La séance est ouverte à 17 heures.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
La commission spéciale procède à l'audition de Mme Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes (SGAE).
Chers collègues, nous avons l'honneur et le plaisir d'accueillir Mme Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes. Le Gouvernement nous a demandé de nous réunir rapidement pour examiner le projet de loi d'habilitation et nous vous remercions de vous être rendue à notre invitation dans un aussi bref délai. Il vous revient de donner l'éclairage final, et évidemment décisif pour beaucoup de nos collègues, sur ce projet de loi dont nous examinerons les amendements demain.
Nous avons déjà reçu la ministre des affaires européennes, Mme Loiseau, qui a évoqué l'ensemble du projet de loi, le ministre de l'action et des comptes publics, M. Darmanin, qui a mis l'accent sur la question des douanes et de la circulation des marchandises, la secrétaire générale adjointe de la Commission, Mme Céline Gauer, qui nous a apporté des précisions sur l'articulation des mesures prises au niveau communautaire et des mesures prises au niveau national ainsi que le ministre de l'agriculture, M. Didier Guillaume, qui nous a fait part de sa volonté résolue de s'adapter.
Nous serions heureux que vous présentiez un point général. Nous comprenons très bien la nécessité de principe qui pousse le Gouvernement à recourir à l'article 38. Il lui permettra de prendre des mesures dans l'hypothèse d'une absence d'accord et de faire face aux nombreux problèmes que susciterait un retrait brutal du Royaume-Uni à la fin du mois de mars. Toutefois, nous aimerions également savoir quelles mesures le Gouvernement prendrait si l'accord de retrait était accepté d'ici à la fin du mois de janvier, hypothèse que l'on ne peut exclure totalement.
Nous sommes curieux de savoir pourquoi le Gouvernement a choisi le biais des ordonnances, quelque peu dérogatoire. Nos divers interlocuteurs ont évoqué la manière dont ils avaient analysé les conséquences pour la France d'une absence d'accord et du Brexit en général mais ils ne nous ont pas donné beaucoup de précisions au sujet des ordonnances. Nous n'avons pas encore d'idée de leur nombre et de leur nature. J'imagine que le Gouvernement est déjà au travail. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le rapporteur, Alexandre Holroyd, vous posera ensuite des questions plus précises, ce qui lui permettra d'éclairer la commission spéciale et le Parlement par un rapport qui restera dans toutes les mémoires.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de cette invitation. Je vais essayer de ne pas redire certaines choses que vous avez déjà apprises au cours des travaux intenses que votre commission a menés ces derniers jours.
J'aimerais insister sur l'état de préparation non seulement du Gouvernement mais plus généralement de la France à cet événement exceptionnel. Nous sommes confrontés à une situation inédite et nous traverserons une période d'incertitude qui durera jusqu'à la fin du mois de mars 2019. C'est cela qui justifie le recours à un projet d'habilitation.
À événement exceptionnel, négociations exceptionnelles et montage exceptionnel sur la base de l'article 50 du Traité de Lisbonne qui nous ont permis, le 25 novembre dernier, de signer un projet d'accord de retrait et un projet de déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
L'incertitude principale à laquelle nous sommes confrontés porte sur la procédure de ratification choisie par le Royaume-Uni. L'accord de retrait est supposé être ratifié à la fois par le Parlement européen et par le Parlement britannique. Le processus s'étalera sur plusieurs mois et comprendra plusieurs votes du Parlement britannique : le premier, qui interviendra le 11 décembre prochain, s'apparente à un accord politique. Si le Parlement britannique soutient l'accord agréé entre les négociateurs le 25 novembre, une loi sera ensuite nécessaire pour permettre la ratification de l'accord. Ce texte pourra être déposé par le gouvernement britannique à la fin de l'année 2018 voire au début de l'année 2019 ; il suivra la procédure législative classique et portera sur le contenu de l'accord de retrait. En cas de vote négatif le 11 décembre, ou si des amendements empêchent le gouvernement de constater l'adéquation avec l'accord agréé le 25 novembre, le gouvernement britannique aura 21 jours pour expliquer ses intentions et déposer une motion gouvernementale.
Ces contraintes nous obligent à nous préparer à tous les scénarios possibles.
Le scénario principal, sur lequel nous bâtissons nos meilleurs espoirs, est celui d'une ratification définitive de l'accord par le Parlement britannique au mois de mars. Nous serons alors dans une configuration assez simple avec une période de transition qui nous donne 21 mois supplémentaires pour nous préparer à l'application d'un statut d'État tiers au Royaume-Uni et pour négocier le cadre des relations futures, autrement dit plusieurs accords internationaux avec ce pays. L'accord assurera une protection des ressortissants britanniques vivant en France et des ressortissants français vivant au Royaume-Uni. Par ailleurs, il posera de manière très claire les modalités du règlement financier avec l'Union européenne et l'ensemble des partenaires du Royaume-Uni. Il fixera également un compromis pour l'Irlande du Nord, notamment grâce au backstop, filet de sécurité qui permet d'éviter le rétablissement d'une frontière physique entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord tout en garantissant l'intégrité de notre marché intérieur et de notre union douanière.
La ratification a été préparée par une association très étroite du Parlement européen à la négociation. Une première résolution sera adoptée lors de sa prochaine session de décembre et une ratification plus formelle pourrait intervenir en février ou mars 2019.
Permettez-moi de vous interrompre : pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur l'articulation des votes du Parlement britannique ? Le premier conditionne l'existence des autres mais quel rôle joue le deuxième vote ?
Je ne suis pas une spécialiste de la procédure parlementaire britannique et ne peux vous en dire beaucoup plus que ce que je vous ai déjà indiqué. Le premier vote, ou meaningful vote, porte sur une motion proposée par le Gouvernement britannique qui demande la validation du projet d'accord de retrait et du projet de déclaration sur les relations futures. Il s'agit d'un vote politique. Le Parlement débattra pendant cinq jours et votera le 11 décembre prochain.
D'après ce que j'ai compris, une fois que cette motion aura été adoptée, le Gouvernement britannique pourra soumettre formellement l'accord de retrait au Parlement pour un deuxième vote de ratification, de nature juridique, qui pourra s'accompagner d'un débat et éventuellement d'amendements.
J'arrive ici au bout de mes connaissances sur le système britannique mais je pourrai vous transmettre par écrit davantage de précisions.
J'aimerais savoir si le deuxième vote pourrait revenir à nier le résultat du premier, autrement dit est-il de nature à réintroduire de l'incertitude ?
Si la première étape se conclut par l'approbation de la motion, il y a de bonnes chances pour que la deuxième étape soit franchie. Pour autant, cela n'élimine pas complètement les incertitudes.
En tout état de cause, nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre le deuxième vote dont nous ne maîtrisons pas le calendrier pour commencer à préparer des mesures répondant à tous les scénarios possibles.
Les ordonnances qui sont en cours de préparation seront signées au fur et à mesure du processus de ratification, en fonction des besoins. Toutes devront pouvoir prendre effet au plus tard le 30 mars 2019, au lendemain de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.
J'aimerais revenir sur un point essentiel, qui a suscité beaucoup de débats au Sénat et qui en suscitera sans doute beaucoup aussi devant votre assemblée, c'est celui de la finalité du projet de loi d'habilitation et des ordonnances à venir. Il va de soi que conformément aux exigences constitutionnelles, le Gouvernement ne saurait vous demander de l'habiliter à prendre des mesures par ordonnances sans apporter de précisions sur les finalités qu'il poursuit. Nous avons beaucoup travaillé avec le Conseil d'État sur ce sujet. À l'heure où nous avons rédigé les dispositions de l'article 1er, de l'article 2, de l'article 3, nous avions des menus d'options mais nous ne pouvions pas avoir d'idées précises sur le contenu de ces mesures. Leur but principal est double : protéger au mieux les intérêts de la France et de ses ressortissants présents au Royaume-Uni ainsi que les intérêts économiques de notre pays ; assurer au mieux la continuité des flux de marchandises et de personnes après le 29 mars, en cas de sortie. Le contexte est très incertain. C'est la raison pour laquelle il nous paraît primordial de garder des options ouvertes sur la nature des mesures qui pourraient être prises, en respectant pleinement la Constitution, dans le cadre défini par le projet de loi. Nous ne comptons pas masquer pour le plaisir nos intentions ; nous voulons conserver des marges de manoeuvre raisonnables pour être en mesure, le moment venu, de protéger nos intérêts dans l'hypothèse où la situation n'évoluerait pas comme nous le souhaitons.
Les mesures que le Gouvernement serait appelé à prendre n'ont pas vocation à se substituer aux mesures de contingence prises par l'Union européenne dont Mme Gauer a dû vous parler hier. Elles ne peuvent pas empiéter sur les domaines de compétences communautaires. Les principes sur lesquels la Commission s'est fondée pour définir ses propres mesures nous paraissent sains. Ils sont assez comparables à ceux que nous avons retenus.
Les mesures d'urgence que nous pourrions prendre ne doivent pas reproduire les avantages apportés par l'appartenance à l'Union. Elles ne sauraient reprendre les mesures prévues par l'accord de retrait. La négociation n'étant pas encore achevée lorsque nous avons rédigé ce projet de loi, nous ne voulions pas donner la possibilité à nos partenaires britanniques d'opter pour une sortie sans accord dont le régime aurait été plus favorable que celui de l'accord. Ces mesures d'urgence seraient par nature temporaires et ne devraient pas être appliquées au-delà de l'année 2019. Il va de soi que le régime devra être ensuite revu et adapté. En outre, elles doivent respecter la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres ; elles doivent être compatibles avec le droit communautaire ; elles doivent se limiter à assurer des éléments de continuité strictement nécessaires aux personnes et aux entreprises, de façon temporaire, afin de franchir le cap du 30 mars 2019.
Le projet de loi d'habilitation est simple.
Son article 1er concerne les ordonnances portant sur les mesures relatives aux ressortissants britanniques en France : droit d'entrée, droit de séjour, emploi, droits sociaux. Nous pourrions renoncer à les appliquer si les conditions de réciprocité n'étaient pas respectées par le Royaume-Uni. En ce domaine, les Britanniques n'ont donné que quelques signaux qui mériteraient d'être confirmés par des mesures solides. Les mesures applicables aux ressortissants britanniques en France constituent pour nous un levier d'action important pour ce qui est du sort réservé à nos propres ressortissants au Royaume-Uni.
L'article 2 vise à préserver les intérêts nationaux ainsi que la situation des ressortissants français et d'autres pays de l'Union européenne qui rentreraient en France après avoir étudié ou travaillé au Royaume-Uni. Nous voulons garantir la plus grande sécurité juridique possible afin de remédier au fait qu'en l'absence d'accord, les qualifications professionnelles et les droits sociaux acquis ne seraient ni reconnus ni opposables en France.
Les mesures visées par l'article 1er et l'article 2 seraient prises en cas de sortie sans accord, celles de l'article 3 ont une portée plus large : qu'il y ait accord de retrait ou non, elles portent sur la préparation matérielle nécessaire pour assurer les contrôles aux frontières et la fluidité des flux de marchandises aux frontières. Au 30 mars 2019 ou bien au 1er janvier 2021, le Royaume-Uni sera considéré comme un pays tiers auquel s'appliquera un régime défini par un accord.
Ces mesures de préparation sont de plusieurs ordres. Elles sont d'abord d'ordre juridique, avec ce projet de loi d'habilitation et les projets d'ordonnances en cours d'élaboration dans les administrations concernées. Elles sont également d'ordre organisationnel : les services de l'État ont déjà pris et continueront à prendre des mesures pour augmenter leurs effectifs, comme M. Darmanin et M. Guillaume ont dû vous l'expliquer. Ces augmentations seront soit temporaires soit durables. L'incertitude concernant les scénarios rend très difficile de faire prévisions. Il y a aussi les mesures concernant les entreprises. Nous avons engagé un travail important de sensibilisation des fédérations professionnelles et essayons de le renforcer de façon que les entreprises se préparent à agir dans un monde nouveau, qu'elles aient plusieurs mois devant elles en cas d'adoption de l'accord ou qu'elles ne disposent pas de période de transition en cas de retrait sans accord. Dans cette dernière hypothèse, le régime qui s'imposerait serait celui de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et elles devraient s'adapter à des procédures, des formalités, des dispositions fiscales, des taxations et des normes comptables nouvelles. Le ministère de l'économie et des finances mène depuis plusieurs mois ce travail de sensibilisation. Le 30 novembre dernier, il a ouvert un site d'information qui vise à renseigner et les particuliers et les entreprises en distinguant les réponses selon les hypothèses d'accord ou de non-accord. Ce site sera complété progressivement, notamment par les mesures qui seront prises par ordonnances.
Vous avez exprimé une curiosité bien légitime : pourquoi le Gouvernement a-t-il recours à une loi d'habilitation ? La réponse est simple : il ne serait pas responsable de sa part de ne pas se préparer à cet événement qui provoquera un certain choc, surtout s'il n'y a pas d'accord de retrait. Le Premier ministre, dès le printemps dernier, a convoqué plusieurs réunions interministérielles pour sensibiliser chacun des ministres du Gouvernement aux conséquences à tirer de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, en cas d'accord ou de non-accord. Chaque ministre a la responsabilité d'un plan de mise en oeuvre de mesures d'adaptation et de mesures de contingence. Sur cette base, nous avons pu établir un recueil d'environ deux cents mesures, juridiques, législatives, réglementaires, dont nous nous sommes servis pour préparer ce projet de loi et les ordonnances.
C'est aussi à la demande de la Commission européenne que nous avons engagé ces travaux et tous nos partenaires européens suivent une démarche analogue. Nous disposons d'informations assez précises sur les pays qui sont les plus affectés d'un point de vue économique : l'Irlande, la Belgique, l'Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas. Ils sensibilisent fortement leurs administrations, mettent même en place des groupes de travail interministériels comme en Allemagne ou en Belgique, procèdent à des recrutements de douaniers et d'inspecteurs vétérinaires, parfois dans de fortes proportions comme aux Pays-Bas qui visent 928 effectifs supplémentaires, ce qui se rapproche de nos objectifs. Le Gouvernement allemand va soumettre au Bundestag cinq ou six projets de loi qui couvrent les mêmes thématiques que celles qui sont abordées dans le projet de loi d'habilitation : régime de sécurité sociale, fiscalité, statut des fonctionnaires de nationalité britannique, droit des sociétés. La Belgique prépare divers textes juridiques qui prennent en compte la complexité de son organisation territoriale – État fédéral, communautés, régions, municipalités. Aux Pays-Bas, le Parlement a travaillé à huis clos sur des mesures de contingence présentées par le Gouvernement qui, d'après nos informations, recouvrent les mêmes domaines que ceux que nous avons abordés : statuts des ressortissants, transports, services financiers, contrôles frontaliers, santé, environnement. Un projet de loi est en cours de préparation.
Le Danemark se prépare aussi. La Constitution danoise prévoit une possibilité analogue à nos ordonnances prises après habilitation, qui permet aux Danois d'adopter en huit jours un certain nombre de mesures de contingence – peut-être disposent-ils ainsi d'une plus grande flexibilité.
L'Irlande a commencé la première à se préparer, dès l'annonce de la confirmation de la demande de retrait, en envisageant très tôt le pire, le no deal, pour éviter toute mauvaise surprise. Un très grand nombre de fonctionnaires – environ 1 000 – ont été recrutés pour renforcer contrôles douaniers et contrôles sanitaires et phytosanitaires (SPS) dans les ports et les aéroports. Une grande campagne de communication a été menée, et un site internet a été ouvert très tôt pour permettre une information large des entreprises. Un certain nombre de dispositifs juridiques ont été prévus pour soutenir, le cas échéant, des petites et moyennes entreprises (PME) irlandaises qui dépendraient uniquement de relations commerciales avec le Royaume-Uni. Je pourrai vous communiquer plus de détails sur le degré de préparation de nos voisins au Brexit.
Ces mesures nationales font l'objet d'échanges avec la Commission européenne, qui organise depuis quelques semaines des séminaires thématiques. Nous pouvons y poser certaines questions liées aux dispositions qu'elle pourrait prendre en cas d'urgence. Ces séminaires permettent également des échanges d'expérience entre États membres. Par ailleurs, nous avons, entre « coordonnateurs Brexit », entre responsables de la négociation du Brexit en Allemagne, en Belgique, en Irlande, au Danemark, des réunions très régulières pour nous assurer que nous avons bien identifié les domaines dans lesquels nous devrons prendre des mesures au niveau national en cas de no deal. Aujourd'hui, cela peut vous paraître simple, naturel et assez clair, mais, il y a encore huit mois, en faire la liste n'était pas forcément chose aisée. Par définition, nous n'avions plus vraiment l'habitude d'édicter des législations ou des réglementations concernant le séjour ou le travail. Même si cela relevait encore en partie du droit national, nous nous étions habitués à un autre monde, celui de l'Union européenne, avec son ordre juridique, qui simplifie quand même beaucoup les choses.
Mon exposé est trop long. Je suis disponible pour répondre à vos questions.
Votre propos n'était pas trop long. Nous sommes toujours très heureux de vous accueillir, madame la secrétaire générale, dans le cadre de cette commission spéciale comme en commission des affaires européennes, car vous vous prêtez toujours volontiers à nos questions, et vos exposés sont toujours très éclairants.
Merci beaucoup, madame la secrétaire générale, pour cet exposé extrêmement riche et ces informations nouvelles, notamment sur ce que font nos voisins européens.
Vous êtes un peu la clé de voûte, la tour de contrôle de cette discussion qui occupe tous les ministères. C'est une sorte de pieuvre.
Le président Bourlanges vous a demandé où en était plus ou moins la rédaction des ordonnances et le délai dans lequel le Gouvernement comptait les prendre. Vous avez évoqué un délai de trois mois, mais pourquoi l'habilitation serait-elle, aux termes du projet de loi déposé, donnée pour une durée bien plus longue ?
Au fil des auditions, je constate que deux types de décisions doivent être prises. Tout d'abord, il faut décider d'une philosophie, de ce que l'on veut faire. Ensuite, il faut décider des modalités de mise en oeuvre des différentes mesures pour arriver aux fins visées. Cependant, la mise en oeuvre peut elle-même être l'occasion de changer la philosophie.
En cas de Brexit sans accord, c'est un défi considérable que l'administration doit relever. Si les moyens ne sont pas à la hauteur, ce sera comme si nous n'avions pas pris les décisions de principe ou comme si nous ne respections pas leur sens. Sommes-nous donc prêts à traiter les nombreux dossiers des citoyens français établis au Royaume-Uni et des ressortissants britanniques établis en France ? Sommes-nous prêts à effectuer, dans les ports, tous les contrôles sanitaires et phytosanitaires ?
Quant à la réciprocité, les associations regroupant des citoyens des deux côtés de la Manche, les élus, les conseillers consulaires ne semblent pas forcément retenir la même approche que le Gouvernement. Si, à l'avenir, le Royaume-Uni prend des mesures qui dégradent, dans une certaine mesure, le sort de nos concitoyens établis outre-Manche, notre gouvernement réagira-t-il en dégradant immédiatement la situation des ressortissants britanniques établis sur notre sol ? Pareil jeu de ping-pong conduirait à un affaiblissement des droits des citoyens des deux côtés de la Manche. J'imagine mal cette logique s'instaurer dans les relations bilatérales que nous entretenons avec des pays tiers. C'est simplement à l'aune de notre intérêt immédiat que le sort des ressortissants devrait être envisagé, ce qui peut justifier, dans certains cas, des règles de visa qui ne soient pas parfaitement symétriques. Et si le Royaume-Uni met en place une procédure très dérogatoire pour que les citoyens de l'Union européenne établis au Royaume-Uni puissent y résider de manière permanente, le principe de réciprocité ne nous contraindrait-il pas à instaurer une telle procédure en faveur des ressortissants britanniques établis en France ? Et, en l'absence de procédure particulière, c'est une charge considérable que certaines préfectures, pas forcément celles disposant des moyens les plus adaptés, devraient gérer. Cette procédure ne devrait-elle pas être centralisée au niveau national ? Pour l'instant, j'ai l'impression que ce n'est pas ce qu'envisage le Gouvernement.
Si ce projet de loi s'efforce de respecter toute la philosophie de l'accord de retrait et des décisions prises par la Commission, je remarque néanmoins que les institutions européennes ont unilatéralement décidé de privilégier le droit des fonctionnaires britanniques des institutions de l'Union européenne. Chacun des groupes de notre assemblée a émis de fortes réserves à cet égard, mais les conversations que j'ai pu avoir avec nos partenaires danois, suédois, allemands me laissent penser qu'ils semblent vouloir emprunter le chemin ouvert par la Commission. Pourquoi, selon vous, prendrions-nous un chemin différent ?
Hier, notre commission spéciale a auditionné le ministre de l'agriculture, notamment sur la préparation en matière de contrôles phytosanitaires et sanitaires. Avez-vous une idée de l'ampleur des contrôles auxquels il serait procédé en cas de no deal ? Visons-nous un nombre de camions contrôlés à la sortie du tunnel de la Manche à compter du 1er avril prochain ? S'il faut plusieurs vétérinaires et sept douaniers pour faire un point de contrôle tout au long du jour, combien de points de contrôles supplémentaires aurons-nous ? Et, à flux inchangé, quelle serait l'incidence des contrôles ?
L'absence de réflexion plus approfondie sur l'incidence budgétaire potentielle des différentes modalités de sortie du Royaume-Uni me surprend. Certes, le ministère des comptes publics évalue le coût des équivalents temps plein (ETP) et des douaniers supplémentaires, mais pourquoi le projet de budget qui nous a été soumis ne comporte-t-il aucun élément sur d'éventuelles baisses de recettes et sur le coût d'éventuelles mesures de soutien ? Les Irlandais, pour leur part, y ont réfléchi en envisageant plusieurs scénarios – hard Brexit, soft Brexit, moyen Brexit –, de même, évidemment, que les Britanniques. L'incidence budgétaire du Brexit fait-elle donc l'objet d'une réflexion plus approfondie ?
Par ailleurs, en cas de no deal, l'accord sur la contribution au budget de l'Union européenne tomberait à l'eau. Se poserait alors mécaniquement la question de notre propre prélèvement sur recettes, déjà voté par notre assemblée, qui se révélerait finalement insuffisant par rapport aux charges budgétaires des institutions européennes.
Je ne pense pas que M. le rapporteur propose d'habiliter le Gouvernement à créer un nouvel impôt par voie d'ordonnance ! Ce ne serait guère dans l'air du temps. (Sourires.)
Merci, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour ces questions.
Toutes les ordonnances sont en cours de préparation, mais nous attendons évidemment l'adoption du projet de loi d'habilitation. Certes, vous êtes impatients d'en connaître la teneur, mais nous ne pouvons pas aller plus vite que la musique. L'orchestre n'en est pas moins en place, et je tiens d'ailleurs jeudi prochain une réunion avec des représentants de toutes les administrations pour relever les copies.
Le nombre exact d'ordonnances n'est pas encore arrêté, mais il y en aura plusieurs. L'ordre dans lequel je les évoque n'est pas un ordre d'importance. L'une portera forcément sur les droits des citoyens. Elle sera relativement précise sur les questions du séjour, de l'emploi et des droits sociaux. Une ordonnance portera certainement sur les questions économiques et financières. Une autre portera sur les contrôles aux frontières et les transports. Une autre traitera des mesures relevant de l'article 3, c'est-à-dire toutes les autorisations pour permettre la création des installations à réaliser d'urgence, qui, de toute façon, avec ou sans accord, devront être mises en place, car, mécaniquement, une fois le Royaume-Uni sorti de l'Union européenne, il y aura plus de contrôles effectués aux frontières. Nous ne pouvons pas encore déterminer l'intensité de ces contrôles ni leur nature, ne sachant pas si nous nous inscrirons dans le cadre d'un accord de libre-échange, d'une union douanière ou de l'union douanière telle qu'elle est définie au titre du backstop, mais il faut pouvoir commencer à créer des installations ou prévoir des équipements, ne serait-ce que des « lignes » spécifiques pour les marchandises qui arrivent dans les ports ou aéroports où cela n'existe pas.
Le Premier ministre et plusieurs membres du Gouvernement ont ainsi récemment visité les installations du port de Dunkerque, qui, aujourd'hui, ne travaille qu'avec le Royaume-Uni. Les contrôles y sont donc très réduits, ne portant que sur les marchandises de pays tiers arrivant du Royaume-Uni, qui, normalement, ont déjà été contrôlées ; ce sont des contrôles très aléatoires, dans le cadre de la lutte contre la fraude et à la suite des renseignements que s'échangent douaniers britanniques et douaniers français. S'il existe des installations qui permettent des contrôles de camion, des contrôles SPS, elles sont donc bien réduites. À Dunkerque, où il y a toute la place nécessaire, il faudra les multiplier par deux, trois ou quatre ; il faut commencer ces travaux.
Dans certains ports ou aéroports, des « lignes » permettent déjà des files d'attente pour des personnes ou marchandises venant de pays tiers. Il faudra parfois les élargir, les allonger, les multiplier. Les infrastructures existent, il faut les étendre ; c'est une question d'investissements, que les collectivités et les gestionnaires doivent programmer, cela a forcément un coût. C'est aussi une question pratique, matérielle – il y a beaucoup de place à Dunkerque, mais ce n'est pas forcément le cas partout.
Nous avons donc déjà un premier paquet de quatre grands « blocs ». Y aura-t-il quatre ordonnances ou plutôt dix ? Il y aura déjà celles qui traitent de ces blocs, absolument prioritaires. Nous prévoyons de saisir le Conseil d'État au début du mois de janvier prochain – il en est déjà prévenu. Une fois que vous aurez, si vous le souhaitez, mesdames et messieurs les députés, adopté ce projet de loi d'habilitation nous peaufinerons pendant les vacances de Noël ces projets d'ordonnances. Nous espérons disposer, à la fin du mois de janvier, à la suite du travail du Conseil d'État, de ce paquet d'ordonnances, prêt à être mis en oeuvre. Peut-être connaîtrons-nous mieux, alors, l'état d'avancement du processus de ratification, ce qui nous permettrait de décider de commencer par telle ou telle ordonnances. À mon avis, celle sur les installations sera la première, mais peut-être faudra-t-il envoyer aussi des signaux sur d'autres sujets, pour commencer à informer citoyens et opérateurs.
Je vous livre là tout ce que je sais et peux vous dire par rapport à ces délais de préparation, de publication et de mise en oeuvre.
Aurons-nous tout prévu ? Aurons-nous pensé à tout ? Je ne sais pas. Peut-être faudra-t-il une nouvelle ordonnances sur un sujet que nous n'avions pas identifié. Peut-être tout n'aura-t-il pas non plus été envisagé dans le cadre de ce projet de loi d'habilitation, auquel cas le Parlement devra de nouveau être sollicité. Face à cette situation tellement exceptionnelle, a fortiori en cas de no deal, nous sommes dans une logique de crise.
Quant à la philosophie, monsieur le rapporteur, ce n'est pas mon fort. Et, en ce qui concerne la mise en oeuvre, le nombre de dossiers de citoyens, le nombre de contrôles et les modalités de ceux-ci, nous sommes dans l'inconnu. Ainsi, pour connaître le nombre de dossiers de citoyens britanniques que nous aurons à traiter, il faudrait déjà que nous sachions avec quelque certitude combien de ressortissants britanniques vivent en France. Or nous ne le savons pas à quelques dizaines près. Les citoyens britanniques ne sont pas soumis à une obligation de se déclarer ou de s'enregistrer. Il en est qui vivent en France depuis fort longtemps, qui disposent d'une carte de sécurité sociale, d'un titre de séjour en bonne et due forme et qui n'ont pas forcément effectué en préfecture les mêmes formalités pour les enfants. Symétriquement, le Royaume-Uni ne sait pas exactement combien de nos concitoyens vivent sur son sol.
Nous avons quelques éléments, un peu approximatifs, sur l'impact que tout cela aura sur nos guichets de préfecture. Ce sont majoritairement dix-sept préfectures qui sont concernées, dont sept sont particulièrement exposées. Nous envisageons une approche décentralisée : plutôt que d'obliger les ressortissants britanniques à venir à Paris, nous préférons une relation de proximité – du moins est-ce, pour l'heure, notre conception. Nous donnerons évidemment un certain délai aux ressortissants britanniques pour effectuer leurs démarches, ils ne seront pas obligés le matin du 30 mars de se présenter à la préfecture, dans la file « étrangers ». Une période transitoire s'ouvrira, au cours de laquelle ils seront supposés vivre et séjourner sur le territoire français dans des conditions régulières, alors qu'en théorie, en l'absence d'accord, ils seraient, dès le 30 mars prochain, en situation irrégulière.
Environ 150 000 ou 200 000 ressortissants britanniques vivraient en France, mais il est très difficile de parvenir à une estimation plus précise. Nous savons cependant où ils vivent et quelles préfectures seront sollicitées. Le directeur général des douanes m'indiquait récemment qu'il y a beaucoup de trafic avec le Royaume-Uni dans certains petits aéroports, tels ceux de Périgueux ou Bergerac, où nous n'avions guère besoin de douaniers jusqu'à présent. Nous devons être attentifs à la question, même si un renforcement considérable des contrôles douaniers ne s'impose pas.
Certaines petites préfectures seront beaucoup plus sollicitées qu'aujourd'hui. Il est donc prévu que le ministère de l'intérieur mobilise des moyens supplémentaires le temps nécessaire à la régularisation des dossiers.
La réciprocité est un sujet philosophique, mais c'est surtout une question qui se pose normalement dans les relations internationales, avec un partenaire avec lequel, dans un monde où il n'y aurait pas d'accord de retrait, nous aurions à négocier un certain nombre de choses sur une base bilatérale. En ce qui concerne le statut des personnes, il y aura effectivement matière à négocier, et à voir ce que font nos partenaires pour déterminer ce que nous-mêmes devons faire. Si nous envisageons toutes les options, ce n'est pas forcément pour choisir les pires, c'est parce que nous y sommes obligés. La protection de nos ressortissants à l'étranger est une priorité de notre politique et de celle du ministère des affaires étrangères. Nous accordons à cet enjeu toute l'attention requise ; il en va comme de la protection des intérêts de la France. L'idée est non pas d'en faire un objet de chantage ou de pression mais de considérer ce qui se fait outre-Manche. Pour l'instant, il n'y a rien de précis, il n'y a que des intentions. Nous envisageons donc toutes les hypothèses pour protéger les intérêts de nos ressortissants. Il ne s'agit pas d'en arriver à des mesures qui dégradent forcément le statut des ressortissants britanniques en France. La plupart vivent dans notre pays depuis fort longtemps et y ont des liens très forts. Notre objectif n'est pas, par principe, de dégrader leur situation. De même, les autorités britanniques ne semblent pas animées de mauvaises intentions à l'égard des ressortissants de l'Union européenne, mais, malheureusement, il s'agit non pas de resserrer les liens avec les Britanniques mais – c'est leur choix – de les distendre. Nous sommes donc obligés d'avoir ce type de réaction.
La question de la fonction publique est à la fois simple et compliquée. Il existe en France un droit de la fonction publique, qui conditionne l'appartenance à la fonction publique à la nationalité française ou à celle d'un État membre de l'Union européenne, pour certains corps. En revanche, d'autres sont ouverts à des ressortissants de pays tiers : ceux de maître de conférences, de professeur des universités, de chargé ou de directeur de recherche. Les Britanniques occupant ces fonctions pourront rester fonctionnaires. Pour les autres, il y a deux solutions : soit nous leur demandons de réclamer la nationalité française, soit nous leur proposons un cadre contractuel.
Nous pouvons aussi choisir de les conserver en l'état dans la fonction publique française, solution qui figure dans le projet d'accord de retrait. Mais, à ce stade, dans ce contexte particulier d'ordonnances prises dans un cadre volatil, nous ne voulons pas donner le signal que nous adopterions un copier-coller de ce qui figure dans l'accord de retrait, au motif que cette préservation du statut, notamment, pourrait inciter les Britanniques à ne pas ratifier l'accord au profit d'un no deal. Nous pourrions également préserver ce statut pour un temps donné, pendant une période de transition, le temps de trouver une autre solution. Mais le statu quo ne nous paraît pas aujourd'hui la meilleure solution, en ce qu'il dérogerait à l'esprit général du projet de loi.
S'agissant du coût, le coût du Brexit, c'est celui de la non-Europe. Je ne sais pas s'il est matériellement possible de faire un travail sérieux sur un tel coût.
En effet ! Mais cela mériterait d'être actualisé. Nous avons calculé qu'une sortie sans accord représenterait, pour notre prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (PSR-UE), qui s'élève en moyenne à 20 milliards d'euros, un surcoût de 1,8 milliard d'euros pour les mois d'avril à décembre, ce qui n'est pas négligeable. Pour nous, le coût direct du no deal est excessivement tangible. Je ne désespère pas d'avoir des études sur le coût du Brexit, ses conséquences sur la croissance et ses aspects macroéconomiques. Si nous travaillons sur ces sujets, nous préférons nous concentrer sur la préparation matérielle du Brexit.
Veuillez m'excuser, j'ai été trop longue.
Au contraire, vous avez été très précise, ce qui est très précieux !
Il apparaît assez clairement que vous êtes déjà à l'oeuvre dans la préparation des ordonnances. En termes opérationnels, votre objectif est-il bien de disposer de tout le paquet d'ordonnances dès la fin mars ? Ou envisagez-vous de continuer à faire des ordonnances après ce seuil fatidique ?
Par ailleurs, voyez-vous, notamment dans le projet amendé par le Sénat, ce qui suscitait l'inquiétude de la secrétaire générale adjointe de la Commission européenne : des éléments qui pourraient menacer le droit communautaire, en matière de circulation ou de transports, par exemple ? Elle estimait, sans l'exprimer aussi franchement, qu'il y avait des dispositions dans le texte du Sénat qui pouvaient conduire à remettre en cause des prérogatives communautaires. Cela est essentiel. Toutes les mesures d'urgence qui seront prises en cas de no deal présentent un risque de débordement et de remise en cause d'une frontière savamment établie entre le droit communautaire et le droit national. Êtes-vous sensible à cette question ?
Enfin, s'agissant de l'adaptation bilatérale en matière de droit de la fonction publique, nous comprenons bien pourquoi le Sénat a écarté la possibilité présente dans le projet de loi initial. Vous nous avez dit que des mesures seraient prises par décret au cas où les Britanniques adopteraient, au terme du processus, des dispositions exagérément sévères pour nos ressortissants. Sur le fond, il n'y a aucun problème : la préoccupation du Gouvernement est parfaitement légitime. Sur la forme juridique, il y a un problème. Quel serait le statut d'un tel décret ? Dès lors qu'il porterait sur des matières relevant de l'article 34, il n'y a que deux véhicules possibles : la loi ou l'ordonnance. La seule voie compatible, dans l'hypothèse d'une rétorsion, serait d'agir sous la forme d'un projet de loi, en engageant une procédure accélérée. C'est ce qui ressort du texte du Sénat. Les assemblées expriment une interrogation légitime, sur laquelle j'aimerais vous entendre.
Ma question est extrêmement simple : la France est-elle prête ? Hier, nous avons auditionné le ministre de l'agriculture, qui nous a avoué ne pas connaître le nombre exact de vétérinaires dont la France allait avoir besoin aux neuf points d'entrée. Hier également, la secrétaire générale adjointe de la Commission européenne semblait étonnée d'apprendre que la France n'avait pas encore commencé à construire les infrastructures douanières, quelques jours après que le ministre du budget nous eut dit qu'il était hors de question de commencer à construire, avant le vote du parlement britannique, ni même d'envisager l'achat de terrains. N'allons-nous pas nous retrouver le 30 mars, en cas de no deal, malgré les ordonnances, avec des files ininterrompues de camions dans ma circonscription, des ferries qui ne partent pas et un tunnel bloqué ?
Qu'en est-il des corridors européens ? La non-réponse de la France à la première salve d'interrogations de la Commission sur la création du corridor Mer du Nord-Méditerranée, alors que le ministère flamand a, lui, répondu pose question quant à notre préparation à un no deal.
Où en sont les autres parlements de l'Union dans leur processus ? Ont-ils déjà pris toutes les mesures ? Si c'est le cas, quand l'ont-ils fait ?
Enfin, il y a, sur le territoire du Calaisis, à Marck, dont j'ai été le maire, un aéroport. La direction générale de l'aviation civile (DGAC) a supprimé les contrôleurs aériens, il y a quatre ou cinq ans. Or il existait de vraies menaces sur le point de passage aux frontières. Pouvons-nous être sûrs que de nouvelles menaces ne vont pas apparaître ? Pouvons-nous également avoir la garantie que le nombre de douaniers sera suffisant, dans la mesure où c'est l'aéroport le plus proche de la Grande-Bretagne, celui qui est utilisé par les Britanniques et qui sera utilisé pour dédouaner ? Il faut éviter que nous nous retrouvions dans la situation ubuesque actuelle.
Merci, madame la secrétaire générale, d'avoir répondu, par avance, à des questions que nous aurions pu vous poser. Le parlement britannique entame aujourd'hui un débat de cinq jours en vue d'un vote historique sur l'accord devant finaliser les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Lors du Conseil européen du 25 novembre, au cours duquel les Vingt-Sept ont entériné le projet d'accord conclu, le Président de la République a déclaré que la France serait particulièrement vigilante sur trois points : les conditions de concurrence équitables pour protéger les entreprises ; en matière de pêche, la concentration des efforts pour obtenir un accord préservant un accès aux eaux britanniques avant la fin de la période de transition ; le respect de l'autonomie de décision de l'Union européenne.
La question de la pêche devrait faire l'objet de plus amples négociations et probablement d'un accord bilatéral entre nos deux pays. Le respect de l'autonomie des décisions de l'Union européenne se fera au niveau supranational, grâce aux actions des institutions des pays membres. Quant aux conditions d'une concurrence équitable pour protéger les entreprises et en matière d'environnement, en tant que fondateurs de l'Accord de Paris, nous avons une responsabilité particulière. De quelle manière les positions françaises seront-elles défendues à Bruxelles, afin d'en assurer leur effectivité ?
Madame la secrétaire générale, cet été, suite à la remise en cause des corridors européens, Mme la ministre des transports et le Premier ministre avaient réagi parce que la France n'avait pas été intégrée dans le flux, qui n'est certes pas très élevé, entre l'Irlande et l'Europe. Le Parlement européen devrait corriger cela bientôt. Où cette question en est-elle, du côté de l'État français ?
Au Havre, lors de la visite de l'ancien ministre de l'agriculture, nous avons passé en revue les différentes étapes du contrôle sanitaire. Nous avons mesuré, à cette occasion, la chance extraordinaire de notre ville d'avoir un vétérinaire, que nous espérons garder, parce qu'ils sont rares. Si nous ouvrons quarante postes, combien seront consacrés à des vétérinaires ? Et où sont-ils ces vétérinaires ? Au Havre, nous avons l'habitude d'avoir des postes vacants : à l'hôpital, il doit nous manquer quatorze psychiatres et une multitude de chirurgiens. L'ouverture des postes, c'est une chose ; mais les pourvoir, c'en est une autre. Comme nous sommes en manque de ressources humaines dans le domaine vétérinaire, qu'en sera-t-il des contrôles ? Fermerons-nous les yeux pour laisser passer les marchandises ? Mais quid, en ce cas, de la santé de nos concitoyens et des citoyens des pays européens ? Qui plus est, ce sont les douaniers qui saisissent les vétérinaires. Pendant des années, on a réduit leur nombre, erreur que l'on tente de réparer aujourd'hui. Y aura-t-il bien les ressources humaines nécessaires ?
Enfin, entre juin 2016 et décembre 2018, alors que deux ans et demi se sont écoulés, nous sommes aujourd'hui en situation d'urgence. De fait, au moment où la décision a été prise, tout comme lorsque le peuple français avait voté contre le référendum en 2005, on s'est dit que les Anglais allaient corriger le tir. Mais non ! C'est une démocratie, où l'on a décidé de respecter la décision du peuple. Cela existe des pays où l'on respecte la décision du peuple !
Nous avons attendu que la sortie de l'Union européenne soit crédible avant de commencer à travailler. Mais que de retard pris ! Il faudra coordonner les ministères pour accélérer le travail. Les Anglais travaillant dans la fonction publique française nous interpellent dramatiquement ; de même, nos compatriotes en Angleterre. Si l'État français est dans le flou, les ressortissants espèrent que les deux États mettront de l'humain dans cette situation. C'est ce que nous attendons des ordonnances, même si nous n'en voyons pour l'instant qu'un cadre un peu vague. Madame la secrétaire générale, vous nous avez dit qu'il y avait trois hypothèses ; nous aurions préféré entendre que l'une d'elles avait la préférence du gouvernement français.
Madame la secrétaire générale, je voulais vous poser une question sur les 1 715 professeurs britanniques, mais vous y avez déjà répondu. Vous avez évoqué le surcoût du Brexit à 1,8 milliard d'euros : est-ce un surcoût annuel ou ponctuel ? S'agissant des frais de roaming, d'itinérance, l'Union européenne bénéficie d'une exonération depuis 2017 : une négociation est-elle prévue pour permettre une continuité avec le Royaume-Uni après le Brexit ? Y a-t-il eu des études d'impact pour évaluer les conséquences du Brexit sur les flux touristiques, très importants, entre l'Angleterre et la France ? Des mesures d'accompagnement sont-elles prévues auprès des professionnels du tourisme ? Enfin, un recrutement de 700 douaniers a été prévu en cas de Brexit dur, de combien de douaniers aurions-nous besoin en cas de Brexit doux ?
Madame la secrétaire générale, lors de votre audition dans le cadre de la mission d'information sur le suivi des négociations liées au Brexit, en juin, vous aviez évoqué votre demande à la Commission européenne de dédier une partie de ses fonds de politique de cohésion à la compensation des dommages créés par le Brexit. Pouvez-vous nous rendre compte des progrès de la négociation ?
Madame la secrétaire générale, je vous remercie pour le travail que vous avez mené sur ce sujet complexe. La représentante de la Commission européenne nous a bien dit, à plusieurs reprises, que les entreprises avaient été prévenues de la perspective d'un no deal et qu'elles avaient été incitées à prendre des mesures parfois coûteuses pour faire face à un Brexit dur. M. le ministre, Gérald Darmanin, nous a fait savoir qu'une grande partie des entreprises ne s'étaient pas penchées sur la question du Brexit et qu'elles se retrouveraient dépourvues au lendemain du 29 mars. Quelle serait la situation des entreprises en matière d'exportation, de cognac par exemple, en cas de no deal ?
Madame la secrétaire générale, ces échanges sont difficiles, étant donné le contexte politique national. Toutefois, nous devons continuer nos travaux, parce que le monde ne nous attendra pas, que nos concurrents ne nous attendront pas, pas plus que nos partenaires américains et asiatiques. À quatre mois du retrait sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne, la semaine dernière, Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, est venu nous faire part de sa grande inquiétude face à l'impréparation des entreprises françaises, en cas de Brexit dur. La direction générale des entreprises, placée sous l'autorité de Bercy, a incité nos PME à anticiper sur cinq points le choc commercial du Brexit, qui ferait de la Grande-Bretagne un simple pays tiers : l'augmentation des droits de douane des produits français jusqu'à 10 % ; les contrôles aux frontières obligeant à revoir le circuit logistique ; les nouvelles règles de certification ; la renégociation des droits acquis, des contrats et de la propriété intellectuelle sur les marques, les dessins et les modèles ; les modifications pour les salariés français des filiales installées au Royaume-Uni. Pourriez-vous préciser quel est, selon vous, l'état d'accompagnement des directeurs financiers, des entreprises et des entrepreneurs français, si d'aventure le droit européen cessait de s'appliquer au Royaume-Uni le 30 mars 2019 ?
Je vous remercie, madame la secrétaire générale, d'avoir rappelé la difficulté de recréer une frontière. Vous nous avez dit que vous accompagniez les entreprises depuis plusieurs mois. Or, sur le terrain, nous sommes très inquiets, car nous voyons des chefs d'entreprise très attentistes face au Brexit, non préparés à ce qui va se passer dans quelques semaines. Ne devrions-nous pas renforcer le travail d'accompagnement, dans la mesure où il y va de l'organisation de nos entreprises, de notre croissance et de l'avenir de nos échanges commerciaux avec le Royaume-Uni ?
Madame la secrétaire générale, je crois savoir que vous avez sous votre autorité la division en charge de la sécurité de l'espace européen, qui traite de la coopération policière et de l'échange d'informations. Cette problématique est abordée dans le projet d'accord de retrait, négocié entre le Royaume-Uni et les Vingt-Sept, notamment au titre 7 de sa troisième partie. Le Royaume-Uni et la France ont par ailleurs développé une relation plus étroite en la matière. Dans quelle mesure cette relation particulière pourrait-elle être affectée par la négociation en cours ? En cas d'absence d'accord, selon quelles modalités la coopération sera-t-elle organisée ? Est-il envisageable qu'une nouvelle ordonnance complète celles qui sont prévues au titre du projet de loi actuel ?
Je vous remercie, madame la secrétaire générale, pour votre exposé sur le rôle essentiel que joue le SGAE dans la question du Brexit, dont nous souhaitons tous atténuer les conséquences sur nos économies et nos citoyens. Nos discussions partent de l'hypothèse que le Royaume-Uni ne ratifierait pas l'accord conclu avec l'Union européenne. Étant donné la largeur du domaine couvert par le projet de loi d'habilitation, pourriez-vous nous dire quels sont les sujets qui paraissent aujourd'hui prioritaires à l'administration française ? Par ailleurs, les moyens dont dispose le SGAE sont-ils en phase avec la pression supplémentaire exercée par la perspective de Brexit sur vos services, ainsi qu'avec l'importance du rôle du SGAE, qui permet à la France, avec la représentation permanente à Bruxelles, de parler d'une seule voix devant l'Union européenne ?
Maintenant que chacun a posé ses questions, nous allons vous écouter, madame Gaudin. Ceux qui ne pourront pas entendre les réponses auront tout loisir d'écouter indéfiniment l'enregistrement chez eux et de lire le compte rendu de nos échanges.
Les ordonnances seront-elles toutes préparées et adoptées pour fin mars ou doit-on imaginer des mesures complémentaires ultérieures ? Notre objectif, c'est que tout soit prêt pour le 30 mars. Cela étant, je ne peux pas vous garantir aujourd'hui à 100 % que tel sera le cas en l'absence d'accord.
Nous sommes naturellement sensibles à la compatibilité avec le droit communautaire des mesures que nous prendrons au titre de ce projet de loi. Certaines dispositions introduites par vos collègues sénateurs seraient-elles contraires au droit communautaire ? Il serait très malvenu, de la part du SGAE, qui est en charge de la bonne mise en oeuvre de l'application du droit communautaire en France, de préparer des dispositions législatives, ou même réglementaires ou d'application du projet de loi d'habilitation, qui soient contraires au droit communautaire. À première vue, je n'en ai pas repéré. Cela sera vérifié à l'occasion de la préparation des ordonnances et de leur examen par le Conseil d'État. Nous sommes en permanence en contact avec la Commission européenne sur ces mesures de préparation.
La possibilité de suspendre une ordonnance par décret, pour obtenir le respect d'une clause de réciprocité, est-elle conforme à la Constitution ? Quelle est notre analyse à ce sujet ? Nous en avons beaucoup beaucoup débattu au Conseil d'État. Il est vrai que le dispositif est assez inhabituel, voire inédit. Mais le contexte est lui-même inédit. Nous pensons que le décret aurait pour objet unique de suspendre l'ordonnance temporairement, dans les conditions qu'elle prévoit, et non de prendre de nouvelles mesures, encore moins des mesures de rétorsion.
Pourquoi ne serait-elle pas définitive ? Car, en fait, vous modifiez ainsi par décret un texte de loi…
Cette mesure interviendrait dans un contexte que, je l'espère, nous ne connaîtrons pas. Il ne s'agit pas de suspendre la mise en oeuvre de l'ordonnance de façon définitive, mais de garder un moyen de pression pour que la réciprocité puisse être appliquée. Tel est l'esprit de ce dispositif inédit, en effet.
J'entends votre préoccupation, mais comprenez le souci qui peut être celui de nos collègues : nous voulons préserver les droits du Parlement. Accréditer l'idée que, par décret, on peut intervenir dans le domaine législatif, hors des garanties et des possibilités d'amendements offertes par l'article 38 de la Constitution en matière d'ordonnances, créerait un précédent politique extrêmement préoccupant. Nous ne mettons absolument pas en cause l'opportunité de votre démarche. Nous nous en tenons au principe. Je ne voudrais pas que les travaux de cette commission spéciale, qui va durer quelques semaines, se traduisent par un recul du pouvoir du Parlement dans un domaine aussi sensible. Telle est la préoccupation de certains de nos collègues – dont je suis.
En outre, cette commission spéciale, ou même l'assemblée au sens plus large, serait tout à fait ouverte à l'idée d'examiner à l'avenir la nécessité de suspendre des ordonnances, mais dans le cadre législatif et non par décret. Si l'on en arrivait à évoquer des mesures de rétorsion, il paraîtrait légitime que l'Assemblée nationale et le Sénat se penchent alors sur la question. Je partage les inquiétudes du président de notre commission.
Encore une fois, le dispositif est inédit. Je pourrai revenir vers vous pour vous donner le détail de la façon dont nous avons encadré la mesure avec le Conseil d'État. En tout cas, s'il devait y avoir une suspension définitive, il serait sans doute beaucoup plus simple de de revenir vers le Parlement pour pouvoir abroger l'ordonnance. Ce retour vers le Parlement serait même absolument nécessaire.
La France est-elle prête ? En tout cas, elle se prépare. Les entreprises se préparent, avec plus ou moins de volontarisme. Beaucoup d'incertitude demeure pour les acteurs économiques, qui doivent envisager les différents scénarios possibles. C'est déjà compliqué pour les administrations, cela l'est a fortiori pour eux.
En tout cas, nous nous préparons et nous avons commencé suffisamment tôt, sans que ce soit juste après le référendum. Car, pour mémoire, en 2016, nous avons dû attendre une notification formelle et officielle de la décision du Royaume-Uni d'activer l'article 50. Nous avons attendu pendant un an cette lettre de Theresa May. Or, tant que nous n'avions pas la certitude que l'article 50 serait invoqué, nous ne pouvions rien faire. Aujourd'hui, nous nous préparons avec autant de vigueur que nous avons mis d'énergie dans la négociation de l'accord de retrait et de la déclaration sur la relation future. Nous ne cessons de travailler et d'amplifier nos préparatifs.
J'en viens à la question des corridors maritimes. Il faut le savoir, les ports français ne figuraient pas dans les précédentes versions du règlement de la Commission sur le financement des corridors maritimes. Il y a eu une consultation générale cet été, à laquelle les autorités portuaires françaises ont participé. Mais dans le schéma qui en est résulté, les ports français ne figuraient toujours pas sur la carte des corridors. Avec l'aide de la présidence autrichienne, nous avons fait en sorte que le projet de règlement soit modifié, pour faire apparaître, dans l'annexe de ce projet de règlement, un certain nombre de ports français, dont Le Havre.
Cela étant, il ne suffit pas de figurer dans une annexe d'un projet de règlement de la Commission. L'histoire ne s'achève pas là ! Cette mention permet seulement à un port d'être éligible à un financement communautaire. Cela suppose cependant de remplir des conditions, de proposer un certain nombre de projets d'investissements et de se soumettre à un certain nombre d'obligations communautaires. Il faut désormais que les ports français qui figureront dans cette annexe puissent remplir une série d'obligations.
En tout cas, nous avons réussi à inverser la direction prise par cette proposition de la Commission, qui partait effectivement dans le mauvais sens, notamment dans le contexte du Brexit, où de nouvelles routes maritimes vont s'établir entre l'Irlande et le continent européen ; celles-ci ne pourront pas faire autrement que de passer par des ports français. Si donc les ports français ont bien pour objectif d'attirer de nouveaux trafics, en provenance notamment d'Irlande, ces intentions devront se concrétiser par des projets d'investissement témoignant d'un véritable souhait de participer aux opportunités du Brexit.
Sur ce point, confirmez-vous l'interprétation de la Commission, selon laquelle la définition de ces corridors n'est en aucune façon créatrice de droits particuliers dont d'autres ports seraient exclus ?
Ce classement permet de devenir éligible à des financements, dans le cadre du mécanisme d'interconnexion européen. Ainsi, les ports sont éligibles à un fonds communautaire qui va dispenser des financements, sous conditions, dans le cadre d'appels d'offres. Il s'agit donc d'un dispositif financier.
Si, précédemment, les ports français ne figuraient pas dans cette annexe, c'est qu'ils n'en voyaient pas la nécessité. Dans le contexte du Brexit, cette publication en plein mois d'août, de surcroît, nous a pris par surprise. Cependant, la Commission a mené le processus de consultation directement auprès des ports . Nous n'avons pas géré ce processus, de sorte que je ne sais pas ce que les ports français ont répondu. Peut-être que leur réponse n'était pas de nature à faire comprendre à la Commission qu'ils voulaient figurer dans cette annexe.
Toujours est-il que nous avons corrigé cela, pour permettre aux ports qui le souhaitent de pouvoir intégrer ce club et d'être éligibles à des financements communautaires à l'avenir. À eux ensuite d'en profiter ou non.
Non, ce n'est pas neutre, mais il faut après se saisir de cette chance. Le simple fait de figurer sur une carte ne saurait être la fin de l'histoire. Il faut aussi que les ports français développent une offre un peu plus offensive en direction des transporteurs irlandais qui peuvent être amenés à revoir leur route maritime et à s'arrêter au Havre ou à Cherbourg, plutôt que d'aller déposer leurs marchandises à Anvers ou à Rotterdam.
En effet. Et c'est une question d'ordre économique.
À ma connaissance, les parlements étrangers ont eux aussi commencé à travailler sur le Brexit. Cela figure ainsi au programme de travail du Bundestag. Mais les lois n'ont pas encore commencé à être adoptées, du moins on ne peut pas dire qu'un État membre a d'ores et déjà adopté tout le train de mesures nécessaires. En effet, la négociation de l'accord de retrait a toujours été considérée comme prioritaire. Les travaux vont s'accélérer à présent.
Dans le cadre de la négociation des relations futures, le Président de la République a mentionné comme étant extrêmement importantes les questions liées à la pêche et les conditions de concurrence équitables, ce qu'on appelle, dans notre jargon, le level-playing field. Pour défendre ces positions, nous allons travailler de la même manière que nous l'avons fait pour la négociation de l'accord de retrait : les 27 États membres vont donner un mandat à la Commission pour continuer à discuter avec le Royaume-Uni et préparer ces accords. Il en résultera sans doute un accord de libre-échange et de partenariat économique très large, qui comportera un certain nombre de dispositions dans les domaines que je viens de vous citer.
Le Président de la République a rappelé de façon expresse au moment du Conseil européen, il y a quelques jours, que ces questions feront l'objet de toute notre attention, puisqu'elles seront au coeur de l'équilibre global de cet accord. La négocation devra aboutir à ce que cet accord ne permette pas au Royaume-Uni, du fait de ses insuffisances et de ses lacunes, d'adopter des comportements de dumping, que ce soit eu égard aux normes sociales ou aux standards environnementaux, par exemple.
Les conditions de concurrence devront donc être un critère à respecter pour négocier le meilleur accord possible avec le Royaume-Uni dans le cadre de notre relation future avec lui. Le mandat de négociation que le Conseil européen donnera aux négociateurs de l'Union européenne mentionnera ces questions de façon expresse.
J'en arrive à la question des ressources humaines. Ce n'est pas parce qu'on décide de recruter 700 douaniers que 700 personnes vont arriver demain matin, déjà formées, et à même d'effectuer des contrôles aux frontières selon les normes de contrôles douaniers existant en Europe. Il en va de même pour les contrôles menés par des vétérinaires dans le cadre de l'accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires, dit accord SPS.
La douane va donc procéder à des recrutements en plusieurs vagues. Elle recrute notamment des agents sous contrat pour aller un peu plus vite ; elle organise ensuite des formations en accéléré. Pour ce qui concerne les inspecteurs vétérinaires, les évaluations effectuées par le ministère de l'agriculture varient en fonction des scénarios. S'il n'y a pas d'accord et que le Royaume-Uni devient immédiatement un pays tiers, il sera nécessaire de contrôler quasiment tous les flux. Mais si une transition de dix-huit mois s'ouvre, rien ne changera durant cette période. Les inspecteurs vétérinaires pourront alors continuer à faire « gentiment » leur travail. Car il y a déjà des contrôles sanitaires aux frontières, par exemple dans le port de Dunkerque, que j'ai visité – je ne suis pas encore allée au Havre.
S'agissant des inspecteurs vétérinaires, nous allons devoir accélérer la formation des personnes recrutées sous contrat. Mais il faudra sans doute quelques semaines, soit le temps de s'adapter, pour que les contrôles atteignent après le 30 mars, en cas d'absence d'accord, le même niveau de qualité qu'aujourd'hui à l'égard d'un pays tiers. Dans cette hypothèse, la situation de crise serait toutefois telle que les administrations seraient obligées de dégager des moyens supplémentaires. Ainsi, la douane demanderait à des douaniers en poste en Auvergne d'aller renforcer immédiatement Dunkerque ou Le Havre. De même, j'imagine qu'une task-force spécifique se mettrait en place pour permettre aux inspecteurs sanitaires actuellement dans le sud de la France de rejoindre très vite les ports de la Manche. En tout cas, le sujet est bien identifié ; nous avons pris la mesure de cette préoccupation.
Mais on ne pouvait pas, monsieur Lecoq, se préparer dès le lendemain du référendum : cela aurait été prématuré et ambitieux. Il fallait attendre le déclenchement des procédures.
Je vous confirme que le surcoût annuel lié au Brexit s'élèverait à 1,8 milliard d'euros jusqu'à la fin de la période du cadre financier pluriannuel actuel, soit jusqu'en 2020, si le Royaume-Uni sortait sans accord et faisait ainsi défaut au budget communautaire. Mais, par la suite, tout l'enjeu de la négociation au sujet du prochain cadre financier pluriannuel sera de le bâtir sans le Royaume-Uni. De toute façon, il y aura un surcoût pour les contributeurs nets que nous sommes du fait du départ du Royaume-Uni. Là encore, le sujet est bien identifié.
S'agissant des frais d'itinérance (roaming), il n'y a pas de dispositions s'appliquant aux pays tiers, sauf accord particulier. Donc il est tout à fait possible que, dans le cadre de la négociation sur la relation future, des mesures soient discutées en la matière. C'est un vrai sujet lié à la circulation des personnes et à la vie des ressortissants des deux côtés de la Manche. Mais peut-être faudra-t-il s'abstenir de prendre des nouvelles de vos cousins anglais dès le 30 mars. (Sourires.)
J'en viens à l'impact sur le tourisme. Je ne pense pas que des études aient déjà été effectuées sur le sujet. Car, en cas d'accord comme en cas d'absence d'accord, l'attractivité de la France demeurera pour les touristes du Royaume-Uni – et réciproquement. Les liens entre les deux pays ne vont pas disparaître du jour au lendemain. La seule hypothèse qui puisse effectivement freiner le tourisme est a priori écartée, à savoir celle d'une remise en vigueur d'un système de visa. Pour le reste, le fait que nous n'ayons pas la même monnaie n'a pas empêché les touristes d'aller visiter le pays situé pour eux de l'autre côté de la Manche. En tout cas, aucune mesure d'accompagnement n'a déjà été décidée en ce domaine, comme dans aucun autre d'ailleurs.
Quant au nombre de douaniers nécessaires en cas de soft Brexit, la douane prévoit d'en recruter 250 dès cette année, avant une montée en puissance qui porterait les effectifs supplémentaires à 700 dans les deux prochaines années. En tout état de cause, la douane est une administration qui dispose d'un volant de personnel assez large. Elle pourrait donc procéder par redéploiement et par réaffectation en cas de nécessité. Nous essayons en tout cas de conserver une certaine élasticité à nos prévisions.
S'agissant du fonds de compensation en cas de conséquences dommageables pour l'économie et à l'intérêt qu'il y aurait à créer un dispositif de la sorte au niveau communautaire, le sujet a déjà été abordé. Pour l'instant, ce n'est cependant pas du tout à l'ordre du jour, même si nous continuons à en défendre l'idée. Je pense qu'en cas d'accidents de ratification ou de no deal, les prédispositions de la Commission seraient complètement différentes.
Comment sensibiliser et soutenir les entreprises ? On ne les sensibilisera jamais assez, on ne les aidera jamais assez ! Beaucoup est fait au niveau national par les services de Bercy, mais aussi par le MEDEF et par les fédérations professionnelles. Récemment, Bercy a engagé une action particulière en direction des experts-comptables, ces professionnels juridiques qui peuvent et doivent apporter du soutien aux entreprises, notamment aux plus petites. Mais il y a aussi un travail effectué au niveau local, par les DIRECCTE, les services de l'État en charge de ces questions ; les services des douanes se concentrent déjà beaucoup sur l'identification des entreprises, notamment des plus petites, qui travaillent en lien avec l'export vers le Royaume-Uni. C'est un travail de fourmi, car beaucoup d'acteurs économiques pensent encore qu'au final, on trouvera des solutions et que tout ira bien, alors qu'en fait, ce n'est pas exactement ainsi que les choses se passent. Certains acteurs restent encore dans le déni. Nous essayons de leur enlever cette illusion que rien ne va changer. Si nous disposons d'une période de transition, nous aurons 18 mois de plus pour les convaincre, mais, à un moment donné, de nouvelles dispositions entreront bel et bien en vigueur.
S'agissant de la préparation des entreprises, nous avons justement ouvert un site internet le week-end dernier pour essayer de les renseigner au mieux. Il faudra voir s'il est suffisamment efficace. En Belgique ou en Irlande, les autorités ont lancé un site, qui permet aux entreprises de vérifier si elles sont prêtes, sous forme de quizz. Si c'est une bonne idée, pourquoi ne pas les copier ? On fera peut-être ce genre de choses sur notre site internet, pour veiller à ce que les entreprises s'approprient davantage le sujet, même de manière ludique.
J'en viens à la coopération policière, sujet qui relèvera de la relation future. Il y aura un accord sur les questions de sécurité et de coopération dans le domaine de la police. Notre intérêt est que la coopération policière soit au même niveau qu'aujourd'hui. En cas de no deal, on tomberait dans le régime de droit commun en vigueur avec les pays tiers, c'est-à-dire qu'on coopérerait sur des bases ad hoc, comme nous le faisons avec les Américains, les Turcs ou les Marocains. Mais cela se ferait dans un contexte compliqué, parce qu'il faudrait renégocier des textes relatifs aux échanges de données. Or les dispositifs à mettre en place sortiraient du cadre du règlement sur la protection des données (RGPD), régime conçu pour les États membres de l'Union européenne. Quant à la coopération policière, elle serait dans un premier temps sans doute un peu moins fluide, les échanges étant moins faciles.
Est ce que la secrétaire générale des affaires européennes dispose de suffisamment de moyens ? Je vous remercie beaucoup d'avoir posé cette question. Je pense que mes équipes ont dû la susciter ! (Sourires.) En tout cas, nous n'avons quasiment pas créé de postes. Pour traiter de ces questions liées au Brexit, nous avons créé en fait deux postes, soit deux équivalents temps plein, temporaires, pour trois ans. Nous verrons s'il faut les prolonger. Pour le reste, nous nous appuyons sur les ressources existantes, soit chacun de mes collègues, chacun dans son service : la conseillère juridique, le responsable des transports, le responsable de la coopération policière… Chacun travaille ainsi sur son « morceau » de Brexit. Demander des moyens supplémentaires au-delà des deux postes créés, cela aurait été assez ambitieux. Les administrations, de façon générale, ont été très raisonnables.
Au-delà du nécessaire renfort des effectifs de contrôle, le Brexit a engendré, dans les administrations centrales, une surcharge de travail énorme. Autant de temps et d'énergie qui ne sont pas consacrés à d'autres dossiers de coopération européenne… Mais ce devrait être temporaire. Et cela a du moins la vertu de nous apprendre quel est le coût de la « non-Europe », de nous faire revenir aux fondamentaux, à ce que signifie le marché intérieur, ses avantages… C'est donc une expérience forte et intense. Même si ce dossier n'est pas forcément très gai, nous essayons de faire en sorte avec nos partenaires britanniques qu'un esprit positif continue à régner tant dans la négociation que dans cette phase de préparation.
Dans cette affaire, les Britanniques n'auront en tout cas pas été économes du temps et du travail des autres.
Je voulais seulement apporter une dernière correction sémantique, en corrigeant le terme de pieuvre que j'avais employé tout à l'heure, pour lui substituer celui de centre névralgique.
Madame la secrétaire générale, nous nous félicitons de la qualité des contacts que vous avez toujours maintenus et entretenus sur cette question entre le SGAE et les commissions compétentes du Parlement national.
La séance prend fin à 19 h 0.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Christophe Blanchet, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Bertrand Bouyx, M. Vincent Bru, Mme Émilie Cariou, Mme Josiane Corneloup, Mme Dominique David, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Jacqueline Dubois, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Séverine Gipson, Mme Catherine Kamowski, Mme Aina Kuric, Mme Marie Lebec, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, M. Gilles Lurton, M. Sylvain Maillard, M. Jacques Marilossian, Mme Sandra Marsaud, Mme Monica Michel, M. Thierry Michels, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye.
Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Bruno Joncour, Mme Marietta Karamanli.