Intervention de Sandrine Gaudin

Réunion du mardi 4 décembre 2018 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne

Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes (SGAE) :

En effet. Et c'est une question d'ordre économique.

À ma connaissance, les parlements étrangers ont eux aussi commencé à travailler sur le Brexit. Cela figure ainsi au programme de travail du Bundestag. Mais les lois n'ont pas encore commencé à être adoptées, du moins on ne peut pas dire qu'un État membre a d'ores et déjà adopté tout le train de mesures nécessaires. En effet, la négociation de l'accord de retrait a toujours été considérée comme prioritaire. Les travaux vont s'accélérer à présent.

Dans le cadre de la négociation des relations futures, le Président de la République a mentionné comme étant extrêmement importantes les questions liées à la pêche et les conditions de concurrence équitables, ce qu'on appelle, dans notre jargon, le level-playing field. Pour défendre ces positions, nous allons travailler de la même manière que nous l'avons fait pour la négociation de l'accord de retrait : les 27 États membres vont donner un mandat à la Commission pour continuer à discuter avec le Royaume-Uni et préparer ces accords. Il en résultera sans doute un accord de libre-échange et de partenariat économique très large, qui comportera un certain nombre de dispositions dans les domaines que je viens de vous citer.

Le Président de la République a rappelé de façon expresse au moment du Conseil européen, il y a quelques jours, que ces questions feront l'objet de toute notre attention, puisqu'elles seront au coeur de l'équilibre global de cet accord. La négocation devra aboutir à ce que cet accord ne permette pas au Royaume-Uni, du fait de ses insuffisances et de ses lacunes, d'adopter des comportements de dumping, que ce soit eu égard aux normes sociales ou aux standards environnementaux, par exemple.

Les conditions de concurrence devront donc être un critère à respecter pour négocier le meilleur accord possible avec le Royaume-Uni dans le cadre de notre relation future avec lui. Le mandat de négociation que le Conseil européen donnera aux négociateurs de l'Union européenne mentionnera ces questions de façon expresse.

J'en arrive à la question des ressources humaines. Ce n'est pas parce qu'on décide de recruter 700 douaniers que 700 personnes vont arriver demain matin, déjà formées, et à même d'effectuer des contrôles aux frontières selon les normes de contrôles douaniers existant en Europe. Il en va de même pour les contrôles menés par des vétérinaires dans le cadre de l'accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires, dit accord SPS.

La douane va donc procéder à des recrutements en plusieurs vagues. Elle recrute notamment des agents sous contrat pour aller un peu plus vite ; elle organise ensuite des formations en accéléré. Pour ce qui concerne les inspecteurs vétérinaires, les évaluations effectuées par le ministère de l'agriculture varient en fonction des scénarios. S'il n'y a pas d'accord et que le Royaume-Uni devient immédiatement un pays tiers, il sera nécessaire de contrôler quasiment tous les flux. Mais si une transition de dix-huit mois s'ouvre, rien ne changera durant cette période. Les inspecteurs vétérinaires pourront alors continuer à faire « gentiment » leur travail. Car il y a déjà des contrôles sanitaires aux frontières, par exemple dans le port de Dunkerque, que j'ai visité – je ne suis pas encore allée au Havre.

S'agissant des inspecteurs vétérinaires, nous allons devoir accélérer la formation des personnes recrutées sous contrat. Mais il faudra sans doute quelques semaines, soit le temps de s'adapter, pour que les contrôles atteignent après le 30 mars, en cas d'absence d'accord, le même niveau de qualité qu'aujourd'hui à l'égard d'un pays tiers. Dans cette hypothèse, la situation de crise serait toutefois telle que les administrations seraient obligées de dégager des moyens supplémentaires. Ainsi, la douane demanderait à des douaniers en poste en Auvergne d'aller renforcer immédiatement Dunkerque ou Le Havre. De même, j'imagine qu'une task-force spécifique se mettrait en place pour permettre aux inspecteurs sanitaires actuellement dans le sud de la France de rejoindre très vite les ports de la Manche. En tout cas, le sujet est bien identifié ; nous avons pris la mesure de cette préoccupation.

Mais on ne pouvait pas, monsieur Lecoq, se préparer dès le lendemain du référendum : cela aurait été prématuré et ambitieux. Il fallait attendre le déclenchement des procédures.

Je vous confirme que le surcoût annuel lié au Brexit s'élèverait à 1,8 milliard d'euros jusqu'à la fin de la période du cadre financier pluriannuel actuel, soit jusqu'en 2020, si le Royaume-Uni sortait sans accord et faisait ainsi défaut au budget communautaire. Mais, par la suite, tout l'enjeu de la négociation au sujet du prochain cadre financier pluriannuel sera de le bâtir sans le Royaume-Uni. De toute façon, il y aura un surcoût pour les contributeurs nets que nous sommes du fait du départ du Royaume-Uni. Là encore, le sujet est bien identifié.

S'agissant des frais d'itinérance (roaming), il n'y a pas de dispositions s'appliquant aux pays tiers, sauf accord particulier. Donc il est tout à fait possible que, dans le cadre de la négociation sur la relation future, des mesures soient discutées en la matière. C'est un vrai sujet lié à la circulation des personnes et à la vie des ressortissants des deux côtés de la Manche. Mais peut-être faudra-t-il s'abstenir de prendre des nouvelles de vos cousins anglais dès le 30 mars. (Sourires.)

J'en viens à l'impact sur le tourisme. Je ne pense pas que des études aient déjà été effectuées sur le sujet. Car, en cas d'accord comme en cas d'absence d'accord, l'attractivité de la France demeurera pour les touristes du Royaume-Uni – et réciproquement. Les liens entre les deux pays ne vont pas disparaître du jour au lendemain. La seule hypothèse qui puisse effectivement freiner le tourisme est a priori écartée, à savoir celle d'une remise en vigueur d'un système de visa. Pour le reste, le fait que nous n'ayons pas la même monnaie n'a pas empêché les touristes d'aller visiter le pays situé pour eux de l'autre côté de la Manche. En tout cas, aucune mesure d'accompagnement n'a déjà été décidée en ce domaine, comme dans aucun autre d'ailleurs.

Quant au nombre de douaniers nécessaires en cas de soft Brexit, la douane prévoit d'en recruter 250 dès cette année, avant une montée en puissance qui porterait les effectifs supplémentaires à 700 dans les deux prochaines années. En tout état de cause, la douane est une administration qui dispose d'un volant de personnel assez large. Elle pourrait donc procéder par redéploiement et par réaffectation en cas de nécessité. Nous essayons en tout cas de conserver une certaine élasticité à nos prévisions.

S'agissant du fonds de compensation en cas de conséquences dommageables pour l'économie et à l'intérêt qu'il y aurait à créer un dispositif de la sorte au niveau communautaire, le sujet a déjà été abordé. Pour l'instant, ce n'est cependant pas du tout à l'ordre du jour, même si nous continuons à en défendre l'idée. Je pense qu'en cas d'accidents de ratification ou de no deal, les prédispositions de la Commission seraient complètement différentes.

Comment sensibiliser et soutenir les entreprises ? On ne les sensibilisera jamais assez, on ne les aidera jamais assez ! Beaucoup est fait au niveau national par les services de Bercy, mais aussi par le MEDEF et par les fédérations professionnelles. Récemment, Bercy a engagé une action particulière en direction des experts-comptables, ces professionnels juridiques qui peuvent et doivent apporter du soutien aux entreprises, notamment aux plus petites. Mais il y a aussi un travail effectué au niveau local, par les DIRECCTE, les services de l'État en charge de ces questions ; les services des douanes se concentrent déjà beaucoup sur l'identification des entreprises, notamment des plus petites, qui travaillent en lien avec l'export vers le Royaume-Uni. C'est un travail de fourmi, car beaucoup d'acteurs économiques pensent encore qu'au final, on trouvera des solutions et que tout ira bien, alors qu'en fait, ce n'est pas exactement ainsi que les choses se passent. Certains acteurs restent encore dans le déni. Nous essayons de leur enlever cette illusion que rien ne va changer. Si nous disposons d'une période de transition, nous aurons 18 mois de plus pour les convaincre, mais, à un moment donné, de nouvelles dispositions entreront bel et bien en vigueur.

S'agissant de la préparation des entreprises, nous avons justement ouvert un site internet le week-end dernier pour essayer de les renseigner au mieux. Il faudra voir s'il est suffisamment efficace. En Belgique ou en Irlande, les autorités ont lancé un site, qui permet aux entreprises de vérifier si elles sont prêtes, sous forme de quizz. Si c'est une bonne idée, pourquoi ne pas les copier ? On fera peut-être ce genre de choses sur notre site internet, pour veiller à ce que les entreprises s'approprient davantage le sujet, même de manière ludique.

J'en viens à la coopération policière, sujet qui relèvera de la relation future. Il y aura un accord sur les questions de sécurité et de coopération dans le domaine de la police. Notre intérêt est que la coopération policière soit au même niveau qu'aujourd'hui. En cas de no deal, on tomberait dans le régime de droit commun en vigueur avec les pays tiers, c'est-à-dire qu'on coopérerait sur des bases ad hoc, comme nous le faisons avec les Américains, les Turcs ou les Marocains. Mais cela se ferait dans un contexte compliqué, parce qu'il faudrait renégocier des textes relatifs aux échanges de données. Or les dispositifs à mettre en place sortiraient du cadre du règlement sur la protection des données (RGPD), régime conçu pour les États membres de l'Union européenne. Quant à la coopération policière, elle serait dans un premier temps sans doute un peu moins fluide, les échanges étant moins faciles.

Est ce que la secrétaire générale des affaires européennes dispose de suffisamment de moyens ? Je vous remercie beaucoup d'avoir posé cette question. Je pense que mes équipes ont dû la susciter ! (Sourires.) En tout cas, nous n'avons quasiment pas créé de postes. Pour traiter de ces questions liées au Brexit, nous avons créé en fait deux postes, soit deux équivalents temps plein, temporaires, pour trois ans. Nous verrons s'il faut les prolonger. Pour le reste, nous nous appuyons sur les ressources existantes, soit chacun de mes collègues, chacun dans son service : la conseillère juridique, le responsable des transports, le responsable de la coopération policière… Chacun travaille ainsi sur son « morceau » de Brexit. Demander des moyens supplémentaires au-delà des deux postes créés, cela aurait été assez ambitieux. Les administrations, de façon générale, ont été très raisonnables.

Au-delà du nécessaire renfort des effectifs de contrôle, le Brexit a engendré, dans les administrations centrales, une surcharge de travail énorme. Autant de temps et d'énergie qui ne sont pas consacrés à d'autres dossiers de coopération européenne… Mais ce devrait être temporaire. Et cela a du moins la vertu de nous apprendre quel est le coût de la « non-Europe », de nous faire revenir aux fondamentaux, à ce que signifie le marché intérieur, ses avantages… C'est donc une expérience forte et intense. Même si ce dossier n'est pas forcément très gai, nous essayons de faire en sorte avec nos partenaires britanniques qu'un esprit positif continue à régner tant dans la négociation que dans cette phase de préparation.

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