Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du jeudi 17 janvier 2019 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Article 53

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je l'ai déjà dit devant vous, il n'y a aucune carte dans les tiroirs du ministère, il n'y en a jamais eu, du moins depuis que je suis à la tête de la chancellerie. Si je n'ai pas de carte, j'ai en revanche une méthode pour faire évoluer l'organisation de nos juridictions. Il ne s'agit pas de faire bouger les choses pour le plaisir, mais bien de proposer une évolution qui ait du sens eu égard aux besoins de nos concitoyens.

Cette évolution repose sur trois idées.

D'abord, une certitude : celle de la proximité. Je ne peux pas laisser dire que nous créons des déserts judiciaires. Affirmer cela, c'est alimenter de manière totalement infondée des peurs qui ne demandent qu'à se réveiller du fait des traumatismes anciens ou des craintes qu'éprouve aujourd'hui chacun des habitants de nos territoires. Je vous l'ai déjà dit, je vous le redis pour la mille et unième fois : je ne fermerai aucun tribunal. C'était vrai hier, c'est vrai aujourd'hui, cela le restera demain.

Pour preuve de cette exigence de proximité, tous les tribunaux d'instance, qui sont ceux de la plus grande proximité, seront maintenus ; leurs compétences seront garanties par décret ; des juges statutaires y seront affectés et leur décret d'affectation le précisera. Ces juges du contentieux de la protection continueront de gérer dans les tribunaux d'instance les contentieux qui y sont aujourd'hui traités : tutelles, baux d'habitation, crédit à la consommation, surendettement. Bref, nous conservons les lieux, les personnels, les compétences ainsi que les personnels administratifs et de greffe – qui, eux aussi, continueront d'être affectés dans ces lieux, ce que précisera leur arrêté d'affectation.

Je peux d'autant moins vous laisser dire que nous créons des déserts judiciaires que nous allons étendre, en fonction des besoins des territoires, les compétences des tribunaux d'instance et les catégories de contentieux susceptibles d'y être traités. Nous le ferons si cela apparaît opportun, notamment en permettant qu'y soient jugés les contentieux familiaux post-divorce.

Chacun de ces tribunaux conservera donc compétences et personnels. Pour m'être rendue dans de nombreux tribunaux d'instance, je peux témoigner de leur vitalité et de leur rôle essentiel dans le maillage des territoires et l'accueil des populations, au-delà même des contentieux. Il faudrait être fou pour envisager de les supprimer !

Après la proximité, la lisibilité – deuxième axe de ce que je défends. À cet égard, la modification que nous opérons en procédant à la fusion – administrative, seulement administrative – entre tribunaux d'instance et tribunaux de grande instance permet deux choses. Premièrement, si vous votez le projet de loi, les justiciables pourront introduire leur requête par une ou deux voies introductives d'instance : nous en réduisons le nombre. Un justiciable, une requête, un tribunal : les choses sont simples. Le tribunal pourra réorienter la requête, suivant le site où celle-ci aura été déposée, qu'elle l'ait été par voie numérique ou physique, devant le lieu qui exercera la compétence contentieuse : comme l'a dit Laetitia Avia, le justiciable n'aura plus à se demander où il doit déposer sa requête.

Cette lisibilité s'accompagnera, je l'ai dit, d'une présence physique : dans chaque tribunal, il y aura un service d'accueil unique du justiciable. Comme la réorientation, cet accueil physique concourt à satisfaire à l'exigence de lisibilité que je promeus. J'ai eu l'occasion de le dire : de même que tout le monde connaît le tribunal administratif, tout le monde connaîtra le tribunal judiciaire – nouveau nom des TGI, tandis que les tribunaux d'instance s'appelleront désormais tribunaux de proximité.

L'efficacité est le troisième et dernier axe du projet de réforme. Nous partons du principe suivant. Il y a dans les tribunaux de grande instance des contentieux de masse – en matière d'affaires familiales, de contrats, de responsabilité civile, de construction, sans parler du pénal – qui doivent continuer d'être traités dans tous ces tribunaux.

En revanche, dans les départements qui possèdent plusieurs TGI – futurs tribunaux judiciaires – , nous ouvrons la possibilité – la possibilité seulement – que, sur projet de terrain conduit par les juridictions et avec des modalités de concertation que nous préciserons, le jugement des contentieux spécialisés, techniques, de faible volume, soit réparti entre les différents tribunaux. Tous les TGI gardent les contentieux de masse et, pour les quelques contentieux spécialisés, techniques, de faible volume, on pourra décider que le TGI de telle ville prend tel contentieux, celui de telle autre ville tel autre contentieux et le troisième tel autre encore. Pourraient faire partie de ces contentieux spécialisés l'enlèvement illicite d'enfant, les contentieux liés aux banques, aux effets de commerce, les contrats de transport, l'environnement, les contributions indirectes, les droits d'enregistrement, soit moins de 10 % des contentieux traités par l'ensemble de ces tribunaux.

Autrement dit, nous offrons la possibilité d'une justice plus efficace, d'une justice qui permet une forme de spécialisation de certains magistrats lorsque nous avons affaire à des contentieux très techniques.

Proximité, lisibilité, efficacité, voilà la réforme que je propose et qui me semble une réforme de bon sens, qui permettra de rapprocher le justiciable de son juge. Et, je le répète : je ne ferai fermer aucun tribunal. Il est peu habile, dans un contexte troublé où, et je le comprends aisément, les gens ont peur que les services publics s'éloignent d'eux, de laisser penser que les tribunaux vont quitter leur territoire – c'est totalement inexact. Voilà pourquoi je vous demande de ne pas adopter ces amendements de suppression.

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