Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du jeudi 29 novembre 2018 à 8h30
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir pour cette réunion de travail, quelques jours après l'examen de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (RCT) dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.

Que souhaitons-nous – je l'espère collectivement – pour les collectivités territoriales dans les semaines et les mois à venir ? Je reprendrai les quatre thèmes déjà développés lors de nos débats budgétaires, mais également lors du congrès de l'Association des maires de France (AMF) et de celui de l'Assemblée des départements de France (ADF), et ce alors que cette période de congrès s'est terminée par la prise de parole du Président de la République face aux élus.

En premier lieu, tant dans l'hémicycle que chez nos collègues élus, on plaide très fortement pour la stabilité. Tant mieux, car c'est également l'objectif du Gouvernement ! Dans le domaine financier, dans le cadre contraint que vous connaissez, nous ne souhaitons pas diminuer l'enveloppe globale des concours financiers de l'État pour les collectivités territoriales. Elle sera stabilisée autour de 27 milliards d'euros.

Nous souhaitons également la stabilité de l'investissement local, et donc de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Je l'ai dit lors du Congrès des maires après l'avoir évoqué dans l'hémicycle, je souhaite que nous réfléchissions ensemble à la problématique de l'investissement public local. Au niveau macroéconomique, les chiffres sont bons et traduisent des dynamiques vertueuses, mais dans chaque région ou département, la doctrine d'emploi, les thèmes ou priorités envisagés, le ressenti des professionnels – Fédération nationale des travaux publics (FNTP) ou Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) – sont extrêmement variables. En conséquence, ce sujet mériterait d'être traité de manière plus « territorialisée ».

L'investissement public local représente 2 milliards d'euros ; c'est beaucoup d'argent public. C'est d'ailleurs l'argent du contribuable et non celui du Gouvernement. Pourtant, on peut le dire, il passe parfois un peu inaperçu… Les acronymes DSIL et DETR, populaires chez nos collègues élus locaux, sont méconnus de nos concitoyens. Les outils numériques nous permettraient de faire oeuvre de pédagogie et de transparence. Lors de nos débats, j'ai été frappé du nombre de questions, d'amendements et de prises de parole sur la façon dont les choix sont faits et sur le fonctionnement de ces dispositifs. Nous devons mieux rendre compte de l'utilisation de ces crédits !

La stabilité soulève également la question de la péréquation : la demande de stabilité formulée par certains élus locaux s'accompagne parfois d'une demande de moindre péréquation. Ce n'est pas ce que je souhaite – bien au contraire – mais il est intéressant de le souligner. Il faut savoir l'entendre et réexpliquer à l'ensemble des élus, comme je l'ai fait hier au Sénat, pourquoi cette péréquation et les dotations de solidarité urbaine (DSU) et rurale (DSR) ont été imaginées. Les enveloppes de la DSU et de la DSR sont désormais normées ; il faut maintenant redonner des perspectives à la dotation globale de fonctionnement (DGF) car les nombreuses modifications de périmètre des intercommunalités ont largement impacté les notifications individuelles, rendant la compréhension de la DGF particulièrement complexe pour nos collègues. En ce sens, l'amendement que vous avez porté avec Christophe Jerretie, Monsieur le président, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, permettra de mieux informer les élus locaux sur les causes de la variation de leur DGF. C'est potentiellement une petite révolution. Les services ont commencé à travailler, nous pourrons en reparler.

En outre, le Président de la République n'a pas dit qu'il souhaitait une réforme de la DGF, mais si les élus souhaitent transmettre des contributions et pour la faire évoluer, bien entendu, nous serons ouverts. D'ailleurs, le rapport de Mme Pires Beaune proposait quelques pistes de travail.

Le deuxième axe, c'est la liberté institutionnelle. Nos collègues élus locaux veulent retrouver cette liberté, et un peu de souplesse, sans que nous leur proposions un « grand soir des compétences » ou réécrivions la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). C'était l'esprit de la réforme des rythmes scolaires proposée par Jean-Michel Blanquer. C'est également l'état d'esprit du Sénat, avec la proposition de loi de Mme Gatel, tendant à renforcer l'évaluation préalable du retrait ou de l'adhésion des communes à des établissements intercommunaux ou à des syndicats mixtes ou de communes, qui sera examinée au Sénat en décembre, puis à l'Assemblée. Cette proposition de loi vise à assouplir le fonctionnement des communes nouvelles. Je rappelle que 1,9 million de nos concitoyens y vivent désormais. Cette nouvelle forme de démocratie locale, issue de la fusion ou du rapprochement de communes, est donc importante.

Il faut également traiter les « irritants » de la loi NOTRe, dont nous avons tous connaissance : frictions entre le bloc départemental et le bloc régional, différences de lecture des compétences et des transferts de charges à l'intercommunalité. Certains des compromis issus de la commission mixte paritaire (CMP) ont conduit à une rédaction de la loi qui peut donner lieu à interprétation – ce n'est pas une critique. L'interprétation, liée au contrôle de légalité ou aux contentieux parfois traités par le juge administratif, est désormais une réalité et, en fonction des tribunaux administratifs, les interprétations ne sont pas toujours les mêmes. Qu'est-ce qu'une zone d'activité économique ou une base de loisirs par exemple ? Les conseils départementaux doivent-ils sortir des sociétés d'économie mixte (SEM) et des sociétés publiques locales (SPL) ? La souplesse est intéressante.

Mais, bien entendu, beaucoup va aussi dépendre de la rédaction des circulaires que je vais adresser aux préfets. Le Président de la République l'a écrit dans le courrier envoyé aux maires de France, nous ne souhaitons pas une nouvelle grande loi sur le sujet, mais s'il faut passer par la loi pour clarifier certains points suite aux jurisprudences des tribunaux administratifs, des cours administratives d'appel ou du Conseil d'État, nous le ferons.

Enfin, même si je ne suis pas le ministre en charge de ces questions, je sais que nos collègues élus locaux réclament plus de souplesse et de liberté dans la gestion de la fonction publique territoriale (FPT). Je note d'ailleurs, sans que ce soit là encore une critique, que les associations nationales d'élus qui les représentent sont peut-être moins pressées de traiter ce sujet. Pourtant, je ne peux pas faire un déplacement ou un déjeuner républicain sans que l'on m'interpelle sur ce sujet. Cela m'intéressera de pouvoir le traiter avec Olivier Dussopt, Gérald Darmanin, Jacqueline Gourault et vous tous.

Troisième axe de travail : la prévisibilité. Je ne reviendrai pas sur l'information relative à la DGF. Nous l'avons fait pour la dotation d'intercommunalité et avons tout intérêt à développer la pédagogie collective des actions menées, qui contribuera à stabiliser le dispositif au mois de janvier prochain.

La réforme de la fiscalité locale n'est pas une mince affaire et doit être envisagée sous trois angles : d'un côté, la suppression de la taxe d'habitation s'accompagne du souhait des élus locaux de continuer à disposer d'un impôt territorialisé et d'une assiette territoriale de proximité pour lever l'impôt local ; de l'autre, nous ne souhaitons pas recréer un prélèvement obligatoire. En effet, nous ne supprimons pas la taxe d'habitation pour créer un autre impôt. Enfin, nous devons dynamiser les ressources des conseils départementaux, dont les dépenses sont elles mêmes dynamiques – on cite souvent le revenu de solidarité active (RSA), mais on pourrait aussi parler de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Les fonds de stabilisation ou d'urgence ne sont pas une solution pérenne ! Ne pourrait-on par exemple envisager d'affecter une fraction d'impôt national aux conseils départementaux afin qu'ils bouclent enfin leur budget ?

Lors d'une de nos nuits de débat, à la veille du congrès de l'ADF à Rennes, nous avons ouvert la possibilité pour l'association de proposer des critères de péréquation horizontale pour les conseils départementaux. C'est chose faite : un accord a été trouvé hier matin et nous a été proposé. Il donnera lieu à un amendement du Gouvernement, qui sera présenté dans l'hémicycle au Sénat dans le cadre du débat budgétaire sur la mission « RCT ».

Enfin, concernant la prévisibilité des projets, je souhaite travailler sur l'investissement local, mais aussi sur les différents pactes, qui nous permettront de faire de la différenciation en fonction des projets : il ne s'agira plus de décentralisation traditionnelle des compétences mais de décentralisation par projet – c'est le cas du pacte « Ardennes 2022 » négocié avec l'ensemble des élus et des parlementaires de ce département.

N'oublions pas non plus l'épineuse question de l'ingénierie. Réfléchir à l'investissement public local, c'est aussi évaluer tous les crédits perdus pour les collectivités locales lorsqu'un projet est en panne, la collectivité ne disposant pas de l'ingénierie nécessaire. À cet égard, des dispositions créant l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) ont été adoptées en première lecture au Sénat et vont être examinées par l'Assemblée nationale. La Banque des territoires a également un rôle à jouer. Ne déconnectons les questions budgétaires de ces questions d'ingénierie.

Quatrième et dernier axe : la méthode. La Conférence nationale des territoires (CNT), instance de dialogue resserrée, garantira l'opérationnalité du dispositif. Elle s'ouvrira aussi aux associations spécialisées d'élus, en fonction des ordres du jour. Ainsi, évoquer la différenciation ou l'adaptation du droit à la montagne ou au bord de mer sans l'Association nationale des élus du littoral ou les associations représentant les élus de la montagne nous semble compliqué.

En outre, nous allons davantage associer les associations d'élus à nos travaux collectifs. Ainsi, j'ai écrit à tous leurs présidents pour avoir leur avis écrit sur la proposition de loi de Mme Gatel, les évolutions étant sensibles pour les communes nouvelles. Nous vous les communiquerons, mesdames et messieurs les députés, monsieur le président, car même si le Parlement est libre et souverain, il est de bonne pratique de collaborer avec les députés et les sénateurs ; cela permet d'avancer.

S'agissant de la méthode, un autre sujet est important : il s'agit des conditions d'exercice du mandat de l'élu local. Ce n'est pas un sujet neuf, mais des propositions ont été transmises au Gouvernement par le Sénat. Jacqueline Gourault consulte et travaille actuellement sur ce sujet, qui va des indemnités à la couverture sociale, en passant par la formation. Je vous l'ai dit dans l'hémicycle, cette dernière mérite d'être « rafraîchie » car une génération complète d'élus a accédé à des fonctions de maire ou de vice-président d'une communauté de communes et doit gérer des questions juridiques, financières et administratives sans avoir été formée ou préparée. Nous devons trouver des solutions.

Pour finir, vous avez évoqué les ZRR : ce sujet d'aménagement du territoire est directement suivi par Jacqueline Gourault ; le rapport remis hier à la ministre constitue un important travail.

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