Les relations avec nos voisins d'outre-Manche ne datent pas de la dernière pluie, et c'est un Normand qui vous dit cela. Guillaume le Conquérant, Jeanne d'Arc, Napoléon… Nos deux pays sont historiquement et intimement liés. Liés parfois dans la douleur, quand on pense par exemple à la bataille de Trafalgar, puis à la défaite à Waterloo, sans oublier Fachoda, la colonie française récupérée par les Anglais, mais liés aussi par les réconciliations et l'entraide à une époque plus récente, par exemple lors de la Seconde Guerre mondiale. Puis les clichés ont fait le reste : un folklore que les deux pays entretiennent avec humour : « Grenouilles » contre « Rosbifs », nous aimons détester les Anglais, et vice versa.
Il n'en reste pas moins que de nombreux jeunes, attirés par le dynamisme économique du pays, se sont, depuis longtemps, installés à Londres. Ce sont ainsi plus de 300 000 Français qui sont répartis dans tout le territoire du Royaume-Uni, quand près de 200 000 Britanniques vivent aujourd'hui en France. Enfin, le Royaume-Uni est aussi l'un de nos principaux partenaires économiques, puisque 30 000 entreprises françaises y exportent l'équivalent de 3 % de notre PIB. Il en est de même de la coopération culturelle, scientifique et technique qui se développe grâce à des liens directs entre universités, musées, instituts, centres de recherche ou fondations.
Nous le voyons bien, c'est une histoire humaine, forte et ancienne, qui nous lie. C'est pourquoi nous regrettons profondément ce retrait du Royaume-Uni. Nous le regrettons, mais nous l'acceptons, car c'est le choix du peuple britannique, un choix souverain. Le 23 juin 2016, les Britanniques ont voté en faveur du Brexit. Le 29 mars 2017, Theresa May a, par conséquent, activé l'article 50 du traité de l'Union européenne concernant la sortie d'un État membre. Le 19 juin 2017 s'ouvraient les négociations sur le Brexit et, le 25 novembre 2018, lors d'un sommet européen extraordinaire, l'accord de sortie entre l'Union européenne et le Royaume-Uni a été entériné ainsi, qu'une déclaration commune, ébauchant les lignes directrices de la relation post-Brexit.
L'incertitude est maintenant grande sur l'issue du vote à Westminster, qui a certes été reporté, mais qui aura bien lieu. Certaines personnalités politiques – sans doute devrais-je dire certains « bookmakers », quand on connaît l'engouement des Anglais pour les pronostics – prévoient un résultat à une dizaine de voix près. Pour ou contre : dix voix pourraient avoir des répercussions énormes. L'enjeu est grand. La Première ministre a récemment déclaré : « Si les gens pensent qu'on peut encore négocier, ce n'est pas le cas. » Pour elle, les Britanniques ont le choix entre un vote favorable, qui marquerait le début d'un « avenir brillant et meilleur » pour son pays et un « no deal », qui signifierait « plus d'incertitudes et plus de divisions ».
Les négociations sur nos futures relations avec le Royaume-Uni s'ouvrent donc et devront se conclure vite. Nous devons prendre nos responsabilités dans ces négociations, et rapidement. La réponse du Gouvernement, c'est le projet de loi qu'il nous demande d'examiner aujourd'hui. Il vise à habiliter le Gouvernement à prendre un certain nombre d'ordonnances pour répondre au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Sur la forme, le Conseil d'État considère que ce recours aux ordonnances est justifié « à la fois par l'urgence qui s'attache à la préparation de ces mesures mais aussi par le caractère conditionnel de la plupart d'entre elles ». Il serait donc injuste, madame la ministre, de vous reprocher ce nouveau recours aux ordonnances puisque, pour une fois, il est justifié.
Il ne faudrait pas, néanmoins, que cela fasse jurisprudence. En effet, le Conseil d'État a tout de même émis des réserves, estimant que la finalité des mesures envisagées était imprécise et que le périmètre du projet de loi initial était trop large. Fort heureusement, les travaux de la commission spéciale ont apporté des précisions, ce que nos collègues du Sénat avaient déjà fait avant nous.
Cela étant, des questions et des inquiétudes subsistent. En effet, quelle que soit l'hypothèse retenue, celle du deal ou du no deal, celle d'un Brexit hard ou d'un Brexit soft, les enjeux sont considérables pour notre pays et pour nos concitoyens. Je pense prioritairement aux conséquences pour nos ports, en particulier à ceux qui sont situés sur la façade nord-ouest. En tant qu'élu de la Seine-Maritime et que fils de marin, je porte un regard attentif sur les conséquences que le Brexit pourrait avoir sur les ports du Havre et de Rouen. Ce sont de véritables poumons économiques pour notre territoire – je sais que vous en avez pleinement conscience, madame la ministre.
Je m'inquiète aussi pour toutes les entreprises de ces deux hubs portuaires. Je le répète, l'enjeu est de taille, puisqu'il s'agit de conserver la fluidité actuelle du trafic transmanche et de toute la logistique qui en découle, malgré le rétablissement d'une frontière et d'un passage douanier. La pêche et les pêcheurs sont aussi au coeur de mes préoccupations. Il est urgent qu'un accord spécifique soit trouvé dans ce secteur. Les Français doivent pouvoir pêcher dans les eaux territoriales britanniques, qui sont extrêmement poissonneuses, ou tout au moins pouvoir recevoir des aides européennes prévues par la politique commune.
En tant que parlementaire de Normandie, une région qui vient de se placer au deuxième rang pour la fréquentation touristique, j'estime qu'un travail doit également être mené sur les conséquences du Brexit sur cette filière en plein développement, qui est pleine de promesses pour nos territoires. Ne pas s'y atteler serait dommageable et nous priverait de la venue de nombreux Britanniques friands, nous le savons, de tourisme « vert », de tourisme gastronomique, de tourisme oenologique, culturel, mémoriel et fluvial. C'est un enjeu considérable.
Enfin – même si la liste de mes questions ou inquiétudes n'est pas exhaustive – il est important, sinon crucial, d'associer pleinement, de manière effective et concrète, les collectivités territoriales aux négociations en cours. Les régions, les départements et les agglomérations se préparent déjà à un scénario catastrophe. Il est urgent de les rassurer, dans la mesure du possible, et de les accompagner. Vous nous dites souvent, madame la ministre, qu'il faut sourire à l'avenir et qu'on verra plus tard. Mais, comme le disait Winston Churchill, il est toujours bon de regarder vers l'avenir, mais on peut difficilement regarder plus loin qu'on ne voit.