Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du lundi 10 juillet 2017 à 21h30
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

M. Vercamer a bien résumé la substance de nombreux propos, en disant qu'il fallait une norme sociale plus claire, plus lisible, plus souple, plus prévisible pour le salarié comme pour l'entreprise, et qui incite à la négociation. C'est exactement le coeur de ce projet de loi d'habilitation.

Troisième sujet, la pénibilité. J'entrerai davantage dans les détails lorsque nous examinerons l'article 5 dont c'est le sujet. Néanmoins, puisque le Premier ministre a fait connaître samedi la position du Gouvernement sur le sujet, je voulais m'en expliquer auprès de vous dès maintenant pour éclairer le débat que nous aurons sur l'article 5.

Quelle était la question, évoquée par M. Cherpion, Mme Bareigts et M. Vercamer notamment ? Certes plusieurs lois ont déjà défini le sujet de la pénibilité mais nous avons fait le constat qu'il y avait un contraste entre l'intention et l'exécution.

L'intention, qui est de justice sociale, nous l'approuvons pleinement : les salariés qui, ayant travaillé dans des conditions difficiles sur le plan physique, se retrouvent en situation d'incapacité partielle doivent pouvoir bénéficier, comme prévu, de la retraite à taux plein deux ans plus tôt. C'est une mesure de justice sociale et nous n'avons en aucun cas souhaité la contester.

En revanche, le dispositif prévu pour définir les quatre derniers facteurs de risque était une sorte d'usine à gaz – pardonnez-moi cette expression. Demander à un artisan ou à un agriculteur de mesurer chaque jour, quasiment au chronomètre, combien d'heures le salarié porte des charges lourdes ou travaille dans une posture qui risque d'entraîner des troubles musculo-squelettiques, c'est Ubu qui se transforme en Kafka ! Ce n'était pas possible.

Il y avait urgence parce que ces textes étaient sur le point d'entrer en vigueur : à partir du 30 septembre, les artisans, les agriculteurs, toutes les entreprises auraient été en faute s'ils n'avaient pas fait ces déclarations sous la forme prévue. Ils étaient de ce fait en situation d'insécurité juridique, sans que les salariés soient pour autant davantage protégés. Vous voyez que c'est le type de sujet que nous aurons à aborder à l'occasion de l'examen de l'ensemble des articles.

Nous proposons donc, d'une part, de maintenir l'ensemble des droits des salariés et, d'autre part, de libérer les entreprises de cette obligation de déclaration tout à fait inapplicable, en externalisant, pour les quatre derniers risques, le contrôle de la situation des salariés – j'allais dire la « charge de la preuve » – par des examens médicaux.

Cela aura un avantage supplémentaire : nous pourrons traiter le « stock » – pardonnez-moi le terme – des salariés qui souffrent d'ores et déjà d'une incapacité après avoir travaillé des années dans des conditions difficiles. Dans le dispositif précédent, en revanche, qui était un système de points, ils auraient dû attendre dix-sept ou vingt ans pour bénéficier de droits réels, soit une génération de salariés. Je pense donc que notre dispositif est même meilleur sur le plan de la justice sociale.

Nous nous sommes efforcés de trouver une véritable solution et de ne pas nous contenter de remettre à plus tard la résolution du problème – c'est d'ailleurs pour cette raison que le mot « pénibilité » figure à l'article 5. C'est dans cet esprit que nous débattrons de l'article et que, la semaine prochaine, je soumettrai cette proposition à l'avis du Conseil d'orientation des conditions de travail, le COCT.

Le quatrième sujet, celui des très petites, petites et moyennes entreprises, a été abordé par beaucoup d'entre vous, comme MM. Mignola, Cherpion ou Vercamer. L'un des enjeux principaux de cette rénovation du modèle social est son applicabilité dans les TPE et les PME. Beaucoup d'orateurs l'ont rappelé, en France 55 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de cinquante salariés. Si notre réforme, aussi magnifique soit-elle, ne s'applique pas ou s'applique mal dans les TPE et les PME, nous aurons raté notre cible.

Ce sujet essentiel, qui est en quelque sorte un fil rouge, n'est pas le sujet le plus simple si on veut une réforme qui ne soit pas seulement belle sur le papier mais qui fonctionne dans la vraie vie.

Il y a deux volets. Le premier est assez clair et a été évoqué par plusieurs d'entre vous : il s'agit de la branche. C'est l'une des raisons pour laquelle, à la demande des partenaires sociaux, tant patronaux que syndicaux, nous avons finalement choisi de renforcer non seulement l'accord d'entreprise, mais aussi l'accord de branche. L'examen de l'article 1er sera pour nous l'occasion de détailler les champs qu'il nous semble essentiel de traiter au niveau de la branche.

Dans ce cadre, il est clair que les accords de branche peuvent à la fois soutenir et garantir la cohérence pour les TPE et PME, à une condition – et ce sera une des propositions que nous vous ferons – : qu'on demande aux branches, s'agissant des sujets dits « verrouillés », qui s'imposent, qu'elles prennent en compte la question de savoir s'il fallait ou non prévoir des dispositifs spécifiques pour les TPE et les PME – cela pourrait même être une condition de l'extension de l'accord. Cela dépendra des sujets mais il faut au moins qu'il y ait cet examen systématique au niveau des branches.

Le deuxième volet regroupe toute une série de mesures figurant dans différents articles et dont l'objectif est d'accroître la visibilité et partant la sécurité et de lever la peur de l'embauche.

Le cinquième sujet, évoqué par plusieurs d'entre vous, notamment Mme Bareigts et M. Ratenon, est celui des outre-mer. Je le rappelle, la loi relative au travail du 8 août 2016 et la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer ont prévu des dispositions relatives à l'application du code du travail et à la représentation dans les outre-mer. La mise en oeuvre de ces nouvelles dispositions est en cours d'examen par le Conseil d'État. J'ai demandé à mes services de se mettre à la disposition des députés d'outre-mer comme des partenaires sociaux afin de réfléchir aux modalités selon lesquelles la présente loi d'habilitation pourrait s'appliquer dans les outre-mer, à quelles conditions et dans quels délais, dans la logique de la loi relative à l'égalité réelle outre-mer.

Le sixième sujet d'ordre général, qui constitue peut-être le coeur de ce projet de loi, est celui du dialogue social.

M. Mignola et M. Taché en ont longuement parlé. Cette « décentralisation » du dialogue social, selon l'expression de certains, est essentielle. La loi est gardienne des droits fondamentaux mais renforcer la capacité contractuelle au plus près du terrain, au plus près des intéressés, salariés et entreprises, au niveau de la branche et à celui de l'entreprise, est un élément clé. En effet, dans la majorité des cas, les salariés et les entreprises ont des intérêts convergents. Une entreprise qui se porte bien peut partager la richesse et peut embaucher et une entreprise se porte bien si elle investit dans son capital humain et dans ses relations sociales.

Je voudrais aussi vous remercier, monsieur le député Quatennens d'avoir clarifié votre position, en disant, de façon assez étonnante : « le dialogue social, c'est une foutaise ».

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