Intervention de Christophe Jerretie

Réunion du mercredi 5 décembre 2018 à 14h05
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Jerretie, rapporteur pour information :

Depuis mai, notre groupe de travail sur le cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne a initié un travail de réflexion et d'analyse des propositions de la Commission européenne pour les perspectives financières de 2021 à 2027. Avant de vous présenter au début de l'année 2019 le rapport et ses propositions plus concrètes, je souhaitais, avec Jean-Louis Bourlanges, vous donner aujourd'hui l'état de la discussion en cours, ainsi que nos premières perspectives pour les mois de négociations encore à venir. Il est impossible de couvrir tous les sujets dans une seule communication, aussi ai-je proposé que le groupe de travail revienne régulièrement rendre compte, avec des communications, devant la Commission des affaires européennes, des avancées de la négociation. Je vais évoquer deux points principaux. Je vais commencer par revenir sur les conditions déterminantes du débat sur le CFP. J'identifie, à ce stade, trois éléments majeurs : la question du Brexit, celle des élections européennes, et enfin, de manière plus technique, l'unanimité requise pour adopter le règlement du CFP. Dans un second temps, je vous parlerai des propositions de la Commission et de nos premiers éléments de positions sur les propositions de la Commission elles-mêmes.

La première partie concerne le Brexit. Temps fort de la vie institutionnelle de l'Union, la discussion de la programmation budgétaire pluriannuelle est toujours longue et difficile. Les négociations des deux derniers cadres financiers pluriannuels ont mis plus de deux ans à aboutir. Aujourd'hui, avec le Brexit, on pourrait aller au-delà de ça. La difficulté supplémentaire à intégrer cette fois est majeure : le départ prochain d'un de ses principaux contributeurs nets, le Royaume-Uni. Le manque à gagner pour le budget de l'Union devrait être de 10 à 13 milliards d'euros par an. La Commission européenne a du faire des coupes dans son budget et accroître, d'un autre côté, la contribution des États membres. Je veux insister, en passant, sur l'opportunité historique du départ du Royaume-Uni pour la suppression la plus rapide possible des rabais. D'autres États se sont engouffrés, introduits dans cette brèche, et ont réclamé à leur tour la réduction de leur contribution. Le Brexit est une opportunité de remettre à plat l'ensemble de ces éléments inéquitables dans la contribution de chaque États membre. La proposition de la Commission européenne vise une réduction du rabais en cinq ans. Nous voulons aller beaucoup plus vite et proposons de limiter le temps de suppression du rabais.

Le deuxième élément majeur du débat est l'articulation problématique de l'adoption du CFP et des mandats du Parlement européen et de la Commission.Cette donnée inhabituelle s'ajoute au calendrier de la discussion du cadre financier, durant lequel interviendront donc les élections européennes, ce qui ne manque pas de compliquer ce débat. Aujourd'hui, il y a bien une proposition sur un CFP sur 7 ans, de 2021 à 2027, qui aurait pu aboutir avant les élections, selon le Président de la Commission, mais qui aurait été contraire aux exigences démocratiques. Il a donc été proposé un nouveau tempo d'une durée de cinq ans plus logique et en phase avec le tempo des élections des députés européens. Mais cette proposition de la Commission ne fait pas encore l'objet d'une prévision détaillée de mise en oeuvre. On pourrait imaginer que les prochains Cadres financiers pluriannuels de cinq ans soient proposés puis discutés pendant les deux premières années du mandat de la Commission et du Parlement européen, et qu'ils s'appliquent lors des trois années d'après, ainsi que pendant les deux premières années du mandat suivant. Ainsi, chaque Parlement aurait à la fois l'opportunité et le temps, pendant sa mandature, de discuter des grandes orientations budgétaires, de suivre leur mise en oeuvre initiale et d'en voir l'effectivité. C'est une proposition, une évolution qui pourrait être réalisée. Je pense qu'il est nécessaire de recadrer les institutions avec la démocratie et le temps démocratique.

Par ailleurs, la présidence de la Commission avait un temps envisagé que sa proposition puisse être discutée et adoptée avant les élections européennes. À cette assurance peu réaliste a succédé, depuis quelques mois, le choix de discuter sur des « boîtes de négociations », c'est-à-dire de discuter sur des sujets précis pour avancer sur ceux faisant consensus d'une part, et de relever les blocages et difficultés sur ceux qui ne font pas consensus, uniquement dans la construction des outils et non pas sur le volume financier. Cette approche très constructive a été engagée par la présidence autrichienne et doit être saluée. Nous espérons que la semaine prochaine, lors du Conseil européen des 13 et 14 décembre, nous aboutirons à des échanges importants sur ce sujet car, selon que les outils sont figés ou bien construits, il est plus ou moins facile de négocier les volumes financiers.

La troisième difficulté pour l'adoption du CFP est un élément technique extrêmement contesté, il s'agit de l'unanimité. Les grandes orientations de la prochaine programmation budgétaire devraient être actées avant les élections européennes, pour la réunion du Conseil européen de mars 2019, et les discussions des montants avoir lieu avant décembre 2019. Les négociations sont toujours plus difficiles quand on travaille pour adopter un CFP à l'unanimité et non à la majorité. Le Groupe de travail préconise d'aller vers une adoption à la majorité, si nous voulons surmonter les blocages, les idéologies individuelles, les choix nationaux. En effet, au moment de passer à la caisse, les logiques nationales reprennent trop vite le dessus. La seule manière institutionnelle de les dépasser est que l'unanimité devienne la majorité.

Au-delà de ces trois éléments qui sont constatés dans les discussions sur lesquels nous faisons des propositions, je voudrais évoquer le coeur du sujet, la forme et le fond des ambitions de la Commission pour le budget 2021-2027.

On entend beaucoup que la proposition de la Commission pour 2021-2027 souffre d'un manque d'ambition tant pour les dépenses que pour les nouvelles ressources propres. Pour revenir à la proposition de la Commission dans sa forme, il faut saluer les efforts de lisibilité et de simplification administrative. À titre d'exemples, le passage de 58 à 37 programmes, ou l'introduction d'un corpus réglementaire unique pour sept Fonds de l'Union en gestion partagée, qui devrait être mis en oeuvre pour la gestion et l'attribution de ces fonds, sont des avancées importantes de simplification. Parallèlement, les dispositifs de flexibilité sont accrus. L'examen à mi-parcours, qui avait été réclamé et obtenu en fin de négociation par le Parlement européen pour le cadre financier européen précédent, est intégré. C'est une donnée de départ du nouveau CFP.

En ce qui concerne le fond de la proposition, on a retenu trois grands principes à renforcer : la synergie, la solidarité, et la substituabilité.

La synergie signifie que ce budget devrait être un outil nous permettant de mettre en commun des dépenses qui seraient mieux réalisées ensemble à l'échelon européen et qui emporteraient une réelle valeur ajoutée de l'Union européenne. Ainsi, on peut citer, parmi les dépenses qui auraient vocation à être réalisées par l'addition des budgets européens et nationaux, par des moyens de décisions partagés, celles dans les domaines de la transition énergétique, ou de la création des infrastructures.

Le deuxième point est une substituabilité plus poussée. On remarque qu'il y a une nécessité de substituabilité beaucoup plus forte qui permettrait, pour certaines dépenses bien identifiées sur quelques politiques d'envergure, de les retrancher des budgets nationaux. Cela conduirait à éviter des doublons, chaque pays ayant déjà assez de mal à monter ses budgets nationaux. Il est nécessaire de passer à une substituabilité plus poussée pour aboutir à un budget européen. Je pense par exemple aux secteurs de la défense, ou de l'enseignement supérieur, qui gagneraient à cette mutualisation plus forte des financements d'une part, et à un fonctionnement plus en réseau d'autre part. On pourrait alors imaginer de communautariser les moyens.

La solidarité est à la base du projet européen. On l'oublie bien souvent. Elle irrigue à juste titre sa concrétisation budgétaire. Elle va à l'encontre de calculs « boutiquiers » qui visent à récupérer les montants investis dans la construction au quotidien du budget européen. Il faut prendre conscience qu'il est nécessaire de faire table rase de ce que nous avions, de ce que nous pouvions avoir et de ce que nous devons avoir. Aujourd'hui, nous ne pouvons envisager notre destin sans ce budget européen, sans l'Europe. L'exemple du Brexit n'est peut-être pas l'exemple à suivre.

Pour cette première communication, après les grandes lignes, je vais vous donner des détails sur les interventions sectorielles. En matière de dépenses, j'évoquerais, en premier lieu, les politiques régionales et les politiques de cohésion mises à mal par les propositions de la Commission. Il nous semble que la position française devrait être plus forte sur ces sujets et défendre de façon plus marquée, plus claire la politique de cohésion.

Le deuxième sujet est la PAC, que plusieurs collègues de notre commission défendent avec talent. Pour la PAC, qui est la première politique véritablement intégrée au sein de l'Union, des diminutions sont également à attendre. Il nous faut évidemment défendre cette politique, mais il faut également avoir le courage de la réévaluer, région par région, de mesurer son efficacité réelle sur le terrain pour les agriculteurs. Le groupe de travail insistera sur l'importance de la PAC et complétera les propositions de nos collègues de la commission sur cette politique.

Enfin, en ce qui concerne les recettes, nous ne pouvons que le déplorer, force est de constater que ce n'est pas lors du prochain CFP que sera relevé le défi des nouvelles ressources propres pour l'Union. Là encore, la règle de l'unanimité freine beaucoup trop les progrès de l'intégration, retardant l'indispensable harmonisation fiscale. Seule la contribution au budget d'une partie des recettes du marché des droits d'émission de carbone présente aujourd'hui de réels caractères de solidité et d'opérationnalité. C'est un élément à pousser. On en espérait plus après les nombreux appels des ministres à doter l'Union de véritables recettes communautaires. En revanche, on peut cibler certains éléments. On en a ciblé un majeur, prioritaire et primordial pour l'avenir, c'est celui d'une assiette commune pour l'imposition des bénéfices des sociétés. On y intégrerait tout ce qu'on évoque sur la taxe sur le numérique. Il nous faut aller vers une convergence sur la fiscalité. Nous, parlementaires, devons faire avancer le combat sur les recettes. Une fraction de cette future assiette commune pourrait servir de base à une ressource propre de l'Union, tout en contribuant à de meilleures conditions d'égalité fiscale entre les États membres.

En conclusion de cette communication, je dirais que nous sommes dans l'actualité sur beaucoup de sujets comme l'Ecofin, le Brexit, le contexte social et le contexte politique de tous les pays. Le travail est long, dur et obligatoire. Si la temporalité et la spatialité sont bonnes, nous avons besoin de prendre des décisions. Une fiscalité doit être juste. Au niveau européen, nous devons aussi être justes sur les recettes et les dépenses que nous voulons.

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