Cela me rappelle ma mère qui, quand on lui demandait quel était son défaut, avait coutume de répondre : « l'humilité ». (Sourires.)
Ma première question portera sur le CLOUD Act, même si je ne suis pas très ferré sur le thème du numérique, que je laisse volontiers à mes collègues du Nouveau monde. Où en est-on exactement des efforts que nous faisons pour assurer une relative égalité, ou du moins une moindre asymétrie, entre le traitement que nous réservons aux données américaines et celui que les Américains sont amenés à réserver aux nôtres ? Car on voit bien que le souci de la symétrie et de l'égalité entre les deux rives atlantiques n'est pas la préoccupation dominante de l'administration américaine actuellement. Cela n'est pas nouveau, du reste, et a entraîné des blocages dans la lutte contre le terrorisme. Ainsi, lorsque nous prenions des décisions au Parlement européen, par exemple sur le règlement PNR (passenger name record) nous ne savions pas si quelqu'un aux États-Unis pourrait utiliser ou non ces données. Nous avions le sentiment de ne pas être du tout en situation de réciprocité.
Ma deuxième question porte sur le Parquet européen, véritable serpent de mer. C'était déjà le grand sujet quand j'étais président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen, voilà plus de quinze ans… Je me félicite des progrès considérables qui ont été faits même si j'ai quelques interrogations.
D'abord, le Parquet européen ne peut par définition, me semble-t-il, se prévaloir que du droit de l'Union. D'où l'attribution qui lui est faite d'un rôle dans la défense des intérêts financiers de l'Union. C'est tout à fait cohérent. Mais vous évoquez également la lutte contre le terrorisme. Comment voyez-vous alors l'extension potentielle du champ d'investigation du Parquet européen, dès lors qu'il est soumis à cette contrainte de s'appuyer sur un système juridique relativement borné, ou en tout cas limité par l'état du droit de l'Union ?
Ensuite, un parquet fonctionne en lien avec une juridiction ; il poursuit des personnes devant une juridiction. Pouvez-vous éclairer notre commission sur la façon dont le parquet européen exercera ses fonctions par rapport aux juridictions nationales et européennes existantes ? Dans quelles conditions aboutiront ses actes de poursuite ?
Enfin, vous l'avez mentionné, un certain nombre d'États sont réservés sur la mise en place d'un Parquet européen. Telle est la ligne traditionnelle du Danemark, de la Suède, de la Pologne, de la Hongrie et du Royaume-Uni, même si le problème posé par cette dernière opposition semble en passe de se régler de lui-même assez prochainement… Pensez-vous nécessaire – ou possible – de lancer une initiative plus audacieuse à quelques-uns, si les réticences persistent ?
Ma troisième question porte sur la course permanente, au sein de l'Union européenne, entre deux logiques : celle de la reconnaissance mutuelle et celle de l'harmonisation. Je me souviens qu'au moment de l'Acte unique européen, les Anglais voulaient développer une new approach : il fallait simplement de la reconnaissance mutuelle des droits pour construire le marché intérieur, tandis que les Français avaient imposé le principe qu'il n'y aurait pas de libéralisation sans harmonisation. Cela a conduit au développement d'un appareil législatif et réglementaire massif. Les Français n'ont pas cessé de s'en plaindre par la suite, sans voir qu'ils étaient directement à l'origine de cette inflation normative.
Le problème s'est posé pour la construction d'un espace judiciaire européen. Mais la situation est paradoxale aujourd'hui dans la mesure où nous avançons vers la reconnaissance mutuelle alors même que la confiance n'a jamais été aussi basse, en termes juridiques, dans les systèmes des autres États membres. Car il ne s'agit plus seulement d'envisager une conditionnalité au versement des aides régionales dans le cadre financier pluriannuel. Nous observons désormais une mise en cause assez générale des modes de fonctionnement et les discours tenus par un certain nombre d'États s'éloignent profondément du pacte fondateur de l'Union européenne. Or on a l'impression qu'on fait comme si cette tension était surmontable – ou comme si elle n'existait pas…
À partir du moment où la reconnaissance mutuelle suppose, comme vous le dites, la confiance mutuelle, cela ne doit-il pas nous conduire à suivre plutôt une logique de coopération renforcée ? Si nous sommes face à des partenaires comme les Hongrois ou d'autres, aux prises avec une situation de sécession idéologique par rapport aux principes juridique qui sont les nôtres, le grand écart sera-t-il gérable ?