Depuis plus d'un demi-siècle, la construction européenne joue aussi de façon imperceptible un rôle moteur dans notre économie : c'est elle qui permet à nos PME de toucher 500 millions d'Européens, et à nos concitoyens de savoir que 1 euro aujourd'hui dans leur poche vaudra 1 euro demain. Mais ce qui était imperceptible ne l'est plus : grâce au travail accompli par les autorités britanniques, il est désormais possible de quantifier la valeur ajoutée de l'Union européenne, en examinant ce que coûte au Royaume-Uni le fait d'en sortir sèchement.
Le résultat d'un retrait complet de l'Union européenne est, pour le Royaume-Uni, un PIB amputé de 9,3 % en quinze ans, 10 % de chômage supplémentaire, une chute de 15 % de la livre et de 35 % en valeur du marché de l'immobilier en trois ans, 90 milliards d'euros en moins pour la sécurité sociale et 1330 euros de services publics en moins par habitant.
Chacun, dans cet hémicycle, doit être conscient que ce constat est le revers de ce que l'Union européenne apporte chaque jour à nos concitoyens : de la sécurité, de la prospérité, la capacité de financer nos services publics et les moyens de donner un sens à ce beau mot de fraternité qui orne le fronton des mairies partout dans notre pays.
Que l'on ne s'y trompe pas, la confusion qui règne outre-Manche est la fille des promesses irréalisables tenues par des responsables politiques aujourd'hui rattrapés par le réel et confrontés à l'inévitable. La seule progéniture de leur volonté est l'appauvrissement de ceux-là mêmes qui ont cru aux chants de Pisinoé et d'Aglaopé, et qui sont les plus fragiles de leurs concitoyens.
Il est désormais largement reconnu que le Brexit n'a pas eu l'effet domino que certains cafédomanciens promettaient et que d'autres, sans doute, espéraient. Alors qu'il devait entraîner la fin de l'Union européenne, le Brexit nous montre le danger de mettre en péril la construction que nos aïeux ont bâtie et dont la souveraineté et la sécurité de nos descendants dépendent.
Prochainement, le Parlement britannique se prononcera sur l'accord de retrait que Michel Barnier négocie de façon admirable depuis dix-huit mois. Son vote est incertain et, quelle que soit la décision des parlementaires britanniques, l'issue des négociations est loin d'être claire et dépend de facteurs nombreux et qui ne sont pas tous maîtrisés. Néanmoins, il est certain qu'à la fin des négociations le Royaume-Uni perdra son accès privilégié au marché unique européen, les banques britanniques perdront leur « passeport européen » pour échanger des services financiers au sein de l'Union et les agriculteurs britanniques ne bénéficieront plus de la PAC, de la politique commune de la pêche et de la politique de cohésion.
Cependant, nous ne sommes pas au bout du processus et la ratification de l'accord de retrait par la Chambre des communes est loin d'être acquise. En l'absence de ratification, nous entrerons dans l'inconnu. Bien malin qui saura dire quelles seront les prochaines étapes, et si l'Union et le Royaume-Uni parviendront à une sortie ordonnée. Paradoxalement, cela rend le travail que nous concluons aujourd'hui encore plus utile, plus nécessaire, plus pressant.
L'habilitation que le Gouvernement nous demande de lui accorder se justifie traditionnellement par l'urgence. En l'occurrence, l'urgence se marie avec l'incertitude et la nécessité d'agir : il nous faut en effet anticiper un hypothétique accord qui conduirait d'ici trois mois à un retrait tout aussi hypothétique aux conséquences incertaines et potentiellement désastreuses.
Ces ordonnances me semblent donc particulièrement justifiées, et mon opinion rejoint sur ce point l'avis de nos collègues sénateurs et de l'écrasante majorité des groupes et des collègues ayant participé au débat en commission spéciale.
Nous sommes d'ailleurs loin d'être les seuls dans cette situation, les Pays-Bas, l'Allemagne et la Belgique, pour ne citer qu'eux, prenant des dispositions d'urgence semblables aux nôtres. La Commission européenne elle-même a récemment présenté les modalités de son plan d'urgence en cas de sortie sans accord.
Dans les matières concernant les compétences nationales, nous devons travailler de concert avec nos partenaires. Et je me permets de saluer, madame la ministre, l'effort que vous avez fait avec l'ensemble des membres du Gouvernement ainsi que des parlementaires pour intensifier le dialogue avec les États membres qui, comme nous, se préparent de façon proactive à un retrait du Royaume-Uni sans accord.
Vous aurez compris, mes chers collègues, que ce projet de loi doit permettre au Gouvernement de limiter autant que possible les conséquences qu'emporterait un retrait du Royaume-Uni sans accord.
Limiter les dégâts, c'est, au premier chef, garder à l'esprit l'humain, les gens, les familles, les personnes – nos concitoyens vivant au Royaume-Uni et les Britanniques vivant sur notre sol. Je le répète, les citoyens européens et les citoyens britanniques ne doivent pas voir les choix de vie qu'ils ont faits sous les auspices d'une citoyenneté européenne perçue comme inviolable brisés par une décision qui leur échappe.
L'Union européenne est une communauté de valeurs, et la fraternité compte au nombre de celles-ci. Notre fonction publique s'honore de compter dans ses rangs plus de 1 700 citoyens britanniques qui contribuent chaque jour à la qualité de notre service public. La grande majorité d'entre eux participe à l'éducation de nos enfants et à l'enrichissement de leur esprit dans nos écoles et nos universités, tandis qu'une importante minorité soigne nos parents et nos grands-parents dans nos hôpitaux, nos maisons de retraites et nos établissements publics pour mineurs handicapés.
J'ai été heureux de constater, lors de l'examen de ce texte en commission spéciale, que toutes les sensibilités politiques représentées sur ces bancs ressentaient la nécessité de rassurer les citoyens britanniques vivant sur notre sol en préservant leur statut, reconnaissant ainsi la place qu'ils occupent aujourd'hui dans notre société et qu'ils continueront à avoir demain. La décision du Royaume-Uni de quitter l'Union, à laquelle bien souvent ils n'ont pu participer, ne doit pas remettre en cause les conditions de statut et d'emploi qu'ils tirent légitimement de leur travail et de leur engagement.
Par effet miroir, j'ai tâché, tout au long du travail mené dans le cadre de l'examen de ce projet de loi, d'améliorer autant que possible les perspectives de nos concitoyens qui séjournent, étudient, travaillent, bref qui vivent au Royaume-Uni. Je connais l'angoisse qui les habite depuis le 23 juin 2016, celle de voir la vie qu'ils ont construite lacérée par la signature trop hâtive d'un stylo plume acéré, oubliant que des femmes, des enfants et des hommes sont le coeur des questions qui doivent nous occuper.
Des jeunes et des familles ont fait le choix de traverser la Manche parce que l'Union européenne leur offrait une libre circulation, une plus grande facilité pour trouver un travail et une sécurité pour leurs droits sociaux. Ces choix ne devront jamais servir de monnaie d'échange dans les négociations.
Mais force est de reconnaître que, bien souvent, et sans mesures unilatérales, ce seront les premières victimes d'un retrait sans accord. Je tiens donc à vous remercier, madame la ministre, d'avoir proposé, en commission, de prolonger jusqu'à six mois après la date d'un éventuel retrait sans accord la période qui sera prise en compte pour le calcul des droits sociaux, des périodes d'assurance, d'activité ou de formation professionnelle.
Il faut permettre à nos concitoyens de se retourner et de mener les démarches adéquates s'ils devaient décider de retourner en France, parfois malgré eux. Celles-ci doivent être simples, pour être effectives, et nous veillerons à ce que les intéressés soient pleinement conscients de leurs droits.
Qu'il y ait accord ou pas, ces ordonnances permettront également de maintenir la circulation des personnes et les échanges de marchandises par ce cordon vital qu'est le tunnel sous la Manche. Le tunnel, c'est un poumon économique pour la région des Hauts-de-France, chère au coeur des membres de la commission. Là encore, nous sommes tous d'accord : la reconnaissance professionnelle et les licences d'autorisation pour l'exploitation du tunnel sont des questions absolument essentielles. Aucun dysfonctionnement ne peut être toléré pour le bien de nos concitoyens et de nos entreprises. Le tunnel, c'est aussi l'artère qui lie le continent aux îles britanniques et un sujet de dimension européenne autant que française. À ce titre, il me semble essentiel que les autorités européennes jouent un rôle actif pour assurer son bon fonctionnement, que ce soit au travers de dérogations ou de financements d'exception.
Mes chers collègues, permettez-moi enfin de me réjouir des conditions dans lesquelles ce projet de loi a été adopté par la commission spéciale la semaine dernière. Au fil d'un dialogue constructif, nous avons fait progresser ce texte qui fixe des objectifs précis au Gouvernement pour la protection de nos concitoyens. Je pense que nous avons fait preuve là de responsabilité collective. Il est du rôle de l'Assemblée nationale de contrôler l'action du Gouvernement et de trouver des solutions communes pour faire face à ce qui pourrait être l'un des plus grands bouleversements géopolitiques de ces dernières années. Pour toutes ces initiatives, ces discussions et ce sens de la responsabilité, je vous remercie.