Intervention de François de Rugy

Réunion du jeudi 6 décembre 2018 à 9h00
Commission des affaires économiques

François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Mesdames et messieurs, je suis très heureux de vous retrouver ce matin pour parler de la PPE. Nous en avions discuté lors de l'audition générale que j'ai eue avec vous peu de temps après ma nomination et nous étions donnés rendez-vous pour cette présentation et un débat autour des choix qu'elle comporte pour les dix ans à venir, avec deux périodes de cinq ans et une révision au bout de la première.

J'entends la demande, par de nombreux députés, d'un véhicule législatif pour cette PPE. Ce n'est pas la procédure actuellement prévue, mais on pourrait tout à fait l'imaginer – je le dis à titre personnel. Il existe une loi de programmation militaire (LPM) tous les cinq ans, avec une visibilité à dix ans ; cela pourrait s'envisager également pour l'énergie, même s'il n'y a sans doute pas le même degré de consensus sur les grands choix énergétiques que sur les grands choix stratégiques.

Je serai toujours disponible, durant mon mandat, pour parler avec vous de la mise en oeuvre. Nous ne conduisons pas un exercice théorique : nous visons bien la mise en oeuvre de moyens concrets. La PPE a vocation à traduire une stratégie française de l'énergie pour dix ans mais celle-ci, du fait de la loi de transition énergétique de 2015, est aussi l'engagement d'un nouveau modèle énergétique français. C'est un virage dans notre politique énergétique aussi important que celui qui a été conduit dans les années soixante-dix – je ne crois pas qu'il y ait eu une loi à l'époque –, lorsque la France s'est engagée dans le programme électro-nucléaire de très grande ampleur sur lequel nous vivons encore aujourd'hui, près de quarante plus tard.

C'est une double transition que nous souhaitons mener : la transition vers un modèle de plus en plus sobre en émissions de gaz à effet de serre, pour atteindre nos objectifs en termes de climat, et la transition vers une moindre dépendance du nucléaire dans la production d'électricité, même si la PPE ne parle pas que de l'électricité.

Les grands objectifs sont le climat, la sécurité d'approvisionnement de notre pays en énergie en général et en électricité en particulier, un modèle économiquement viable en termes de coût de production, avec des prix maîtrisés pour le consommateur, particuliers ou entreprises, et qui soit une opportunité de développement économique pour nos territoires. S'il y a bien un virage majeur par rapport à ce qui s'est fait ces dernières décennies en France, et l'on pourrait même presque dire depuis le début de la révolution industrielle, c'est la décentralisation de la production d'énergie pour faire profiter tous nos territoires des ressources que présente notre pays.

Il a certes déjà existé une PPE. Elle était prévue sur une durée plus courte de trois ans. Nous cherchons à nous caler, après le vote de la loi, sur les rythmes démocratiques. Les périodes de cinq ans correspondent en gros aux mandats politiques. Ainsi, le sujet pourra faire l'objet de débats à l'occasion des élections présidentielles et législatives. Nous sommes également sur un exercice bien plus complet. La précédente programmation, très imprécise, fixait peu d'objectifs chiffrés dans le temps et sur la trajectoire. Nous avons voulu faire oeuvre de clarté et de précision.

La consommation est le premier sujet. Si nous voulons réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut réduire la consommation d'énergie, en commençant par les énergies fossiles. Nous nous sommes fixés pour objectif de les réduire de 40 % d'ici à 2030. C'est un objectif nouveau, plus ambitieux que celui auparavant affiché de 30 %, et qui s'inscrit dans la trajectoire de neutralité carbone à l'échéance de 2050.

Sur la méthode, nous avons en outre décidé, avec le Président de la République, de créer un Haut Conseil pour le climat qui a pour but d'assurer le même niveau de suivi et d'évaluation que dans le domaine des finances publiques. On parle souvent de la dette climatique, de la dette écologique ; nous aurons ainsi une institution comparable au Haut Conseil des finances publiques, qui rend chaque année, en toute indépendance, un rapport sur la dette budgétaire.

Nous mettons en oeuvre des moyens dans le domaine du logement et des bureaux, c'est-à-dire du bâti, ainsi que des transports.

En ce qui concerne le logement, le Premier ministre s'est exprimé dans les médias : l'idée est une sortie en dix ans du chauffage au fioul, individuel et collectif. Il ne s'agit pas d'interdire les chaudières au fioul demain matin, ni dans cinq ans, ni dans dix ans, mais de lancer un mouvement en accompagnant les Français. Aujourd'hui 3,5 millions de foyers sont chauffés au fioul en chauffage individuel et quelque 600 000 en chauffage collectif en immeuble, sans compter le chauffage de bâtiments publics. Cela correspond à environ 10 millions de personnes.

Il est clair qu'il va falloir revoir nos modes d'intervention, de soutien, d'accompagnement pour obtenir des résultats beaucoup plus importants dans la baisse de consommation d'énergie des logements. Cela passe par l'amélioration de l'isolation dans le parc existant. Autant nous avons des normes relativement efficaces pour les constructions neuves, et tant mieux, autant le chantier reste à lancer pour le parc construit avant ces normes. Je proposerai que nous travaillions ensemble avec les professionnels du logement, du bâtiment, de l'énergie et sans doute aussi les organismes bancaires et financiers, pour avoir des solutions globales au service des particuliers et des collectivités.

Le transport routier est l'une des premières sources d'émission de CO2 : transport routier individuel, avec les voitures, transport routier collectif, avec les bus, les cars voire une partie des trains, et transport routier de marchandises. Nous menons la bataille sur les normes d'émission de CO2 à l'échelle européenne. La négociation n'est pas tout à fait terminée mais nous avons récemment, au niveau du Conseil des ministres, gagné une bataille en obtenant la baisse de 35 % par rapport à 2020 des émissions de CO2 d'ici à 2030 sur les véhicules neufs vendus, soit une moyenne de soixante grammes de CO2 par kilomètre contre quatre-vingt-quinze grammes en 2020. Vous connaissez les moyens d'accompagnement qui y sont consacrés ; nous pourrons y revenir.

La question de la pointe, madame la présidente, n'est pas ignorée dans notre stratégie. C'est un travail à mener conjointement, avec les responsables du réseau, qui sont en première ligne. RTE a appelé l'attention sur ce point et proposé des solutions de gestion de la consommation de pointe pour la réduire et donc réduire le recours à des puissances de production aujourd'hui en grande partie thermiques. En matière d'électricité, on évoque souvent le caractère variable de la production, plus rarement la variabilité de la consommation. Ce travail doit également être mené avec les producteurs et distributeurs d'énergie mais aussi les consommateurs, industriels et particuliers. Sur la consommation des particuliers, on ne peut avancer si l'on n'utilise pas des moyens comme le compteur Linky ou en tout cas les compteurs communicants, qui permettent une action dans les deux sens : de l'information pour les consommateurs mais aussi de la gestion pour les producteurs-distributeurs.

Le deuxième volet extrêmement important de cette stratégie est le développement des énergies renouvelables, et ce pas seulement dans la production d'électricité. Notre objectif est 32 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie, soit 40 % dans l'électricité. Il convient par ailleurs de ne pas se contenter d'un objectif global mais d'établir une déclinaison. Certains auraient préféré s'en tenir à un objectif global, en laissant les choses s'ajuster secteur par secteur ; j'ai quant à moi défendu l'idée qu'il valait mieux avoir des objectifs secteur par secteur pour mobiliser les acteurs des différentes filières, et éviter que chacun s'imagine que c'est l'autre qui fera l'effort.

La priorité est de développer les filières les plus compétitives. Vous m'avez sans doute déjà entendu le dire : il s'agit d'un diptyque « fiabilité technologique et compétitivité économique ». Cela n'empêche pas de mener des recherches, de conduire des programmes de développement de nouvelles technologies, mais, quand on vise un développement à grande échelle sur dix ans, on ne peut pas parier sur des ruptures technologiques. Si des technologies qui n'existent pas aujourd'hui apparaissent, tant mieux, elles nous faciliteront la tâche et nous aurons toute latitude de nous en saisir, mais nous ne pouvons pas bâtir un schéma sur un pari virtuel, ni sur des technologies qui ne sont pas éprouvées techniquement ou compétitives économiquement. La priorité, en termes de volume, est de s'appuyer sur ce qui est fiable technologiquement et compétitif économiquement, ce qui n'empêche pas de pousser les feux d'autres filières qui doivent encore gagner en maturité technologique ou en compétitivité économique. C'est le cas sur l'éolien en mer, où nous avons déjà franchi un cap. C'est également le cas sur le gaz renouvelable.

S'agissant des moyens, nous sommes prêts, et nous le disons car nous agissons de façon transparente – il n'y a pas de coûts cachés –, de passer de 5 milliards d'euros par an de soutien aux énergies renouvelables à 8 milliards par an, ce que nous considérons comme un maximum. C'est une bosse qui a ensuite vocation à décroître car, quand les énergies sont compétitives, il n'y a pas besoin de soutien.

Aujourd'hui, l'éolien terrestre et le solaire photovoltaïque de grandes surfaces sont quasiment au prix de marché. Certes, cela dépend des projets et des endroits, ainsi que du prix de marché, mais quand celui-ci est, comme aujourd'hui sur la vente d'électricité en gros, à 60 euros le mégawattheure, certains projets éoliens terrestres, peut-être même le projet éolien en mer de Dunkerque, ou des projets de solaire photovoltaïque, sont sur ces prix. Les développer ne coûte donc rien en subventions publiques. Mais si les prix de l'électricité de gros baissent un peu ou si l'on développe des projets plus coûteux, il faut prévoir un soutien public. Pour la période 2018-2028, nous avons évalué ce soutien à un peu plus de 70 milliards d'euros. Vous le voyez, ce n'est pas une petite politique d'investissement.

C'est bien de l'investissement dans notre économie et dans nos territoires. C'est sans doute une évidence pour vous mais je me rends compte qu'il y a un énorme travail de pédagogie à conduire, notamment dans le contexte actuel, où ressort souvent le sentiment que certains territoires sont laissés à l'écart des transformations, ne profitent pas de la dynamique économique. C'est le discours des métropoles versus les territoires ruraux, de la mondialisation qui profiterait davantage aux grandes villes, notamment à la métropole parisienne, tandis que les autres territoires seraient touchés par une forme de déclin. L'activité relative aux énergies nouvelles sera justement forte dans les territoires ruraux. C'est déjà le cas aujourd'hui, chacun peut le vérifier, avec des retombées concrètes. La cartographie des entreprises travaillant pour le secteur éolien, qui occupe 15 000 emplois en France, montre qu'elles sont partout sur le territoire et très peu en région parisienne. L'éolien en mer assurera également, au-delà de la production, une activité de maintenance dans les zones industrialo-portuaires. La fermeture d'une centrale à charbon entre Nantes et Saint-Nazaire a forcément un impact sur l'activité du port de Nantes-Saint-Nazaire. Ainsi, 7 % de l'activité portuaire va disparaître avec la fin du trafic de charbon, mais il y aura demain un relais d'activité avec les éoliennes en mer dans le même port. C'est valable aussi à Dunkerque, au Havre, en Provence…

C'est aussi le cas du gaz renouvelable. Nous nous sommes fixés comme objectif 10 % de gaz renouvelable dans la consommation finale de gaz en 2030, alors que nous sommes aujourd'hui à 0,1 %. C'est une multiplication par cent. Cela représente là aussi de l'activité dans tous nos territoires, directement liée à l'activité agricole, et un complément de revenu. Pour atteindre cet objectif, il faudra améliorer les coûts de production. Nous avons aujourd'hui 500 méthaniseurs en France, quand l'Allemagne en compte 8 000. C'est pourquoi nous parlons de changer d'échelle.

Nous pourrons parler de l'hydrogène, notamment de ce qu'on appelle l'hydrogène vert, non émetteur de CO2, pour lequel l'objectif est de passer à 10 % en 2023, avec comme priorité la consommation industrielle mais aussi les transports lourds. Nous pourrons parler des biocarburants, avec l'objectif de 15 % de carburant non fossile, soit une multiplication par douze des volumes, d'ici à 2028, et la mise à contribution de filières françaises et européennes et non l'importation d'huiles de pays lointains. Nous pourrons évoquer la chaleur renouvelable : l'objectif est de 38 % d'ici à 2028, avec l'augmentation du fonds chaleur. Le solaire et l'éolien restent toutefois les deux principaux facteurs d'augmentation des énergies renouvelables. La fin de la production d'électricité par centrales thermiques à charbon est également programmée ; ces centrales seront fermées d'ici à 2022.

Le nucléaire était, bien sûr, un sujet très attendu. Je considère que l'on ne peut pas réduire la PPE à ce sujet mais il n'est évidemment pas question de faire comme s'il n'existait pas. La fermeture de la centrale de Fessenheim est confirmée, sans doute en 2020, fermeture que l'on peut aujourd'hui découpler de l'ouverture de la centrale de Flamanville. Ensuite, dans la seconde tranche de la PPE, pour la période 2023-2028, nous fermerons quatre réacteurs, en 2025, 2026, 2027 et 2028, et quatre autres d'ici à 2030, soit huit réacteurs à cette date.

Nous faisons les choses de manière prévisible. Nous avons même communiqué la liste des sites qui pourraient être concernés, parmi lesquels nous souhaitons qu'EDF désigne des réacteurs à fermer. Je la rappelle : Tricastin, Bugey, Gravelines, Dampierre-en-burly, Le Blayais, Cruas, Chinon et Saint-Laurent-des-eaux. Nous voulons anticiper et éviter les couperets. Nous l'avons dit clairement : il s'agit de fermetures non plus de centrales mais de réacteurs, ce qui permet de gérer plus facilement l'avenir des sites. Si nous ne faisons rien, si nous attendons les visites décennales, la visite décennale 4 – qui en comptera de nombreuses car nous entrons dans la période des quarante ans pour beaucoup de centrales françaises – puis la visite décennale 5, pour les cinquante ans, nous pourrions avoir de mauvaises surprises. Regardez ce qui passe chez nos voisins belges, dont le parc nucléaire est un peu plus âgé que le nôtre : ils sont confrontés à des mises à l'arrêt, résultant, non pas de fermetures décidées à la suite d'un choix politique, mais de problèmes de sûreté. En France, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) conduit les visites décennales et peut prononcer des mesures identiques. Si nous ne prévoyons rien, nous pourrions être amenés à vivre un moment très difficile, avec des problèmes de sécurité d'approvisionnement en électricité. Pour assurer cette sécurité, il faut appliquer le principe de bon sens consistant à ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.

En ce qui concerne l'avenir de la filière nucléaire française, je veux dire les choses de la façon la plus claire – sinon, on entretient le flou. Certains peuvent se demander si la loi de transition énergétique et ses déclinaisons, sous la forme des programmations pluriannuelles successives, conduiraient finalement à faire mourir à petit feu la filière nucléaire française, parce qu'elle atteindrait un grand âge et qu'il n'y aurait pas d'avenir grâce à de nouvelles technologies. La loi de transition énergétique, et je suis bien placé pour le savoir car j'ai participé aux débats qui ont conduit à son adoption, n'est pas une loi de sortie du nucléaire : c'est un texte de rééquilibrage, et la présente programmation pluriannuelle de l'énergie ne vise pas non plus à la sortie du nucléaire, mais à une diversification et à un rééquilibrage.

La question de l'avenir de la filière électronucléaire française est posée à travers l'EPR : jusqu'à présent, c'était lui qui était présenté comme la technique et le produit d'avenir pour cette filière. Compte tenu des difficultés rencontrées à Flamanville, mais aussi en Finlande, nous considérons qu'EDF, qui est aujourd'hui le chef de file de la filière, y compris pour la production de réacteurs, doit nous dire concrètement quelles sont les possibilités en termes de fiabilité technologique et de compétitivité économique.

Nous considérons que ces éléments pourraient être fournis d'ici à 2021 de façon claire et transparente, ce qui permettra de choisir de commander ou non de nouveaux réacteurs, dans des sites où des réacteurs anciens seront fermés et qui pourraient accueillir – ou non – de nouveaux réacteurs. On aurait ainsi un bon enchaînement, transparent et clair, avec les élections de 2022, dans la perspective des choix à faire pour l'avenir de la filière électronucléaire française.

Nous avons demandé à EDF de faire des propositions sur l'organisation et la structure de l'entreprise pour réaliser des transformations dans le système français de production électrique.

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