Ainsi que vous l'avez clairement et unanimement démontré, mes chers collègues, ce texte sur l'indivision est très attendu dans les outre-mer ; son adoption en première lecture a même suscité une certaine impatience. Qu'elles aient trait à la nécessaire relance de la politique du logement et de l'aménagement du territoire, à la sécurité publique, aux urgences sanitaires, au développement économique, à la sauvegarde du patrimoine, ou tout simplement à la bonne entente dans les familles, les raisons sont nombreuses qui placent la question foncière au carrefour des politiques publiques outre-mer et des trajectoires familiales.
C'est pourquoi notre responsabilité en tant que législateur est de faire preuve de la plus grande exigence afin d'aboutir à un dispositif littéralement incontestable tout au long des dix années de sa durée d'application. Rien ne serait plus désastreux qu'une mise en oeuvre provoquant conflits et contentieux ou – pire – de nouvelles impasses. Le scénario du groupement d'intérêt public – GIP – chargé de la reconstitution des titres de propriété, dont les résultats sont plus que limités dix ans après son inscription dans la loi, est notre contre-exemple absolu. Cet échec est sans doute encore plus mal vécu dans les territoires comme La Réunion où la commission départementale de vérification des titres instituée par la loi du 30 décembre 1996 n'existe tout simplement pas.
Les lectures à l'Assemblée nationale et au Sénat ont permis de parvenir à un équilibre entre l'objectif de faciliter les sorties d'indivision dans nos territoires et des considérations aussi fondamentales que le droit de propriété et la protection des indivisaires minoritaires, du conjoint survivant, des descendants mineurs ou encore des personnes vulnérables.
Cette nouvelle lecture est l'occasion de renforcer la portée de ce dispositif et de peaufiner les équilibres juridiques.
À l'article 1er, deux questions sont encore en suspens : faut-il privilégier une plus large application du texte en visant les successions ouvertes depuis plus de cinq ans, ou alors la stricte cohérence avec le délai de dix ans de droit commun des actions en matière de filiation ? La volonté de sécuriser au maximum le dispositif plaide plutôt en faveur de la seconde solution. Il en est de même quant à l'harmonisation des seuils pour tous les actes d'administration et de gestion : gardons la règle commune des deux tiers et réservons celle de la majorité absolue à l'acte de sortie de l'indivision.
Dans un cas comme dans l'autre, il est préférable de ne pas ajouter de nouvelles dérogations à la différenciation majeure que constitue le dispositif de sortie de l'indivision pour les outre-mer. Autrement dit, il faut sécuriser au maximum le texte, et donc nos concitoyens qui en feront usage.
Dans la même logique, nous devons défendre les dérogations lorsqu'elles contribuent à rendre ce nouveau dispositif efficient, notamment lorsqu'elles empêchent qu'il ne soit entravé par des considérations financières. C'est en ce sens que l'exonération du droit de 2,5 % sur les actes de partage prévue à l'article 2 bis est capitale. Revenir sur cette disposition, que l'article 73 de la Constitution permet d'envisager et qui existe d'ailleurs déjà à Mayotte, signifierait que pour bon nombre d'indivisaires ce texte resterait lettre morte. Notons au passage que le calendrier législatif permet de traduire dès cette année cette mesure d'ordre fiscal dans la loi de finances et ainsi de respecter la règle édictée par le Gouvernement.
L'article 5 adapte et élargit les dispositions relatives à l'attribution préférentielle qui pourra être sollicitée par un indivisaire faisant la preuve qu'il réside sur la propriété depuis plus de dix ans au moment de l'introduction de la demande de partage. Pour importante qu'elle soit, cette avancée ne résout pas l'épineuse question du versement d'une soulte. Nous avions longuement abordé, lors de la première lecture, l'hypothèse d'une requalification des renonciations, qui ne seraient ainsi plus assimilées à une libéralité soumise de ce fait à une taxation. La solution du cantonnement prévue pour les successions testamentaires semblait sur la bonne voie. Elle ne figure pas encore dans le texte, comme d'ailleurs aucune autre solution. Il s'agit là d'un obstacle de taille pour l'application réelle de ce texte. Mais, encore une fois, le calendrier budgétaire se prête à une issue favorable.
Notre collègue Moetai Brotherson, qui avait prévu de s'exprimer à cette tribune la semaine dernière, m'a confié le soin de dire combien cette loi a suscité d'attentes en Polynésie. Il constate qu'après moult péripéties et de multiples discussions parfois tendues, la Polynésie ne prendra plus place dans ce texte.
Le partage par souche proposé par l'article 5 A est ambitieux. Mais la rédaction ne satisfait pas aux exigences de la Cour de Cassation qui veille à ce que tous les plus hauts vivants de toutes les souches viennent en représentation. Et que dire des difficultés que va poser l'omission d'héritiers en Polynésie, où un contexte local déjà conflictuel au sujet des « affaires de terre » aboutit systématiquement au partage judiciaire ? Selon notre collègue, c'est la paix sociale qui doit être privilégiée et non la légitimation au moins partielle du recel successoral. Aussi plaide-t-il pour qu'un temps de réflexion supplémentaire soit laissé à la Polynésie.