Merci, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour ces questions.
Toutes les ordonnances sont en cours de préparation, mais nous attendons évidemment l'adoption du projet de loi d'habilitation. Certes, vous êtes impatients d'en connaître la teneur, mais nous ne pouvons pas aller plus vite que la musique. L'orchestre n'en est pas moins en place, et je tiens d'ailleurs jeudi prochain une réunion avec des représentants de toutes les administrations pour relever les copies.
Le nombre exact d'ordonnances n'est pas encore arrêté, mais il y en aura plusieurs. L'ordre dans lequel je les évoque n'est pas un ordre d'importance. L'une portera forcément sur les droits des citoyens. Elle sera relativement précise sur les questions du séjour, de l'emploi et des droits sociaux. Une ordonnance portera certainement sur les questions économiques et financières. Une autre portera sur les contrôles aux frontières et les transports. Une autre traitera des mesures relevant de l'article 3, c'est-à-dire toutes les autorisations pour permettre la création des installations à réaliser d'urgence, qui, de toute façon, avec ou sans accord, devront être mises en place, car, mécaniquement, une fois le Royaume-Uni sorti de l'Union européenne, il y aura plus de contrôles effectués aux frontières. Nous ne pouvons pas encore déterminer l'intensité de ces contrôles ni leur nature, ne sachant pas si nous nous inscrirons dans le cadre d'un accord de libre-échange, d'une union douanière ou de l'union douanière telle qu'elle est définie au titre du backstop, mais il faut pouvoir commencer à créer des installations ou prévoir des équipements, ne serait-ce que des « lignes » spécifiques pour les marchandises qui arrivent dans les ports ou aéroports où cela n'existe pas.
Le Premier ministre et plusieurs membres du Gouvernement ont ainsi récemment visité les installations du port de Dunkerque, qui, aujourd'hui, ne travaille qu'avec le Royaume-Uni. Les contrôles y sont donc très réduits, ne portant que sur les marchandises de pays tiers arrivant du Royaume-Uni, qui, normalement, ont déjà été contrôlées ; ce sont des contrôles très aléatoires, dans le cadre de la lutte contre la fraude et à la suite des renseignements que s'échangent douaniers britanniques et douaniers français. S'il existe des installations qui permettent des contrôles de camion, des contrôles SPS, elles sont donc bien réduites. À Dunkerque, où il y a toute la place nécessaire, il faudra les multiplier par deux, trois ou quatre ; il faut commencer ces travaux.
Dans certains ports ou aéroports, des « lignes » permettent déjà des files d'attente pour des personnes ou marchandises venant de pays tiers. Il faudra parfois les élargir, les allonger, les multiplier. Les infrastructures existent, il faut les étendre ; c'est une question d'investissements, que les collectivités et les gestionnaires doivent programmer, cela a forcément un coût. C'est aussi une question pratique, matérielle – il y a beaucoup de place à Dunkerque, mais ce n'est pas forcément le cas partout.
Nous avons donc déjà un premier paquet de quatre grands « blocs ». Y aura-t-il quatre ordonnances ou plutôt dix ? Il y aura déjà celles qui traitent de ces blocs, absolument prioritaires. Nous prévoyons de saisir le Conseil d'État au début du mois de janvier prochain – il en est déjà prévenu. Une fois que vous aurez, si vous le souhaitez, mesdames et messieurs les députés, adopté ce projet de loi d'habilitation nous peaufinerons pendant les vacances de Noël ces projets d'ordonnances. Nous espérons disposer, à la fin du mois de janvier, à la suite du travail du Conseil d'État, de ce paquet d'ordonnances, prêt à être mis en oeuvre. Peut-être connaîtrons-nous mieux, alors, l'état d'avancement du processus de ratification, ce qui nous permettrait de décider de commencer par telle ou telle ordonnances. À mon avis, celle sur les installations sera la première, mais peut-être faudra-t-il envoyer aussi des signaux sur d'autres sujets, pour commencer à informer citoyens et opérateurs.
Je vous livre là tout ce que je sais et peux vous dire par rapport à ces délais de préparation, de publication et de mise en oeuvre.
Aurons-nous tout prévu ? Aurons-nous pensé à tout ? Je ne sais pas. Peut-être faudra-t-il une nouvelle ordonnances sur un sujet que nous n'avions pas identifié. Peut-être tout n'aura-t-il pas non plus été envisagé dans le cadre de ce projet de loi d'habilitation, auquel cas le Parlement devra de nouveau être sollicité. Face à cette situation tellement exceptionnelle, a fortiori en cas de no deal, nous sommes dans une logique de crise.
Quant à la philosophie, monsieur le rapporteur, ce n'est pas mon fort. Et, en ce qui concerne la mise en oeuvre, le nombre de dossiers de citoyens, le nombre de contrôles et les modalités de ceux-ci, nous sommes dans l'inconnu. Ainsi, pour connaître le nombre de dossiers de citoyens britanniques que nous aurons à traiter, il faudrait déjà que nous sachions avec quelque certitude combien de ressortissants britanniques vivent en France. Or nous ne le savons pas à quelques dizaines près. Les citoyens britanniques ne sont pas soumis à une obligation de se déclarer ou de s'enregistrer. Il en est qui vivent en France depuis fort longtemps, qui disposent d'une carte de sécurité sociale, d'un titre de séjour en bonne et due forme et qui n'ont pas forcément effectué en préfecture les mêmes formalités pour les enfants. Symétriquement, le Royaume-Uni ne sait pas exactement combien de nos concitoyens vivent sur son sol.
Nous avons quelques éléments, un peu approximatifs, sur l'impact que tout cela aura sur nos guichets de préfecture. Ce sont majoritairement dix-sept préfectures qui sont concernées, dont sept sont particulièrement exposées. Nous envisageons une approche décentralisée : plutôt que d'obliger les ressortissants britanniques à venir à Paris, nous préférons une relation de proximité – du moins est-ce, pour l'heure, notre conception. Nous donnerons évidemment un certain délai aux ressortissants britanniques pour effectuer leurs démarches, ils ne seront pas obligés le matin du 30 mars de se présenter à la préfecture, dans la file « étrangers ». Une période transitoire s'ouvrira, au cours de laquelle ils seront supposés vivre et séjourner sur le territoire français dans des conditions régulières, alors qu'en théorie, en l'absence d'accord, ils seraient, dès le 30 mars prochain, en situation irrégulière.
Environ 150 000 ou 200 000 ressortissants britanniques vivraient en France, mais il est très difficile de parvenir à une estimation plus précise. Nous savons cependant où ils vivent et quelles préfectures seront sollicitées. Le directeur général des douanes m'indiquait récemment qu'il y a beaucoup de trafic avec le Royaume-Uni dans certains petits aéroports, tels ceux de Périgueux ou Bergerac, où nous n'avions guère besoin de douaniers jusqu'à présent. Nous devons être attentifs à la question, même si un renforcement considérable des contrôles douaniers ne s'impose pas.
Certaines petites préfectures seront beaucoup plus sollicitées qu'aujourd'hui. Il est donc prévu que le ministère de l'intérieur mobilise des moyens supplémentaires le temps nécessaire à la régularisation des dossiers.
La réciprocité est un sujet philosophique, mais c'est surtout une question qui se pose normalement dans les relations internationales, avec un partenaire avec lequel, dans un monde où il n'y aurait pas d'accord de retrait, nous aurions à négocier un certain nombre de choses sur une base bilatérale. En ce qui concerne le statut des personnes, il y aura effectivement matière à négocier, et à voir ce que font nos partenaires pour déterminer ce que nous-mêmes devons faire. Si nous envisageons toutes les options, ce n'est pas forcément pour choisir les pires, c'est parce que nous y sommes obligés. La protection de nos ressortissants à l'étranger est une priorité de notre politique et de celle du ministère des affaires étrangères. Nous accordons à cet enjeu toute l'attention requise ; il en va comme de la protection des intérêts de la France. L'idée est non pas d'en faire un objet de chantage ou de pression mais de considérer ce qui se fait outre-Manche. Pour l'instant, il n'y a rien de précis, il n'y a que des intentions. Nous envisageons donc toutes les hypothèses pour protéger les intérêts de nos ressortissants. Il ne s'agit pas d'en arriver à des mesures qui dégradent forcément le statut des ressortissants britanniques en France. La plupart vivent dans notre pays depuis fort longtemps et y ont des liens très forts. Notre objectif n'est pas, par principe, de dégrader leur situation. De même, les autorités britanniques ne semblent pas animées de mauvaises intentions à l'égard des ressortissants de l'Union européenne, mais, malheureusement, il s'agit non pas de resserrer les liens avec les Britanniques mais – c'est leur choix – de les distendre. Nous sommes donc obligés d'avoir ce type de réaction.
La question de la fonction publique est à la fois simple et compliquée. Il existe en France un droit de la fonction publique, qui conditionne l'appartenance à la fonction publique à la nationalité française ou à celle d'un État membre de l'Union européenne, pour certains corps. En revanche, d'autres sont ouverts à des ressortissants de pays tiers : ceux de maître de conférences, de professeur des universités, de chargé ou de directeur de recherche. Les Britanniques occupant ces fonctions pourront rester fonctionnaires. Pour les autres, il y a deux solutions : soit nous leur demandons de réclamer la nationalité française, soit nous leur proposons un cadre contractuel.
Nous pouvons aussi choisir de les conserver en l'état dans la fonction publique française, solution qui figure dans le projet d'accord de retrait. Mais, à ce stade, dans ce contexte particulier d'ordonnances prises dans un cadre volatil, nous ne voulons pas donner le signal que nous adopterions un copier-coller de ce qui figure dans l'accord de retrait, au motif que cette préservation du statut, notamment, pourrait inciter les Britanniques à ne pas ratifier l'accord au profit d'un no deal. Nous pourrions également préserver ce statut pour un temps donné, pendant une période de transition, le temps de trouver une autre solution. Mais le statu quo ne nous paraît pas aujourd'hui la meilleure solution, en ce qu'il dérogerait à l'esprit général du projet de loi.
S'agissant du coût, le coût du Brexit, c'est celui de la non-Europe. Je ne sais pas s'il est matériellement possible de faire un travail sérieux sur un tel coût.