Monsieur le président, madame la ou le ministre, selon le choix grammatical, mes chers collègues, la question du Brexit mériterait d'être débattue, pour une raison très simple : c'est un signal qui nous est peut-être adressé. En faisant l'économie de cette discussion au sein du Parlement, en croyant que l'on règle les problèmes derrière les rideaux, on finit par transformer la vie politique en théâtre, ce qui est bien dommage.
Ce projet de loi d'habilitation présente trois caractéristiques critiquables : il est frappé par l'incertitude – mais ce n'est pas le fait du Gouvernement – , par l'impréparation – ce qui est le fait du Gouvernement – , par une impolitesse démocratique.
Concernant l'incertitude, Mme May sera-t-elle encore première ministre demain ? Vous me répondrez qu'un autre doit se poser la même question sans être pour autant en Angleterre. On ne le sait pas. Nous avançons dans une espèce de brouillard londonien, sans connaître les bases juridiques à venir, ce qui n'est pas la faute du Gouvernement puisque la réalité politique veut que nous ignorions tout du devenir juridique, voire diplomatique, du Brexit. Parallèlement, nous avons l'obligation de protéger les intérêts de la France et ceux de nos ressortissants. La voie des ordonnances permettra-t-elle de renforcer la protection de nos droits et la défense de l'intérêt général de nos ressortissants ? Je ne le crois pas car il n'y a pas d'économie dialectique. Nous avons attendu deux ans. Quelle que soit votre rhétorique, que je sais fine et belle, il demeure que deux années représentent tout de même le temps d'un débat, ne croyez-vous pas ? Nous ne l'avons pas fait. Pourquoi, dans ce cas, légiférer si tard ? Surtout, vous demandez un blanc-seing. Quid des formalités douanières ? Quid du rétablissement des contrôles vétérinaires, sanitaires, phytosanitaires à nos frontières maritimes ? Quid du corridor maritime, de Dunkerque, de Boulogne, de Capécure, de Calais ? Toutes ces questions restent sans réponse. Bien sûr, vous voulez un blanc-seing mais nous avons tout de même le droit de réagir surtout quand, modestement, nous avons le sentiment de porter la parole d'un peuple qui, aujourd'hui, a beaucoup de mal à se faire entendre. Il doit d'ailleurs s'exprimer en couleur, pour être entendu. C'est, du reste, la seule solution pour être remarqués des sourds : qu'au moins ils voient à défaut d'entendre... Eh bien, le Parlement n'interviendra pas et il n'aura pas son mot à dire. Tout cela passera jusqu'au jour où cela ne passera plus. On reverra l'histoire, on reverra les rhéteurs, ceux qui manient les mots avec aisance pour nous convaincre que tout va bien, qu'ils ont toujours raison. A las cinco de la tarde : l'heure de vérité viendra.
Voilà pourquoi je me permets de vous dire qu'il s'agit là d'une impolitesse démocratique. Le Parlement a le droit d'intervenir, de dire son mot, mais le seul fait que le pacte de Marrakech ait pu être signé sans jamais avoir été débattu au Parlement témoigne bien du peu d'importance de la représentation nationale. Ce pacte permettra d'accorder des droits qui n'auront pas été discutés. On a beau nous assurer qu'il n'aura pas de valeur juridique, c'est bien par les termes « Nous nous engageons » qu'il commence.
Je ne sors pas du sujet car c'est un ensemble qui s'inscrit dans une même logique : écarter le Parlement de sa mission. Le concept de clandestinité disparaîtra, le regroupement familial sera favorisé, le transfert d'argent facilité mais le Parlement ne serait pas concerné, tout comme il ne serait pas concerné par le Brexit du Royaume-Uni, ni par les 187 engagements qui visent, aussi incroyable que cela puisse paraître, jusqu'à l'éducation des médias, la nécessité de recadrer le discours. Je vois un lien entre ce catimini démocratique, cette espèce de peur démocratique, qui sévit à Marrakech, et celle qui entoure la discussion autour du Brexit. À force de faire taire les uns et les autres, craignez, et je le déplorerai, qu'ils parlent fort et haut.