Je ne vais pas revenir longuement sur l'aspect chaotique de l'organisation de nos travaux. Même si les responsabilités sont multiples, il faut rappeler cette réalité. Nous sommes encore en train de nous précipiter alors que le texte repassera en janvier et qu'il n'y a plus de réforme constitutionnelle : on aurait pu prendre un peu plus de temps, mais peu importe.
J'espère que je ne recevrai pas de courrier désagréable si je dis que vous avez menti, madame la rapporteure, ainsi que la ministre, Mme Belloubet, en affirmant que le budget augmentera de 25 %. Jusqu'à preuve du contraire, cinq hausses de 5 %, sur cinq ans, ne représentent pas 25 % de plus, mais 18,6 %.
J'ai vu, avec étonnement, que les rapporteurs ont adressé au Conseil national des barreaux, à la bâtonnière de Paris et à la Conférence des bâtonniers un courrier dénonçant la « diffusion d'informations erronées et trompeuses sur le projet du contenu de loi », des « attaques personnelles contre les parlementaires ayant exercé la profession d'avocat », l'« allégation d'une absence de concertation » et des « sommations interpellatives par voie d'huissier à des députés » – j'ignorais d'ailleurs que cela existait.
Ils ont reçu la réponse suivante :
« Votre interpellation en date du 14 décembre confirme que la fébrilité, le déni de la contradiction et la défiance envers les corps intermédiaires prévalent désormais dans les débats qui secouent le Parlement sur le projet de loi de programmation pour la justice.
« Votre lettre ouverte révèle donc que les conditions d'un débat serein et responsable ne sont plus réunies ni garanties par votre majorité parlementaire.
« En conséquence, nous nous en remettons à la proposition formulée par M. le Président de la République de participer à un "débat sans précédent pour construire un nouveau contrat pour la Nation".
« Nous considérons que la réforme de la justice doit avoir toute sa place dans ce grand débat national plutôt que d'être maltraitée par le processus chaotique qui prévaut actuellement au Parlement.
« C'est la raison pour laquelle nous demandons officiellement, au nom des 68 000 avocats, à M. le Président de la République d'arrêter le processus parlementaire concernant la loi de programmation pour la justice (voir courrier en pièce-jointe) afin de laisser les Français débattre de l'avenir de leur justice, comme de celui des autres services publics.
« Nous regrettons que ceux qui portent la responsabilité politique de l'impasse dans laquelle nous sommes aujourd'hui aient souhaité mettre en cause la responsabilité morale des avocats, qui sont avant tout des hommes et des femmes libres.
« Nous nous en tiendrons toujours à notre responsabilité citoyenne et civique : défendre l'accès aux droits, l'accès au juge et les libertés individuelles et publiques pour tous et partout en France.
« Ce sont les valeurs que nous porterons avec tous nos confrères de métropole et des outre-mer, demain comme hier, dans le débat républicain que nous souhaitons partager avec nos concitoyens.
« Nous vous prions de croire, madame la députée, monsieur le député, à l'assurance de notre parfaite considération ».
Il était important d'avoir connaissance de ces échanges, d'autant que la semaine dernière, madame la rapporteure, dans une question au Gouvernement, vous disiez que cette réforme avait été faite non pas pour les professionnels du droit – ils l'avaient déjà remarqué – mais pour les justiciables. Opposer ainsi les deux, comme vous le faites, est une faute politique : vous devriez travailler à élargir l'adhésion à une réforme qui concerne tout le monde. La concertation que vous avez tant vantée a été menée, pour l'essentiel, avec les professionnels du droit. Il est donc pour le moins étrange que nous en arrivions à la situation actuelle. Les justiciables ont bon dos : à quel moment les avez-vous associés ? Quand ont-ils eu leur mot à dire ? De toute façon, ce mot – « justiciable » – est un terme générique, dans lequel on peut mettre à peu près tout ce que l'on veut.
J'approuve la proposition des avocats, qui me semble sage. Je précise que je ne suis pas avocat moi-même et que je ne suis influencé par aucun lobby : j'exprime cette position de mon propre chef, parce que je pense qu'elle est juste. D'ailleurs, elle est partagée par un certain nombre de magistrats, dont le Syndicat de la magistrature, mais aussi par les greffiers, qui se mobilisent eux aussi et manifesteront de nouveau en janvier prochain.
Je considère donc que vous devez retirer le projet de loi : on ne peut pas se permettre qu'un texte consacré à des sujets aussi importants soit voté avec seulement cinq voix d'écart. On pourrait prendre le temps du débat, inclure la justice dans la concertation qui aura lieu dans trois mois. En effet, on voit bien que la concertation n'a pas fait défaut seulement pour la taxe sur les carburants : elle a manqué pour la loi sur l'alimentation et l'agriculture, pour le projet de loi d'orientation des mobilités et, donc, pour le présent projet de loi. Il serait vraiment sage de votre part de donner suite à notre demande.