Intervention de Jean-Pierre Pont

Réunion du jeudi 6 décembre 2018 à 10h05
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Pont, rapporteur :

Ce sont ces deux raisons qui expliquent la très forte réaction de la France – des ports en premier lieu, mais aussi des collectivités locales concernées et du Gouvernement – à la proposition faite le 1er août par la Commission européenne. En effet, cette dernière, après avoir lancé une consultation publique de deux semaines seulement sur les nouveaux liens maritimes entre les ports de Dublin et de Cork et les ports du corridor Mer du Nord-Méditerranée a proposé un lien vers des ports, en se limitant à Zeebrugge, Anvers et Rotterdam.

La Commission se défend de toute « malice » à l'égard des ports français ; elle explique avoir basé ce nouveau tracé du corridor sur les liaisons maritimes directes existantes aujourd'hui entre l'Irlande et la partie continentale de l'Union. J'y verrai pour ma part presque de la paresse intellectuelle. Certes historiquement, en 2013, les neuf corridors se sont greffés sur les corridors ferroviaires de fret européen introduits dès 2007 et étendus en 2010, dont ils sont le prolongement. D'une certaine façon, la Commission a ici repris ce schéma de pensée en remplaçant les lignes de chemin de fer par des lignes de fret maritime. Mais il est pour nous inconcevable de ne pas avoir tenu compte de la réalité des flux de trafic de marchandises entre l'Irlande et le continent. Or une partie de ces flux arrive à Calais et Dunkerque, ports du réseau central qui sont aujourd'hui sur le corridor.

La Commission n'a pas tenu compte non plus des temps de trajet, bien plus longs vers les trois ports retenus. Or, la durée de trajet a des incidences directes sur les émissions de CO2 et de particules polluantes. Il est donc inacceptable que les ports de Calais et Dunkerque ne soient pas pleinement intégrés dans la nouvelle liaison maritime directe vers l'Irlande qu'envisage la Commission européenne pour remplacer la partie terrestre britannique du corridor Mer du Nord – Méditerranée. Il est regrettable que, compte tenu de la nécessaire redéfinition définitive des liens entre l'Irlande et le continent, la Commission n'ait pas d'emblée envisagé un lien nouveau vers l'Irlande à partir du corridor Atlantique. Le mécanisme d'interconnexion en Europe (MIE) s'inscrivant dans le cadre financier pluriannuel, avec un accord de retrait ordonné, nous en resterons à la situation qui prévaut aujourd'hui jusqu'au 31 décembre 2020. Sans accord, le texte MIE 2014-2020 doit certes être modifié, mais la proposition de la Commission européenne est inacceptable.

La Commission TRAN a examiné les propositions de sa rapporteure le 3 décembre ; le Conseil n'a pas encore inscrit ce sujet à son ordre du jour. Dans tous les cas, il est indispensable que la période post 31 décembre 2020 ne soit pas préemptée par une décision prise à la va-vite au cours de l'été dernier. Cette question se pose d'ores et déjà puisque le MIE 2021-2027 est en cours de discussion. Les Commissions Transports-Tourisme et Industrie-Recherche-Énergie du Parlement européen, saisies conjointement, se sont prononcées le 22 novembre dernier ; le Conseil des Ministres des Transports du 3 décembre a adopté une orientation générale partielle. S'agissant des ports français concernés qui appartiennent au réseau central, les deux co-législateurs s'accordent sur la nécessité non seulement d'inclure dans le corridor Mer du Nord – Méditerranée redessiné Calais et Dunkerque, mais aussi de redessiner le corridor Atlantique avec une branche maritime vers l'Irlande à partir de l'axe Seine-Le Havre.

S'agissant du MIE 2021-2027, les commissions conjointes proposent deux prolongations vers l'Irlande dans le corridor Mer du Nord-Méditerranée, dont seule l'une inclut Calais et Dunkerque, et elles n'incluent pas Le Havre dans ce corridor Mer du Nord-Méditerranée, demande portée tant par le Gouvernement français auprès du Conseil, qui l'a acceptée dans son orientation partielle lundi, que par la Commission Transports pour le MIE 2014-2020. Concernant les ports français qui appartiennent au réseau global, le Parlement européen propose d'intégrer les ports de Brest, Roscoff, Caen et Cherbourg dans ce corridor Atlantique redessiné. Pour séduisante politiquement que soit cette idée, elle n'en demeure pas moins juridiquement fragile. En effet, appartenir à un corridor présuppose une condition, celle d'être un port du réseau central, et cette catégorisation relève non pas du règlement MIE mais du règlement RTE-T n° 13152013. De plus, cette solution présente un double inconvénient : tout d'abord la liste est incomplète ; ensuite l'accession à cette nouvelle catégorie ne pourrait pas être limitée aux seuls ports français concernés par le Brexit. Leur visibilité en termes d'accès aux financements européens serait donc loin d'être accrue, ce serait sans doute même le contraire, les autres ports européens pouvant demander et bénéficier de ces financements.

Ces ports sont dans une situation particulière : compte tenu de leur situation géographique, qui leur offre un avantage comparatif en termes de rapidité de la liaison maritime, une modification des flux en leur faveur est très prévisible. Une solution à la fois solide juridiquement et efficace concrètement est d'inscrire dans les priorités du MIE le soutien à l'amélioration des contrôles de sécurité, douaniers, sanitaires liés au trafic de marchandises et de passagers ; cela permettrait de répondre à la fois aux besoins des ports français et à la nécessité d'un ciblage précis des financements sur ces derniers ; une telle approche horizontale aurait en outre le double avantage d'obliger la Commission européenne à y consacrer systématiquement une tranche de ses appels à propositions et de porter le taux maximum de cofinancement auquel les projets français peuvent prétendre de 30 % à 50 %. Une accélération du calendrier de la Commission européenne, avec une révision anticipée du règlement précité, s'impose en parallèle, dans le but de revoir la situation de certaines infrastructures si cela est nécessaire.

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