Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du jeudi 29 novembre 2018 à 8h30
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales :

Je reviendrai tout d'abord sur l'ingénierie départementale. Une mauvaise interprétation de la proposition de loi initiale relative à l'ANCT a pu laisser penser que l'agence allait emprunter l'ingénierie des conseils départementaux : il n'en est rien. La question m'a été posée de nombreuses fois au Sénat et je ne sais s'il s'agit d'une incompréhension ou si des personnes mal intentionnées racontent des inexactitudes sur le terrain. Je le redis donc : là où il y a une ingénierie départementale, elle sera préservée et conservée. Souvent, les départements se sont dotés de sociétés publiques locales (SPL) ou de sociétés d'économie mixte (SEM) pour proposer de l'ingénierie aux collectivités de rang inférieur et aux EPCI.

Si je veux régler la question des « irritants » de la loi NOTRe, c'est précisément pour éviter aux ingénieries départementales de disparaître. Dans certains départements, si elles disparaissaient, les projets intercommunaux n'atteindraient pas une masse critique suffisante pour que les intercommunalités puissent en financer l'ingénierie. Un amendement du Sénat a déjà permis de rehausser le seuil de population au-delà duquel il sera possible de bénéficier de l'ingénierie de l'agence : nous vérifierons à l'Assemblée nationale si le dispositif est bien rédigé. J'ai des convictions très fortes en ce domaine et suis assez fier d'avoir créé « Ingénierie 27 » dans l'Eure. Si la proposition de loi sur l'ANCT n'est pas rédigée comme il se doit, je m'engage à ce qu'on la regarde de près à l'Assemblée nationale.

Vous m'avez interrogé sur la représentation des élus municipaux dans les EPCI et sur les accords locaux. Mon expérience de terrain me fait dire que l'accord local permettait de créer les conditions du vivre-ensemble communautaire mais quand on instaure un système transitoire, il faut bien, à un moment donné, y mettre un terme. Il faut effectivement faire preuve de souplesse, madame Pires Beaune, mais pas rouvrir complètement le débat, sans quoi on ne s'en sortira pas. Dans le cadre de l'examen de la proposition de loi de Mme Gatel sur les communes nouvelles, le Gouvernement s'engagera en faveur de mesures d'assouplissement pleines de bon sens. Comme vous le savez, le premier conseil municipal d'une commune nouvelle est constitué de la somme des conseils municipaux des communes ayant formé ladite commune nouvelle. Puis, lors de l'élection municipale suivante, la composition du conseil municipal de la commune nouvelle se normalise. C'est ainsi que dans l'Eure, on va passer de 220 à 35 conseillers municipaux. La proposition de loi de Mme Gatel prévoit donc la possibilité de faire un mandat de transition en plus si bien que, dans mon exemple, le nombre de conseillers municipaux passerait d'abord de 220 à 110 puis, la fois suivante, à 35. Dans ce débat qui n'est pas politico-politicien, il faut que nous, législateur et Gouvernement, montrions aux élus que nous sommes capables de pragmatisme et d'ouverture.

Toujours s'agissant des accords locaux, il faut trouver des solutions qui ne refassent pas le grand soir de la gouvernance de l'intercommunalité, car on se rapproche de la date des élections municipales. C'est d'ailleurs parfois le rafraîchissement électoral qui permet à la gouvernance de se stabiliser. Certaines intercommunalités fonctionnent mal non pour des raisons institutionnelles ou d'intégration fiscale mais pour des questions de personnes. A contrario, certaines intercommunalités ont été bizarrement découpées mais ne s'en sortent pas trop mal car elles forment une communauté humaine de destin. Il est très compliqué de régler des problèmes locaux par la loi car chaque cas est différent. Je suis prudent car sur mon territoire, je vois bien qu'en réglant des problèmes d'un côté, on en crée de l'autre.

M. Jerretie propose de supprimer certains statuts d'EPCI. Je laisse l'Assemblée nationale faire des propositions de loi sur le sujet. (Sourires.) Le problème, c'est que nous ne sommes pas nombreux à assumer nos prises de position au congrès de l'Association des maires de France et que M. Laignel oublie qu'il a été président de conseil général, député, député européen, ministre, et qu'il est toujours maire. Les associations d'élus expriment avec force un besoin de stabilité et en même temps, vous exprimez à juste titre un besoin de modernité. Il va donc bien falloir qu'on arrête des décisions claires. Je fais attention à ce que je dis car on nous reproche déjà beaucoup de ne pas avoir ménagé les élus depuis 2010 – notamment la génération d'élus régionaux et départementaux du « cru » 2014-2015 – en rendant l'intercommunalité obligatoire, en décidant du gel puis de la diminution des dotations, en votant la loi NOTRe puis en fusionnant les régions. On aime parler de stabilité et en même temps, on veut réformer. Il faut donc faire attention et assumer collectivement cette volonté de réforme.

Le principe de subsidiarité peut s'appliquer entre collectivités territoriales à condition qu'il y ait accord entre elles. On ne peut pas, d'un côté, parler de différenciation et, de l'autre, empêcher les collectivités locales de régler les choses entre elles, surtout lorsque la volonté locale s'exprime clairement. Il ne s'agit pas de redonner la compétence générale à tout le monde mais on peut permettre certaines choses. Le principe de subsidiarité peut s'entendre de deux manières. Tel qu'énoncé dans l'encyclique du pape Léon XIII Rerum novarum exposant la doctrine sociale de l'Église et repris dans les traités européens, ce principe prévoit que c'est toujours l'échelon de proximité qui prend la compétence, sauf lorsque cet échelon ne sait pas faire, auquel cas il abandonne cette compétence au profit de l'échelon du dessus.

Dans une acception plus contemporaine de la subsidiarité, tout le monde se met d'accord pour savoir qui est le mieux placé pour prendre une compétence sans forcément constater l'incapacité de tel ou tel à faire. Voilà pour le droit. Dans les faits, on pourrait peut-être appliquer ce principe dans le cadre de la différenciation mais en tout état de cause, on ne le fera pas tant qu'on n'aura pas réglé les irritants de la loi NOTRE. Je donne toujours le même exemple : la loi en vigueur interdit à André Viola, président du conseil départemental de l'Aude, de verser une aide d'urgence, après les récentes inondations et crues, à un boulanger de Trèbes en attendant que ce dernier soit indemnisé par son assureur, car cette subvention serait considérée comme une aide économique à une entreprise. Sans aller jusqu'à rétablir une clause de compétence générale, je proposerais volontiers qu'en cas de crise grave, le département, qui est chargé d'assurer la solidarité territoriale, puisse accorder de telles aides. La loi en vigueur pourrait peut-être le permettre mais elle n'est pas suffisamment claire pour qu'on puisse le faire partout. L'excellent Bruno Delsol, ancien préfet de Corrèze, est en train de regarder cela de près.

Pour ce qui est des exonérations, il faudrait plutôt interroger Bercy.

Vous dites que la multiplication des contrats ne va pas dans le sens de la simplification. Voilà encore un dilemme car on veut aussi avoir des outils pour faire du sur-mesure et pouvoir tenir compte des spécificités locales. La multiplication des contrats, c'est aussi la multiplication des outils. Lorsque j'étais secrétaire d'État auprès du ministre chargé de l'écologie, des technocrates ont essayé de me convaincre qu'il ne fallait pas faire de contrats de transition écologique à l'échelle des intercommunalités mais seulement décliner localement les contrats de plan État-régions (CPER), ce qui n'est pas le meilleur moyen de mener des politiques de proximité. Si on multiplie les outils, c'est pour répondre à un besoin de proximité. D'ailleurs, tous les conseils régionaux et départementaux et les EPCI concluent des contrats de développement avec les collectivités de rang inférieur. Si tout le monde recourt au contrat, c'est bien que l'outil répond à une aspiration à la souplesse, au sur-mesure et à la hiérarchisation des projets locaux. À défaut de pouvoir simplifier les choses, il faut les rendre lisibles.

Monsieur Martin, ce sont évidemment les collectivités et les EPCI les plus importants – les fameuses 322 – qui seront concernés par la contractualisation à 1,2 %. J'entends certains dire qu'on demande aux collectivités locales de faire 13 milliards d'euros d'économies : soit ils n'ont pas bien compris, auquel cas nous allons réexpliquer longuement les choses jusqu'à ce qu'ils comprennent, soit ils ne veulent pas comprendre – ce qui est dommage pour qui a été ministre et a eu des responsabilités importantes. Je le redis : il ne s'agit pas de 13 milliards d'euros d'économies mais de 13 milliards d'euros de dépenses qu'on veut éviter. N'importe quel ménage français le comprend. Ce n'est pas une ponction : le Gouvernement demande aux collectivités de faire attention à leurs dépenses réelles de fonctionnement, sans quoi, comme l'aurait dit François Fillon, le mur de la dette française s'abattra sur la Nation tout entière. La contractualisation à 1,2 % est la bonne méthode, imaginée par Alain Lambert en son temps. Cet outil est le fruit de l'imagination d'élus locaux ayant réagi à la diminution autoritaire de la DGF et ayant trouvé bizarre qu'on loge à la même enseigne un village de 200 habitants et une ville de 120 000 habitants. L'idée est de demander davantage d'efforts à ceux qui sont déjà capables d'en faire, sachant que, dans ces 322 collectivités et EPCI, les dépenses publiques ont plutôt augmenté ces dernières années – pour de bonnes comme pour de mauvaises raisons. Il faut refaire de la pédagogie concernant les 1,2 % d'augmentation de dépenses de fonctionnement et ne rien lâcher sur le sujet, car je ne vois pas d'alternative. J'ai cru comprendre que désormais, tous les groupes parlementaires, à part peut-être le groupe La France insoumise, réclamaient une bonne gestion de l'argent public. Il faut donc être cohérent.

Cela étant dit, la contractualisation doit effectivement être synonyme de souplesse. Nous avons ainsi la possibilité de « retraiter » certains transferts de compétences nouvelles, notamment lorsque la situation est trop difficile pour les collectivités concernées. J'ai par exemple souhaité, avec Gérald Darmanin, que les dépenses départementales liées aux mineurs non accompagnées (MNA) soient retraitées dans le cadre de la contractualisation ou de l'arrêté. Nous avions dit que nous ferions preuve de souplesse et que nous serions capables de réévaluer les choses : c'est ce que nous faisons et cela se passe plutôt bien.

Monsieur Cesarini, le mécénat de compétences entre EPCI est l'avenir. Toute la question est de savoir comment les métropoles peuvent arriver à faire vivre leur hinterland et les territoires qui les entourent. Je l'ai dit au président Moudenc : on ne peut pas faire de métropole à Toulouse sans s'intéresser à ce qui se passe dans le Comminges. La page est tournée pour Lille, pour les mois qui viennent, mais comme l'a dit le Président de la République dans le cadre de son itinérance, si la métropole de Lille a fait beaucoup de bonnes choses, elle doit se préoccuper des Flandres, du bassin minier et de l'Avesnois. Le mécénat de compétences – dans les domaines de l'ingénierie et du transport, notamment – va dans le bon sens. La loi en vigueur offre déjà certaines possibilités mais ce n'est pas si facile que cela. Par conséquent, je suis prêt à avancer sur ce sujet avec vous et vos collègues, monsieur le président Cazeneuve. Jusqu'à présent, on imaginait la solidarité entre collectivités ou intercommunalités comme devant être assurée par la péréquation financière, mais une réflexion doit aussi menée sur la manière de mener des projets.

Pour en revenir à l'ANCT, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) apporte deux types d'offre aux territoires : une offre financière et une offre d'ingénierie. L'ANCT épouse le modèle de l'ANRU dans son offre d'ingénierie, mais elle ne sera pas dotée de crédits propres pour subventionner les collectivités. Je le dis car ceux qui nous reprochent de ne pas donner de moyens financiers à l'ANCT sont aussi ceux qui veulent une grande proximité dans l'attribution des crédits. L'ANRU est un outil absolument génial, que j'adore et dont ma commune a bénéficié, mais son principe est de mettre tout le monde autour de la table pour mener des opérations sortant de l'ordinaire, de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros – je l'ai vu encore dans le quartier de la Bourgogne à Tourcoing où j'étais vendredi dernier avec Julien Denormandie. L'ANCT servira, elle, à mener des projets de tous ordres, y compris des projets ordinaires. On a donc tout intérêt à recourir à des crédits ordinaires pour les financer sinon on perdra en souplesse. Le délégué territorial de l'ANCT sera le préfet : on ne peut pas faire plus proche du terrain. On opte à cet égard pour le même modèle que celui de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), dont les préfets sont aussi les délégués départementaux. Ce modèle fonctionne plutôt bien puisque j'ai rarement entendu des élus locaux s'en plaindre. En revanche, on entend parfois dire que l'ANRU est un peu éloignée du terrain – même si ce n'est pas vrai. Bref, il faut qu'on garde une certaine souplesse. Plus on rigidifie les choses dans la loi, moins son interprétation sera évidente pour les acteurs de terrain.

Comment la différenciation va-t-elle fonctionner pour les collectivités et les services de l'État ? En Alsace-Moselle, les services de l'État ont déjà l'habitude d'appliquer un droit local et y sont aguerris. Sur le reste du territoire, on ne pourra pas faire de la différenciation sans mener une réflexion importante sur la déconcentration. C'est pourquoi le Premier ministre fera des annonces au mois de décembre sur l'organisation des directions départementales interministérielles (DDI) et s'est engagé à la tribune de l'AMF à ne fermer aucune sous-préfecture. J'ai parlé d'outre-mer tout à l'heure : les préfectures d'outre-mer sont particulièrement armées – non pas tant en nombre d'agents qu'en termes de formation de ces agents – en la matière. L'exemple des préfectures du Bas-Rhin et du Haut-Rhin montre bien que, globalement, les préfets et leurs collaborateurs fonctionnent plutôt bien avec les élus locaux. Il faut donc s'en inspirer.

Madame Pires Beaune, vous avez raison de dire que le calcul des potentiels fiscaux et financiers fait partie de l'équation.

S'agissant des concessions hydroélectriques, les informations dont je dispose ne sont plus toutes fraîches, puisque je ne suis plus secrétaire d'État auprès du ministre chargé de la transition écologique depuis plus d'un mois. Cependant, je peux vous dire que les négociations continuent à Bruxelles et que la France tient une position ferme, car il y a pour nous des enjeux importants. Premièrement, nous sommes attachés à un modèle associant les collectivités territoriales, tel que le modèle des SEM. En Isère et en Corrèze, ce modèle est ancien, fonctionne bien et est reconnu. Deuxièmement, nous sommes attachés au maintien du principe d'unicité des vallées, pour des raisons liées à la sécurité. Avoir autant d'opérateurs que de barrages le long d'un fleuve ou d'une rivière n'est pas forcément évident pour la collectivité gestionnaire et l'est encore moins pour le préfet qui assure les fonctions régaliennes de l'État. Troisièmement, la mise en concurrence ne nous pose pas de problème – je l'ai toujours dit – à condition que tout le monde, y compris EDF, puisse se porter candidat. Parfois, la volonté d'exclure EDF de certaines mises en concurrence nous interpelle au Gouvernement. Telle est la position de la France : il faut qu'elle soit entendue à Bruxelles.

S'agissant de la DETR, monsieur Leclabart, les circulaires peuvent certes varier d'une année à l'autre, mais les préfets peuvent toujours s'appuyer sur la circulaire de l'année précédente. Si la circulaire sur les DETR arrive tard, c'est tout simplement que nous attendons que le projet de loi de finances soit voté. Ce me semble de meilleure politique que de demander à des représentants de l'État de commencer à dépenser des crédits non encore votés par le Parlement. Enfin, M. Rebeyrotte disait tout à l'heure que les notifications de DETR arrivaient un peu tard : il faut qu'on regarde les choses préfecture par préfecture car c'est une question d'organisation locale.

En conclusion, s'il faut tout décentraliser, tout déconcentrer et faire en sorte que Paris ne fasse plus rien, vos questions nous rappellent quand même que la confiance n'exclut pas le contrôle. S'il s'agit de rester girondin, il n'est pas inutile qu'un ministre, des députés et des sénateurs aillent vérifier ce qui se passe.

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