Intervention de Anne-Lise Deloron

Réunion du jeudi 29 novembre 2018 à 10h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Anne-Lise Deloron :

Je vous remercie d'avoir invité le Plan bâtiment durable à s'exprimer devant la représentation nationale. Cet organisme présidé par Philippe Pelletier a été mis en place par les pouvoirs publics en 2009 et a vocation à les accompagner dans la mise en oeuvre de la transition énergétique et environnementale du secteur du bâtiment et de l'immobilier. À ce titre, l'ensemble des sujets dont nous avons traité ce matin font partie de notre quotidien et nous procurent une vision transversale et multi-sectorielle.

J'organiserai mon propos en trois temps : les freins et les propositions relatifs à la gouvernance, au suivi et la mise en oeuvre des politiques publiques ; les freins et les propositions relatifs à l'environnement réglementaire et législatif ; les freins et les propositions relatifs à l'approche sociétale évoqués par M. le rapporteur. Ce faisant, je me concentrerai sur les sujets de rénovation énergétique. Je souscris pleinement à ce qu'a indiqué Christophe Boucaux sur la construction neuve et l'apprentissage de la filière. Les échanges de fin de séance nous permettront peut-être de revenir sur la dimension relative à la construction neuve.

S'agissant des freins et des propositions relatifs à la gouvernance et à la mise en oeuvre des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, je citerai d'abord l'insuffisance du portage politique. Il est essentiel que, dans la continuité des annonces de ce début de semaine, la rénovation énergétique des bâtiments fasse l'objet d'un portage politique et d'une parole publique forts dans la durée et au plan national. C'est aussi l'une des conditions essentielles pour que les enjeux de la rénovation énergétique impriment une marque dans notre société, qu'il s'agisse des territoires, des acteurs économiques ou des concitoyens. Corrélativement à ce portage politique fort, la mise en oeuvre de la politique de rénovation énergétique des bâtiments a besoin d'une coordination interministérielle puissante, affirmée et avérée. Ce sujet souffre trop d'un éclatement administratif. Vous savez qu'il se situe à la croisée de l'écologie, du bâtiment et du logement, mais qu'il touche aussi à l'apprentissage, à la culture pour la tutelle de l'architecture et aux affaires économiques et financières. Un lieu de pilotage interministériel est indispensable, de même qu'un observatoire, un suivi et un tableau de bord. En outre, toutes les politiques liées au bâtiment durable et plus particulièrement à la rénovation énergétique des bâtiments doivent être mises en oeuvre de manière collective entre les pouvoirs publics et les acteurs privés mais aussi entre l'État et les territoires. Les régions, qui ont le rôle de chef de file dans ce domaine, ont été citées tout à l'heure. J'ajouterai les métropoles et les intercommunalités. Nous avons besoin de cette dualité entre un portage politique fort au plan national et une main donnée aux territoires pour conduire l'action.

Le deuxième ensemble de freins et de propositions est relatif à l'environnement réglementaire et législatif. L'instabilité actuelle des dispositifs dans le secteur du bâtiment, constitue un véritable frein au passage à l'action. Il faut parvenir à une stabilité des dispositifs incitatifs et réglementaires. On pourrait citer plusieurs exemples. Je n'en prendrai qu'un seul ce matin : si les modifications annoncées du CITE sont avérées, ce dispositif aura évolué à cinq reprises entre 2017 et 2020. Vous comprenez ce que cela peut avoir comme conséquences sur l'offre de services et sur la capacité des acteurs comme des concitoyens à comprendre les dispositifs. Le besoin de stabilité est réel.

Au-delà de l'environnement législatif et réglementaire, je voudrais également aborder la question du passage de la concertation à l'action. Le plan de rénovation énergétique, qui est aujourd'hui le principal creuset de la politique publique en matière de rénovation énergétique, a été présenté il y a quelques mois et fait l'objet d'une période de consultation et de concertation d'au moins dix-huit mois. Il est essentiel que les dispositifs annoncés dans ce plan fassent véritablement l'objet d'un passage à l'action et que la concertation ne demeure que sur des sujets très précis qui ne sont pas encore suffisamment travaillés. La difficulté d'opérer des concertations permanentes sur l'ensemble des sujets conduit à une certaine cristallisation des actions et des acteurs qui attendent des dispositifs complètement ficelés et bouclés pour engager des mesures d'envergure.

Enfin, je voudrais pointer l'incohérence, donc le besoin de cohérence, des dispositifs entre eux, mais aussi au regard de nos ambitions. Je citerai deux exemples. Premièrement, tous les dispositifs incitatifs à la rénovation des logements ne font pas encore l'objet de l'éco-conditionnalité des aides publiques. Peut-être serait-il intéressant d'avoir un ensemble de règles communes à tous les dispositifs incitatifs à la rénovation des logements, afin de ne pas risquer de perturber et de rendre plus compliquée la compréhension de ces aides. D'autre part, concernant le besoin de cohérence des dispositifs au regard de nos ambitions, les objectifs nationaux de neutralité carbone et d'un parc de bâtiments à basse consommation (BBC) à horizon 2050 ont été rappelés en début de semaine. Mais, sauf erreur, il n'existe pas aujourd'hui de dispositif qui incite les ménages à engager des rénovations globales, en une fois ou par étapes – je souscris pleinement à ce qui a été dit tout à l'heure à ce sujet.

J'en viens à ma troisième et dernière série de remarques relatives aux freins et aux propositions relevant de l'approche sociétale. Je souscris aux propos tenus par mes collègues précédemment : il faut renforcer l'envie des ménages, des collectivités territoriales et de l'État d'engager des travaux de rénovation énergétique. À cet égard, la campagne de communication « Faire » lancée par l'ADEME il y a quelques semaines est une première bonne réponse. Il est indispensable qu'elle s'inscrive dans la durée, qu'elle soit soutenue et qu'elle soit déclinée à l'ensemble de l'écosystème comme à l'ensemble des territoires. Il convient également de renforcer la confiance des Français dans les travaux de rénovation énergétique, d'où l'importance de la mise en place du service public de l'efficacité énergétique de l'habitat, évoqué par Christian Mourougane, et de son financement. Si l'ADEME obtient les crédits nécessaires, ce service public devra faire l'objet d'expérimentations. Je voudrais d'ailleurs appeler l'attention de la représentation nationale sur ce sujet. La confiance dans les travaux réalisés passe aussi par les contrats de performance énergétique et les garanties de résultat associées, comme l'ont montré Stéphane Sajoux et Christophe Boucaux.

Enfin, et j'en terminerai par là, c'est tout l'accompagnement de la filière de l'offre de services, donc l'accompagnement des hommes et des femmes de la filière du bâtiment et de l'immobilier qu'il faut renforcer. Ils ont clairement entamé leur métamorphose et leur mue depuis dix ans, avec une véritable montée en compétences. Pour autant, de nombreux sujets restent à traiter. Pour terminer sur la question de la construction neuve, Christophe Boucaux évoquait tout à l'heure l'entrée du paramètre carbone dans la future réglementation. C'est un enjeu d'apprentissage de la filière. À côté de toutes les mesures d'approche sociétale à l'égard de nos concitoyens, l'accompagnement de la filière est un pan essentiel si nous voulons réussir la transition énergétique de nos bâtiments.

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