Intervention de Paul Christophe

Séance en hémicycle du jeudi 6 décembre 2018 à 15h00
Reconnaissance des proches aidants — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe, rapporteur de la commission des affaires sociales :

J'ai même le souvenir, madame la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, de vous avoir entendu émettre un avis favorable sur certains points.

Cette proposition de loi a trait, avant tout, à un sujet de société qui dépasse les clivages partisans et politiques. C'est pourquoi je renouvelle le voeu qu'un vrai débat de société s'engage aujourd'hui, car le sujet des proches aidants parle à chacun d'entre nous et nous concerne tous. Qui ne connaît, dans sa famille ou dans son entourage, une personne venant en aide quotidiennement à une personne âgée ou en situation de handicap ? Et parmi nous, qui peut se prémunir du risque de devoir, un jour, se tourner vers un proche pour obtenir un soutien, une aide indispensable ?

On décide rarement de devenir aidant. Brutalement ou insidieusement, le handicap ou la perte d'autonomie s'installe et conduit le proche à assumer cette fonction, le plus souvent par amour ou par devoir, sans préparation, sans formation et sans accompagnement. Nous le voyons bien : nous sommes tous concernés par le risque de la perte d'autonomie. L'enjeu du vieillissement de la population impose de se préoccuper davantage, dès à présent, de la situation des quelque 8 millions à 11 millions de Français qui aident quotidiennement un de leurs proches à faire face à la perte d'autonomie.

Notre assemblée a déjà beaucoup travaillé sur la question des proches aidants, de nombreux travaux parlementaires en témoignent. Je citerai tout d'abord la loi créant un dispositif de don de jours de repos, sur laquelle j'ai également eu l'honneur d'être rapporteur, promulguée en février dernier. En parallèle, notre commission des affaires sociales a lancé une mission flash sur les aidants familiaux, pour laquelle notre collègue Pierre Dharréville fut nommé rapporteur. Les travaux de cette mission et la communication rendue en janvier dernier ont été riches d'enseignements sur les besoins prioritaires des proches aidants et sur leurs attentes. À l'issue de cette mission, Pierre Dharréville a déposé une proposition de loi pour une reconnaissance sociale des aidants, que j'ai cosignée, ce qui montre notre attachement sincère et transpartisan à cette cause. Cette proposition de loi fut malheureusement renvoyée en commission lors de son examen en séance publique, au motif que les travaux en cours menés par le Gouvernement n'avaient pas encore abouti.

Quel signal enverrait à nos concitoyens et aux associations de proches aidants un nouveau renvoi en commission ? De quelle considération pour les travaux parlementaires menés depuis de longs mois cela témoignerait-il ?

Je citerai également la mission conduite par Dominique Gillot, présidente du CNCPH, le Conseil national consultatif des personnes handicapées, qui a remis au Gouvernement, en juin dernier, un rapport très attendu consacré aux proches aidants. Il dresse le même constat que celui auquel a abouti la mission flash de notre assemblée : manque de reconnaissance, sentiment d'isolement et de culpabilité, épuisement physique et moral, sans oublier le risque de désinsertion, voire de rupture professionnelle, certains proches aidants étant entraînés dans des situations de précarité et d'incertitude insoutenables.

Dans son rapport, Dominique Gillot appelle de ses voeux l'institution d'un cadre unifié du statut de proche aidant, ciblé sur les besoins des aidants, au moyen d'un projet de loi spécifique. Il ne s'agit donc pas de s'en remettre à une réforme globale de la perte d'autonomie, au sein de laquelle serait traitée la question des proches aidants, mais d'élaborer un texte exclusivement consacré aux proches aidants : tel est l'objet de cette proposition de loi.

Nous avons bien conscience que les travaux actuellement menés par le Gouvernement dans le cadre de la concertation grand âge et autonomie doivent aboutir à une grande réforme de la dépendance. Je comprends tout à fait l'argument selon lequel il convient d'attendre une loi globale sur ce sujet. Pourtant, dans le même temps, le Gouvernement propose d'intégrer certaines mesures en faveur des proches aidants dans le PLFSS – projet de loi de financement de la sécurité sociale – pour 2020. Où est la cohérence intellectuelle d'ensemble ?

Par ailleurs le calendrier de cette réforme de la dépendance nous semble plus qu'incertain. Si un projet de loi global consacré à ce thème voit le jour, ce ne sera certainement pas le cas avant fin 2019, avec un vote définitif du Parlement en 2020, donc une probable mise en application concrète en 2021.

Les besoins et les attentes des proches aidants sont clairement établis. Notre assemblée a pris le temps de la concertation, de l'écoute et des débats. Il est urgent d'agir et d'envoyer un signal positif à nos concitoyens qui font quotidiennement face aux défis de la perte d'autonomie et ne sont plus en mesure d'attendre l'arrivée d'une grande réforme globale, alors que des mesures concrètes peuvent être prises dès à présent.

Le défenseur des droits, que j'ai sollicité dans le cadre de mes travaux sur ce texte, souligne qu'il est régulièrement saisi de réclamations émanant d'aidants familiaux et que le statut de ces derniers demeure encore trop précaire. Il appelle même de ses voeux l'adoption de cette proposition de loi, laquelle, bien que ne répondant pas à l'ensemble des enjeux, représenterait déjà une réelle avancée.

J'en viens au contenu de cette proposition de loi.

Sa principale avancée réside dans la mise en place d'une indemnisation du congé de proche aidant, qui serait calquée sur le régime de l'allocation journalière de présence parentale.

Le mode de financement proposé a suscité quelques interrogations lors de l'examen en commission. Compte tenu des limites de l'initiative parlementaire en matière financière, nous avons opté pour un mécanisme de financement sans impact pour les charges publiques, reposant sur l'instauration d'une faible participation sur les primes des contrats individuels et collectifs de retraite professionnelle supplémentaire. L'assiette large et le taux bas proposé devraient permettre une mise en oeuvre quasi indolore pour les assurés tout en garantissant un financement pérenne. Si vous estimez que le financement devrait, au contraire, reposer sur la solidarité nationale, donc sur les finances publiques, je vous invite, madame la secrétaire d'État, à proposer une prise en charge du dispositif par la sécurité sociale. Vous recueillerez, à n'en pas douter, le soutien de l'ensemble des groupes parlementaires qui se sont montrés favorables au texte en commission.

J'insiste sur l'importance d'une indemnité pour le congé de proche aidant. Sur les quelque 270 000 salariés potentiellement éligibles au congé de proche aidant depuis la mise en place de ce dispositif, en 2016, une dizaine de congés seulement ont été pris. Ce chiffre révèle le manque d'attractivité de la mesure. On sait que l'absence d'indemnisation est un obstacle rédhibitoire au recours à ce congé ; la perte de revenu qui en découle inévitablement contraint les salariés contraints de s'absenter pour s'occuper de leur proche à opter plutôt pour un arrêt maladie, avec toute la culpabilité et l'inconfort que cette démarche entraîne.

La proposition de loi répond également au besoin d'une meilleure prise en compte des aidants par les entreprises au niveau des branches professionnelles. Si certaines grandes entreprises se sont déjà emparées de la situation des salariés proches aidants, cette prise en compte n'est pas systématique, loin de là, notamment au sein des PME-TPE. L'article 1er vise ainsi à intégrer au champ obligatoire de la négociation collective de branche le thème de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés proches aidants.

Les articles 3 et 4 visent à harmoniser les dispositifs en vigueur par un alignement des droits sociaux des aidants, quel que soit le statut de la personne aidée.

Le volet droit à l'information des proches aidants est également enrichi par la proposition de loi. L'article 6 a ainsi pour objet d'améliorer l'identification des proches aidants et des personnes aidées par l'ajout de cette mention dans leur carte Vitale. L'ajout de cette information pourrait également faire gagner un temps précieux dans l'identification d'un aidant, en cas d'accident ou d'hospitalisation par exemple. Un guide de l'aidant et la mise en place d'un site internet destiné aux proches aidants sont également prévus.

Les avancées prévues par la proposition de loi s'adressent essentiellement aux salariés proches aidants. Mais il ne s'agit que d'un signal positif, d'un encouragement, car ce texte est loin d'épuiser la problématique des proches aidants. Beaucoup d'autres mesures seront attendues dans le cadre de la future réforme de prise en charge de la dépendance.

Pour ma part, j'ai identifié trois autres pistes d'amélioration : la future réforme systémique des retraites devra être l'occasion de sécuriser la reconnaissance des proches aidants, notamment dans son volet solidarité, car, comme nous l'a confirmé le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, lors de son audition, seule l'instauration d'une indemnisation du congé de proche aidant permettra l'ouverture du droit à des points pour la retraite ; le droit à la formation des proches aidants doit encore être amélioré ; enfin, il me semble indispensable de sortir de la logique binaire opposant le maintien à domicile et la prise en charge en EHPAD – établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes – , en prouvant l'ouverture des établissements médico-sociaux et le développement de solution intermédiaire, sortes de relais EHPAD hors les murs.

Mes chers collègues, je suis convaincu que la question des proches aidants nous concerne tous et ne devrait pas être analysée à travers le prisme des clivages politiques. Loin de s'inscrire en contradiction avec la réforme de la prise en charge de la dépendance portée par le Gouvernement, ce texte permet d'apporter des réponses rapides et concrètes à tous ces proches qui, par devoir ou par amour, deviennent un jour des aidants, sans parfois se reconnaître comme tels.

Victor Hugo, qui nous a précédés sur ces bancs, écrivait : « Quand rien ne sort du pouvoir, quelque chose sort du pays. » Mesdames, messieurs les membres de la majorité, chers collègues, vous avez aujourd'hui le pouvoir de donner une suite à cette proposition de loi et d'offrir ainsi à tous les proches aidants et à tous les aidés un avenir plus serein. En cette veille de Téléthon, au moment où nos concitoyens attendent des signaux positifs dans leur quotidien, voici l'occasion d'en envoyer un à même de réconcilier les Français avec l'action politique.

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