Intervention de Gilles Bloch

Réunion du mercredi 21 novembre 2018 à 9h40
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Gilles Bloch :

S'agissant de l'expérimentation animale et des méthodes alternatives, je crois que la tendance longue est à une diminution progressive de l'utilisation des modèles animaux, ne serait-ce que parce que l'on en a de moins en moins besoin. Les animaux sont des « objets » dotés de sensibilité et, pour certains, de capacités cognitives. Je baigne dans la science et j'ai assisté, encore récemment, à des recherches sur le poisson zèbre, un petit poisson auquel on peut apprendre des choses, ce qui est assez étonnant. Je comprends l'empathie qu'on peut ressentir, y compris – même si ce n'est pas un mammifère – pour ce genre d'espèce. Mais je pense qu'un arbitrage doit être effectué entre la demande sociétale de solutions médicales et de nouveaux traitements, et l'attachement au respect envers les animaux. Et c'est à chaque État et au législateur de le faire.

Pour moi, fondamentalement, la science biomédicale a encore besoin de modèles animaux extrêmement évolués. J'ai travaillé personnellement dans le domaine des neurosciences avec des primates non humains, et je sais toute la difficulté éthique que cela représente. Mais quand on travaille sur la maladie de Parkinson ou sur la maladie de Huntington, ces modèles sont totalement incontournables pour tester certaines options thérapeutiques avant le passage à l'homme.

En tendance longue, on peut imaginer réduire le recours à des modèles animaux. L'une des voies du progrès passe justement par l'utilisation de ces outils de simulation, de ces outils d'intelligence artificielle qui permettront de faire de la biologie in silico et de mieux en mieux prévoir, à partir de l'expérimentation animale, ce que pourrait donner le passage à l'homme, et donc de limiter de plus en plus le recours aux modèles animaux. Nous devons faire cet effort en continu. Mais je n'imagine pas, en tout cas pas de mon vivant, la disparition complète des modèles animaux et le passage direct de l'expérimentation biochimique ou in silico à l'expérimentation chez l'homme, parce que l'on doit aussi prendre en considération l'éthique de l'expérimentation chez l'homme. Nous devons assurer un équilibre entre le sacrifice de nos cousins animaux et ce à quoi l'on expose nos concitoyens dans les tests cliniques. Je reconnais que c'est un sujet éminemment sensible, et je suis conscient qu'il faut continuer à y travailler.

S'agissant de la stratégie de coopération et des programmes européens, je crois que l'INSERM est déjà très bien placé et extrêmement bien inséré dans les réseaux internationaux. À l'automne, Yves Lévy a fait des propositions visant au renforcement du réseau international avec la centaine de structures aujourd'hui implantées, qui devraient pouvoir davantage mobiliser des projets collectifs mieux articulés autour des initiatives locales. Des marges de progression existent, mais je pense que l'INSERM est déjà extrêmement efficace dans ce domaine, et qu'il n'est pas nécessaire de bouleverser l'existant.

S'agissant de l'Europe, les opportunités sont nombreuses. Je manque de temps pour développer cette question, mais je vous parlerai d'une piste de travail. On a mesuré l'importance, pour l'INSERM, de s'impliquer dans les recherches en santé publique, notamment sur l'exposition des populations. Il est indispensable d'accompagner les programmes européens qui se structurent autour de ces questions très complexes d'exposition multifactorielle, en s'appuyant sur des échantillons de grande taille, des cohortes de volontaires et des études en populations, qui peuvent se faire dans des conditions différentes d'un pays à l'autre. Je crois qu'il y a là matière à mieux travailler au niveau européen.

Vous m'avez par ailleurs interrogé sur les troubles du spectre autistique. Je souhaite élargir le sujet à l'ensemble des maladies psychiatriques. Comme je l'ai écrit dans ma lettre d'intention, je souhaite que ce sujet soit remis à l'ordre du jour à l'occasion des discussions qui auront lieu ces prochains mois. Il existe un réel décalage entre le poids humain des maladies psychiatriques en termes de mortalité et de réduction de la vie en bonne santé, et l'effort de recherche déployé dans notre pays dans ce domaine. Il faudrait réfléchir avec les tutelles, ainsi qu'avec les financeurs potentiels, au renforcement des recherches sur les maladies psychiatriques. C'est en ayant des équipes de recherche de haut niveau que l'on s'approprie les pratiques thérapeutiques les plus en pointe, et en la matière, je pense que la France est en retard. Un effort s'impose, qu'il faudra porter au niveau politique. On entend parfois des choses assez consternantes sur les maladies psychiatriques et un travail de fond doit être conduit.

J'en viens au lien entre l'intelligence artificielle et la santé. Comme j'en ai parlé dans mon propos liminaire, je ne serai pas très long. Clairement, c'est un enjeu majeur. Parmi les outils de diagnostic ou de recherche, l'intelligence artificielle apparaît comme un véritable levier de transformation. Il est nécessaire d'acquérir quelques compétences clé en la matière, et peut-être monter quelques laboratoires d'interface à l'INSERM. Mais là encore, l'INSERM n'est pas tout seul. L'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), dont un quart de l'activité concerne le domaine de la santé, dispose d'experts extraordinaires ; mieux vaut travailler avec eux. Le CNRS et le CEA ont aussi d'excellentes équipes. Il importe de travailler site par site, tout en s'appuyant sur le plan « intelligence artificielle » qui constitue un encouragement au niveau national, et dont le domaine de la santé doit être le grand bénéficiaire. Certes, il faut construire des propositions d'action qui convainquent les financeurs, mais il y a une grande opportunité à saisir.

En matière d'IHU, je suis un agnostique. Ces instituts ne sont ni bien ni mal ; ils constituent des outils. Je remarque toutefois qu'il faudrait faire preuve de parcimonie en la matière car on a l'art, dans notre pays, de créer sans jamais supprimer ce qui existe déjà. Les IHU sont des outils intéressants. Dans certains endroits, ils fonctionnent très bien. L'INSERM travaille déjà avec les IHU de la Pitié-Salpêtrière ou ceux de Necker sur les neurosciences et les maladies génétiques. Dans d'autres endroits, ils fonctionnent moins bien, pour des raisons objectives. L'INSERM n'est pas toujours impliqué. Je n'en fais pas une question de principe. C'est une question locale à traiter au cas par cas, et l'INSERM n'a pas vocation à intervenir partout. Concernant les financements, certains organismes nationaux et certains sites se construisent avec des regroupements. Il convient d'être prudent dans l'autonomisation totale de nouvelles structures de recherche. Les organismes nationaux, les partenaires des IHU, doivent garder largement la main sur le financement des IHU.

Vous m'avez également interrogé sur l'expertise et la diffusion de la connaissance scientifique, ce qui rejoint une autre question qui m'avait été posée tout à l'heure. Je crois que l'on partage la même sensibilité. Il faut toucher le plus tôt possible les gens, pour qu'ils comprennent ce que la science biomédicale peut apporter à nos sociétés, que ce soit à travers la prévention ou à travers les thérapies. Aujourd'hui, sincèrement, je n'ai pas de plan d'action tout prêt pour investir les écoles avec les personnels de l'INSERM, mais nous devons travailler à cette diffusion. Des actions pourraient être menées en partenariat avec l'éducation nationale, car il est nécessaire de faire connaître aux plus jeunes les enjeux de la recherche en santé.

Je terminerai sur les questions liées à la gestion et au pilotage de l'INSERM. Je n'ai pas regardé dans le détail les comptes et les indicateurs de performance de l'institut, mais celui-ci donne l'impression d'être bien géré, relativement « maigre » en moyens de fonctionnement. Les marges de manoeuvre consistent essentiellement dans la recherche de moyens supplémentaires auprès de l'État, par exemple pour remettre à niveau le régime indemnitaire, ou de ressources ciblées provenant de l'assurance maladie, pour financer les plans santé. On pourrait également recourir à de grands partenariats industriels et mobiliser les grands donateurs, comme je l'ai indiqué dans mon exposé liminaire.

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