet d'université que l'IDEX Paris-Saclay essaie de construire. Je consacrerai donc quelques heures de temps en temps pour y travailler avec mes collègues, mais je ne pourrai pas rester président de l'université Paris-Saclay.
Madame Hérin, vous vous êtes demandé quelle procédure engager pour définir les politiques de sites. Pour moi, il convient de considérer des facteurs organisationnels. L'INSERM est un organisme de couverture nationale, mais on peut sans doux améliorer sa représentation politique au niveau territorial. Aujourd'hui, des administrations régionales déléguées font fonctionner les laboratoires au quotidien, selon une logique de proximité. Mais elles ne sont pas forcément à même de défendre des options politiques en cas de débat sur une politique de sites avec des présidents d'universités ou des responsables d'organismes. À mon sens, il faudra effectuer un choix de niveau de représentation ; nous devrons en discuter avec les équipes. Un grand organisme comme le CNRS a mis en place une représentation politique territoriale, avec des directeurs scientifiques référents dans les grandes régions. Ce pourrait être une option à mettre en place si l'on veut à la fois construire des stratégies communes et participer à leur mise en oeuvre au quotidien avec suffisamment de poids.
J'en viens à l'intelligence artificielle. Bien évidemment, ce n'est pas l'INSERM, avec son profil de compétences actuel, qui va construire les algorithmes de deep learning qui seront utilisés pour l'exploration des données massives. Mais il a un rôle majeur à jouer en matière de construction des bases de données : c'est l'impulsion qui a été donnée par le récent plan Health Data Hub, dans lequel l'INSERM doit absolument s'investir.
Je l'ai dit, ces bases de données doivent être construites au-delà des données cliniques et des données de santé. Je pense qu'il y a vraiment des choses à faire dans le domaine de la recherche préclinique. C'est tout l'objet de l'open science, sur laquelle l'INSERM doit investir. Bien évidemment, cela doit se faire main dans la main avec les grands acteurs nationaux, au premier rang desquels le CNRS et le CEA. Ce ne peut pas être une politique isolée. Dans le domaine de la santé, l'INSERM doit exercer une force d'entraînement, qui ne peut intervenir qu'en synergie avec ces grands partenaires nationaux.
Sur la désertification médicale, j'ai presque envie de dire « joker » ! L'INSERM doit attirer des talents médicaux en participant mieux à la formation médicale. Pour pallier cette désertification, je pense qu'il faut mettre en place des mécanismes d'attachement des jeunes médecins à leur territoire, avec des financements locaux pour s'assurer un engagement de leur part dans la durée. C'est toutefois assez loin des sujets de l'INSERM. Je ne vais donc pas passer plus de temps à contourner la question…
Comment faire pour attirer et conserver les talents ? Je voudrais d'abord insister sur le fait que le concours de recrutement de l'INSERM est toujours très attractif, et qu'il y a beaucoup de pression à l'entrée pour les jeunes chercheurs – y compris les jeunes chercheurs étrangers, qui représentent une bonne part des personnes recrutées. Le risque est que celui-ci s'érode tout doucement, au profit de certains pays étrangers, notamment européens. Comme je l'ai dit, il importe de travailler sur des solutions très basiques, comme la politique indemnitaire, ce qui suppose des moyens. Mais il faut aussi se donner des marges de manoeuvres pour attirer sur une problématique particulière – typiquement l'intelligence artificielle ou les technologies de pointe en imagerie – des quadragénaires ou des quinquagénaires de haut niveau. Clairement, les grilles indemnitaires actuelles ne le permettent pas. Dans certains cas très précis, nous devrions pouvoir faire du co-recrutement, voire des contrats à durée indéterminée assez dérogatoires, de manière ciblée et parcimonieuse.
Enfin, comment faire mieux en matière de prévention et de santé publique ? Là encore, il faut considérer les exemples étrangers. Certains de nos voisins européens, comme le Royaume-Uni et la Suède, s'y prennent très bien, et disposent de grandes écoles de santé publique. Il faut sans doute se donner les moyens d'importer quelques talents et de structurer de nouvelles équipes. Si j'occupe la position de président dans quelques semaines, je défendrai probablement une action ciblée sur la santé publique, qui donnera à l'INSERM et à ses partenaires les moyens de construire une recherche de meilleur niveau. On peut identifier des niches d'excellence, ainsi que des personnes remarquables, mais il faudrait faire beaucoup mieux. Clairement, nous avons besoin d'un plan d'action dédié.