En 1891, l'entreprise Tréfimétaux, qui utilise de l'amiante pour fabriquer des feuilles et des tubes de cuivre, s'installe à Dives-sur-Mer, une commune ouvrière au coeur de ma circonscription. En 1984, l'usine, qui employa jusqu'à 1 000 salariés, est fermée à la suite d'une restructuration du groupe Pechiney. En 2007, Tréfimétaux est inscrite par arrêté de l'État sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante – ACAATA. Mais, après un recours de l'entreprise dans lequel l'État s'est abstenu de défendre son arrêté de classement, celui-ci est annulé par la cour d'appel de Nantes au motif que seuls vingt personnes avaient été exposés à l'amiante. Ce jugement a laissé les salariés abasourdis. Ils ont éprouvé un profond sentiment d'injustice et se sont sentis livrés à eux-mêmes, exposés au mépris et à l'incompréhension. Car ce sont en réalité 300 salariés, et non 20, qui ont contracté une maladie professionnelle liée à l'inhalation d'amiante – la preuve étant que la caisse primaire d'assurance maladie a reconnu, pour 160 d'entre eux, une faute inexcusable de l'employeur.
Devant ce drame humain, et pour répondre à la détresse des personnes concernées, les ministres Touraine et Sapin ont écrit en octobre 2012 à la direction de la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail – CARSAT – une lettre dans laquelle ils reconnaissaient la justesse de la demande du Collectif des victimes de l'amiante de Tréfimétaux. De mon côté, dès le début de la législature, j'ai évoqué le dossier avec Mme la ministre du travail. En février 2018, le ministère m'a répondu que le Conseil d'État, dans sa décision de décembre 2010, avait jugé que les opérations de calorifugeage à l'amiante au sein de Tréfimétaux n'avaient pas été suffisamment significatives pour justifier l'inscription de l'établissement sur la liste de ceux ouvrant droit à la CAATA, la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, et qu'il revenait à la cour d'appel de Nantes de se prononcer sur la demande d'annulation de la décision implicite de rejet.
En mai 2018, les anciens de Tréfimétaux ont rencontré l'inspection du travail de Caen. Mais si on les reçoit bien volontiers, personne ne les écoute réellement ; trimballés d'un service à l'autre, ils finissent par mourir des suites de leur maladie dans l'indifférence des autorités. Parfois, on leur répond qu'ils devraient se satisfaire que certains d'entre eux aient obtenu la retraite anticipée.
Madame la secrétaire d'État, ces ouvriers ont été empoisonnés par l'amiante, leur vie a basculé dans la maladie et l'angoisse. Ils demandent de la considération, de la reconnaissance. Une réparation au titre du préjudice d'anxiété ne soignera pas la maladie qui les rapproche chaque jour de la mort, mais apaisera leur sentiment d'injustice.
Le temps fait son oeuvre, et chaque année, ils sont de moins en moins nombreux à livrer ce dernier combat : 102 sont déjà partis et plusieurs centaines sont malades. Est-ce là la stratégie de l'État ? Ils n'en peuvent plus de la langue de bois, des autorités qui n'assument pas leurs responsabilités et des procédures de justice. Il s'agit de leur dignité, pas d'un dossier simplement technique, financier ou administratif. Ces ouvriers veulent qu'enfin l'État cesse de nier leur statut de victime. De cette négation naît le sentiment d'injustice qui alimente la défiance à l'égard de l'État, cet État qui n'est pas venu défendre son arrêté. Pourquoi ? Cela mériterait sans doute une enquête. Pourquoi rien n'avance alors que les ministres successifs s'engagent ? À qui la faute ?
Madame la secrétaire d'État, entendez ce message de détresse qu'ils vous adressent afin qu'ils retrouvent la confiance en l'État. Ils en appellent moins à la justice qu'au recouvrement de leur honneur, pour eux, leur famille et pour ceux qui sont partis.