La réunion débute à 9 heures 35.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
Nous sommes réunis ce matin pour auditionner des personnalités dont la nomination est proposée par le Président de la République et par le Président de l'Assemblée nationale en qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Nous allons les entendre successivement, conformément à la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution.
Nous auditionnerons d'abord Mme Sandrine Clavel et M. Yves Saint-Geours, dont la nomination est envisagée par le Président de la République, puis Mme Hélène Pauliat, dont la nomination est envisagée par le Président de l'Assemblée nationale.
Dans une lettre que j'ai reçue hier, le Président de l'Assemblée nationale m'a informée qu'il retirait sa proposition de nomination de Mme Mireille Faugère, un temps envisagée. C'est pourquoi je vous ai adressé hier soir une convocation rectifiée. Le Président de l'Assemblée nationale nous fera part, dans les meilleurs délais, d'une autre proposition de nomination.
C'est la seconde fois sous cette législature que la commission des Lois est appelée à se prononcer sur des nominations. Nous appliquons les mêmes règles qu'au mois de juillet, celles qui ont été définies de longue date par mes prédécesseurs.
Ainsi que le permet l'article 29-1 du Règlement de notre assemblée, nous avons nommé un rapporteur : M. Guillaume Larrivé, pour le groupe Les Républicains. Pour que les personnalités que nous allons entendre précisent leurs intentions, le rapporteur leur a envoyé un questionnaire auquel elles ont répondu par écrit. Ces réponses vous ont été adressées et mises en ligne sur le site de la commission des Lois. Enfin, comme le prévoit l'article 1er de la loi du 23 juillet 2010, qui précise la procédure de nomination, l'audition est ouverte à la presse.
Conformément à l'article 13 de la Constitution, la nomination des candidats proposés par le Président de la République ne pourra avoir lieu si l'addition des votes négatifs des commissions des Lois de l'Assemblée nationale et du Sénat représente plus de trois cinquièmes de l'ensemble des suffrages exprimés. Le dépouillement des bulletins sera donc simultané. Il interviendra à l'issue de l'audition du second candidat proposé par le Président de la République, vers onze heures. S'agissant de la candidate proposée par le Président de l'Assemblée nationale, la majorité s'apprécie uniquement à notre niveau. Le dépouillement interviendra à l'issue de son audition, vers onze heures trente.
Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous intervenir avant que nous ne fassions entrer la première personne proposée ?
Volontiers, madame la présidente.
Notre matinée sera donc consacrée au CSM. Nous allons auditionner deux candidats proposés par le Président de la République : une professeure de droit, Mme Sandrine Clavel, et un ambassadeur, M. Yves Saint-Geours. Ils ont déjà été auditionnés par le Sénat. Une autre candidate, Mme Hélène Pauliat, est proposée par le Président de l'Assemblée nationale. En parallèle, deux autres candidats sont proposés par le Président du Sénat : M. Jean Cabannes et Mme Natalie Fricero. Nous ne les entendrons évidemment pas mais ils ont été auditionnés par la commission des Lois du Sénat.
En introduction, je tenais à dire que ces auditions ne sont pas une simple formalité. Ceux qui, comme votre rapporteur, siégeaient déjà dans la commission des Lois sous la précédente législature, se rappelleront que, sous la présidence de Jean-Jacques Urvoas, un vote négatif avait été émis à l'endroit d'un candidat. C'était en janvier 2015. La commission des Lois avait émis un avis favorable aux nominations de Mmes Soraya Amrani Mekki et Evelyne Serverin et de M. Jean Danet. Elle avait émis un avis défavorable à la nomination de M. Fabrice Hourquebie, finalement remplacé par M. Guillaume Tusseau.
Notre avis sur ces candidatures intervient à droit constitutionnel constant. Nous avons bien à l'esprit le projet de loi constitutionnelle modifiant le périmètre et les pouvoirs du CSM mais nous ne sommes évidemment pas dans cette perspective immédiate. Pour mémoire, je vous rappelle donc que le CSM est composé de vingt-deux membres, dont six personnalités qualifiées, depuis la révision constitutionnelle de 2008. Ces membres se répartissent dans trois formations : la formation plénière, qui remplit les fonctions consultatives du Conseil ; la formation compétente à l'égard des magistrats du siège, qui est, à ce titre, présidée par le Premier président de la Cour de cassation ; la troisième formation, compétente à l'égard des magistrats du parquet, qui est, à ce titre, présidée par le procureur général près la Cour de cassation.
Les compétences du CSM sont d'abord de nature consultative : le CSM se réunit en formation plénière afin de répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République, au titre de l'article 64 de la Constitution ; il se prononce sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de l'autorité judiciaire. En outre, la formation plénière élabore et rend public un recueil des obligations déontologiques des magistrats.
Ensuite, le CSM est compétent en matière de nomination des magistrats. La formation compétente à l'égard des magistrats du siège dispose du pouvoir de proposition pour les postes les plus élevés dans la hiérarchie : pour ces quelque 400 postes, elle dispose de l'initiative et arrête les propositions qui s'imposent au garde des Sceaux. Celui-ci se trouve donc en situation de compétence liée. Pour les nominations des autres magistrats du siège, elle émet un avis sur les propositions faites par le garde des Sceaux, ce dernier ne pouvant passer outre un avis négatif. Pour les magistrats du parquet, la formation compétente du CSM ne donne qu'un simple avis sur les nominations. Toutefois, depuis 2008, les ministres de la justice successifs ne sont jamais passés outre un avis défavorable du CSM, faisant comme s'ils étaient en situation de compétence liée.
Enfin, le CSM est compétent en matière disciplinaire. Il peut être saisi de faits motivant des poursuites disciplinaires par le garde des Sceaux, les chefs de cour d'appel et, depuis la révision constitutionnelle adoptée en 2008 à l'initiative du président Nicolas Sarkozy, par tout justiciable.
C'est donc une séance importante pour notre commission puisque nous allons très directement exercer non pas seulement un pouvoir de contrôle mais pratiquement un pouvoir de codécision dans ces nominations en tant que nous pouvons nous y opposer.
La Commission auditionne Mme Sandrine Clavel, dont la nomination est proposée par le Président de la République en qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature (M. Guillaume Larrivé, rapporteur).
Madame Clavel, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui devant la commission des Lois de l'Assemblée nationale. Votre nomination est proposée par le Président de la République pour siéger au CSM. Vous avez reçu et complété un questionnaire qui vous a été adressé par M. Guillaume Larrivé, notre rapporteur. Je propose de vous donner la parole pour un propos liminaire avant d'en venir aux questions.
Madame la présidente de la commission des Lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, votre assemblée a repris hier l'examen du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice et du projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions, après leur avoir déjà consacré de longs travaux en 2018. Les débats qui entourent ces textes et les réactions contrastées qu'ils suscitent attestent, s'il en était besoin, de l'importance qu'attachent à la justice non seulement les professions juridiques et judiciaires mais aussi l'ensemble de nos concitoyens.
Une justice de qualité s'entend, dans un État de droit comme le nôtre, d'abord d'une justice indépendante. À cet égard, le rôle constitutionnel que joue le CSM est, à l'évidence, fondamental. Une justice de qualité s'entend aussi d'une justice qui fonctionne bien, qui rend des décisions justes, effectives, acceptables et acceptées. Le CSM peut et doit, en exerçant ses missions de nomination, de déontologie, de discipline et d'information, contribuer au bon fonctionnement de cette justice.
Les enjeux et les attentes sont immenses. C'est dire si c'est en pleine conscience des responsabilités qui incombent au CSM, et qui seraient au moins en partie les miennes si j'y étais nommée, que je me présente devant vous pour vous exposer les éléments de mon parcours qui pourraient justifier que vous m'accordiez votre confiance et pour me soumettre à vos questions. Le questionnaire très approfondi que vous m'avez adressé et auquel j'ai répondu avec grand intérêt m'a déjà offert l'opportunité de détailler une part substantielle de ma carrière universitaire. Je vais essayer de me présenter sans me montrer redondante.
Lorsqu'on me demande ce qu'est mon activité professionnelle, j'ai coutume de répondre que je suis universitaire et juriste. J'attache beaucoup d'importance à cette double qualité qui marque mon appartenance à deux mondes – l'un académique et l'autre juridique – qui ont chacun leur code. Souvent convergents, ces codes diffèrent parfois, ce qui est une source constante d'enrichissement personnel. J'espère que l'expérience ainsi acquise vous convaincra de l'intérêt de mon intégration au CSM.
Universitaire, j'ai, après l'obtention de mon doctorat en 1999, rejoint l'enseignement supérieur en 2000 comme maître de conférence à l'Université de Reims Champagne-Ardenne. J'ai passé le concours de l'agrégation de droit privé et sciences criminelles qui m'a permis d'être nommée professeure en 2003 à l'Université de Bretagne-Sud. En 2007, j'ai été mutée à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines où j'occupe actuellement mon poste. Ces quelque vingt années de carrière universitaire m'ont permis d'acquérir certaines des qualités attendues des enseignants-chercheurs : l'éthique personnelle, le goût du travail, la capacité non seulement d'abstraction mais aussi de prise avec le réel, la pédagogie, le sens des responsabilités collectives et plus généralement le sens du service public. Je crois pouvoir faire bon usage de ces qualités au service du CSM.
Quoique profondément attachée à mes missions d'enseignement et de recherche, j'ai très tôt compris que l'enseignement supérieur appelait à un engagement allant au-delà de ces deux missions fondamentales. J'ai donc accepté successivement – et parfois concomitamment – diverses responsabilités qui m'ont conduit à développer des compétences nouvelles dont je n'évoquerai ici que les plus marquantes.
Les fonctions les plus exigeantes qui m'aient été confiées sont celles de doyen de la faculté de droit et de science politique de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, fonction que j'ai exercée de 2012 à 2017. J'ai dû apprendre – un peu sur le tas, il faut bien le dire – à gérer une composante, un établissement public dans toutes ses dimensions : stratégiques, humaines, financières, de communication. J'ai aussi dû apprendre à composer avec des personnels aux statuts très divers et parfois très spécifiques. Dans l'exercice de ces fonctions, je pense avoir acquis une certaine expérience dans l'organisation et dans la gestion des services et des administrations publiques. Cette expérience me sensibilise à la situation des chefs de juridiction, procureurs de la République et procureurs généraux. Elle me semble donc pouvoir contribuer à l'exercice des missions de nomination du Conseil supérieur de la magistrature. À plusieurs reprises, j'ai d'ailleurs été sollicitée pour effectuer, en France ou à l'étranger, des missions d'évaluation de centres de recherche ou de formation. Là encore, je pense que c'est une expérience que je pourrais mettre à profit dans le cadre des missions du CSM.
Forte de cette expérience de doyen de la faculté de droit et de science politique de l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, j'ai été élue en 2014, puis réélue en 2017, présidente de la Conférence des doyens de droit et science politique. Dans cette fonction, j'ai pu approfondir à une autre échelle une dimension des fonctions de responsabilité, celle de la conduite du changement. L'enseignement supérieur a beaucoup évolué au cours des dernières années. Il a fallu – et il faut encore – que nos facultés s'approprient ces changements et parviennent à les mettre en oeuvre. Ce n'est pas toujours facile dans des établissements qui ne sont pas nécessairement très agiles en matière de gestion et où il y a des conservatismes bien ancrés – qui peuvent avoir un fondement légitime – avec lesquels il faut pouvoir et savoir composer. Cette situation n'est pas propre à l'enseignement supérieur. On la retrouve dans toutes les administrations et aussi dans la justice. J'espère donc, très modestement, que l'expérience que j'ai pu acquérir en la matière et que je renforce aujourd'hui dans l'exercice de mes fonctions de responsable de la Law School de l'Université Paris-Saclay, pourra être utile au CSM non seulement au service des missions de nomination mais aussi dans l'exercice de missions transversales, notamment de la mission d'information.
Juriste, c'est d'abord par l'étude théorique que j'ai abordé le monde judiciaire. Je ne suis pas à proprement parler une spécialiste de la justice, mon domaine d'expertise scientifique couvre le droit international privé et le droit du commerce international, avec une spécialisation plus marquée en droit des contrats internationaux et en contentieux international. Cette dimension internationaliste me permet de considérer le droit français et l'organisation judiciaire de notre pays avec un certain recul non seulement d'un point de vue comparatiste mais aussi en envisageant les interactions entre systèmes. Nous vivons dans un monde où les économies sont interdépendantes. C'est aussi vrai pour les ordres juridiques et judiciaires. Cette interdépendance me semble aussi être une donnée fondamentale dans toute réflexion menée sur l'organisation et le fonctionnement de la justice en France.
C'est donc en partant du contentieux international que j'ai commencé à appréhender le système judiciaire français en m'intéressant très tôt à la fonction de juger, dès ma thèse de doctorat consacrée au pouvoir d'injonction extraterritorial des juges dans le règlement des litiges privés internationaux. Depuis, la fonction de juger a constitué l'un des fils directeurs de mes travaux. J'ai envisagé des questions telles que l'office du juge, les modes alternatifs de règlement des différends, le dialogue des juges, le droit au recours effectif ou l'effectivité de la justice. À l'heure actuelle, les deux principaux thèmes de recherche que je développe dans les contrats de recherche dont j'ai la responsabilité sont, d'une part, l'incidence des droits fondamentaux sur la fonction de juger, et, d'autre part, le rôle social du juge dans la préservation de l'intérêt public.
Mais cette appréhension purement académique de la fonction de juger a très rapidement été complétée par une approche plus concrète du monde judiciaire au bénéfice des différentes responsabilités que ma qualité de juriste-universitaire m'a conduite à exercer. De façon sans doute relativement anecdotique mais néanmoins marquante, c'est cette qualité qui a justifié ma nomination comme présidente des sections disciplinaires des différents établissements auxquels j'ai été affectée. Cette fonction disciplinaire, que j'ai exercée pendant plusieurs années, m'a permis de me confronter concrètement à la fonction de juger, ce qui me donne une idée de la responsabilité qui incombe au CSM dans l'exercice de sa mission disciplinaire.
Dans mes responsabilités scientifiques, j'ai été amenée à travailler avec des magistrats et pour des magistrats. J'appartiens notamment à un consortium européen qui mêle des universitaires et des écoles nationales de formation des magistrats, et qui est chargé de sensibiliser les juges à l'incidence de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur leur office. Je crois pouvoir dire que ces expériences m'ont permis de mieux comprendre les magistrats et les conditions dans lesquelles ils exercent leur mission.
Enfin, dans l'exercice de mes responsabilités institutionnelles, j'ai pu appréhender certaines des grandes problématiques que rencontrent les juridictions et la magistrature. Comme présidente de la Conférence des doyens, j'ai travaillé avec les directeurs successifs de l'École nationale de la magistrature (ENM) sur les questions liées au recrutement initial des magistrats. En outre, je suis membre du Conseil national du droit qui est chargé d'une mission de réflexion et de proposition sur l'enseignement du droit, sur la formation et sur l'emploi des juristes. C'est une instance à laquelle les universités mais aussi les principales professions juridiques et judiciaires participent. Nous travaillons de concert sur des sujets comme la féminisation du monde judiciaire ou la pacification des relations entre magistrats et avocats. Ainsi, même si je suis loin d'être une experte du statut de la magistrature, suis-je néanmoins sensibilisée à certains enjeux qui touchent le corps judiciaire. Je suis naturellement prête à m'investir pleinement pour acquérir les connaissances et les compétences qui me manquent encore pour exercer au mieux les missions du CSM si j'y suis nommée.
Je suis une juriste, assurément, mais c'est principalement depuis le monde universitaire que j'ai développé mes relations avec le monde judiciaire. Ce serait un honneur d'intégrer le CSM pour désormais renforcer mes liens avec la justice, au service de la justice française et de la communauté nationale. Je vous remercie de votre attention et je suis prête à répondre à vos questions.
Madame la professeure, je vous remercie pour la précision de vos réponses au questionnaire. À la question relative à l'indépendance de l'autorité judiciaire, vous avez répondu : « Toute la difficulté, dans le système qui est le nôtre, consiste à concilier cette nécessaire interdiction d'ingérence avec une certaine subordination de l'autorité judiciaire au pouvoir législatif – en rendant ses décisions, le juge n'exerce qu'une compétence normative déléguée et donc soumise à la loi votée par le Parlement – et au pouvoir exécutif – en exerçant ses missions, le juge contribue à la mise en oeuvre des politiques publiques. » Il serait utile que vous précisiez ce que vous entendez par cette subordination de l'autorité judiciaire au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif.
L'indépendance des juges est un sujet complexe qui amène sur un terrain assez glissant. La question posée portait sur la notion d'indépendance de l'autorité judiciaire. Il faut donc s'efforcer de répondre de façon un peu générale parce que, naturellement, la situation des juges du siège n'est pas la même que celle des magistrats du parquet. Tout le monde, je crois, s'accorde à reconnaître qu'il y a une indépendance pleine et entière des magistrats du siège. Il n'en reste pas moins que le magistrat du siège reste l'organe de l'application de la loi, ce n'est pas lui qui fait la loi. Il me semble aussi que même les magistrats du siège ne peuvent être totalement fermés à la question des politiques publiques qui sont mises en oeuvre dans notre pays. Ils ne peuvent pas être totalement autistes. Ils ont un rôle à jouer pour que ces politiques publiques soient efficacement appliquées. Voilà pour les magistrats du siège.
Je ne sais pas jusqu'à quel point vous voulez que ma réponse soit technique. Dans ma réponse à votre questionnaire j'ai évoqué un certain pragmatisme, notamment mis en oeuvre par le Conseil constitutionnel. Il y a évidemment la question des lois de validation. Quand le Parlement adopte une loi de validation, on peut considérer que, d'une certaine façon, il empiète sur la fonction du juge. Pourtant, c'est admis, ce qui montre bien une recherche de pragmatisme et d'équilibre entre la garantie de l'indépendance des juges – qui est fondamentale dans un État de droit – et ce que je nomme subordination mais je ne sais pas si le terme est bien choisi.
Le cas des magistrats du parquet est tout à fait différent. Ce n'est pas à vous que j'apprendrai que, de longue date, il y a des réflexions sur une révision constitutionnelle qui permettrait de distendre un peu le lien qui existe entre le parquet et le pouvoir exécutif. La révision constitutionnelle, qui est actuellement à l'étude, entreprend d'aller dans ce sens tout en maintenant un lien entre le parquet et le pouvoir exécutif. Là encore, c'est une question de pragmatisme pour trouver un équilibre entre l'indépendance des magistrats et le rôle qu'ils doivent jouer dans la mise en oeuvre des politiques publiques et dans l'application de la loi. Là encore, le Conseil constitutionnel considère que le statut du parquet ne pose pas de problème au regard de l'exigence d'indépendance. C'est un peu différent au niveau de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Je peux développer, si vous le souhaitez, même si je pense que le problème n'est pas aussi important qu'il peut paraître.
Notre objectif n'est pas de préciser la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou celle de la CEDH. Il n'est pas non plus d'aborder les discussions que nous avons en notre qualité de pouvoir constituant s'agissant d'une éventuelle modification de la Constitution. Notre point est de savoir quelle est votre perception de ce concept d'indépendance de l'autorité judiciaire. Il n'est pas complètement classique de parler de subordination de l'autorité judiciaire au pouvoir exécutif, ni dans la doctrine ni dans le débat public. C'est pourquoi je vous inciterais à développer un peu ce que vous appelez le pragmatisme. Pour ma part, je ne sais pas ce que veut dire le pragmatisme en droit. J'aimerais donc que vous précisiez un peu la conception que vous avez de l'éventuelle fonction de membre du CSM s'agissant de ce principe d'indépendance.
Je vais revenir sur le terme de subordination puis j'évoquerai le rôle que, de mon point de vue, doit jouer le CSM.
Le terme de subordination est peut-être trop fort. De mon point de vue, l'indépendance de l'autorité judiciaire est incontestable en France. Cette indépendance réelle est garantie par un certain nombre de caractéristiques telles que l'inamovibilité et le rôle du CSM en termes de nomination, d'avancement et de discipline des magistrats. Nonobstant cette indépendance réelle, le juge n'est pas dans une sorte de tour d'ivoire. C'est ce que, fondamentalement, j'ai voulu exprimer. Le juge doit être éminemment conscient de ce qu'est la loi, puisque son rôle est de l'appliquer, et de ce que sont les politiques publiques qui sont mises en oeuvre dans notre pays. Je ne sais pas si ma réponse est plus conforme à vos attentes.
Je n'ai pas d'attentes, madame, je cherche simplement à développer une sorte de maïeutique pour faciliter votre expression afin que chaque collègue se prononce en conscience sur votre nomination.
J'aurais une dernière question relative à l'éventuel engagement politique des personnes qui exercent des fonctions de magistrat.
À la question 5, vous répondez : « Poussé à l'extrême, le devoir de réserve ne constitue-t-il pas une forme d'entrave au droit des magistrats d'exprimer et même d'avoir des idées politiques ? » Je voudrais que vous développiez ce point de vue qui ne paraît pas spontanément habituel dans le débat public.
Nombre des questions que vous m'avez envoyées n'étaient pas faciles. J'ai essayé d'y répondre en y réfléchissant sérieusement. En tant que juriste, je suis habituée à concilier l'inconciliable. En la matière, nos cours ont développé ce qu'on appelle le principe de proportionnalité pour essayer d'arriver à concilier l'inconciliable.
Un magistrat est aussi un citoyen qui a droit à la liberté d'expression, garantie par les normes les plus fondamentales, et à la liberté d'opinion. Il faut partir de ce point de vue. En même temps, le magistrat exerce des fonctions qui le placent, pour différentes raisons, dans une situation particulière. Ce qui me semble le plus important pour mesurer l'étendue de la liberté d'expression du magistrat, c'est la question de la confiance du justiciable dans la justice. Dès lors qu'un magistrat s'exprime publiquement pour faire valoir ses convictions personnelles, il s'expose à ce que, dans le cadre de ses fonctions, son image soit perçue d'une façon particulière. Il s'expose à ce que l'on puisse lui imputer un parti pris, une forme de partialité, ce qui pose naturellement un problème majeur s'agissant d'une autorité qui doit être indépendante et impartiale. C'est la raison pour laquelle le devoir de réserve est prévu dans les textes et doit être respecté. Jusqu'où doit aller ce devoir de réserve ? D'une certaine façon, toute expression manifeste une forme d'engagement. Faut-il interdire aux magistrats de s'exprimer ? C'est la question que je voulais poser tout en n'ayant pas nécessairement une réponse très ferme à vous donner sur ce sujet.
Comme notre rapporteur, je voulais vous interroger sur votre conception de l'indépendance judiciaire. Vous avez répondu en conscience. Vous auriez pu avoir une réponse beaucoup plus formatée et classique, en vous bornant à dire que l'indépendance est garantie par la Constitution. Je reconnais volontiers votre souci d'adaptation et de pragmatisme. Vous l'indiquez d'ailleurs dans votre réponse écrite qui est extrêmement circonstanciée, ce dont je tiens à vous remercier.
Cela étant, j'aimerais vous interroger sur l'accès au CSM et sur la déontologie. Comment les justiciables peuvent-ils accéder au CSM ? Dans vos écrits, vous soulignez un déficit d'accès dont fait état le CSM lui-même. Les justiciables méconnaissent ce droit d'accès ou le considèrent comme un recours complémentaire ou peu effectif. Sur la déontologie, en tant que parlementaires, nous pouvons accéder directement à un déontologue si nous ressentons le besoin d'une aide dans la gestion de certaines situations délicates. Les magistrats peuvent, eux aussi, se trouver confrontés à des situations délicates. Ils peuvent s'adresser à un organe indépendant pour les questions individuelles qu'ils se posent. Pourriez-vous nous dire ce qui vous semble perfectible dans ces deux domaines ?
Les justiciables peuvent avoir accès au CSM par le biais d'une procédure créée par la révision constitutionnelle de 2008 mais qui n'est pas très efficace. Dans ma réponse écrite, j'ai indiqué que ce défaut d'efficacité me semblait relativement préoccupant même si je pouvais en comprendre les ressorts : le droit d'accès peut se révéler contre-productif s'il donne au justiciable le sentiment qu'il existe une forme de corporatisme. On entend beaucoup dire que les juges ne sont pas responsables, qu'ils ne sont jamais redevables de ce qu'ils font. Cela ne signifie pas qu'il faut juger les juges en permanence mais il faudrait que la procédure qui permet aux justiciables de saisir le CSM soit plus efficace. Comment ? En toute modestie, je vais vous donner quelques pistes de réflexion en ne sachant pas si elles sont exploitables.
Tout d'abord, il faut s'assurer d'une bonne information. Si les requêtes ne sont pas recevables, c'est parce que, la plupart du temps, les griefs exposés ne sont pas en lien avec la procédure. De nombreux justiciables passent par l'assistance d'un avocat pour saisir le CSM, même si ce n'est pas une obligation. Un premier travail d'information pourrait être fait par le CSM en partenariat avec les instances représentatives des avocats – le Conseil national des barreaux ou les différents barreaux – pour que les avocats s'approprient mieux cette procédure. Il est plus compliqué de toucher les justiciables qui ne sont pas assistés d'un avocat. Peut-être serait-il possible de développer l'information mise à disposition des justiciables sur le site du CSM qui, de ce point de vue, n'est peut-être pas aussi pédagogique qu'il pourrait l'être ? Je pense que c'est d'abord par cette pédagogie vis-à-vis des auteurs de saisine que l'on pourra renforcer l'efficacité de la procédure.
En matière de déontologie, si j'ai bien compris, vous me demandez si les magistrats ne devraient pas avoir la possibilité de saisir un interlocuteur ou une instance de leurs difficultés quotidiennes. Je pense que c'est extrêmement important. Les principes généraux ont besoin d'être concrétisés et il faut pouvoir échanger. Les organes chargés de ce conseil déontologique peuvent jouer un rôle. À l'heure actuelle, nous avons plutôt trop d'organes que pas assez puisque nous avons une dualité : le collège de déontologie créé par la loi organique de 2016 ; le Service d'aide et de veille déontologique mis en place par le CSM. C'est sans doute un peu trop. L'existence de deux instances peut troubler les esprits. Il me semble qu'une seule instance serait préférable, comme je l'ai indiqué dans mes réponses écrites.
Mon expérience universitaire m'a appris l'importance du réseau et des échanges entre pairs, quand on veut que les membres d'une profession s'approprient quelque chose – en l'espèce, la déontologie. Les magistrats peuvent échanger avec le CSM mais il serait intéressant qu'ils puissent le faire aussi avec des pairs confrontés aux mêmes difficultés quotidiennes qu'eux. Cette logique plus horizontale porte ses fruits. Voilà quelques pistes que je peux proposer pour répondre à vos questions.
Sachez que j'accueille très favorablement une candidature émanant du monde universitaire où l'indépendance est reconnue comme au CSM. J'avoue être un peu troublée par vos propos sur la subordination mais je vous remercie de votre franchise.
En réponse à la question 11, vous écrivez : « Je trouve étonnant que l'organe garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, et chargé des nominations et de l'avancement des magistrats, ne soit pas plus impliqué dans le recrutement initial. » Que voulez-vous dire ?
S'agissant de la déontologie, je voudrais rebondir sur la question de Didier Paris. C'est la Constitution qui fait que le CSM n'est pas compétent pour rendre des avis sur les questions déontologiques. S'il existe un collège de déontologie, c'est parce que nous respectons la norme suprême – et je pense que vous partagez nos préoccupations. Nous en sommes là et je pense qu'il y a des adaptations à faire.
En réponse à la question 8, vous exposez les failles du système de saisine directe du CSM par les justiciables tout en précisant : « Cela étant, il ne faut certainement pas renoncer à réfléchir aux moyens d'améliorer rapidement le fonctionnement du dispositif, car à moyen terme, le faible nombre de décisions de recevabilité pourrait éveiller la méfiance des justiciables (qui, ne saisissant pas les motifs techniques de l'irrecevabilité, pourraient y voir une forme de corporatisme), et donc s'avérer contre-productif. » Je suis d'accord avec cette analyse mais que proposeriez-vous pour améliorer ce système ?
Dans votre réponse à la question 5 concernant l'engagement politique d'un magistrat, vous concluez : « Qu'un magistrat – engagé politiquement au service de la protection de l'environnement – statue sur une attribution d'autorité parentale ne pose pas de difficulté, là où il serait problématique qu'il se prononce sur un litige relatif à une marée noire. » Nous avons mis en place des règles : la déclaration d'intérêts et la déclaration de patrimoine. La déclaration d'intérêts vise précisément à répondre à ce problème. Le législateur a clairement indiqué que cette déclaration d'intérêts ne doit pas interdire au magistrat de s'engager dans des actions qu'il considère indispensables en tant que citoyen. Si le magistrat exerce une compétence exécutive au sein d'une association, par exemple, on peut alors imaginer que son déport s'impose de manière systématique pour qu'il n'ait pas à se prononcer sur des dossiers liés à cette cause. Nous avons déjà réfléchi à ces questions-là et la déclaration d'intérêts constitue un guide important. Pensez-vous qu'il est nécessaire d'améliorer cette déclaration d'intérêts ou la jugez-vous suffisante ?
Merci, madame, de votre présentation et de vos réponses.
Je suis impressionné par votre parcours universitaire qui inspire ma première question. Avez-vous réfléchi à la différence qui existe entre l'exercice d'une fonction universitaire parmi ses pairs et l'exercice d'une fonction dans l'appareil judiciaire où les décisions affectent le justiciable et les professionnels de justice. Étant moi-même universitaire, je pense qu'il y a une nuance et je voudrais savoir si vous y avez réfléchi.
J'aimerais aussi revenir sur le fameux sujet de la subordination. Au rapporteur, vous avez répondu que vous étiez consciente du fait qu'il y a une indépendance totale de la justice en France mais aussi du fait que le juge n'exerce pas ses fonctions sans être lui-même en prise avec les politiques publiques. Je souhaiterais que vous apportiez des précisions sur ce point car, à mes yeux, il y a une différence entre les politiques publiques et le pouvoir politique lui-même et les éventuelles injonctions qu'il peut être amené à énoncer ou à faire transpirer.
Je voudrais, madame, revenir sur les réponses que vous avez faites aux questions 4 et 5 de notre rapporteur concernant globalement l'indépendance des magistrats. Autorité particulière, le magistrat juge au nom du peuple français. C'est fort de signification et d'engagement. Son indépendance est donc cruciale. Elle peut être exogène et s'exercer par rapport aux autres pouvoirs, notamment les pouvoirs exécutif et législatif. Elle peut aussi être endogène et être liée à une appartenance à un syndicat, à un parti politique, à une association philosophique ou religieuse. J'ai eu l'occasion d'interroger la garde des Sceaux sur ce point il y a quelques semaines, lors de l'examen de la réforme de la justice. Elle m'a dit que cette question serait évoquée à l'occasion d'une prochaine réforme portant notamment sur le statut des magistrats. Pensez-vous que l'on pourrait imaginer que les magistrats soient astreints à une interdiction d'appartenance à un parti politique, à un syndicat, à une association philosophique ou religieuse ?
Merci, madame, pour votre contribution écrite et pour les réponses très franches que vous nous apportez aujourd'hui. Merci aussi pour votre discours, parfois peut-être un peu disruptif, sur cette question de subordination. Vous retenez le contexte des politiques publiques : le magistrat ne juge pas hors sol, si je comprends bien ce que vous avez voulu exprimer.
J'avais une question plus précise à vous poser sur la composition du CSM. Dans vos écrits, vous vous interrogez sur l'opportunité de réinstaurer une parité entre magistrats et personnalités extérieures, voire d'instituer une majorité de magistrats. Vous vous dites assez réservée sur la règle d'une majorité de magistrats mais vous pensez que la parité ne poserait pas de difficulté, en précisant qu'une très courte majorité de personnalités extérieures présente des avantages d'un point de vue symbolique comme pratique. Pouvez-vous nous confirmer que l'avantage symbolique est d'éviter les accusations de corporatisme ? C'est à cela que je pense tout de suite mais je me trompe peut-être. Quel est l'avantage pratique auquel vous songez ?
Je vais, avant toute chose, revenir sur ce terme de subordination, sans doute mal choisi, et dont je sens bien qu'il vous a interrogés. Si j'ai employé ce mot, c'est en référence aux politiques publiques. Loin de moi en effet l'idée que le juge puisse être subordonné au pouvoir politique. Le fait qu'il n'y ait plus d'instructions individuelles adressées au parquet montre bien que cette subordination n'existe pas, ce dont je me réjouis, comme citoyenne et comme juriste. Je suis sans réserve attachée à l'indépendance du juge.
Cela étant, le rôle du juge dans la mise en oeuvre des politiques publiques est une question essentielle. Je travaille actuellement sur le rôle du juge dans la préservation de l'intérêt public et, plus particulièrement, dans cette perspective, sur les modes alternatifs de règlement des différends, notamment l'arbitrage. Cette dernière procédure suscite de ma part de l'intérêt mais aussi une certaine réserve, car il me semble qu'en matière de commerce international, l'arbitre a souvent tendance à juger en fonction de l'intérêt égoïste des parties, sans prendre en compte suffisamment le contexte, c'est-à-dire ce que j'appelle l'intérêt général, qui doit avoir une incidence sur la fonction de juger.
Ce que j'ai fondamentalement voulu dire, c'est que le juge, parce qu'il appartient à l'appareil d'État, est bien placé pour prendre en compte l'intérêt général, lequel s'exprime notamment au travers des politiques publiques. Tel était le sens de ma pensée, et je m'y tiens. J'ajoute que c'est probablement pour cela que j'accorde une plus grande confiance aux juges qu'aux arbitres privés.
Concernant toujours la question de l'indépendance des juges, vous m'avez interrogée sur la pertinence d'interdire aux magistrats d'appartenir à un parti politique ou à un syndicat. Cela me paraît très compliqué. En effet, on ne peut dénier aux magistrats leur statut de citoyens, de sujets de droit. Or, en tant que tels, ils jouissent des droits fondamentaux garantis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou par la Convention européenne des droits de l'homme. Je ne suis donc pas totalement séduite par une telle idée.
Vous avez également évoqué les déclarations d'intérêts, et je vous rejoins sur ce point, madame Untermaier. Je salue les dernières évolutions, car ces déclarations participent du contrôle des conflits d'intérêts, sachant que toute la difficulté, pour un magistrat, est de parvenir à concilier ses opinions – qu'il peut, dans une certaine mesure, exprimer publiquement, – et son devoir de réserve. La déclaration d'intérêts permet sur ce point de connaître les engagements politiques, syndicaux ou autres d'un magistrat et d'en tirer, le cas échéant, les conclusions qui s'imposent.
En ce qui concerne le rôle du Conseil supérieur de la magistrature en matière de recrutement initial des magistrats, je ne remets évidemment pas en cause le concours, grâce auquel la majorité d'entre eux intègrent aujourd'hui le corps. Mais il existe également de nombreuses voies parallèles, empruntées aujourd'hui par environ 20 % des magistrats qui, avant d'intégrer le corps, avaient une vie professionnelle sans lien direct avec la magistrature. J'ai cru comprendre que le CSM ne jouait quasiment aucun rôle dans ces recrutements parallèles, alors qu'il me semble qu'en tant que garant de l'indépendance de la magistrature il pourrait être utilement sollicité.
En ce qui concerne la fonction consultative du CSM en matière de déontologie, j'ai souligné le peu d'avis rendus par le Conseil, bien consciente que l'article 64 de la Constitution limite sa marge de manoeuvre en la matière. Cependant, cela n'a pas empêché le CSM de mettre en place son propre service d'aide et de veille déontologique…
Vous en savez donc plus que moi… Quoi qu'il en soit, je suis plutôt gênée par le fait qu'il existe deux instances de déontologie parallèles, car cela peut être facteur de confusion.
Quant à la question de la saisine du CSM par les justiciables, je n'ai malheureusement pas d'autres propositions que celle que j'ai déjà faites dans ma réponse écrite, en insistant sur le fait qu'il fallait notamment développer sur ce point l'information à destination des avocats et des justiciables.
Vous m'avez interrogée sur ma position au sujet de la composition du Conseil et sur la répartition des sièges entre magistrats et membres extérieurs à la magistrature. Je considère d'abord qu'établir une parité entre ces deux catégories de membres, voire privilégier les personnalités extérieures est une manière de témoigner de la volonté du Conseil de lutter contre toute forme de corporatisme.
Par ailleurs, je reprends à mon compte l'idée de M. Bertrand Louvel, lorsqu'il évoquait l'importance symbolique du contrôle de la magistrature par la société civile : à cet égard, la présence paritaire ou majoritaire de personnalités extérieures au sein du Conseil peut être vue comme une forme de garantie que l'autorité judiciaire, qui rend ses décisions au nom du peuple français ne se limite pas à une forme d'autocontrôle mais est également contrôlée, par la société civile.
Voilà pour ce qui concerne l'aspect symbolique de cette question. Sur un plan plus pratique, on n'a pas manqué de me faire observer qu'il était essentiel qu'un membre extérieur nommé au Conseil de la magistrature y soit assidu, et ce, quelle que soit l'importance de ses activités parallèles. Si, pour cette raison, beaucoup de personnalités qualifiées ne sont pas toujours aussi présentes qu'elles le devraient, il me semble, sans doute un peu naïvement, que ces absences des uns et des autres pourraient être utilement compensées par le fait qu'ils soient en supériorité numérique.
J'en terminerai avec ce que va changer ou non pour moi l'exercice de fonctions au sein du Conseil supérieur de la magistrature par rapport à mon activité universitaire. Ce qui ne changera pas d'abord, c'est le fait que j'exercerai mes missions en pleine indépendance, guidée en d'autres termes par l'intérêt général. C'est en effet le meilleur moyen de résister non seulement aux pressions extérieures mais également au désir de privilégier son intérêt personnel.
En tant qu'enseignante-chercheuse, je bénéficie statutairement de cette même indépendance que j'aurai dans l'exercice de mes missions au sein du Conseil supérieur de la magistrature, si vous m'accordez votre confiance. Les missions que j'exerce au travers de mes recherches et des enseignements que je dispense, je les exerce au service de l'intérêt général. Si j'intègre le Conseil supérieur de la magistrature, c'est encore cette volonté de servir l'intérêt général qui me guidera. Néanmoins, les Français considèrent d'un oeil très différent la justice et l'université ; il sera donc important que j'ajuste ma façon de penser, afin de répondre aux attentes que nos concitoyens ont à l'endroit de la justice.
Le questionnaire que vous avez rempli rappelle que les membres du Conseil exercent leur mission dans le respect des exigences d'indépendance, d'impartialité, d'intégrité et de dignité. Vous avez précisé que, pour vous, trois valeurs étaient essentielles, la fiabilité, l'indépendance et l'humilité. Pourriez-vous confirmer à la commission des Lois que votre probité n'a pas été mise en cause, ni récemment ni plus anciennement. Nous tenons en effet à nommer au Conseil supérieur de la magistrature des personnes qui soient non pas irréprochables, mais dont la probité n'a jamais été mise en cause.
Je pense pouvoir affirmer solennellement que ma probité n'a jamais été mise en cause, ni dans le cadre d'une action en justice ni dans celui d'une action disciplinaire, puisque je suis, comme l'ensemble des universitaires, soumise à la section disciplinaire de mon établissement. Je crois pouvoir affirmer que les différentes fonctions qui m'ont été confiées l'ont toujours été parce que les personnes avec lesquelles je travaille me faisaient confiance et avaient confiance en ma probité. Je peux me tromper et commettre des erreurs, mais c'est toujours en toute bonne foi, pensant agir au service de ce que je crois être le service public et l'intérêt général.
Madame Clavel, je vous remercie. Nous procèderons au vote à l'issue de la deuxième audition.
La Commission auditionne M. Yves Saint-Geours, dont la nomination est proposée par le Président de la République en qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature (M. Guillaume Larrivé, rapporteur).
Nous auditionnons à présent M. Yves Saint-Geours, dont la nomination est également proposée par le Président de la République en qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature.
Je me sens particulièrement honoré d'être ici, ce matin, devant vous, pour défendre ma candidature de membre d'un organe constitutionnel qui assiste le Président de la République, lui-même garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, fondement de l'État de droit et gardienne de la liberté individuelle. Je suis également quelque peu intimidé par le fait que nombre d'entre vous connaissent la justice française de l'intérieur. C'est donc avec beaucoup d'humilité que je me présente devant votre commission car, si j'ai eu une très longue carrière administrative et dans le service public – près de quarante-cinq ans –, j'aborde des rivages qui ne me sont pas si familiers, même si je les ai souvent côtoyés.
C'est en tant que personnalité qualifiée, au sens strict de ce mot, que je me présente aujourd'hui devant vous. J'ai travaillé pour de nombreux ministères, comme enseignant, comme chercheur et surtout comme diplomate. À ces postes, j'ai souvent eu à connaître de questions juridiques parce que je me suis beaucoup occupé, d'une part, de coopération internationale et, d'autre part, de gestion des administrations et des ressources humaines.
Dans le domaine de la coopération internationale, j'ai, à l'agence Erasmus, travaillé sur l'harmonisation des enseignements de droit ; au ministère de la Recherche, je me suis notamment penché sur le statut juridique des organisations internationales ; comme conseiller du ministre des Affaires étrangères enfin, j'ai traité le problème des biens spoliés et des relations avec d'autres pays, notamment les États-Unis d'Amérique.
Comme sous-directeur, directeur, puis directeur général adjoint du Quai d'Orsay, je me suis également occupé de coopération internationale dans le domaine du droit, qu'il s'agisse de comparer les filières d'enseignement du droit ou de promouvoir le droit, au travers, par exemple, des « maisons du droit », notamment en Amérique latine, où j'ai vécu plusieurs années et où j'ai oeuvré à la promotion du droit romano-germanique dans un espace où il se trouve en concurrence avec d'autres droits, au premier rang desquels la common law.
Comme ambassadeur en Bulgarie ou au Brésil, pays voisin de la France à travers la Guyane, j'ai également été amené à travailler sur la coopération et l'entraide judiciaire, tout comme dans le poste que j'occupe actuellement comme ambassadeur en Espagne, poste que je quitterai dans deux mois et demi, atteint par la limite d'âge. À Madrid, j'ai eu à animer un dialogue intense entre nos pays sur les questions judiciaires, dans un contexte marqué par la fin progressive de la question de l'ETA basque en Espagne mais également par les attentats de l'Hyper Cacher et du Bataclan, puisque je suis arrivé en Espagne quelques semaines avant ces attentats. On comprend aisément, au vu de ces circonstances, combien la coopération entre les institutions judiciaires espagnoles et françaises est absolument fondamentale et à quel point elle se trouve au coeur des relations de confiance nouées entre nos deux pays. C'est ce qui m'a d'ailleurs donné l'occasion de rencontrer très régulièrement les plus hautes autorités judiciaires en Espagne et en France, au sujet du terrorisme, de la radicalisation, de la politique carcérale et des droits des victimes, mais également à propos de la lutte contre la grande criminalité et les trafics.
La justice n'est évidemment pas une administration comme les autres et, en tant qu'ambassadeur, je me devais de respecter son indépendance, ses procédures et la confidentialité qui s'imposent, tout en l'insérant dans un ensemble interministériel plus vaste, sachant qu'une ambassade peut être vue comme un microcosme où se retrouvent l'ensemble des administrations.
S'il est cependant une compétence plus spécifique que je peux apporter au Conseil supérieur de la magistrature, c'est en matière de gestion des administrations et des ressources humaines, ayant été plusieurs fois chef de poste ou chef d'administration, ambassadeur à trois reprises, directeur d'administration centrale, mais également président d'un établissement public, le Grand Palais. Je dois insister ici tout particulièrement sur mon expérience en tant que directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des Affaires étrangères. Ce ministère est une maison qui a ses corps et ses codes, mais qui devait absolument se moderniser, notamment dans sa gestion des ressources humaines. Il a fallu mettre en place et promouvoir l'évaluation, avec la mise en place d'un dispositif à 360 degrés qui permet d'appréhender dans leur globalité les problématiques qui se présentent à un chef de poste ou à un chef d'administration dans son environnement. J'évoquerai également le dialogue social, la déontologie et la confection d'un guide à l'usage du ministère, la discipline, et la parité, autant d'enjeux que l'on retrouve au ministère de la Justice. Enfin, nous avons oeuvré à bâtir un véritable dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, permettant de construire des carrières à partir du profilage et du repérage des potentiels, en s'appuyant sur la formation continue et sur la mobilité, qui permettent aux personnels de diversifier leurs parcours.
J'espère avoir apporté à ce travail de gestion des ressources humaines ces qualités indispensables que sont le jugement, le discernement et l'impartialité, autant de vertus qui sont inscrites dans les obligations des magistrats mais également, très souvent, dans celles des serviteurs publics. J'ai d'ailleurs remarqué, en relisant le guide de déontologie du ministère des Affaires étrangères, qu'à défaut du terme d'indépendance, qui caractérise au premier chef la justice, y figuraient les termes de dignité, d'intégrité et d'impartialité, ceux-là mêmes qu'emploie la loi organique de 1994. Je pense donc, sans préjuger des modifications constitutionnelles et législatives à venir, qu'il existe de nombreuses pistes d'action dans le cadre du CSM pour améliorer la gestion des ressources humaines.
Je sais que le parquet connaît des problèmes d'attractivité, notamment pour les postes de chef de juridiction, qui, par ailleurs, ne respectent pas du tout la parité. Il me semble que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences peut, dans ce cas, améliorer la situation. Cela permettrait, d'une part, de définir convenablement les qualités requises pour diriger une juridiction et, d'autre part, de prendre en compte toutes les problématiques liées au territoire car, comme pour les postes diplomatiques, les questions liées à l'environnement – économique, social, voire politique – ont une importance majeure dans la définition des postes. À tout cela s'ajoutent encore des enjeux liés aux usages des technologies de l'information et de la communication, qui sont à la fois techniques et déontologiques.
En regardant les rapports d'activité du CSM, il m'est apparu que la gestion du corps représente les trois quarts de l'activité du Conseil. Or il me semble que, dans ce domaine, mon expérience peut profiter au CSM, d'autant que j'y apporterai un regard extérieur, mais non étranger. Après quarante-cinq ans de service public, telle serait ma plus-value, cela dit avec une humilité qui n'a rien de rhétorique, puisque il s'agit de s'inscrire dans un fonctionnement collégial.
Compte tenu de l'indépendance, de l'impartialité, de l'intégrité et de la dignité dont doivent faire preuve les membres du Conseil supérieur de la magistrature, pouvez-vous assurer à la commission des Lois que votre probité n'a jamais été mise en cause sur le plan disciplinaire, civil ou pénal ?
À ce jour, ma probité n'a jamais été mise en cause, je crois pouvoir le dire avec beaucoup de solennité.
Je trouve plutôt sain que le collège du Conseil supérieur de la magistrature s'enrichisse de personnalités extérieures, et votre parcours au service de l'État et de la République, votre profil d'honnête homme, au sens classique du terme, me semblent, à ce titre, intéressants.
Je voudrais vous interroger sur l'éventuel engagement politique des magistrats. Actuellement ambassadeur en Espagne, vous avez souligné, en réponse au questionnaire qui vous a été soumis, qu'il est là-bas aujourd'hui strictement interdit aux magistrats d'appartenir à un parti politique. Vous expliquez cette conception très stricte de l'indépendance par des raisons historiques, liées en particulier au passé franquiste de l'Espagne.
Quel regard portez-vous sur l'engagement politique des magistrats en France et sur les interrogations que suscitent parfois les déclarations publiques de telle ou telle organisation syndicale – on se souvient notamment que, lors de l'élection présidentielle de 2012, un syndicat de magistrats avait expressément appelé à voter contre le Président de la République sortant ? Comment réagirez-vous face à de tels comportements, si vous exercez des fonctions au sein du CSM ?
Si j'ai évoqué le cas espagnol, c'est que cette différence dans le statut des magistrats m'a frappé. Dans les faits cependant, on peut chasser la politique par la porte, elle revient par la fenêtre : on connaît en Espagne les positions politiques de certains magistrats, et je considère qu'il est plus sain que les citoyens français, même lorsqu'ils sont magistrats, exercent tous leurs droits syndicaux ou politiques.
Cela dit, il est absolument fondamental que l'impartialité du magistrat ne puisse pas être mise en cause, car il y va de l'impartialité de l'autorité judiciaire tout entière et de la vision qu'en ont nos concitoyens. D'où un devoir de réserve, et le recueil des obligations déontologiques des magistrats est on ne peut plus clair sur ce point, puisque ces derniers doivent s'abstenir de « tout prosélytisme politique, philosophique ou confessionnel pouvant porter atteinte à l'image d'indépendance de l'autorité judiciaire ». Ma position est donc claire : tout engagement ou toute expression politique doit se faire dans le respect du devoir de réserve et des conditions qui garantissent que l'image d'indépendance de l'autorité judiciaire ne soit pas entachée.
Au sujet de l'indépendance de la justice, votre référence à l'Espagne, appuyée sur votre expérience, est enrichissante, et je pense, comme le rapporteur, que le CSM ne doit pas être trop monolithique, ce qui rend votre candidature tout à fait digne d'intérêt.
Je voudrais néanmoins revenir à cette question de l'indépendance de l'autorité judiciaire : si vous êtes très clair sur le sujet de cette indépendance à l'égard du pouvoir exécutif, je suis un peu plus circonspect sur votre réponse concernant l'indépendance à l'égard du pouvoir législatif. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez lorsque vous faites référence aux lois interprétatives ?
Je vais être sincère avec vous : ne me jugeant pas totalement compétent pour répondre d'emblée à votre questionnaire, je me suis plongé notamment dans les rapports du Conseil supérieur de la magistrature, où j'ai lu qu'une loi interprétative pouvait clarifier des lois antérieures, considérées comme obscures et dont les vides avaient été comblés par la jurisprudence. Bien qu'il me soit ensuite apparu qu'il était fort rare qu'une loi interprétative, censée reprendre la volonté initiale du législateur, contredise la jurisprudence et change du même coup le cours d'un procès, j'ai pensé qu'il y avait là un motif de vigilance. Cependant, j'ai compris qu'il s'agissait de cas très résiduels.
Je m'associe à la remarque de notre rapporteur sur l'apport que représentent des personnalités très extérieures au monde juridictionnel pour le CSM.
Je vous remercie pour votre réponse nuancée et équilibrée à propos de l'engagement politique des magistrats, sachant qu'il s'agit selon moi d'une question qui ne concerne pas uniquement la magistrature judiciaire.
Vous avez indiqué être au courant des débats qui entourent la question des moyens en personnel et en matériel de la justice, et avoir pris connaissance des conclusions du récent rapport de l'Inspection générale sur la situation du ministère public et sur l'attractivité du parquet auprès des jeunes générations. Que pensez-vous de l'élargissement toujours croissant des prérogatives du parquet ?
Il m'est difficile de répondre à votre question, car ce serait m'engager sur la façon dont est organisée l'autorité judiciaire en France, ce qui relève à mon sens du pouvoir législatif. Ce que je puis dire en revanche, et qui est une manière de vous répondre indirectement, c'est que le parquet est la face de l'autorité judiciaire qui est la plus directement au contact des autres administrations et de la société et qu'à ce titre, il me semble important de le consolider.
Par comparaison avec l'Espagne, où le parquet représente beaucoup plus d'un quart des effectifs de l'autorité judiciaire, nous sommes très en deçà. Cela étant, la possibilité de circulation qui existe en France entre le parquet et le siège est très féconde et me semble militer pour l'unité du corps.
Reste que la proximité du parquet avec la société justifie sans doute que son rôle ait tendance à croître au sein de l'autorité judiciaire. Je ne m'avancerai pas plus sur ce qui concerne les questions d'organisation interne.
Merci, monsieur l'ambassadeur, des propos très clairs que vous tenez, tant à l'écrit qu'à l'oral.
Vous vous êtes présenté comme candidat pour occuper un siège au CSM : aviez-vous cette idée depuis un certain temps ou bien est-ce une opportunité qui vous a été offerte ? Cela ne préjuge en rien de la qualité de la candidature mais, compte tenu de ce parcours, comment se fait-il que vous soyez intéressé par les questions relatives au CSM ?
Vous savez que le président de la Cour de cassation conduit une réflexion importante sur l'évolution de l'institution judiciaire. À votre avis, ne faudrait-il pas aller plus loin dans la réforme constitutionnelle ? On parle d'un avis conforme, lequel est déjà une réalité le plus souvent. Ne faudrait-il pas en outre confier au CSM le pouvoir de proposition dans la nomination des magistrats du parquet ? Quelle est, enfin, à grands traits, votre orientation relativement à l'indépendance du pouvoir judiciaire ?
Merci beaucoup de me poser une question personnelle. Outre un parcours administratif, qui m'a amené à faire beaucoup de choses, il y a aussi un individu pénétré de principes d'éthique et d'organisation de la société. J'ai été en poste dans de nombreux pays, où j'ai vu ce que signifiait l'indépendance de la justice. J'ai de l'intérêt pour ces questions depuis bien longtemps. Ma formation est celle d'un historien. Je suis intéressé par la façon dont les pouvoirs s'équilibrent, sont organisés, et j'ai trouvé, au moment d'en finir avec des fonctions exécutives, que des fonctions de personnalité qualifiée, pour un monde auquel je suis extérieur mais qui m'est connu, avait du sens car tout ce qui est écrit dans la Constitution sur l'indépendance des pouvoirs constitutionnels et la garantie des libertés fait partie de ma vie. Cela valait la peine d'être tenté, dans un autre moment de mon existence, où je n'exerce plus des fonctions de « chef ».
C'est pourquoi j'ai insisté dans mon propos liminaire sur la collégialité. Il existe dans une juridiction une dyarchie – voire une triarchie, avec les responsables du greffe – et ce n'est pas quelque chose à quoi est habitué un ambassadeur ou un directeur d'administration centrale. Mon intérêt a été forgé par une longue carrière et par ce qui s'est passé ces dernières années, où j'ai eu à beaucoup m'occuper de cela.
S'agissant de votre deuxième question, vous ne serez pas étonnée que je reste très prudent dans ma réponse, car je ne peux évidemment préjuger des choix du législateur. Je crois que chacun s'accorde sur une amélioration qui serait le renforcement des prérogatives du CSM à l'égard des magistrats du parquet et consisterait en un avis conforme. C'est déjà dans les pratiques depuis longtemps et est prêt d'être décidé. De même en matière disciplinaire. Je pense aussi que la possibilité pour tout magistrat de saisir le CSM de questions déontologiques est une amélioration. C'est ce que j'ai écrit. Je n'irai pas au-delà car ce n'est pas tout à fait mon rôle et je ne suis pas encore suffisamment « ferré » pour me faire une opinion. Je repars sur les principes : il y a un point d'équilibre à trouver entre garantir l'indépendance et appliquer la politique pénale du Gouvernement. Pour l'instant, je le vois dans ce qui se passe et dans ce qui va sans doute se produire.
Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l'article 29-1 du Règlement, sur la nomination de Mme Sandrine Clavel et de M. Yves Saint-Geours en qualité de membres du Conseil supérieur de la magistrature. Elle procède ensuite, simultanément à la commission des Lois du Sénat, au dépouillement.
Voici les résultats des scrutins auxquels il a été procédé :
Sur la proposition de nomination de Mme Sandrine Clavel :
Nombre de votants : 46
Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 2
Suffrages exprimés : 44
Avis favorables : 26
Avis défavorables : 18
Nombre de votants : 46
Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 0
Suffrages exprimés : 46
Avis favorables : 45
Avis défavorables : 1
La Commission auditionne Mme Hélène Pauliat, dont la nomination est proposée par le Président de la République en qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature (M. Guillaume Larrivé, rapporteur).
Madame Pauliat, nous avons le plaisir de vous accueillir en commission des Lois, le Président de l'Assemblée nationale ayant proposé votre nomination au Conseil supérieur de la magistrature. Conformément à l'article 13 de notre Constitution, nous devons nous prononcer sur cette nomination.
Je vous laisserai tenir un propos liminaire, puis M. le rapporteur vous posera quelques questions, et la parole sera ensuite à la salle.
Vous avez la parole.
Je suis particulièrement honorée de me présenter devant vous afin que vous puissiez vous prononcer sur la proposition formulée par M. le Président de l'Assemblée nationale de me nommer au Conseil supérieur de la magistrature en qualité de personnalité qualifiée.
Pour un professeur de droit public, dont une grande partie de l'activité a consisté à enseigner le droit administratif et plus spécifiquement le droit des services publics, envisager d'exercer des fonctions au sein d'une institution constitutionnelle qui assiste le Président de la République dans la préservation de l'indépendance de l'autorité judiciaire, le replace au coeur des questions fondamentales de son métier : le service public, la justice, l'autorité judiciaire, son organisation, son fonctionnement, la confiance que les citoyens ont dans l'action publique et dans leur justice.
Agrégée de droit public, je suis professeure à l'Université de Limoges depuis 1992. Les principales thématiques sur lesquelles j'ai travaillé sont de deux ordres. D'une part, je m'intéresse, au titre de mes fonctions d'enseignement principal, au droit administratif général, à son évolution, à sa transformation progressive mais constante sous l'influence d'un certain nombre de mutations de l'action publique et surtout de l'évolution du rôle et des missions de l'État. Cette analyse englobe les évolutions qui affectent les services publics, les mutations se réalisant sous l'influence non seulement du droit de l'Union européenne mais aussi des évolutions économiques, avec un certain nombre d'éléments que l'on retrouve régulièrement : la recherche de la performance, de la rentabilité, de l'efficacité, et les questions qui accompagnent ces éléments.
Ce premier centre d'intérêt englobe l'analyse de l'évolution des structures en charge des missions d'intérêt général ainsi que l'étude des structures territoriales et locales, en particulier ces strates superposées qui donnent parfois à nos concitoyens le sentiment d'une administration complexe et peu lisible. Il englobe de surcroît une réflexion sur la fonction publique et son devenir.
À côté de ce premier thème d'investigation, je m'intéresse également à la justice, ce qui, pour un publiciste, semble relativement logique puisque le droit administratif est essentiellement lié à la justice et à la jurisprudence administratives. Toutefois, mes recherches ont porté, depuis plus de quinze ans, sur un aspect un peu moins traditionnel du point de vue académique : l'administration de la justice. Cette thématique apparaît moins classique, même si maintenant la question est totalement d'actualité, pour plusieurs raisons.
La première est que ce thème est aux confins d'une distinction qui est essentiellement académique et n'a plus grand-chose à voir avec la réalité : la distinction entre le droit public et le droit privé. J'ai eu l'occasion, dans une thèse soutenue il y a bien longtemps, qui portait sur le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, de m'interroger sur cette distinction qui n'a finalement pas tellement de sens lorsque l'on parle, par exemple, du droit constitutionnel ou du droit de l'Union européenne. L'administration de la justice emprunte aux deux, au droit privé et au droit public. L'objectif est alors de s'interroger sur le lien entre l'administration de la justice, l'organisation des juridictions, leur fonctionnement, leur gestion, et les procédures juridictionnelles mais aussi l'indépendance de la justice.
Ces réflexions sur l'organisation de la justice sont indissociables de celles sur l'État de droit. En clair, la garantie de l'indépendance de la justice passe-t-elle par un mode d'administration spécifique ? Et, en allant plus loin, quelle administration de la justice est la mieux à même de susciter la confiance des justiciables dans la justice ?
J'ai tenté d'aborder ces questions dans une perspective à la fois nationale et européenne, en essayant de comprendre les différents systèmes retenus et leur finalité, en Europe principalement, en conservant, tout d'abord, une profonde humilité parce que, quand on ne pratique pas au quotidien un système étranger, il est difficile de porter une appréciation définitive, mais surtout en ayant à l'esprit qu'aucun modèle, même s'il nous paraît séduisant, ne peut être implanté ou transposé tel quel dans un État qui n'a pas forcément la même culture, la même tradition, les mêmes préoccupations…
Ces différentes recherches ont été développées principalement pendant la période au cours de laquelle j'étais membre de l'Institut universitaire de France, dans les années 2005-2010.
À ces activités scientifiques et académiques se sont ajoutées des activités plus administratives, de gestion ou d'administration. J'ai d'abord été doyen de la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, ce qui m'a donné une première approche globale de l'administration. J'ai ensuite assumé des fonctions administratives au sein de l'Université de Limoges, en tant que vice-présidente du conseil d'administration tout d'abord, puis comme présidente de l'Université, avec ce que cette fonction implique en termes quotidiens de gestion administrative – budget, ressources humaines… –, mais aussi avec des interrogations peut-être plus importantes du point de vue de la stratégie : quelle stratégie pour les universités ? comment peut-on anticiper certaines évolutions ? comment définir des principes à suivre ou des objectifs ?
Cette activité m'a également permis de prendre en charge, au sein de la conférence des présidents de l'Université, la commission des moyens et des personnels, c'est-à-dire tout l'aspect budgétaire et l'aspect des ressources humaines. J'ai achevé mon mandat en 2016 avec une conviction, résultant de mon expérience limitée en durée dans la pratique administrative, qui est que si, certes, les finances ont un rôle essentiel dans toute institution, il y a peut-être une dimension encore plus essentielle qui est la dimension des ressources humaines et la dimension humaine tout court, dans les relations au sein d'un établissement.
Cette activité administrative s'est poursuivie après mon mandat par un défi complexe mais passionnant qui a été la contribution à la réalisation de la fusion entre deux grosses universités parisiennes, l'Université Paris IV et l'Université Paris VI, dont la fusion au 1er janvier 2018 a donné naissance à Sorbonne Université.
J'ai également été amenée à assumer certaines responsabilités en matière d'administration de la recherche, en particulier avec la direction adjointe de la mission de recherche Droit et Justice, dans les années 2000, ce qui a m'a permis de prendre conscience des thématiques qui pouvaient intéresser les différentes directions du ministère.
Ces divers éléments de parcours me permettent d'envisager de participer dans une mesure que j'espère utile aux missions du CSM et principalement aux missions qui incombent aux personnalités qualifiées au sein de cette instance. Je suis universitaire, et par mes recherches j'ai pu appréhender un certain nombre d'éléments, mais il me semble aussi que les activités d'administration que j'ai assumées pourraient être utiles ou pourraient en tout cas être mises au service du CSM. Le CSM est une institution collégiale et les éléments que je viens de rappeler peuvent apporter une pierre à l'édifice dans la mesure où la composition est aussi le reflet de la diversité des compétences sur lesquelles le Conseil pourrait ou peut s'appuyer.
Le CSM est une institution fondamentale puisqu'il contribue à garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire. Cette indépendance doit être réelle. Elle est au fondement même de la confiance que les citoyens ont en leur justice, les enquêtes auprès des justiciables ou les sondages d'opinion depuis quelques années en témoignent. Il apparaît clairement que l'élément fondamental demeure l'exigence de déontologie, largement traduite dans l'actuel recueil des obligations déontologiques des magistrats. Cette exigence s'est renforcée ces dernières années dans la société française en général et dans le monde politique en particulier, au regard d'affaires récentes. L'exigence de déontologie ne peut qu'être attendue de la part de ceux qui jugent au nom du peuple français.
Siéger au sein du CSM implique de remplir ces missions, me semble-t-il, avec humilité, en dialogue étroit avec les autres membres de l'institution et principalement les personnalités qualifiées. Un certain nombre de principes sont évidemment requis pour les assumer dans les meilleures conditions. Elles sont rappelées dans la loi organique relative au CSM : indépendance, impartialité, intégrité, dignité. J'allais dire que ces principes et exigences devraient être ceux de toute personne qui travaille au sein d'une institution quelconque et, en tout cas, depuis la loi du 20 avril 2016, elle s'applique désormais à tout fonctionnaire. C'est peut-être mieux en l'écrivant mais on peut supposer que c'était pratiqué antérieurement.
Le questionnaire qui m'a été soumis accordait une attention particulière à ces principes déontologiques fondamentaux. L'indépendance postule l'absence de liens inappropriés avec un certain nombre de pouvoirs. Elle implique également de ne pas entretenir de relations privilégiées avec les magistrats eux-mêmes, pour éviter de donner à croire que telle prise de position ou tel avis serait dicté par des considérations d'ordre personnel et non strictement professionnel.
L'impartialité implique la neutralité et la prise de distance pour assurer ces missions. L'analyse d'un dossier ne peut reposer que sur son contenu, et sur l'aptitude du magistrat à exercer telle ou telle fonction de direction ou de responsabilité ou profil particulier, et non sur des éléments personnels ou qui ne seraient pas vérifiés.
L'intégrité et la dignité sont en lien avec la probité, le secret professionnel et la réserve, indispensables à toute mission au sein d'une institution constitutionnelle. Des exigences de comportement s'imposent aussi puisque la dignité implique non seulement que la manière d'être et de se comporter ne porte pas atteinte à la dignité de la personne mais également, me semble-t-il, de manière encore plus importante, à la dignité de l'institution elle-même.
Si votre commission me faisait l'honneur de me juger digne d'être membre du CSM, il me reviendrait de mettre à disposition de l'institution ces compétences que j'ai pu acquérir dans les différentes fonctions qu'il m'a été donné d'exercer, tout en gardant à l'esprit de manière constante que la justice est une mission fondamentale dans un État de droit et une démocratie. Elle mérite donc d'être indépendante. Elle mérite que tout soit mis en oeuvre pour que les institutions qui garantissent cette indépendance soient irréprochables. L'objectif qui pourrait être fixé serait d'aider à ce que nos concitoyens aient confiance dans la justice, avec un CSM exigeant au regard des garanties de compétence et d'impartialité, de respect des règles déontologiques par les magistrats.
J'ai conscience de l'importance et de l'ampleur de la mission qui m'attend si vous choisissez de donner votre approbation à la proposition de M. le Président de l'Assemblée nationale. Je mesure également l'honneur qui me serait donné de contribuer à une réflexion collective sur la justice, avec toute l'humilité que cet engagement requiert.
Je vous poserai une première question, que j'ai posée à chacun des candidats que nous avons auditionnés aujourd'hui. Concernant la probité, pouvez-vous assurer à la commission des Lois que vous n'avez fait l'objet d'aucune mise en cause, que ce soit de manière disciplinaire, civile, pénale, administrative, au cours de votre carrière ou à l'heure actuelle ?
Ma seule question porte sur l'application de l'avant-dernier alinéa de l'article 65 de la Constitution, issu de la révision de 2008, qui ouvre à tout justiciable la faculté de saisir le CSM, dans des conditions qui ont été précisées par une loi organique de 2010 entrée en vigueur en 2011. Cela fait donc huit ans que ce dispositif s'applique.
Dans son commentaire désormais classique de la Constitution, Guy Carcassonne écrivait à cet égard : « La magistrature a toujours fait montre à l'égard de ses membres d'une indulgence qu'elle ne pratique pas à l'égard des tiers. »
Je souhaiterais que vous précisiez votre appréciation de l'application de ce dispositif. Vous écrivez, en réponse à notre questionnaire, que le mécanisme ne semble pas avoir atteint l'effet escompté puisque pratiquement aucune plainte, même recevable, ne conduit à une sanction disciplinaire. Et dans la dernière phrase de votre réponse, vous ouvrez la possibilité d'une réflexion sur ce que vous appelez un « mécanisme d'alerte des dysfonctionnements » qui ferait intervenir le CSM. Pouvez-vous préciser à quel mécanisme d'alerte, par hypothèse à droit constitutionnel constant, vous songez ?
La procédure prévue n'a sans doute pas produit les effets escomptés initialement, lorsque ce dispositif a été instauré, après l'affaire d'Outreau, essentiellement, quand on a réfléchi à ce mécanisme de saisine du CSM par le justiciable. La question est celle des conditions posées à une telle saisine. On constate que, soit par manque d'information ou d'explicitation, soit parce que les justiciables ne se sont pas encore approprié totalement ce mécanisme, la saisine du CSM dans ce domaine est plutôt considérée comme une troisième voie de recours, en tout cas comme une remise en cause de décisions juridictionnelles qui ne conviendraient pas aux justiciables. C'est pourquoi le CSM rappelle souvent qu'il n'est pas une troisième voie de recours pour juger des décisions qui ne satisfont pas tel ou tel justiciable.
Certes, un mécanisme permet au Conseil supérieur de la magistrature de demander des explications ou des informations à un magistrat, mais il n'aboutit pratiquement jamais à une mise en cause clairement établie. Cette situation s'explique peut-être en partie par le fait qu'il est difficile de qualifier un comportement de faute disciplinaire.
Par ailleurs, divers mécanismes d'alerte pourraient être mis en oeuvre. Celui qui me paraît envisageable, à droit constitutionnel constant, consisterait à s'appuyer sur les chefs de cour, qui peuvent procéder à l'inspection des juridictions de leur ressort, ou à réaliser – peut-être cette suggestion vous semblera-t-elle limitée au regard des enjeux – davantage d'enquêtes de satisfaction telles que celles qui sont parfois effectuées de manière ponctuelle au sein des tribunaux et qui permettraient de révéler, le cas échéant, des dysfonctionnements globaux ou récurrents.
Madame la professeure, je souhaiterais que vous nous indiquiez la manière dont vous concevez, d'une part, le rôle du garde des Sceaux et, d'autre part, la séparation des pouvoirs.
En ce qui concerne le garde des Sceaux, considérez-vous que celui-ci est un ministre comme les autres ? Son pouvoir doit-il se rapprocher de celui de l'attorney general ? L'administration de la justice doit-elle lui être soumise hiérarchiquement, dans le respect de la politique pénale du gouvernement auquel il appartient ? Le garde des Sceaux ayant la possibilité de demander un certain nombre de renseignements à son administration, celle-ci est-elle tenue de répondre à ses demandes ? S'il obtient de cette dernière des renseignements sur une affaire particulière, devient-il partie prenante au procès et, si tel est le cas, est-il soumis au secret de l'instruction ? Cet élément est très important car, si l'on comprend que le garde des Sceaux demande des notes à son administration, il convient de déterminer si celles-ci ont un caractère juridictionnel ou purement administratif.
Par ailleurs, la séparation des pouvoirs est au fondement même de notre Constitution. Or, elle est actuellement soumise à des pressions très fortes, en particulier dans le cadre des commissions d'enquête parlementaires. En effet, il peut arriver – ce fut le cas l'an dernier – que des parlementaires demandent à l'entourage du Président de la République de répondre, devant leur commission d'enquête, de ce qu'ils ont connu, vu ou su. Mon ami Serge Sur, qui est un éminent constitutionnaliste, estime que la séparation des pouvoirs interdit à tous les membres de l'entourage du Président de la République de répondre à de telles demandes émanant du pouvoir législatif. Il me semble qu'une telle interprétation respecte profondément la Constitution de 1958.
S'agissant du statut du garde des Sceaux et de l'administration de la justice, la France a retenu un modèle qui prévaut dans un certain nombre d'autres pays européens. Vous soulevez, en fait, la question de l'équilibre entre les diverses institutions. Malgré les résolutions européennes, un certain nombre de pays, il est vrai de moins en moins nombreux, ont un ministre de la Justice mais pas de conseil supérieur analogue au CSM. Dans ces pays, l'autorité judiciaire a confié des prérogatives plus importantes aux cours suprêmes. L'équilibre peut alors être assuré de manière plus stricte, dans la mesure où le ministre de la Justice a un rôle de pure administration. Dans d'autres pays, le conseil supérieur possède certaines prérogatives en matière d'administration ; dans d'autres encore, il détient également des compétences en matière budgétaire et financière.
Votre question souligne la différence qui existe entre, d'un côté, l'administration, le service public de la justice et, de l'autre – même si des liens existent entre eux – l'autorité judiciaire, qui remplit une mission constitutionnelle, celle de rendre la justice. Au titre de l'administration classique de la justice, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, peut demander un certain nombre d'informations, de documents ou de notes, dans certaines limites qui sont à la fois, me semble-t-il, juridiques et déontologiques : il ne peut se servir de ces informations pour alerter ou remettre en cause une procédure judiciaire en cours ou sur le point d'être déclenchée. Dans un tel cas, il me paraît évident que la réserve doit s'imposer, faute de quoi on assisterait à une intrusion de l'exécutif dans le judiciaire. A priori, donc, le ministre de la Justice n'a pas à intervenir dans le secret de l'instruction.
Cela dit, vous l'avez rappelé, la politique pénale est déterminée par le Gouvernement et elle a vocation à s'appliquer sur l'ensemble du territoire via notamment un certain nombre d'instructions générales adressées par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, aux magistrats du parquet.
S'agissant de la séparation des pouvoirs, une commission d'enquête doit pouvoir auditionner un certain nombre de personnes pour faire la lumière sur une situation ou des événements donnés. Dans le cas que vous citez, se pose la question de la définition de l'entourage du Président de la République : comment délimite-t-on le champ des personnes qui ne sauraient être auditionnées par une commission d'enquête parlementaire ? Autant on peut comprendre que des éléments relevant d'une enquête pénale, par exemple, ne soient pas traités de manière approfondie par une telle commission, autant on peut s'interroger sur la définition du champ des personnes qui entourent le Président de la République : inclut-il les ministres ? Ses conseillers ? D'autres personnes qui n'appartiennent pas à ce cercle ?
Madame la professeure, je vous remercie pour vos réponses très complètes. Je souhaiterais revenir sur celles que vous nous avez transmises par écrit ; deux points me semblent en effet devoir être précisés.
Tout d'abord, je crois comprendre, en lisant votre réponse à la quatrième question, que, selon vous, le principe d'indépendance du magistrat doit avoir pour corollaire l'absence de limitation de sa responsabilité. La question de la responsabilité du magistrat dans l'acte de juger ou de poursuivre n'est pas simple ; elle fait l'objet de nombreux débats. Je souhaiterais donc que vous éclairiez notre commission sur ce point.
Ensuite, en réponse à la cinquième question, vous indiquez que l'engagement politique du magistrat – engagement qui est soumis à des restrictions dans le ressort de la juridiction où il est affecté – doit être le plus limité possible. Qu'entendez-vous par là ? « Le principe directeur, ajoutez-vous, pourrait donc être que, dès lors que le magistrat souhaite soutenir officiellement un candidat ou se lancer en politique sous une étiquette politique, il demande sa mise en disponibilité. »
S'agissant de certaines professions que l'on compare parfois à celles de la justice, on a tendance à dire que l'indépendance entraîne une certaine forme d'irresponsabilité. Bien entendu, mon propos n'est pas de dire – ma phrase est peut-être un peu malheureuse, à cet égard – que le magistrat pourrait être mis en cause pour une décision qu'il aurait rendue : il y a, pour cela, les voies de recours. La question ne se pose donc pas en ces termes. Ce que je voulais indiquer, c'est que l'indépendance n'implique pas une irresponsabilité en matière disciplinaire, en cas de comportement particulier ou de manquement à des obligations déontologiques. Je n'ai pas voulu dire qu'il fallait renforcer les mécanismes de contrôle de la décision de juger, qui relèvent des voies de recours précisées dans les textes, mais que le magistrat devait se comporter de manière satisfaisante au plan éthique, déontologique et disciplinaire.
Par ailleurs, le magistrat a, bien entendu, la liberté de s'engager en politique, dans le respect, vous l'avez rappelé, de restrictions qui s'appliquent dans le ressort de la juridiction d'affectation. En la matière, c'est plutôt une réflexion d'ensemble que j'appelle de mes voeux. En effet, dans le climat actuel, la suspicion, en tout cas la discussion, est telle que le fait pour un magistrat d'être affilié à un parti politique ou de soutenir un candidat est susceptible de jeter le discrédit sur l'une ou l'autre des décisions qu'il aurait rendues. Cela ne signifie pas qu'il faut interdire à un magistrat de s'engager en politique : ce serait contraire à la Constitution et à certains éléments du droit européen. Ce que j'ai voulu dire – de manière, là encore, un peu rapide peut-être –, c'est qu'un tel engagement doit être, me semble-t-il, plus discret lorsqu'il est le fait d'un magistrat que lorsqu'il est le fait de personnes exerçant d'autres fonctions. En effet, la justice, selon moi, a une aura particulière dans la société et doit inspirer une confiance absolue. Dès lors, tout élément susceptible de perturber cette confiance pourrait poser problème. Néanmoins, je vous le concède, il n'est ni possible ni souhaitable de restreindre les libertés politiques fondamentales de quelque citoyen que ce soit, y compris lorsqu'il est magistrat.
S'agissant du Conseil supérieur de la magistrature, la désignation des personnalités qualifiées doit respecter le principe de parité. Tel n'est pas le cas, en revanche, pour la désignation des magistrats siégeant au CSM. Or, selon mes informations, les femmes sont sous-représentées dans les formations concernées : celle qui est compétente pour les magistrats du siège ne compte qu'une femme et celle qui est compétente pour le parquet aucune. Ma question est donc simple : qu'en pensez-vous et comment envisagez-vous d'aborder cette question au sein du CSM ?
La question est complexe ; elle renvoie à la gestion globale des ressources humaines, d'une part, et à l'organisation du Conseil supérieur de la magistrature, d'autre part. Se pose, de manière générale, la question de l'accès des femmes aux fonctions de responsabilité au sein de la magistrature même et de l'ensemble des juridictions. En effet, alors qu'elles sont très nettement majoritaires parmi les magistrats de première instance, leur nombre se restreint très fortement à mesure que l'on gravit les échelons, que ce soit parmi les chefs de juridiction ou les chefs de cour – et c'est peut-être pire encore du côté du parquet –, de sorte que la proportion que l'on pourrait attendre – sinon 50-50, du moins 40-60 – n'est pas atteinte. Au sein du Conseil supérieur de la magistrature, des commissions ont réfléchi à cette question, mais il est manifestement encore très difficile, non pas d'imposer la parité, mais de la rendre naturelle puisque tel doit être l'objectif. À cet égard, les comparaisons européennes sont intéressantes, car quelques pays – je pense, par exemple, à l'Allemagne – ont tenté, non pas d'imposer, là encore, la parité mais de concevoir des dispositifs qui la favorisent.
Au-delà, je crois qu'il faudrait parvenir, au sein du Conseil supérieur de la magistrature, à un équilibre qui me semblerait naturel. Il n'y a aucune raison que la parité – toute relative, encore une fois – ne puisse pas s'imposer. Elle devrait être évidente et naturelle, compte tenu du vivier présent dans les différents métiers que représente le Conseil supérieur de la magistrature.
Madame la professeure, je vous poserai, quant à moi, une question plus personnelle. Pouvez-vous nous dire les motifs pour lesquels vous avez accepté que votre nomination soit proposée ?
La question est difficile : ma réponse ne doit pas être présomptueuse. J'ai accepté pour deux raisons principales. La première est d'ordre académique – cela peut se comprendre puisque je suis universitaire. Je vais vous confier une anecdote. Il y a très longtemps, peu après ma nomination à l'université de Limoges, certains de mes collègues universitaires ainsi que des magistrats ont décidé d'organiser un colloque sur l'évolution des métiers de la justice. Dans ce cadre, on m'a confié – peut-être était-ce un bizutage – le soin de réfléchir à « l'administration de la justice ». Je me suis alors interrogée sur ce que cela recouvrait : tous les ouvrages que j'ai consultés proposaient une réponse différente ! Pour les uns, l'administration de la justice concernait le rendu de la décision de justice, pour les autres, l'organisation administrative de la justice : répartition des tribunaux, etc. Ma curiosité a été un peu piquée, et je me suis donc mise à travailler sur ce thème, qui n'était pas très étudié à l'époque – mais je ne dis pas que j'ai été précurseur en la matière ! Il me semble que, jusque-là, on parlait de l'indépendance de la justice et de l'organisation judiciaire, notamment de la fameuse carte judiciaire, sans lier les deux questions : quelle administration de la justice est la plus à même de garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire et de lui permettre, de manière générale, d'exercer ses missions ? Ces questions m'ont intéressée au point de m'amener à établir quelques comparaisons européennes et à étudier les aspects positifs et négatifs des différents systèmes. Dès lors, j'ai pensé qu'il serait peut-être intéressant de mener, non pas une expérimentation – ce serait faire injure à l'institution du CSM –, mais une réflexion à partir de cet apport académique et universitaire.
La seconde raison est plus administrative. Le CSM est un organe constitutionnel, très spécifique, qui comporte cependant une dimension liée à la gestion des ressources humaines et au service public. De fait, la question des ressources humaines me semble être actuellement au coeur de l'action du Conseil supérieur de la magistrature. Je m'explique. Les réflexions en cours – je pense, en particulier, à la dernière instruction de la garde des Sceaux concernant la grille d'évaluation que doivent utiliser les chefs de cour – me semblent traduire un effort pour assurer le mieux possible l'adéquation des personnes aux profils de postes. De manière plus, générale, la dimension humaine de la justice m'intéresse.
Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l'article 29-1 du Règlement, sur la nomination de Mme Hélène Pauliat en qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature. Elle procède ensuite au dépouillement.
Voici les résultats du scrutin auquel il a été procédé sur la proposition de nomination de Mme Hélène Pauliat :
Nombre de votants : 27
Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 0
Suffrages exprimés : 27
Avis favorables : 26
Avis défavorables : 1
La réunion s'achève à 12 heures 25.
Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné :
– M. Jean-Charles Colas-Roy, rapporteur sur la proposition de loi visant à lutter contre la mort subite et à sensibiliser la population aux gestes qui sauvent (n° 1505) ;
– Mme Ramlati Ali, rapporteure sur la proposition de loi relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte (n° 1506) ;
– M. Jean-Michel Fauvergue, rapporteur sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale (n° 1514).
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Catherine Kamowski, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Olivier Marleix, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M.Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Hélène Zannier
Excusés. - Mme Ramlati Ali, Mme Laetitia Avia, Mme Huguette Bello, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine, M. Gilles Le Gendre, Mme Maina Sage, Mme Alice Thourot