Intervention de Sandrine Gaudin

Réunion du mardi 4 décembre 2018 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne

Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes (SGAE) :

Si la première étape se conclut par l'approbation de la motion, il y a de bonnes chances pour que la deuxième étape soit franchie. Pour autant, cela n'élimine pas complètement les incertitudes.

En tout état de cause, nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre le deuxième vote dont nous ne maîtrisons pas le calendrier pour commencer à préparer des mesures répondant à tous les scénarios possibles.

Les ordonnances qui sont en cours de préparation seront signées au fur et à mesure du processus de ratification, en fonction des besoins. Toutes devront pouvoir prendre effet au plus tard le 30 mars 2019, au lendemain de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

J'aimerais revenir sur un point essentiel, qui a suscité beaucoup de débats au Sénat et qui en suscitera sans doute beaucoup aussi devant votre assemblée, c'est celui de la finalité du projet de loi d'habilitation et des ordonnances à venir. Il va de soi que conformément aux exigences constitutionnelles, le Gouvernement ne saurait vous demander de l'habiliter à prendre des mesures par ordonnances sans apporter de précisions sur les finalités qu'il poursuit. Nous avons beaucoup travaillé avec le Conseil d'État sur ce sujet. À l'heure où nous avons rédigé les dispositions de l'article 1er, de l'article 2, de l'article 3, nous avions des menus d'options mais nous ne pouvions pas avoir d'idées précises sur le contenu de ces mesures. Leur but principal est double : protéger au mieux les intérêts de la France et de ses ressortissants présents au Royaume-Uni ainsi que les intérêts économiques de notre pays ; assurer au mieux la continuité des flux de marchandises et de personnes après le 29 mars, en cas de sortie. Le contexte est très incertain. C'est la raison pour laquelle il nous paraît primordial de garder des options ouvertes sur la nature des mesures qui pourraient être prises, en respectant pleinement la Constitution, dans le cadre défini par le projet de loi. Nous ne comptons pas masquer pour le plaisir nos intentions ; nous voulons conserver des marges de manoeuvre raisonnables pour être en mesure, le moment venu, de protéger nos intérêts dans l'hypothèse où la situation n'évoluerait pas comme nous le souhaitons.

Les mesures que le Gouvernement serait appelé à prendre n'ont pas vocation à se substituer aux mesures de contingence prises par l'Union européenne dont Mme Gauer a dû vous parler hier. Elles ne peuvent pas empiéter sur les domaines de compétences communautaires. Les principes sur lesquels la Commission s'est fondée pour définir ses propres mesures nous paraissent sains. Ils sont assez comparables à ceux que nous avons retenus.

Les mesures d'urgence que nous pourrions prendre ne doivent pas reproduire les avantages apportés par l'appartenance à l'Union. Elles ne sauraient reprendre les mesures prévues par l'accord de retrait. La négociation n'étant pas encore achevée lorsque nous avons rédigé ce projet de loi, nous ne voulions pas donner la possibilité à nos partenaires britanniques d'opter pour une sortie sans accord dont le régime aurait été plus favorable que celui de l'accord. Ces mesures d'urgence seraient par nature temporaires et ne devraient pas être appliquées au-delà de l'année 2019. Il va de soi que le régime devra être ensuite revu et adapté. En outre, elles doivent respecter la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres ; elles doivent être compatibles avec le droit communautaire ; elles doivent se limiter à assurer des éléments de continuité strictement nécessaires aux personnes et aux entreprises, de façon temporaire, afin de franchir le cap du 30 mars 2019.

Le projet de loi d'habilitation est simple.

Son article 1er concerne les ordonnances portant sur les mesures relatives aux ressortissants britanniques en France : droit d'entrée, droit de séjour, emploi, droits sociaux. Nous pourrions renoncer à les appliquer si les conditions de réciprocité n'étaient pas respectées par le Royaume-Uni. En ce domaine, les Britanniques n'ont donné que quelques signaux qui mériteraient d'être confirmés par des mesures solides. Les mesures applicables aux ressortissants britanniques en France constituent pour nous un levier d'action important pour ce qui est du sort réservé à nos propres ressortissants au Royaume-Uni.

L'article 2 vise à préserver les intérêts nationaux ainsi que la situation des ressortissants français et d'autres pays de l'Union européenne qui rentreraient en France après avoir étudié ou travaillé au Royaume-Uni. Nous voulons garantir la plus grande sécurité juridique possible afin de remédier au fait qu'en l'absence d'accord, les qualifications professionnelles et les droits sociaux acquis ne seraient ni reconnus ni opposables en France.

Les mesures visées par l'article 1er et l'article 2 seraient prises en cas de sortie sans accord, celles de l'article 3 ont une portée plus large : qu'il y ait accord de retrait ou non, elles portent sur la préparation matérielle nécessaire pour assurer les contrôles aux frontières et la fluidité des flux de marchandises aux frontières. Au 30 mars 2019 ou bien au 1er janvier 2021, le Royaume-Uni sera considéré comme un pays tiers auquel s'appliquera un régime défini par un accord.

Ces mesures de préparation sont de plusieurs ordres. Elles sont d'abord d'ordre juridique, avec ce projet de loi d'habilitation et les projets d'ordonnances en cours d'élaboration dans les administrations concernées. Elles sont également d'ordre organisationnel : les services de l'État ont déjà pris et continueront à prendre des mesures pour augmenter leurs effectifs, comme M. Darmanin et M. Guillaume ont dû vous l'expliquer. Ces augmentations seront soit temporaires soit durables. L'incertitude concernant les scénarios rend très difficile de faire prévisions. Il y a aussi les mesures concernant les entreprises. Nous avons engagé un travail important de sensibilisation des fédérations professionnelles et essayons de le renforcer de façon que les entreprises se préparent à agir dans un monde nouveau, qu'elles aient plusieurs mois devant elles en cas d'adoption de l'accord ou qu'elles ne disposent pas de période de transition en cas de retrait sans accord. Dans cette dernière hypothèse, le régime qui s'imposerait serait celui de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et elles devraient s'adapter à des procédures, des formalités, des dispositions fiscales, des taxations et des normes comptables nouvelles. Le ministère de l'économie et des finances mène depuis plusieurs mois ce travail de sensibilisation. Le 30 novembre dernier, il a ouvert un site d'information qui vise à renseigner et les particuliers et les entreprises en distinguant les réponses selon les hypothèses d'accord ou de non-accord. Ce site sera complété progressivement, notamment par les mesures qui seront prises par ordonnances.

Vous avez exprimé une curiosité bien légitime : pourquoi le Gouvernement a-t-il recours à une loi d'habilitation ? La réponse est simple : il ne serait pas responsable de sa part de ne pas se préparer à cet événement qui provoquera un certain choc, surtout s'il n'y a pas d'accord de retrait. Le Premier ministre, dès le printemps dernier, a convoqué plusieurs réunions interministérielles pour sensibiliser chacun des ministres du Gouvernement aux conséquences à tirer de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, en cas d'accord ou de non-accord. Chaque ministre a la responsabilité d'un plan de mise en oeuvre de mesures d'adaptation et de mesures de contingence. Sur cette base, nous avons pu établir un recueil d'environ deux cents mesures, juridiques, législatives, réglementaires, dont nous nous sommes servis pour préparer ce projet de loi et les ordonnances.

C'est aussi à la demande de la Commission européenne que nous avons engagé ces travaux et tous nos partenaires européens suivent une démarche analogue. Nous disposons d'informations assez précises sur les pays qui sont les plus affectés d'un point de vue économique : l'Irlande, la Belgique, l'Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas. Ils sensibilisent fortement leurs administrations, mettent même en place des groupes de travail interministériels comme en Allemagne ou en Belgique, procèdent à des recrutements de douaniers et d'inspecteurs vétérinaires, parfois dans de fortes proportions comme aux Pays-Bas qui visent 928 effectifs supplémentaires, ce qui se rapproche de nos objectifs. Le Gouvernement allemand va soumettre au Bundestag cinq ou six projets de loi qui couvrent les mêmes thématiques que celles qui sont abordées dans le projet de loi d'habilitation : régime de sécurité sociale, fiscalité, statut des fonctionnaires de nationalité britannique, droit des sociétés. La Belgique prépare divers textes juridiques qui prennent en compte la complexité de son organisation territoriale – État fédéral, communautés, régions, municipalités. Aux Pays-Bas, le Parlement a travaillé à huis clos sur des mesures de contingence présentées par le Gouvernement qui, d'après nos informations, recouvrent les mêmes domaines que ceux que nous avons abordés : statuts des ressortissants, transports, services financiers, contrôles frontaliers, santé, environnement. Un projet de loi est en cours de préparation.

Le Danemark se prépare aussi. La Constitution danoise prévoit une possibilité analogue à nos ordonnances prises après habilitation, qui permet aux Danois d'adopter en huit jours un certain nombre de mesures de contingence – peut-être disposent-ils ainsi d'une plus grande flexibilité.

L'Irlande a commencé la première à se préparer, dès l'annonce de la confirmation de la demande de retrait, en envisageant très tôt le pire, le no deal, pour éviter toute mauvaise surprise. Un très grand nombre de fonctionnaires – environ 1 000 – ont été recrutés pour renforcer contrôles douaniers et contrôles sanitaires et phytosanitaires (SPS) dans les ports et les aéroports. Une grande campagne de communication a été menée, et un site internet a été ouvert très tôt pour permettre une information large des entreprises. Un certain nombre de dispositifs juridiques ont été prévus pour soutenir, le cas échéant, des petites et moyennes entreprises (PME) irlandaises qui dépendraient uniquement de relations commerciales avec le Royaume-Uni. Je pourrai vous communiquer plus de détails sur le degré de préparation de nos voisins au Brexit.

Ces mesures nationales font l'objet d'échanges avec la Commission européenne, qui organise depuis quelques semaines des séminaires thématiques. Nous pouvons y poser certaines questions liées aux dispositions qu'elle pourrait prendre en cas d'urgence. Ces séminaires permettent également des échanges d'expérience entre États membres. Par ailleurs, nous avons, entre « coordonnateurs Brexit », entre responsables de la négociation du Brexit en Allemagne, en Belgique, en Irlande, au Danemark, des réunions très régulières pour nous assurer que nous avons bien identifié les domaines dans lesquels nous devrons prendre des mesures au niveau national en cas de no deal. Aujourd'hui, cela peut vous paraître simple, naturel et assez clair, mais, il y a encore huit mois, en faire la liste n'était pas forcément chose aisée. Par définition, nous n'avions plus vraiment l'habitude d'édicter des législations ou des réglementations concernant le séjour ou le travail. Même si cela relevait encore en partie du droit national, nous nous étions habitués à un autre monde, celui de l'Union européenne, avec son ordre juridique, qui simplifie quand même beaucoup les choses.

Mon exposé est trop long. Je suis disponible pour répondre à vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.