Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous sur la manière dont, soixante ans après sa signature, nous pouvons faire vivre le traité de Rome dans le domaine de la justice, même si les ambitions initiales sont revisitées à l'aune de nos préoccupations actuelles.
Je connais, madame la présidente, votre engagement européen et votre attachement à l'amitié franco-allemande. Cette amitié, le Président de la République l'a résumée dans son discours devant le Bundestag du 18 novembre dernier, en citant avec beaucoup de sensibilité une correspondance entre Charles Péguy et le poète allemand Ernst Stadler : « Cher ami, je ne vous comprends pas mais je vous aime. » Quel beau témoignage de reconnaissance mutuelle de l'amitié franco-allemande !
Vous avez encore démontré votre engagement, madame la présidente, lorsque vous avez organisé une consultation citoyenne le 8 novembre dernier, en donnant la parole aux parlementaires de l'Europe. J'ai pris connaissance avec beaucoup d'attention des résultats de ces échanges. Ils rejoignent en grande partie ceux des trois consultations citoyennes que j'ai organisées auprès de publics très divers : les élèves de l'École nationale de la magistrature, les détenus de la prison des Baumettes à Marseille, de jeunes étudiants franco-allemands. Vous m'avez d'ailleurs fait l'amitié d'assister à cette dernière consultation.
Comme vous l'avez indiqué, le 7 décembre prochain, je vais aller à Bruxelles pour participer au Conseil des ministres de la justice de l'Union européenne avec mes vingt-sept homologues. C'est peut-être la dernière fois que je vais siéger aux côtés du ministre de la justice du Royaume-Uni.
Cette réalité témoigne de ce que nous ne devons jamais nous reposer sur nos certitudes. Tout d'abord, la certitude que l'Europe est née de la guerre la plus meurtrière que notre continent ait connue, à tel point que même notre humanité ne pouvait la concevoir : « C'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal », écrivait Hannah Arendt. Cela ne suffit visiblement pas à nous préserver d'évolutions que nous ne voudrions pas. Ensuite, la certitude que cette simple circonstance suffisait à lui donner un sens et une légitimité. Enfin, la certitude que l'idéal européen avait nécessairement vocation à être partagé par tous car il épousait des aspirations que l'on croyait irréversibles : l'aspiration des peuples à la paix, à la prospérité, à la liberté, aux libertés, qu'il s'agisse de celle d'aller et venir, de croyance, de se réunir, d'exprimer ses convictions religieuses ou politiques.
Manifestement, ces certitudes ne suffisent pas à ancrer le phénomène européen.
Lorsque j'étais professeure de droit à l'université – j'ai notamment donné de nombreux cours de droit de l'Union européenne –, jamais je n'aurais imaginé que l'élargissement de l'Europe pouvait un jour conduire à un retour en arrière, au départ d'un de ses États membres. On pouvait penser que l'élargissement s'était effectué de manière trop rapide ou insuffisamment approfondie, mais on n'envisageait pas ce cas de figure. Ironie de l'histoire, l'article 50 du traité sur l'Union européenne a été rédigé par un Britannique, Lord Kerr. Cet article 50 était à peine un objet d'études : on le mentionnait, sans plus. À l'avenir, au contraire, il donnera lieu à des analyses juridiques poussées : la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie à l'initiative d'une juridiction irlandaise, se prononcera en effet sur le caractère réversible de la notification britannique d'enclenchement de cette procédure. Il y aura donc des gloses et des commentaires à ce sujet.
C'est donc dans ce contexte particulier que je viens devant vous aujourd'hui, pour affirmer que, malgré tout, l'Europe doit continuer. Certains enjeux ne peuvent être utilement traités qu'à l'échelle européenne – sur ce point, le constat n'a jamais changé. C'est une illustration du principe de subsidiarité dont, en tant que parlementaires, vous êtes les gardiens.
Quels sont ces enjeux dans le domaine de la justice ? Sur quoi allons-nous nous pencher vendredi prochain, lors de ce dernier Conseil sous présidence autrichienne et quelques mois avant des élections européennes qui seront déterminantes ? Je vois au moins trois sujets de réflexion : l'adaptation aux enjeux du numérique, le parquet européen et la reconnaissance mutuelle.
Premier point : l'adaptation du droit européen aux enjeux du numérique.
Le marché intérieur de l'Acte unique de 1986 a cédé la place à un très grand marché unique du numérique, grand programme législatif de la Commission Juncker qui s'achève. Comment adapter notre cadre législatif fragmenté à des données, des biens et des services immatériels qui n'ont pas nécessairement de lien avec le territoire d'un État et qui ne relèvent donc pas toujours d'une législation identifiable ?
C'est l'objet de deux textes très importants que nous allons, je l'espère, adopter la semaine prochaine. Il y a, d'une part, un projet de règlement dans le domaine pénal qui facilitera l'accès des magistrats aux preuves électroniques détenues dans leur grande majorité outre-Atlantique. Il y a, d'autre part, deux projets de directives dans le domaine du droit des contrats qui créent des droits pour les consommateurs lorsqu'ils achètent des biens corporels mais aussi des produits et contenus numériques – films, musique en streaming, applications pour téléphone portable, logiciels de bureautique.
Commençons par le projet de règlement relatif à l'obtention de preuves numériques que l'on appelle e-evidence. Ce texte est essentiel parce qu'il répond à des enjeux opérationnels très concrets et parce qu'il entraîne un changement radical dans la conception de la reconnaissance mutuelle, pierre angulaire de la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.
Ce projet part d'un constat simple : les preuves numériques sont essentielles dans de nombreuses investigations parce que les infractions ont été commises par le biais d'internet – cybercriminalité, pédopornographie et autres – ou parce que ces preuves permettent d'identifier les auteurs, de retracer leur parcours, leur cercle de relations, de les géolocaliser. Cela peut d'ailleurs conduire à disculper certaines personnes. La plupart de ces preuves sont détenues par des fournisseurs de services établis aux États-Unis. Les juges doivent donc compter sur la coopération volontaire de ces opérateurs ou émettre des demandes d'entraide judiciaire qui mettent beaucoup de temps à être exécutées par les autorités américaines du fait des différences importantes de cadre législatif Après les attentats de 2015, la France, conjointement avec la Belgique, l'Espagne et l'Italie, a appelé la Commission à déposer des instruments législatifs qui permettraient de remédier à ces difficultés.
Issus de cette réflexion, deux textes – une directive et un règlement – sont sur la table des négociations. La directive impose aux opérateurs dirigeant leur activité vers le territoire européen d'y désigner un représentant légal à même de répondre aux demandes judiciaires, sur le modèle du Règlement général sur la protection des données (RGPD), l'une de nos grandes réussites européennes. Le règlement prévoit que la décision d'un juge visant à obtenir des données puisse être directement adressée à cet opérateur afin d'être exécutée. J'insiste sur ce point car c'est un changement fondamental : dans les instruments précédents, les demandes étaient adressées de juge à juge pour être reconnues et exécutées en application du principe de reconnaissance mutuelle. Ce règlement va plus loin car il prévoit qu'une décision judiciaire puisse être directement exécutée sans contrôle d'un juge dans l'État membre d'exécution.
Cette nouvelle orientation suscite beaucoup de discussions au sein du Conseil. Certains États craignent qu'en l'absence de règles harmonisées au niveau européen sur les privilèges et immunités, les décisions judiciaires portent atteinte à des données protégées telles que la ligne téléphonique d'un journaliste. D'autres États considèrent qu'en raison de l'évolution actuelle de la conception de l'État de droit dans certains pays, il est préférable que leurs propres autorités judiciaires conservent un droit de regard sur ces demandes. Ma collègue allemande, par exemple, a un peu de mal à concevoir qu'un juge roumain s'adresse directement à un opérateur allemand sans que les juges allemands aient un droit de regard sur la demande. Il y a de réticences, sinon des résistances, à cette nouvelle procédure. Une telle exigence semble remettre en cause l'essence même du principe de confiance mutuelle.
Pour prendre en compte ces préoccupations, le texte a beaucoup évolué depuis le début des négociations. Il prévoit désormais un régime plus protecteur pour les données de contenu. L'État membre d'émission doit informer de sa demande l'État membre sur le territoire duquel le fournisseur de services est installé, afin que ce dernier vérifie si l'exécution de la demande ne porte pas atteinte à des privilèges et immunités : données concernant des journalistes, des avocats, des parlementaires, voire des religieux dans certains États. Si c'est le cas, l'État membre d'émission doit modifier sa demande ou la retirer.
Le respect des droits fondamentaux tels que consacrés par l'article 6 de la Charte s'impose, sans qu'il soit besoin de le préciser dans le texte. Cependant, certains États tels que l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, la Hongrie ou Malte estiment que ces garanties ne sont pas suffisantes. Ces États n'ont actuellement pas de minorité de blocage et j'espère vraiment que le texte sera adopté au prochain Conseil JAI, mais ce n'est pas certain. Dans cette dernière ligne droite des négociations, nous nous employons à trouver d'ultimes compromis et à convaincre nos partenaires pour emporter leur conviction. Pour rallier la Suède au compromis, nous allons peut-être accepter d'introduire des mentions sur le respect de la liberté d'expression alors que, je le répète, l'article 6 offre une couverture générale.
Nous devrons, parallèlement à ce travail au niveau européen, engager des négociations avec les États-Unis. Ceux-ci se sont dotés d'une législation similaire à la nôtre : le CLOUD Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act). Cette législation permet à leurs autorités judiciaires d'accéder directement aux données détenues sur le territoire européen dès lors que ces dernières sont sous le contrôle d'un fournisseur américain. Nous risquons en conséquence d'exposer ces opérateurs à des conflits de loi, du fait de la portée extraterritoriale de nos législations. C'est la raison pour laquelle le Conseil a appelé la Commission européenne à lui proposer très rapidement un projet de mandat de négociation pour conclure une sorte de CLOUD Act qui soit à la fois américain et européen.
Nous l'avions déjà demandé lors des conseils JAI de juin et d'octobre. La Commission doit faire un point sur l'avancement des travaux vendredi prochain. Nous pensons qu'il est préférable que l'Union européenne et les États-Unis concluent un accord global mais les Américains ne sont pas dans cette logique. Ils préféreraient des accords bilatéraux qui leur permettraient d'éviter de signer avec des États de l'Union européenne dans lesquels ils n'ont pas confiance. C'était la position de Jeff Sessions lorsque nous l'avons rencontré, à deux reprises. Certes, il n'est plus ministre de la justice mais je ne pense pas que les États-Unis aient changé de position : ils préfèrent des accords bilatéraux qui leur permettent de choisir leurs partenaires. Pour notre part, nous préférons un accord global qui nous mette dans une position de négociation plus favorable et nous évite d'avoir un cadre juridique fragmenté.
À côté de ce premier bloc autour des directives et du règlement e-evidence, il y en a un deuxième : les projets de directives sur la fourniture de contenus et services numériques ainsi que sur la vente de biens corporels. Ces mesures techniques ont des incidences très concrètes.
Le texte relatif à la fourniture de contenus et services numériques a été adopté par le Conseil le 7 juin 2017 et il est actuellement en phase de trilogue avec le Parlement. Il part d'une page vierge : aucun texte européen ne prévoyait jusqu'à ce jour des règles spécifiques à ces contenus. Nous nous sommes penchés sur la définition d'un contenu numérique, sur les liens avec la protection des données, le droit d'auteur – la mise à disposition d'un contenu numérique, protégé au titre du droit d'auteur, peut-elle être considérée comme un défaut de conformité ? –, ou encore l'application du texte aux plateformes.
Le texte en cours de finalisation permettra de mieux protéger les consommateurs européens en leur ouvrant un droit à dédommagement et des garanties dans des situations spécifiques à ces contenus : absence de mise à jour du contenu numérique qui ne permet plus d'utiliser l'application dans son téléphone ; impossibilité de télécharger un épisode d'une série ou cessation du téléchargement en plein milieu du visionnage ; obsolescence du matériel informatique qui ne permet plus d'utiliser un logiciel car sa dernière mise à jour n'est plus compatible avec l'environnement de l'utilisateur, etc. Ce texte contient des garanties pour les consommateurs, ce qui me paraît positif.
Le projet de directive relatif à la vente de biens corporels nous sera soumis pour adoption lors du Conseil JAI du 7 décembre prochain. À notre avis, ce texte pose des difficultés importantes. La Commission a fait le choix d'un texte d'harmonisation maximale alors que les précédentes directives européennes, notamment celle du 25 mai 1999 relative à certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, étaient d'harmonisation minimale. À l'occasion de l'adoption de la directive de 1999, certains États tels que la France, la Belgique et le Portugal ont fait le choix d'adopter des règles plus protectrices pour le consommateur. C'est ainsi que le renversement de la charge de la preuve permet à un consommateur, dans les deux ans de l'achat d'un bien, d'attraire en justice le fabriquant en cas de défaut de conformité du produit sans avoir à apporter la preuve de l'origine du défaut. Le texte, qui est actuellement sur la table, ne nous convient pas car il abaisse le niveau de protection des consommateurs en réduisant notamment ce délai de renversement de la charge de la preuve : il le fait passer de deux ans à un an.
Cela illustre la difficulté d'aller plus loin dans l'harmonisation du droit lorsque la norme issue de la majorité qualifiée – qui est le mode d'adoption des textes en matière de justice à quelques rares exceptions près – est moins protectrice que notre législation actuelle. Nous défendons une Europe qui protège, dans laquelle les États qui souhaitent adopter des normes plus protectrices en matière de santé, d'environnement ou de droit des consommateurs ne devraient pas en être empêchés. C'est pourquoi nous nous employons activement à convaincre nos partenaires, durant les quelques jours qui nous séparent du Conseil, pour que le texte redevienne acceptable, au regard de ces préoccupations. Il y a quarante-huit heures, j'ai eu mon collègue autrichien au téléphone. Je lui ai demandé de décaler de huit jours le Comité des représentants permanents (COREPER) qui devait adopter hier le texte dont je vous parle : le projet de directive relatif à la vente de biens corporels. Après avoir accepté, il a fait en sorte que ce ne soit plus possible. Finalement, il a été obligé d'accepter car plusieurs États sont sur la même ligne que nous. Nous avons donc encore huit jours pour essayer de faire évoluer ce texte.
Voilà ce que je souhaitais vous dire sur les aspects numériques rapportés à la justice et aux textes européens qui seront sur la table du Conseil de vendredi prochain.
Deuxième point : le Parquet européen dont le projet est avancé sans être achevé.
Le règlement instituant le Parquet européen a été adopté le 12 octobre 2017. Vingt-deux États y participent. Le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark – qui ont fait jouer leur opt-in et leur opt-out – ainsi que la Suède, la Pologne et la Hongrie n'ont pas encore rejoint la coopération renforcée.
C'est une étape extrêmement importante dans la construction de l'espace judiciaire européen : pour la première fois, nous décidons d'exercer en commun une part importante de notre souveraineté judiciaire, liée au pouvoir d'engager des poursuites contre les auteurs d'infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne : détournement de subventions européennes, corruption, escroqueries et autres. Le parquet européen ne sera compétent que sur ces questions financières. La France a joué un rôle moteur dans la création de ce parquet. C'est un motif de légitime fierté. Nous avons des ambitions pour le futur, une fois que ce parquet sera mis en place.
Le Parquet européen disposera d'outils lui permettant de solliciter des mesures d'enquête dans chaque État membre participant, en dépassant les mécanismes de l'entraide judiciaire actuellement applicables au sein de l'Union européenne. Là encore, cela marque le niveau d'intégration sans précédent auquel nous sommes parvenus en matière judiciaire.
Le Parquet européen entrera en vigueur le 20 novembre 2020. D'ici là, beaucoup reste à faire, c'est pourquoi la commissaire Jourová nous tient régulièrement informés de l'avancée des travaux. Pour trouver le chef de ce parquet, qui en sera le visage, un appel à candidatures a été diffusé le 19 novembre. Il faudra aussi nommer les vingt-deux procureurs européens qui représenteront les autorités judiciaires de chaque État membre. Il faudra enfin nommer les procureurs européens délégués, au moins deux par pays, qui dirigeront concrètement les enquêtes. Voilà pour ce qui est des nominations nécessaires à la constitution de ce parquet européen.
Il faut aussi aménager les locaux qui se trouvent à Luxembourg, près de la Cour de justice de l'Union européenne. Il faut enfin, ce qui n'est pas une mince affaire, mettre en place les systèmes informatiques qui permettront aux procureurs européens d'effectuer une remontée d'informations et d'instruire les dossiers qui leur seront soumis.
Au niveau interne, nous devons adapter notre droit à la création de cette institution judiciaire inédite, ce qui nécessitera de modifier la loi organique du 22 décembre 1958 créant le statut de la magistrature, le code de procédure pénale et le code de l'organisation judiciaire. J'espère que nous serons en mesure de présenter un projet de loi organique dès le printemps prochain.
Je voudrais également rappeler, à propos de ce Parquet européen, que la France a proposé d'aller ultérieurement au-delà de ses compétences actuelles, pour les étendre à la question du terrorisme. Cette proposition a recueilli l'adhésion d'un certain nombre de pays avec lesquels nous travaillons, mais non de tous. Il faut donc d'abord prioritairement mettre en place le parquet tel qu'il a été conçu, pour voir ensuite dans quelle mesure nous pourrons procéder à une extension de son champ d'intervention.
Cette observation me conduit à vous signaler un point un peu en marge du Conseil « Justice », mais qui est tout de même important : nous restons déterminés à oeuvrer sur la question terroriste. Tel était le sens d'une réunion que j'ai organisée à Paris le 5 novembre dernier, c'est-à-dire il y a moins d'un mois, avec six autres ministres de la justice de l'Union européenne, représentant l'Allemagne, l'Espagne, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et l'Italie. À nous sept s'est ajouté le commissaire Julian King, le président d'Eurojust et le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme. Ont également participé à cette rencontre la présidente de la commission spéciale du Parlement européen, la députée Nathalie Griesbeck, la déléguée interministérielle à l'aide aux victimes et la conseillère spéciale de Jean-Claude Juncker sur l'indemnisation des victimes. Il faut dire que le même jour, se tenaient à Paris les Assises nationales des victimes de terrorisme au niveau européen. Il y avait donc là une conjonction de réflexions autour de la question terroriste.
Nous avons adopté, tous les sept, une déclaration conjointe dans laquelle nous nous sommes engagés à soutenir la création d'un registre judiciaire antiterroriste au niveau européen, au sein d'Eurojust, à faciliter le retrait des contenus terroristes sur internet, enjeu majeur sur lequel l'Union européenne travaille actuellement, et à améliorer la prise en charge des victimes. Voilà ce que je voulais vous dire sur le Parquet européen.
Le dernier point que je voudrais évoquer porte sur la reconnaissance mutuelle et la confiance mutuelle. J'ai abordé ce sujet brièvement à propos des négociations relatives à l'obtention des preuves électroniques.
Je crois que la méfiance de certains États, dont j'ai fait part, témoigne en réalité d'un malaise plus profond que nous devons être déterminés à combattre. Certains États prennent en effet un chemin inquiétant. Or lorsque l'indépendance de l'institution judiciaire, qui est la première garante de l'État de droit, est menacée, c'est évidemment l'ensemble de l'espace judiciaire européen qui est fragilisé. Cela crée un effet en cascade des mécanismes de défiance. C'est donc un point extrêmement important que j'ai abordé à plusieurs reprises, notamment avec ma collègue allemande Katarina Barley, ministre fédérale de la justice et de la protection des consommateurs.
La Cour de justice de l'Union a rendu récemment plusieurs arrêts rappelant des principes essentiels qui fondent notre ordre juridique européen. Dans son avis 213, la Cour a ainsi mentionné que lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union européenne, les États membres sont tenus de présumer le respect des droits fondamentaux par les autres États membres. Dans l'arrêt rendu le 25 juillet 2018 au sujet d'un mandat d'arrêt européen émis par une juridiction polonaise, la Cour a strictement encadré le contrôle du respect des droits fondamentaux auquel peuvent se livrer les juridictions dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen. Elle exige que ces juridictions caractérisent de manière spécifique et précise si, compte tenu de sa situation personnelle et de la nature de l'infraction, il y a des motifs sérieux de croire que la remise fera encourir à la personne un risque réel de violation du droit à un procès équitable causé par des déficiences systémiques ou généralisées en ce qui concerne l'indépendance du pouvoir judiciaire.
La situation en Pologne et en Hongrie est préoccupante. Il faut y répondre par les procédures prévues par les traités, qui sont spécifiquement adaptées. Mais cela ne doit pas nous conduire à abaisser le niveau de coopération et d'intégration pour les 27 autres États membres. C'est le sens du travail mené par la présidence autrichienne ces six derniers mois. Il se concrétisera par l'adoption, lors du Conseil JAI, de conclusions visant à renforcer la confiance mutuelle. Il faut en effet faire plein usage des outils mis à notre disposition : Eurojust, le réseau judiciaire européen, la formation des magistrats via le Réseau de formation des juges auquel participe activement l'École nationale de la magistrature, le portail e-justice...
En ce qui concerne plus spécifiquement l'État de droit, des mécanismes existent au niveau européen. Il s'agit, en premier lieu, de la procédure prévue à l'article 7 du traité sur l'Union européenne, déclenchée par la Commission à l'égard de la Pologne, et par le Parlement européen à l'égard de la Hongrie. La situation en Roumanie, future présidence de l'Union européenne, inquiète aussi.
La Commission a également instauré en 2014 un mécanisme préventif, le Cadre pour l'État de droit, mis en oeuvre pour la première fois pour la Pologne. Le Parlement européen considère cependant que ces dispositifs ne sont pas suffisants et souhaite aller plus loin en créant un mécanisme approfondi qui serait élargi aux droits fondamentaux et à la démocratie. Il prendrait la forme d'une évaluation par les pairs, en s'appuyant sur le tableau de bord pour la justice de l'Union européenne. Il pourrait conduire à adopter des recommandations par pays, sur le modèle de ce qui existe en matière économique, et associerait l'ensemble des institutions européennes.
Je sais que vous aussi, mesdames et messieurs les députés, êtes très préoccupés par ces évolutions. J'ai suivi avec attention vos travaux portant sur un projet de résolution européenne sur l'État de droit, et je pense que beaucoup de nos réflexions convergent. Nous aurons bien sûr l'occasion de revenir sur ces sujets. Je vous remercie d'ores et déjà de m'avoir écoutée aussi longuement.