Intervention de Bernard Perrut

Séance en hémicycle du jeudi 29 novembre 2018 à 9h30
Prise en charge des cancers pédiatriques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Perrut :

La proposition de loi que nous examinons ce matin porte une ambition que je veux saluer, tant le cancer, et plus spécialement le cancer pédiatrique, mérite notre entière mobilisation. C'est un grand défi qui nous appelle à l'action et à l'humilité. Comme le disait si bien Antoine de Saint-Exupéry : « L'impossible recule toujours quand on marche vers lui ». C'est pourquoi, sur tous les bancs, nous n'avons que ce seul et même objectif : tout mettre en oeuvre pour faire reculer les cancers pédiatriques et la mortalité dont ils sont la cause.

Dernièrement, nous nous sommes battus pour obtenir plus de moyens, à la commission des finances – je veux saluer notre collègue Éric Woerth – , à la commission des affaires sociales et dans l'hémicycle, où la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation nous a annoncé, un soir, à 5 heures du matin, que le Gouvernement allouait 5 millions d'euros supplémentaires à la recherche. Madame la ministre, nous connaissons aussi votre détermination, vos compétences et le combat que vous avez mené dans ce domaine.

Les associations, souvent créées par des parents d'enfants décédés, nous interpellent régulièrement. Elles soutiennent quelques projets de recherche, mais elles n'ont pas les moyens nécessaires, et elles ne doivent pas se substituer à l'État.

Nombre de parties prenantes se sont accordées sur l'impérative création d'un fonds dédié à la recherche sur les cancers et maladies incurables de l'enfant, doté de 15 à 20 millions d'euros par an – une préconisation émise en 2016, dans un rapport que Martine Faure a remis au nom du groupe d'étude sur les cancers oncopédiatriques. L'appui du Gouvernement est indispensable pour créer un fonds de développement de programmes de recherche fondamentale, afin de ne pas laisser les chercheurs consacrer trop de temps et d'efforts à chercher eux-mêmes des financements pour travailler.

Nous nous battons tous pour une augmentation des budgets, pour plus de chercheurs, pour plus de résultats. La petite Augustine, décédée d'un gliome infiltrant du tronc cérébral à quatre ans, nous rappelle durement que la lutte contre le cancer pédiatrique doit être l'objet d'efforts permanents. Ses parents et tant d'autres parents ont dû faire face à une maladie incurable et inopérable qui a emporté leur fille, leur fils, en seulement quelques mois. Leur quotidien est éprouvant et émouvant ; nous devons réagir et comprendre les combats que mènent les familles.

Les statistiques déjà énoncées méritent d'être martelées : un enfant sur 440 développe un cancer avant l'âge de quinze ans ; chaque année, en France, on pose un diagnostic de cancer pour près de 2 500 enfants et adolescents ; près de 500 d'entre eux décéderont, et ce chiffre ne recule plus depuis une quinzaine d'années. Cela représente l'équivalent de près de vingt classes d'école qui décèdent chaque année des suites d'un cancer ou d'une leucémie.

La situation est particulièrement critique pour certains cancers spécifiques des enfants, tels que les neuroblastomes, les nephroblastomes, les hépatoblastomes, certains sarcomes, ou les tumeurs du tronc cérébral qui se soignent très mal. Le cancer de l'enfant constitue donc un important enjeu de santé, mais aussi une question de société à l'échelle de l'Europe. En Europe, un cancer est diagnostiqué chaque année pour 35 000 enfants et adolescents, et l'on compte quelque 6 000 décès. Comme en France, en Europe, les cancers pédiatriques représentent la première cause de mortalité des enfants par maladie, et la deuxième après les accidents.

Alors qu'il existe plus de soixante types de cancers pédiatriques, la recherche est essentiellement axée sur les cancers des adultes. Les tumeurs malignes détectées chez les enfants ne sont pas de même nature que celles des adultes ; elles ne peuvent donc pas se soigner de la même manière. Il en est de même de la prise en charge, qui doit être adaptée à l'âge des patients.

Les cancers de l'enfant ne ressemblent pas à ceux de l'adulte, ils méritent un traitement spécial. Ils sont d'abord plus rares et moins nombreux. Un tiers des cancers pédiatriques n'existent pas chez les adultes et, inversement, plus de 80 % des cancers de l'adulte ne se retrouvent pas en pédiatrie. On sait que les causes de ces cancers sont différentes. Les principaux cancers de l'adulte, qui touchent les poumons, le sein ou la prostate, sont parfois liés à l'abus de tabac ou d'alcool, et à de mauvais régimes alimentaires. À la différence des cancers des adultes, ce n'est donc pas grâce à des politiques de prévention comportementale que l'on peut réduire la prévalence du cancer pédiatrique.

Face à ces particularités et à ses chiffres, le manque de moyens alloués à la recherche participe à la formation d'un cercle vicieux contribuant au maintien de telles statistiques : peu de budget, peu de chercheurs, peu de résultats.

Entre 1970 et le début des années 2000, les enfants et les adolescents atteints de cancer ont bénéficié des traitements initialement développés pour les adultes. Si leur taux de survie est d'environ 70 % sur dix ans, ce taux de guérison progresse peu malgré de nombreux essais cliniques internationaux. Les efforts actuels restent insuffisants et les avancées significatives de la lutte anti-cancer de ces dernières années n'ont que très peu bénéficié aux enfants. Ils n'ont notamment pas encore accès aux thérapies innovantes comme ils le devraient.

Pour les cancers les plus spécifiques à l'enfant, l'espérance de vie est parfois nulle et sans progrès depuis plus de trente ans. En outre, les thérapies proposées actuellement ne sont pas toujours adaptées à des organismes si jeunes. On estime que deux tiers des enfants guéris présenteront ultérieurement des séquelles de leur traitement. Dès lors, sans la recherche renforcée pour laquelle nous nous battons, il est impossible de développer des traitements adaptés grâce à une meilleure compréhension des cancers pédiatriques. Je veux rendre hommage aux médecins, aux chercheurs et aux laboratoires qui travaillent de manière admirable, ainsi qu'à tous les professionnels de nos services, de nos hôpitaux, de nos cliniques.

Tous les gouvernements se sont préoccupés de ce sujet. Déjà, sous l'impulsion du Président Jacques Chirac, la France s'était dotée, pour la première fois, en 2004, d'un plan cancer visant à améliorer la lutte contre la maladie, et à mieux prendre en charge les patients et leur famille. Deux autres plans cancer ont été mis en place, en 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis, en 2014, sous celle de François Hollande. Ce troisième plan cancer, qui concerne la période 2014-2019, se poursuit. Les progrès sont indéniables, et la France est aujourd'hui un des leaders mondiaux de la lutte contre le cancer grâce au talent de ses chercheurs, au dynamisme de ses associations, et à la volonté des pouvoirs publics, qui ne doit pas faiblir et qui doit même se renforcer.

Mes chers collègues, je vous demande de faire un geste fort pour cette cause. Il faut passer des paroles aux actes et envoyer un signal fort aux enfants victimes de cancer, à leurs familles, à leurs médecins et à tous les professionnels de santé qui sont en contact avec ces enfants. Toutes ces personnes ont besoin de notre soutien, de notre aide, de notre appui. Pour ma part, j'invite le Gouvernement à déclarer grande cause nationale pour 2019 la lutte contre le cancer pédiatrique. Ce serait un engagement qui nous rassemblerait.

Madame la rapporteure, la proposition de loi que nous examinons mérite notre soutien. C'est une bonne initiative, qu'il faut encourager et que nous ne pouvons remettre à plus tard. Elle tente d'apporter de véritables réponses aux problèmes de la prise en charge du cancer des enfants, sujets qui ont été identifiés de longue date : financement de la recherche, soutien aux aidants familiaux, formation des professionnels, droit à l'oubli – qui doit être amélioré et adapté.

Nous ne pouvons nous satisfaire d'une prise en charge a minima de ces enfants et adolescents. La question de l'accompagnement est primordiale, c'est pourquoi je salue les dispositions de ce texte qui visent à garantir un cadre de soins adapté pendant la maladie, mais également pour la suite et l'avenir. Le cancer est un traumatisme pour le patient, mais aussi pour ses proches qui subissent de plein fouet les conséquences de la maladie et doivent pouvoir bénéficier d'un soutien psychologique et social spécifique. Ils subissent, par exemple, souvent des pertes de revenus lorsqu'ils diminuent voire qu'ils cessent leur activité professionnelle.

L'article 1er de la proposition de loi attribue une nouvelle mission à l'INCa et établit une obligation de négociation avec les acteurs de la recherche afin d'aboutir à la fixation d'un seuil minimal d'investissement public destiné à la recherche pédiatrique. Créer une coordination des acteurs et un plan quinquennal est une idée intéressante ; cela permettra d'organiser les financements de manière plus pérenne ainsi que d'accroître les effets de leviers par le dialogue entre les pouvoirs publics et les acteurs privés. L'important est de partager une vision claire de ce que nous pouvons attendre de la recherche. Tel est le sens de l'article 1er.

L'article 2 propose l'abaissement de l'âge minimal de dix-huit ans actuellement requis pour les essais cliniques. Je ne vous cache pas, madame la rapporteure, que je m'interroge davantage sur ce sujet, même si je comprends toutes les raisons qui motivent une telle disposition.

L'article 3 vise à lier l'AJPP à la durée réelle de la maladie et non à un forfait. Il s'agit donc d'une avancée particulièrement louable.

Nous reviendrons sur les articles 4 et 5, car nous regrettons certaines des modifications substantielles apportées par la commission. Peut-être les amendements permettront-ils de rétablir certaines dispositions supprimées ? À ce sujet, je veux dire mon incompréhension aux collègues de la majorité : pourquoi avoir décidé de supprimer certains articles intéressants ? Les progrès en matière de cancers pédiatriques sont lents, ils imposent que nous les encouragions dès aujourd'hui. N'oublions jamais que des enfants attendent de nous que nous fassions évoluer les choses. C'est la raison pour laquelle nous soutiendrons cette proposition de loi.

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