Intervention de Jean-Hugues Ratenon

Séance en hémicycle du mercredi 12 décembre 2018 à 15h00
Indivision successorale et politique du logement outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Hugues Ratenon :

Avant tout, j'ai une pensée particulière pour les victimes de l'attentat qui a eu lieu hier à Strasbourg. J'exprime ma solidarité envers les familles et l'ensemble des personnes concernées par cet événement qui nous glace le sang.

La situation du logement en outre-mer est particulièrement complexe. Pour peu que s'y mêle la question de la transmission du patrimoine, les choses peuvent même devenir conflictuelles. Mais comment aborder un tel sujet sans revenir sur la grande mobilisation populaire que connaît La Réunion depuis le 17 novembre ? En effet, la problématique du logement n'est pas étrangère à la crise actuelle. La récente visite de trois jours que vous avez effectuée sur place, madame la ministre, vous donnait d'ailleurs une occasion de l'aborder. Or rien n'a été dit, comme si le problème n'existait pas.

Il s'agit pourtant d'une des nombreuses inégalités dont vous avez souligné l'existence à votre descente d'avion.

De même, le discours du Président de la République a totalement ignoré la question du logement, pourtant primordiale dans la vie des gens. Pire, sur les autres thèmes, il nous a menti – mais j'aurai l'occasion d'en reparler.

Pour revenir au texte que nous examinons, nous connaissons tous des familles dont les membres se sont déchirés sur une question d'héritage et notamment d'indivision. Dans d'autres cas, on ne parvient pas à retrouver un membre de la famille. À La Réunion, il semblerait que 25 % des affaires civiles portent sur des problèmes fonciers : c'est un chiffre important. Toutes ces affaires ne sont pas en lien avec l'indivision, bien évidemment, mais on peut penser qu'elle en prend une bonne part.

Ce texte propose de faciliter la sortie de l'indivision en outre-mer en facilitant la procédure de vente. Il est possible qu'il apporte une solution à des conflits de famille ou à des contentieux juridiques. Cependant, je reste convaincu que le logement souffre surtout, en outre-mer, d'une certaine lourdeur administrative et d'une inadaptation des outils proposés par l'État. La question du financement et de la programmation même est majeure ; pensons à la suppression de l'aide personnalisée au logement-accession à la propriété – APL-accession – demandée par la ministre des outre-mer.

De plus, il existe des possibilités de vente sous contrôle du tribunal qui protègent déjà les droits des autres indivisaires. Il aurait fallu évaluer ce dispositif avant d'instaurer une autre procédure.

Il est vrai qu'une procédure judiciaire prend du temps et engendre des frais pour chacune des parties. Mais c'est justement pourquoi l'augmentation des moyens humains et financiers de la justice est à mes yeux incontournable.

Par ailleurs, nous devons veiller à ce que les nouvelles dispositions ne permettent pas aux profiteurs et spéculateurs de brader les patrimoines familiaux en abusant de la précarité de certains indivisaires. À cet égard, notre groupe soutiendra les amendements déposés, dont nous estimons qu'ils améliorent le texte : celui de notre collègue Jean-Philippe Nilor, qui prévoit une évaluation claire de la situation actuelle, mais aussi des futurs effets de la loi, et ceux de notre collègue Moetai Brotherson, qui adaptent au mieux le dispositif à la réalité de la Polynésie française.

Je voterai donc ce texte, car j'estime et j'espère qu'il pourra régler un grand nombre de cas et ainsi améliorer la situation du logement outre-mer.

Cela dit, je veux m'adresser maintenant au Gouvernement : il ne faut surtout pas négliger les conséquences du manque de pouvoir d'achat sur l'accès au logement. Le mouvement des gilets jaunes, notamment à La Réunion, apporte plusieurs enseignements ; les négliger, c'est négliger le peuple.

Mme la ministre est sûrement favorable à ce texte, mais, comme je l'ai déjà dit, elle soutient la politique désastreuse du Gouvernement, et notamment dans le domaine de l'accès au logement. Heureusement qu'il n'y a pas de taxe sur l'hypocrisie : de nombreux ministres seraient ruinés, et le président Macron aussi.

Devant l'insistance de la population, et le manque de courage d'une grande majorité de la classe politique réunionnaise – la cour kilote dan la main, en créole – , quelles réponses ont été apportées ? Rien, mais rien de rien sur le logement. Rien sur l'allocation logement. Rien sur le drame de l'APL-accession. Rien sur la relance de la construction de logements neufs afin de répondre aux besoins des familles et des entreprises. Rien sur le manque de logement pour les étudiants. Rien sur les logements adaptés pour les personnes âgées ou handicapées. Rien sur la relance de la réhabilitation alors que beaucoup de logements tombent en ruines et abîment la santé de leurs occupants. Rien sur la cherté de la vie. Rien sur le coût de construction.

Concernant ce dernier point, l'Autorité de la concurrence a révélé au mois d'octobre dernier les surcoûts importants s'appliquant aux matériaux : ciment, bois de charpente, granulats, carreaux de céramique. Ils coûtent en moyenne 39 % de plus à La Réunion que dans l'Hexagone ! Le bois est plus de 60 % plus cher, l'enduit jusqu'à 250 % plus cher.

L'éloignement n'explique pas tout. Les abus sur les marges, la fiscalité, le transport, la réglementation de la construction pèsent sur les coûts, mais c'est le degré de concentration économique, c'est-à-dire l'insuffisance de la concurrence, qui influe le plus fortement sur les prix. L'Autorité de la concurrence parle d'oligopole, soulignant ainsi la suprématie de quelques acteurs ; elle s'interroge sur l'existence de comportements anticoncurrentiels et soupçonnerait des abus de position ou des accords d'importation exclusive.

Dans les réponses du Gouvernement, rien sur l'application de la loi SRU, alors que dix communes sur vingt-quatre ne respectent pas le quota de construction de logements sociaux. Rien sur la revalorisation des revenus et des salaires pour permettre aux locataires d'améliorer leurs conditions de vie et d'habitation.

Pa la ek sa, y met do fé avec jericane l'essence, après y donne un ti bouteille de lo pour éteinde. Le dernier discours d'Emmanuel Macron le démontre clairement.

Parce qu'elle n'écoute que les riches, la majorité En Marche refuse d'entendre le constat que je suis obligé de répéter : 81 000 Réunionnais sont mal logés ; 36 000 logements n'ont pas l'eau chaude, et 6 000 n'ont ni baignoire ni douche ; 35 % des logements sociaux sont surpeuplés ; entre 500 et 600 logements ont été construits en 2016 et 2017 alors que les demandes sont dix fois plus importantes ; entre 300 et 400 personnes sont sans abri ; 40 000 appels ont été passés au 115 pour trouver des hébergements d'urgence en 2017 ; plus de 100 ménages ont été expulsés avec le concours des forces de l'ordre, sans solution de relogement.

Derrière ces chiffres, il y a des vies. Je pense notamment à ces deux familles que j'ai rencontrées avant de prendre, hier, l'avion pour Paris. La première vit à sept personnes dans un trois-pièces : la grand-mère, son conjoint, sa fille et ses quatre petits-enfants scolarisés. Imaginez le tableau ! La deuxième, c'est ce couple avec deux enfants en bas âge et un troisième à naître dans deux mois, et qui n'a qu'une seule chambre dans son logement. Je peux passer toute la journée à vous raconter des histoires vraies comme celles-là.

Face à cela, comment accepter les larmes de crocodiles du président Macron lors de son allocution de ce lundi soir ? Il aurait bien mérité un Molière du meilleur comédien. C'est dramatique.

Chers députés de la majorité, la situation est catastrophique ; mais vous n'entendez rien ni personne. Aucun signal de détresse ne semble vous atteindre. Je vous demande d'entendre raison, même si comme l'ensemble du peuple français je doute de votre capacité à changer d'avis. Alors voilà, une fois encore, vous êtes prévenus, et cette fois dans le cadre solennel de l'hémicycle : écoutez, agissez dans le bon sens. Sinon, l'histoire vous jugera.

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