Je commencerai par faire le point sur la gestion adaptative, évoquée par plusieurs d'entre vous. Pourquoi l'appelons-nous de nos voeux ?
La première réflexion que nous avons eue à ce sujet a porté sur la chasse propre. Il y a des espèces qui ne peuvent être chassées alors même qu'elles sont surabondantes : nous ne bougeons pas parce que nous ne voulons pas prendre de risque. À l'inverse, il y a des espèces que nous savons être en mauvais état de conservation et que nous souhaiterions moins chasser : pour les mêmes raisons, nous ne bougeons pas.
Nous estimons être partie prenante de la protection de la biodiversité. Le rôle de la chasse française a d'ailleurs été reconnu comme tel le 27 août dernier par le Président de la République. Nous souhaitons désormais participer pleinement à toutes les actions menées en matière d'écologie et de biodiversité. La chasse n'est pas un frein, comme l'a dit M. Alain Perea ; elle peut au contraire constituer un excellent outil, à condition qu'il soit bien utilisé. Une fois que nous nous mettrons d'accord sur ce principe et que nous aurons construit intelligemment ensemble, je pense que nous pourrons faire beaucoup de choses pour l'entièreté des espèces.
La gestion adaptative va être utilisée à court et moyen à terme pour les espèces chassables qui posent problème dans un sens ou dans l'autre. Il a été beaucoup question des oies sauvages, dont la surpopulation pèse sur le flyway européen. Le Président de la République s'est engagé à prolonger l'autorisation de les chasser jusqu'au mois de février en fixant un quota, ce qui correspond à une demande de l'Europe. À l'inverse, nous avons accepté de moins chasser certaines espèces sensibles, comme la tourterelle des bois dont les effectifs sont en chute du fait d'un virus. Il faudrait un outil qui permette de déterminer la durée pendant laquelle les chasseurs doivent s'abstenir de chasser certaines espèces, afin de ne pas accentuer la baisse de leurs effectifs alors même qu'elle n'est pas due à la chasse. Il faut que nous ayons ensemble l'intelligence de prendre des décisions sur des périodicités tout en restant flexibles. Par exemple, on pourrait ne pas chasser telle espèce pendant un an puis recommencer à la chasser pour voir ce que cela donne. Nous ne devons avoir qu'une chose en tête : que les espèces se portent bien. Je ne veux pas que la chasse française soit accusée d'être responsable de la baisse des effectifs d'une espèce, voire de son extinction. Il faut parvenir à quelque chose équilibré.
Nous devrons utiliser la gestion adaptative avec prudence. Nous mettrons en pratique cet outil progressivement car c'est une nouveauté pour tout le monde. Pour cela, il est nécessaire d'établir un climat de confiance mutuelle.
Vous savez, je représente les chasseurs, mais je représente aussi beaucoup les milieux ruraux. Vous êtes nombreux ici à être élus de ces territoires et vous savez qu'il y a une incompréhension. Il faudra redonner confiance aux acteurs : aux chasseurs, aux pêcheurs, aux usagers de la nature. C'est un énorme défi qui nous attend. Si nous commençons mal, nous risquons d'échouer mais nous pouvons aussi réussir et créer ce qui deviendra un modèle pour le monde entier.
Je crois que la chasse a réellement sa place dans ce nouvel établissement. Au-delà de son poids économique, c'est son poids écosystémique qui m'intéresse. Une étude menée il y a trois ans par le Bureau d'information et de prévisions économiques (BIPE), cabinet de conseil indépendant, a montré que les actions de la chasse française représentaient 3 milliards d'euros par an d'apports à la biodiversité. Je prendrai l'exemple des zones humides : si les chasseurs n'avaient pas été là pour les sauver, elles auraient été recouvertes par beaucoup plus de supermarchés et d'asphalte. Il n'est d'ailleurs pas rare de voir le Conservatoire du littoral demander aux chasseurs de revenir chasser sur des terrains qu'il a déclarés non chassables deux ou trois auparavant.
Voilà pour l'état d'esprit de la chasse française à l'égard du projet de fusion et de la gestion adaptative.
J'en viens à la constitution du comité scientifique, qui constitue un point de blocage important pour nous. Nous considérons qu'il doit être constitué à parité de personnes qui ont des connaissances scientifiques théoriques et de personnes qui ont des connaissances pratiques. Nous ne pouvons pas revenir aux blocages antérieurs entre chasseurs et associations de protection de la nature avec d'un côté des « Vous n'y connaissez rien » et de l'autre des « Vous êtes des gros beaufs, juste bons à tirer sur tout ce qui bouge ». La société évolue. Il faut passer à autre chose. Ce n'est pas parce que certains portent des bottes en caoutchouc cinq jours par semaine qu'ils sont idiots. Ils ont aussi des compétences et il faut aussi les écouter – mais cette remarque dépasse peut-être le cadre de la chasse. Nous devons parvenir à établir un équilibre au sein de ce comité. C'est un enjeu non seulement pour l'État, mais aussi pour l'Europe. Beaucoup pensent, dans les campagnes, que les règles communautaires sont là pour « emmerder » les Français tous les jours. Je ne vais pas vous faire un dessin, mais c'est une impression que nombre de nos concitoyens ressentent, et nous devons le prendre en compte car cela peut amener à des choses beaucoup plus graves, qui se manifestent dans les urnes ou ailleurs. Si nous arrivions à mettre en commun nos motivations et nos envies, et à trouver un accord sur le fait que nous prélevions des animaux, je pense que nous pourrions faire quelque chose de formidable et écrire une nouvelle page de l'histoire dans la protection de la biodiversité.
Comme l'a dit M. Alain Perea, la chasse française a envie d'entrer dans le XXIe siècle. Nous voulons voir émerger quelque chose de moderne. Aujourd'hui, la procédure de comptage des prélèvements n'est pas satisfaisante. Il n'est pas acceptable que certaines espèces sensibles ne fassent l'objet que d'« estimations ». Nous devons viser davantage de précision et disposer des moyens adéquats pour dire « stop » quand une espèce ne peut supporter une plus forte pression. Si nos mesures nous permettent d'établir qu'un quota annuel est atteint, la chasse devra s'arrêter, même si elle n'a duré que quinze jours. Il ne faudrait pas non plus que cela vire au lynchage de la chasse française, avec l'établissement de quotas tous azimuts. Nous procéderons de manière intelligente, en commençant par les espèces sensibles. Peut-être parviendrons-nous, dans cinq ou dix ans, à documenter globalement tous les prélèvements, mais pour l'instant je vais demander du temps au Gouvernement. N'oubliez pas qu'en acceptant cela, je mène une révolution au sein de la chasse française. Mes chasseurs ne m'ont jamais demandé une telle chose. C'est nous qui leur avons expliqué que nous allions faire comme cela, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Je considère que si nous ne prenons pas la voie de la modernité maintenant, la chasse mourra de son décalage avec l'époque.
La gouvernance avec les associations écologiques ne nous pose aucun problème. Ces gens mènent des actions importantes et nous les respectons. Ils se passionnent autant que nous pour la nature. La seule différence qui nous sépare, c'est le fait de tuer des animaux. Nous n'arriverons pas toujours à nous comprendre, mais si nous arrivons à nous mettre autour d'une même table, je pense que nous pourrons construire de grandes choses.
Beaucoup de questions ont porté sur les sangliers. Si la chasse française devait faire son mea culpa, je dirais rapidement – on n'aime pas trop s'automutiler – que lorsqu'il n'y avait pas beaucoup de sangliers, nous avons géré cette espèce. Il y a trente ans, 80 % des chasseurs chassaient du petit gibier, alors qu'aujourd'hui 80 % des chasseurs chassent du grand gibier car la biodiversité ordinaire est en train de mourir dans nos territoires. Il n'y a plus de petit gibier alors même que les plans de chasse se font à un prélèvement près par commune. Il y a de grandes difficultés à maintenir les espèces sédentaires sauvages, qu'elles soient chassables ou non.
J'en profite pour rebondir sur ce qu'a annoncé ce matin le Président de la République. J'ai entendu en effet qu'on allait lancer la méthanisation, ce qui veut dire qu'on ne cultivera plus pour nourrir les hommes, mais pour produire de la biomasse. On coupera les champs de blé, de luzerne ou de colza quand la biomasse est la plus belle, c'est-à-dire au printemps, au moment où toute la biodiversité se reproduit. Et juste après, on replantera un champ de biomasse, probablement du maïs, ce qui fait qu'on aura une couverture hivernale sur de grandes étendues de 100 à 200 hectares jusqu'au mois de février. On va donc taper encore plus fort sur le petit gibier et la petite faune sédentaire, et favoriser davantage le développement du sanglier à grande échelle. Et comme la production de biomasse ne sera pas destinée à une consommation humaine, il faudra veiller à ce que les futures lois ne permettent pas qu'on puisse y mettre toutes les cochonneries qui traînent, sinon on détruira toute la biodiversité sur ces territoires qui est déjà très malmenée.
Il y a un manque cruel de police dans les territoires. Si l'on souhaite mieux régir les choses avec une grande police générale, il faudra maintenir et donner de vrais moyens à la police de proximité rurale dans nos fédérations, ce qui permettra d'aider le nouvel établissement public, car ce sont les gens qui sont dans les territoires tous les jours qui connaissent le terrain. Aujourd'hui, les effectifs de l'ONCFS ont chuté. Certains départements comptent entre quatre et huit personnes seulement pour gérer toute la police rurale : la police de l'eau, de l'air, de la terre, de la pollution, du dépôt d'ordures, de la cueillette sauvage. Actuellement, il n'y a plus de moyens de police dans les territoires ruraux, et ce ne sont pas les maires qui diront le contraire, puisque les fédérations sont de plus en plus amenées à les aider. On ne peut pas laisser les gens déposer des ordures, comme cela se fait partout. Je suis conseiller municipal d'une petite commune et je peux vous dire que, chaque week-end, ce sont deux à trois tas de poubelles qui sont déversés. Cela devient insupportable. De même, on n'a pas de moyens de police pour empêcher la cueillette sauvage de perce-neige. On nous pille nos forêts du nord de la France où il y a beaucoup de perce-neige. Ce bulbe sauvage, qui ne peut pas pousser ailleurs qu'en forêt et qui vaut très cher, est ensuite revendu aux Pays-Bas, en Pologne, un peu en Norvège et en Suède. En cinq ans, tout a été ramassé. Moi qui vis dans ce territoire depuis que je suis gamin, je les aime et je ne veux pas les voir disparaître totalement. Cela fera peut-être faire rire certains, mais je trouve que c'est très grave. On a donc besoin d'un outil de police extrêmement structuré avec de vrais moyens pour tout ce qui touche à la ruralité, et pas uniquement pour la chasse. Le chef de l'État l'a bien compris, puisque c'était l'une de ses motivations premières pour créer cet établissement public.
On m'a demandé si la baisse du coût du permis de chasser était un « bon deal ». Ce n'est pas du tout un « deal ». Nous entrons dans l'établissement public à hauteur de 45 millions d'euros. Même si l'on veut une représentativité significative, vous avez bien compris que nous ne sommes plus les donneurs d'ordres du futur établissement, mais que ce sera l'État et les associations. Toutefois, nous aurons une place prépondérante, ce que nous souhaitons. Baisser le prix du permis de chasser, c'est reconnaître qu'à travers les 3 milliards d'euros de services écosystémiques que nous rendons, nous avons une vraie fonction. Que l'on aime ou non la gestion de la nature avec un fusil, il faut reconnaître que lorsqu'on nous enlève cette gestion, qui doit être bien évidemment raisonnée et raisonnable, il y a des problèmes partout. Il s'agit aussi, dans le cadre de la problématique du grand gibier, de permettre une meilleure répartition des chasseurs à l'échelon du territoire national, car les dégâts sont finalement assez concentrés. On hurle beaucoup dans les campagnes, mais n'oubliez jamais que 85 % des dégâts ont lieu sur 15 % des communes de France. Certes, il y a des problèmes, mais ils sont relativement localisés.
Il faut savoir reconnaître que la chasse évolue, et que la jeunesse évolue également. Mon grand-père chassait autour de l'église de son village, mais comme il voyait mal de loin, il me disait : quand tu ne vois plus le clocher, tu me le dis et on fait demi-tour. Avec internet et les réseaux sociaux, le chasseur de demain ira chasser le petit gibier quelques jours dans le Pas-de-Calais, puis chasser la bécasse quelques jours dans l'Aude, et enfin chasser le gros gibier quelques jours en Sologne. Ce sera une chasse à la carte mieux organisée et mieux structurée au niveau local. Au travers de la gestion adaptative, il y a une conception quantitative des prélèvements, mais aussi une vraie notion d'espace et de temps.
J'en viens à la question du partage de la nature. Il faut savoir que la forêt domaniale française représente 8 % de la forêt française, pourcentage que m'a donné le directeur général il y a quinze jours. En matière de sécurité, il y a des choses à faire, et nous les faisons. Nous avions d'ailleurs mis en place des formations avant ce « chasse-bashing » qui dure depuis quelques mois, et le programme de la réforme globale française prévoit une formation personnelle du chasseur pendant une journée tous les dix ans, axée sur la sécurité. Le problème, c'est que de plus en plus de gens se promènent dans la nature avec un esprit un peu particulier, c'est-à-dire que dès qu'ils ont franchi le panneau de la ville où ils habitent, ils considèrent que la nature qui est autour d'eux leur appartient. Or c'est complètement faux. La nature est privative : les champs appartiennent à des agriculteurs, et les forêts appartiennent à des forestiers. Jadis, il n'y avait pas de problème au sein d'un village pour chasser et cueillir des champignons. Mais comme il y a eu quelques accidents de chasse retentissants, les gens demandent à pouvoir disposer d'un espace pour profiter de la nature. Or, je le répète, la nature est privative. Mesdames et Messieurs les députés, comme il existe des espaces publics, les choses sont entre vos mains. Les forêts domaniales peuvent en effet être d'excellents terrains de jeux du week-end et c'est le rôle de l'État de l'encourager. J'enfonce une porte ouverte, car il y a dorénavant très peu de chasses dans les forêts domaniales le week-end et le mercredi, précisément pour qu'un maximum de gens puissent s'y promener. Il y a peut-être quelques coins un peu perdus – je pense à la Haute-Marne – où peu de monde se promène, même le mercredi et le week-end.