Intervention de Sandrine Clavel

Réunion du mercredi 16 janvier 2019 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Sandrine Clavel :

Madame la présidente de la commission des Lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, votre assemblée a repris hier l'examen du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice et du projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions, après leur avoir déjà consacré de longs travaux en 2018. Les débats qui entourent ces textes et les réactions contrastées qu'ils suscitent attestent, s'il en était besoin, de l'importance qu'attachent à la justice non seulement les professions juridiques et judiciaires mais aussi l'ensemble de nos concitoyens.

Une justice de qualité s'entend, dans un État de droit comme le nôtre, d'abord d'une justice indépendante. À cet égard, le rôle constitutionnel que joue le CSM est, à l'évidence, fondamental. Une justice de qualité s'entend aussi d'une justice qui fonctionne bien, qui rend des décisions justes, effectives, acceptables et acceptées. Le CSM peut et doit, en exerçant ses missions de nomination, de déontologie, de discipline et d'information, contribuer au bon fonctionnement de cette justice.

Les enjeux et les attentes sont immenses. C'est dire si c'est en pleine conscience des responsabilités qui incombent au CSM, et qui seraient au moins en partie les miennes si j'y étais nommée, que je me présente devant vous pour vous exposer les éléments de mon parcours qui pourraient justifier que vous m'accordiez votre confiance et pour me soumettre à vos questions. Le questionnaire très approfondi que vous m'avez adressé et auquel j'ai répondu avec grand intérêt m'a déjà offert l'opportunité de détailler une part substantielle de ma carrière universitaire. Je vais essayer de me présenter sans me montrer redondante.

Lorsqu'on me demande ce qu'est mon activité professionnelle, j'ai coutume de répondre que je suis universitaire et juriste. J'attache beaucoup d'importance à cette double qualité qui marque mon appartenance à deux mondes – l'un académique et l'autre juridique – qui ont chacun leur code. Souvent convergents, ces codes diffèrent parfois, ce qui est une source constante d'enrichissement personnel. J'espère que l'expérience ainsi acquise vous convaincra de l'intérêt de mon intégration au CSM.

Universitaire, j'ai, après l'obtention de mon doctorat en 1999, rejoint l'enseignement supérieur en 2000 comme maître de conférence à l'Université de Reims Champagne-Ardenne. J'ai passé le concours de l'agrégation de droit privé et sciences criminelles qui m'a permis d'être nommée professeure en 2003 à l'Université de Bretagne-Sud. En 2007, j'ai été mutée à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines où j'occupe actuellement mon poste. Ces quelque vingt années de carrière universitaire m'ont permis d'acquérir certaines des qualités attendues des enseignants-chercheurs : l'éthique personnelle, le goût du travail, la capacité non seulement d'abstraction mais aussi de prise avec le réel, la pédagogie, le sens des responsabilités collectives et plus généralement le sens du service public. Je crois pouvoir faire bon usage de ces qualités au service du CSM.

Quoique profondément attachée à mes missions d'enseignement et de recherche, j'ai très tôt compris que l'enseignement supérieur appelait à un engagement allant au-delà de ces deux missions fondamentales. J'ai donc accepté successivement – et parfois concomitamment – diverses responsabilités qui m'ont conduit à développer des compétences nouvelles dont je n'évoquerai ici que les plus marquantes.

Les fonctions les plus exigeantes qui m'aient été confiées sont celles de doyen de la faculté de droit et de science politique de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, fonction que j'ai exercée de 2012 à 2017. J'ai dû apprendre – un peu sur le tas, il faut bien le dire – à gérer une composante, un établissement public dans toutes ses dimensions : stratégiques, humaines, financières, de communication. J'ai aussi dû apprendre à composer avec des personnels aux statuts très divers et parfois très spécifiques. Dans l'exercice de ces fonctions, je pense avoir acquis une certaine expérience dans l'organisation et dans la gestion des services et des administrations publiques. Cette expérience me sensibilise à la situation des chefs de juridiction, procureurs de la République et procureurs généraux. Elle me semble donc pouvoir contribuer à l'exercice des missions de nomination du Conseil supérieur de la magistrature. À plusieurs reprises, j'ai d'ailleurs été sollicitée pour effectuer, en France ou à l'étranger, des missions d'évaluation de centres de recherche ou de formation. Là encore, je pense que c'est une expérience que je pourrais mettre à profit dans le cadre des missions du CSM.

Forte de cette expérience de doyen de la faculté de droit et de science politique de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, j'ai été élue en 2014, puis réélue en 2017, présidente de la Conférence des doyens de droit et science politique. Dans cette fonction, j'ai pu approfondir à une autre échelle une dimension des fonctions de responsabilité, celle de la conduite du changement. L'enseignement supérieur a beaucoup évolué au cours des dernières années. Il a fallu – et il faut encore – que nos facultés s'approprient ces changements et parviennent à les mettre en oeuvre. Ce n'est pas toujours facile dans des établissements qui ne sont pas nécessairement très agiles en matière de gestion et où il y a des conservatismes bien ancrés – qui peuvent avoir un fondement légitime – avec lesquels il faut pouvoir et savoir composer. Cette situation n'est pas propre à l'enseignement supérieur. On la retrouve dans toutes les administrations et aussi dans la justice. J'espère donc, très modestement, que l'expérience que j'ai pu acquérir en la matière et que je renforce aujourd'hui dans l'exercice de mes fonctions de responsable de la Law School de l'Université Paris-Saclay, pourra être utile au CSM non seulement au service des missions de nomination mais aussi dans l'exercice de missions transversales, notamment de la mission d'information.

Juriste, c'est d'abord par l'étude théorique que j'ai abordé le monde judiciaire. Je ne suis pas à proprement parler une spécialiste de la justice, mon domaine d'expertise scientifique couvre le droit international privé et le droit du commerce international, avec une spécialisation plus marquée en droit des contrats internationaux et en contentieux international. Cette dimension internationaliste me permet de considérer le droit français et l'organisation judiciaire de notre pays avec un certain recul non seulement d'un point de vue comparatiste mais aussi en envisageant les interactions entre systèmes. Nous vivons dans un monde où les économies sont interdépendantes. C'est aussi vrai pour les ordres juridiques et judiciaires. Cette interdépendance me semble aussi être une donnée fondamentale dans toute réflexion menée sur l'organisation et le fonctionnement de la justice en France.

C'est donc en partant du contentieux international que j'ai commencé à appréhender le système judiciaire français en m'intéressant très tôt à la fonction de juger, dès ma thèse de doctorat consacrée au pouvoir d'injonction extraterritorial des juges dans le règlement des litiges privés internationaux. Depuis, la fonction de juger a constitué l'un des fils directeurs de mes travaux. J'ai envisagé des questions telles que l'office du juge, les modes alternatifs de règlement des différends, le dialogue des juges, le droit au recours effectif ou l'effectivité de la justice. À l'heure actuelle, les deux principaux thèmes de recherche que je développe dans les contrats de recherche dont j'ai la responsabilité sont, d'une part, l'incidence des droits fondamentaux sur la fonction de juger, et, d'autre part, le rôle social du juge dans la préservation de l'intérêt public.

Mais cette appréhension purement académique de la fonction de juger a très rapidement été complétée par une approche plus concrète du monde judiciaire au bénéfice des différentes responsabilités que ma qualité de juriste-universitaire m'a conduite à exercer. De façon sans doute relativement anecdotique mais néanmoins marquante, c'est cette qualité qui a justifié ma nomination comme présidente des sections disciplinaires des différents établissements auxquels j'ai été affectée. Cette fonction disciplinaire, que j'ai exercée pendant plusieurs années, m'a permis de me confronter concrètement à la fonction de juger, ce qui me donne une idée de la responsabilité qui incombe au CSM dans l'exercice de sa mission disciplinaire.

Dans mes responsabilités scientifiques, j'ai été amenée à travailler avec des magistrats et pour des magistrats. J'appartiens notamment à un consortium européen qui mêle des universitaires et des écoles nationales de formation des magistrats, et qui est chargé de sensibiliser les juges à l'incidence de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur leur office. Je crois pouvoir dire que ces expériences m'ont permis de mieux comprendre les magistrats et les conditions dans lesquelles ils exercent leur mission.

Enfin, dans l'exercice de mes responsabilités institutionnelles, j'ai pu appréhender certaines des grandes problématiques que rencontrent les juridictions et la magistrature. Comme présidente de la Conférence des doyens, j'ai travaillé avec les directeurs successifs de l'École nationale de la magistrature (ENM) sur les questions liées au recrutement initial des magistrats. En outre, je suis membre du Conseil national du droit qui est chargé d'une mission de réflexion et de proposition sur l'enseignement du droit, sur la formation et sur l'emploi des juristes. C'est une instance à laquelle les universités mais aussi les principales professions juridiques et judiciaires participent. Nous travaillons de concert sur des sujets comme la féminisation du monde judiciaire ou la pacification des relations entre magistrats et avocats. Ainsi, même si je suis loin d'être une experte du statut de la magistrature, suis-je néanmoins sensibilisée à certains enjeux qui touchent le corps judiciaire. Je suis naturellement prête à m'investir pleinement pour acquérir les connaissances et les compétences qui me manquent encore pour exercer au mieux les missions du CSM si j'y suis nommée.

Je suis une juriste, assurément, mais c'est principalement depuis le monde universitaire que j'ai développé mes relations avec le monde judiciaire. Ce serait un honneur d'intégrer le CSM pour désormais renforcer mes liens avec la justice, au service de la justice française et de la communauté nationale. Je vous remercie de votre attention et je suis prête à répondre à vos questions.

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