Intervention de Mansour Kamardine

Séance en hémicycle du mercredi 12 décembre 2018 à 15h00
Indivision successorale et politique du logement outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMansour Kamardine :

Nous avons pu le constater lors des débats en première lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat : la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale est une proposition consensuelle dont le principe emporte l'adhésion de tous les groupes politiques et de tous les parlementaires.

La mobilisation du foncier est en effet une condition incontournable du développement et de l'aménagement des territoires ultramarins. C'est particulièrement vrai à Mayotte, qui connaît, après la région Île-de-France, la plus forte densité de population. Or les difficultés actuelles de sortie de l'indivision successorale sont, dans un contexte de forte croissance démographique, un frein au développement de l'habitat, à la résorption de l'habitat insalubre – qui représente dans nos territoires une forte proportion des logements, atteignant 54 % à Mayotte – , et au développement agricole, industriel et des services, alors même que les collectivités d'outre-mer en général, et Mayotte en particulier, ont justement besoin d'un rattrapage dans ce domaine.

C'est pourquoi le groupe Les Républicains soutient la proposition de loi et souhaite son adoption unanime. De même, nous nous prononcerons bien évidemment, sur les quelques amendements proposés, avec un esprit d'ouverture et à la lumière des échanges qui vont suivre dans cet hémicycle.

Néanmoins, les échanges et la navette parlementaire ont mis en lumière quelques difficultés qu'il convient de prendre en considération.

Si l'on prend l'exemple de Mayotte, dans de très nombreux cas, c'est la fiscalité des successions et les coûts d'enregistrement qui font obstacle à la sortie de l'indivision. La proposition de loi n'ayant pas vocation à traiter de cette question, j'appelle donc le Gouvernement à prévoir des dispositions en ce sens dans les prochains textes financiers que nous aurons à examiner.

Par ailleurs, à Mayotte, des dizaines de milliers de personnes vivent dans des habitations illégales, construites sur des terrains appartenant à autrui, non viabilisés et situés en zones dangereuses.

De plus, la présence et l'activité des officiers ministériels, notaires et huissiers, déjà faibles dans tous les territoires ultramarins, sont notablement insuffisantes à Mayotte. Comment, dès lors, assurer le respect du droit et susciter la mobilisation foncière si le nombre d'offices notariaux et d'études d'huissiers n'est pas doublé ou triplé, comme le suggère l'excellent rapport d'information de la délégation sénatoriale à l'outre-mer de 2016 ? J'appelle donc de nouveau le Gouvernement à prendre les décisions qui s'imposent en matière de continuité et de présence du service public.

J'appelle en outre notre attention, chers collègues, sur le fait que l'éducation nationale est arrivée extrêmement tard dans ces territoires. C'est particulièrement vrai de ceux qui relèvent, ou ont relevé, de l'article 74 de notre Constitution. Ainsi, il a fallu attendre 1983 pour connaître la première promotion de bacheliers mahorais – dont faisait partie notre collègue Mme Ali, que je salue au passage. Dans notre île, l'éducation nationale, y compris dans le primaire, ne s'est donc généralisée qu'au tournant du siècle, il y a à peine vingt ans, et encore, dans des conditions tout à fait inacceptables, puisque 60 % de classes fonctionnent actuellement par rotation : une partie des élèves sont scolarisés le matin et l'autre l'après-midi ! Ainsi une proportion importante des adultes sont-ils lettrés uniquement en langue régionale, et une partie des jeunes encore imparfaitement lettrés en français.

Il est donc nécessaire de prévoir que la publicité prévue à l'article 2 pour informer les personnes concernées de la sortie d'une indivision soit non seulement effectuée en langue française et en langues régionales, mais également, compte tenu du caractère oral de nos cultures, diffusée en langues régionales sur les radios et télévisions locales. Je demande au Gouvernement de prévoir des dispositions en ce sens dans le décret d'application à venir.

Enfin, outre-mer, les évolutions des modes de vie, mais aussi le départ de certains habitants loin de leur terre de naissance, qui accroît la distance entre membres d'une même famille, font qu'il est souvent plus difficile de dresser la liste des héritiers et, par voie de conséquence, des indivisaires. Ce phénomène indéniable est amplifié à Mayotte du fait de l'établissement tardif, à partir de 2000 seulement, d'un état civil de droit commun. Le processus, qui devait être achevé en trois ans, a même duré jusqu'en 2011, et malgré cela, l'état civil est toujours incomplet, en grande partie pour les raisons précédemment exposées. Pour que l'État de droit demeure et afin d'écarter tout risque d'évincer des héritiers indivisaires, il est donc nécessaire que les notaires chargés de sorties d'indivisions successorales aient recours à des généalogistes professionnels ou à des cabinets de généalogie. Mais de telles activités ont un coût et il convient d'en prévoir les modalités de financement pour les héritiers les plus démunis, peut-être à travers l'aide juridictionnelle.

J'appelle donc une nouvelle fois le Gouvernement à rédiger en ce sens le décret d'application : si ne sont pas prévus l'intervention d'experts généalogistes auprès des notaires et les moyens de la financer, les dispositions de la future loi seront vaines.

Pour conclure, j'observe que la proposition de loi est peu bavarde : elle fixe, en six articles et vingt-quatre alinéas, un objectif clair et des outils simples pour l'atteindre. C'est la marque que ses auteurs – cher collègue Letchimy – et ceux qui ont examiné le texte en commission des lois, puis en séance publique, ont recherché l'efficacité. Le groupe Les Républicains se réjouit qu'un sujet de cette importance ait fait l'objet d'une telle démarche : des objectifs politiques clairs, des dispositions législatives et réglementaires que ne le sont pas moins ; bref, des décisions simples et compréhensibles par plus grand nombre. Le Gouvernement, madame la ministre, gagnerait à s'en inspirer de façon plus générale : tout irait alors au mieux dans notre belle et grande France. En cette période de trouble, où plus personne ne maîtrise plus rien, en ce moment d'inquiétude où le destin de toute une nation fait l'objet d'interrogations, le Gouvernement et sa majorité seraient sans doute bien inspirés de jeter à la rivière les ego, le mépris et l'arrogance pour fixer un cap clair, prendre des décisions qui emportent l'adhésion, et s'imposer comme unique discipline le service de l'intérêt général.

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