Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mercredi 11 octobre 2017 à 15h00
Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Cependant, les autorités qui critiquent votre texte ne manquent pas, et il ne s'agit pas exactement de gauchistes. Mes collègues du groupe La France insoumise les ont déjà cités à plusieurs reprises : il s'agit de Jacques Toubon, défenseur des droits, selon lequel « le Gouvernement prend le risque de remettre en cause [… ] l'équilibre qui fonde le droit pénal entre exigences de sécurité et protection des droits et libertés » ; de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui craint que ce projet de loi consacre « une dangereuse banalisation des mesures de l'état d'urgence, qui pourtant devaient rester provisoires » ; du Syndicat des avocats de France ; de l'Union syndicale des magistrats ; et même, outre-Atlantique, de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l'homme, selon laquelle « cette normalisation des procédures d'urgence a des conséquences graves pour l'exercice et la protection des droits en France ». Toutes ces critiques portent à la fois sur les assignations à résidence, sur le périmètre de sécurité, sur les perquisitions administratives et sur les contrôles d'identité. Que disent-ils tous ? Selon les mots du Syndicat de la magistrature, que ce projet de loi fait « le nid de pratiques discriminatoires ».

Cela nourrit mon inquiétude : je crains que le remède soit pire que le mal. Les contrôles d'identité – c'est statistiquement prouvé – se font largement au faciès et sont ressentis comme une violence. Par ailleurs, 99,6 % des perquisitions administratives ne donnent lieu à aucune enquête, mais elles laissent derrière elles des portes brisées, parfois des appartements saccagés. À chaque contrôle inutile, à chaque perquisition vaine, c'est un peu de rage qui est semée. Voilà ma crainte : que la société française se déchire, que deux France se tournent le dos. Il y a des quartiers que l'on dit tantôt abandonnés, tantôt à reconquérir, comme si l'on parlait de territoires étrangers.

Je voudrais citer une autre personne : un policier avec qui je joue au foot le dimanche matin. Il me parle du divorce évident, de la relation brisée entre les jeunes des quartiers populaires et la police. Il me dit se souvenir d'un temps où, avec la police de proximité, il effectuait un véritable travail de terrain, et insiste sur le fait que, grâce à ce travail, des résultats étaient obtenus. Je l'ai dit durant ma campagne : si le Président de la République rétablissait la police de proximité, je le soutiendrais. Nous avons entendu un mot à ce sujet cet été, et depuis, plus rien. Mais pourquoi n'avoir pas commencé par là ? Pourquoi ne pas oeuvrer dès maintenant à des mesures qui résorbent les tensions, plutôt qu'à ce projet de loi, qui risque de les aggraver ?

C'est enfin et surtout une absence qui m'a choqué, je l'ai déjà dit dans cet hémicycle. Sur le financement du terrorisme, rien !

Permettez-moi de vous rappeler les propos tenus par Simon Riondet, chef du renseignement financier d'Europol, à propos des Panama papers : « Le point principal ici est que nous pouvons relier des entreprises liées aux "Panama papers" non seulement à des infractions économiques, comme le blanchiment d'argent, mais aussi au terrorisme ».

Grâce aux SwissLeaks, on a retrouvé chez HSBC les sponsors d'Oussama ben Laden : la golden chain – c'est-à-dire la chaîne d'or – de ses mécènes. Parmi eux, un prince saoudien qui a protégé le chef d'Al-Qaïda, l'ancien trésorier d'une présumée organisation-écran du groupe terroriste et un autre prince, dont l'épouse a envoyé de l'argent à l'un des auteurs de l'attentat du 11 septembre 2001. Rien sur tout cela !

Rien non plus sur les ventes d'armes au Qatar, qui représentent 7 milliards d'euros pour ces dernières années, alors – on le sait très bien, c'est un fait documenté – que ce pays abrite des personnes finançant le terrorisme. Il y a là une complaisance : nous devrions en finir avec la diplomatie du carnet de chèques. Emmanuel Macron l'a reconnu lui-même dans un entretien au magazine Le Point paru cet été : « Le Qatar et l'Arabie Saoudite ont financé des groupements [… ] qui ont de fait contribué au terrorisme. »

Pourtant, rien de tout cela n'apparaît dans votre projet de loi. Tous les amendements qui visaient à combler ce manque ont en effet été méthodiquement rejetés. Les financiers sont épargnés : il n'y aura rien, rien de rien, pas une ligne pour s'attaquer au financement du terrorisme, pour renforcer l'arsenal juridique, policier, administratif qui permettrait de démanteler les sociétés offshore, de traquer les banquiers de la terreur, de s'attaquer aux propagandistes de la haine. Cette absence est choquante. Ce n'est plus une lacune, c'est un gouffre, une béance au coeur de votre texte. C'est pourquoi, entre autres, nous voterons contre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.