Je commencerai par la question de Célia de Lavergne au sujet des sites : nous voulons tirer les leçons de l'expérience de Fessenheim où nous sommes partis de zéro. Il ne s'agira toutefois pas de faire du copier-coller car chaque site a ses spécificités. Je précise qu'il s'agit d'une fermeture non pas du site mais des réacteurs et ce n'est pas pour jouer sur les mots mais pour être transparent. Cela ne plaira pas à certains qui voudraient que nous fermions les sites et les centrales. Parmi les outils à notre disposition, il y a le contrat de transition écologique qui permet à la fois d'accompagner les personnels et de mobiliser les acteurs du territoire, soit pour une reconversion soit pour une diversification des activités.
Le réquisitoire de M. Di Filippo contre la taxe carbone ne m'étonne guère. Il n'est pas facile de gérer tout cela dans la situation qui est celle de la France aujourd'hui. Nous prenons nos responsabilités. Nous avons dit que pour 2019, il n'y aurait pas les hausses prévues qui s'inscrivaient dans une trajectoire ponctuée par la mise en place de la taxe carbone et l'égalisation des taxes sur le diesel, l'essence et le gazole non routier. Nous attendons que l'apaisement soit revenu car notre pays n'a rien à gagner à voir perdurer une situation quasiment insurrectionnelle pendant des semaines. Nous verrons quelles conclusions tirer des propositions qui pourront émerger des débats et quels seront les meilleurs outils. Je serai preneur de toutes les suggestions.
Notre politique n'est pas celle de l'immobilisme et du statu quo, je le redirai autant de fois que nécessaire. À quoi servirait sinon d'élaborer une programmation pluriannuelle de l'énergie ? Nous ne voulons pas laisser les choses se faire au fil de l'eau. Imaginons qu'un jour, l'Autorité de sûreté nucléaire déclare que tel réacteur, trop vieux, doit être arrêté pour un ou deux ans : nous serions obligés d'aller voir nos voisins pour leur demander de nous vendre de l'électricité. Je ne dis pas ça pour la plaisanterie car c'est exactement ce qu'est en train de faire mon homologue belge. La France pourra fournir de l'électricité à la Belgique en novembre et décembre mais nous ne sommes pas certains que cela sera possible pour janvier et février car nous devons assurer l'alimentation électrique de notre pays. Rappelons que notre parc nucléaire n'est disponible qu'à 60 % ou 70 % en hiver et qu'il en va de même pour les centrales à charbon et les chaudières au fioul.
Monsieur Di Filippo, je vous dis aujourd'hui ce que j'ai dit hier à des gilets jaunes avec qui je débattais. Si demain, les prix du pétrole augmentent brusquement, que dira-t-on aux Français ? « Débrouillez-vous » ? Les primes à la conversion et le développement de la voiture électrique supposent de créer un environnement favorable, de mobiliser des acteurs, d'aller chercher des financements. Ceux qui préfèrent ne rien voir changer, ceux qui parlent d'écologie punitive, ceux qui évoquent les urbains qui emmerdent les ruraux pourront toujours continuer avec leurs discours démagogiques. Les gilets jaunes que j'ai rencontrés ne sont dupes. Ils savent bien que le changement est nécessaire, simplement ils veulent savoir comment être accompagnés.
Notre choix, nous l'assumons, consiste à conduire une transformation. Les salariés des sites nucléaires en sont bien conscients. Quand je suis allé voir les salariés de la centrale à charbon de Saint-Avold en Moselle, je leur ai tenu un langage de vérité et je me suis engagé à les accompagner et à ne pas les laisser sur le carreau. C'est une expression que les gens comprennent bien en Lorraine puisqu'elle vient du carreau de la mine, cet endroit où les mineurs restaient quand ils n'avaient pas de travail, et elle a du sens pour moi qui suis arrière-petit-fils de mineur. Pendant des dizaines d'années, des hommes politiques ont dit aux mineurs de charbon de ne pas s'inquiéter, que des plans charbon relanceraient l'exploitation alors qu'ils savaient très bien qu'il s'agissait d'une activité condamnée. Ils n'ont pas voulu dire la vérité aux gens. Bien évidemment, il est plus difficile d'aller dire aux salariés dans les yeux que mettre fin aux centrales au charbon est une nécessité si l'on veut lutter contre le réchauffement climatique. Quelle crédibilité aurais-je sinon ? Comment pourrais-je dire à Katowice, comme je l'ai fait lundi dernier, que la Pologne doit sortir du charbon ? L'exploitation minière représente encore 80 000 emplois dans ce pays mais il y a déjà eu une évolution car elle en comptait 320 000 il y a dix ans. Partout les choses bougent et c'est notre responsabilité de conduire les transformations plutôt que de les subir.
L'un des enjeux de l'hydrogène, monsieur Delpon, est en effet le stockage. Étendre les capacités de stockage de l'électricité permettra de gérer beaucoup plus facilement l'électricité produite par l'énergie renouvelable et d'arriver à égaliser consommation et production.
Quant à l'éolien flottant, monsieur Maquet, monsieur Pahun, je suis totalement pour. Il faut toutefois éviter de se payer de mots. Il y a quelques semaines, certains voulaient tout arrêter, préférant attendre une baisse des prix au risque de priver la France de filière industrielle et de stopper les premiers projets. Je me suis battu pour l'éolien flottant, notamment en posant des exigences de prix. Si nous avons fixé à 2020 le premier appel d'offres, c'est que nous considérons qu'un délai de dix-huit mois est nécessaire. Si les prix baissent, nous pourrons aller plus vite dans les années à venir.
Monsieur Wulfranc, nous avons déjà présenté tous les éléments aux élus du territoire mais nous pourrons faire un point avec vous. Sur les relais d'activité, les discussions se poursuivent, notamment sur la filière de la déconstruction et du démantèlement qui pourrait s'implanter là.
Monsieur Prud'homme, vous évoquez la possibilité de mettre le nucléaire à l'abri du marché. Engie, qui exploite les centrales en Belgique, sait ce que ça veut dire : chaque fois qu'il y a un problème avec une centrale, cela suscite des interrogations sur l'entreprise en général. Nous voulons avancer, dans l'intérêt d'EDF à long terme et dans l'intérêt de l'État, mais nous n'avons pas de doctrine toute faite. Faut-il séparer le nucléaire des autres activités d'EDF et le renationaliser à 100 % ? Comment traiter les réseaux et les énergies non renouvelables ? Quel sort réserver à l'hydroélectricité ?
S'agissant de l'électromoblitié, monsieur Zulesi, nous devons mobiliser moyens et acteurs. Vous avez dit « malgré l'actualité, la transition doit rester une priorité », je dirai plutôt « du fait de l'actualité » car il faut agir pour ne pas laisser les gens se débrouiller seuls face aux hausses des prix du pétrole, qui ne manqueront pas de revenir – n'oublions pas que le prix du baril est monté jusqu'à 147 dollars il y a quelques années. Même si une semblable augmentation n'arrive que dans cinq ou dix ans, nous nous serons préparés et nous aurons protégé les Français contre ces fluctuations, au-delà des enjeux climatiques qui restent une préoccupation majeure. Préoccupation que ne semble pas partager M. Di Filippo qui caricature notre action en disant que nous voulons « sauver la terre » alors qu'il s'agit de préserver la capacité des humains à vivre sur terre, et donc sur le territoire français de métropole et d'outre-mer.
Monsieur Bony, nous nous pencherons sur la question de la pénurie de ressources pour la méthanisation. S'agissant des parcs éoliens, je vous invite à regarder une carte de France. Vous verrez qu'il y a de très vastes zones qui ne comptent que très peu d'éoliennes terrestres. Il s'agit d'en ajouter là où elles sont encore peu nombreuses – en tenant compte du vent, évidemment.
Madame Brunet, travailler avec tous les acteurs et maximiser les retombées pour les territoires, ce sont des axes de notre action.
Sur l'hydroélectricité, monsieur Morenas, il faut dire la vérité. Plusieurs gouvernements successifs ont pensé qu'ils pouvaient proroger indéfiniment les concessions sans les ouvrir à la concurrence. Nous sommes arrivés au bout de cette logique qui ne me semble pas la meilleure pour défendre ce secteur. Les élus des Pyrénées en ont ras-le-bol que rien n'ait été fait depuis six ans que les concessions sont arrivées à échéance. Ils sont venus me voir pour que le processus d'ouverture à la concurrence soit relancé. Nous allons gérer cela au mieux dans l'intérêt des territoires et des entreprises concernés, dans le cadre de notre politique énergétique.
Vous avez évoqué, monsieur Bouillon, monsieur Potier, les territoires à énergie positive. Les élus locaux et les collectivités territoriales se mobilisent déjà et mènent beaucoup d'actions intéressantes comme celle qu'a citée M. Lioger à Metz. Je suis convaincu qu'il faut montrer que les économies d'énergie dans les bâtiments publics et les logements sont rentables. La dotation globale de fonctionnement (DGF) doit-elle être pour une part indexée sur la politique des collectivités locales en matière d'énergie ? J'y serais tout à fait favorable. Il faudrait en discuter avec les diverses associations de collectivités car je ne suis pas sûr qu'elles seraient toutes d'accord. Encore une fois, il n'y a pas de recette magique. Ne perdons pas de vue que le moratoire sur la taxe carbone réduira les recettes et donc les financements des collectivités. Quand on fait de la pédagogie budgétaire, on fait oeuvre utile dans le débat public.
Je suis prêt à prendre en compte ce qu'a dit M. Dombreval sur l'acceptabilité du solaire, tout en étant conscient des problèmes qui se posent en la matière. Je pourrais vous donner citer des cas concrets. Ainsi, on m'a expliqué que l'on ne pouvait pas faire de solaire à tel endroit en raison des règles des Bâtiments de France, des règles de compatibilité ou d'utilisation des sols – c'est sans doute à cela que M. Pottier faisait allusion. Selon les services de mon ministère, par exemple, la création d'une centrale au sol sur certains sites est impossible parce qu'elle s'opposerait à la nécessaire protection d'un espace naturel protégé. Il peut s'agir d'un aigle ! L'aigle aurait-il été effrayé par les panneaux solaires ? Quoi qu'il en soit, il faudra y réfléchir sérieusement. Si l'on continue à mettre en avant toutes sortes d'arguments, bons ou mauvais, et à lancer des injonctions contradictoires, on ne changera pas d'échelle.
La remarque que vous avez faite sur la Côte d'Azur relève évidemment du bon sens. Moi-même, quand je vois tous ces hangars logistiques et toutes ces toitures de supermarchés, je me dis qu'il y a des panneaux solaires qui se perdent !
Il faut changer d'échelle. Il faut modifier nos modes d'action et nos procédures d'appels d'offres. Nous sommes prêts à travailler concrètement sur les règles. Mais je suis sûr que, de toute façon, nous n'échapperons pas à la critique. Certains considèrent déjà que ce n'est pas bien au motif que les panneaux solaires sont importés de Chine. On trouve toujours un prétexte, alors même qu'on produit, et c'est heureux, des panneaux solaires en dehors de la Chine.
Madame Véronique Riotton, vous avez évoqué la nécessité de mesurer régulièrement nos avancées en matière énergétique et climatique. C'est un des objectifs du Haut Conseil pour le climat. Mais d'autres peuvent aussi intervenir.
Monsieur Serville, je n'ai pas dit que la Guyane n'était pas en France, ni que cela ne m'intéressait pas. J'ai simplement dit que la Montagne d'Or était un sujet en soi, programmation pluriannuelle de l'énergie ou pas – nous sommes d'accord sur ce point. Et personne n'a prétendu, en tout cas pas moi, que ce projet ne posait aucun problème et qu'on pouvait y aller tête baissée. Pour autant, je pense qu'il y a encore matière à travailler sur les activités économiques en Guyane, sur les questions d'énergie, etc. Donc, nous en reparlerons. C'est la seule chose que j'ai voulu dire.
Je répondrai la même chose à M. Letchimy. Je suis tout à fait d'accord pour que l'on se penche – et l'on pourra poursuivre nos échanges en dehors de cette réunion – sur les questions posées par l'alimentation en gaz, la géothermie, etc. En tout cas, il est sûr que la programmation pluriannuelle de l'énergie connaît une déclinaison territoire de l'outre-mer par territoire de l'outre-mer, selon les spécificités locales. C'est une obligation légale.
Cela dit, je suis convaincu que certains potentiels, notamment en énergies renouvelables, ne sont pas suffisamment exploités. Le système des zones non interconnectées (ZNI) a créé des rentes de situation et favorisé ce qui est aujourd'hui complètement contradictoire avec notre politique, à savoir la construction de centrales thermiques. Le phénomène ne touche d'ailleurs pas que les outre-mer, mais aussi les îles de Bretagne ou la Corse. Le schéma est toujours le même : on construit une centrale thermique et on accorde à celui qui l'exploite un tarif d'achat garanti, qui est financé par la contribution au service public de l'électricité (CSPE).
Il faut donc transformer le système et le faire progressivement, dans la mesure où il faut aussi, évidemment, assurer l'alimentation électrique. Je suis tout à fait conscient de ce qu'a dit M. Serville à propos de la Guyane, et j'imagine que cela se vérifie dans d'autres territoires. Nous devrons en outre appliquer des solutions adaptées aux territoires, plutôt que de plaquer un modèle unique, comme on a pu le faire par le passé.
Enfin, monsieur Pahun, je pense vous avoir déjà répondu, en même temps qu'à d'autres, sur l'éolien flottant.