Je me sens particulièrement honoré d'être ici, ce matin, devant vous, pour défendre ma candidature de membre d'un organe constitutionnel qui assiste le Président de la République, lui-même garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, fondement de l'État de droit et gardienne de la liberté individuelle. Je suis également quelque peu intimidé par le fait que nombre d'entre vous connaissent la justice française de l'intérieur. C'est donc avec beaucoup d'humilité que je me présente devant votre commission car, si j'ai eu une très longue carrière administrative et dans le service public – près de quarante-cinq ans –, j'aborde des rivages qui ne me sont pas si familiers, même si je les ai souvent côtoyés.
C'est en tant que personnalité qualifiée, au sens strict de ce mot, que je me présente aujourd'hui devant vous. J'ai travaillé pour de nombreux ministères, comme enseignant, comme chercheur et surtout comme diplomate. À ces postes, j'ai souvent eu à connaître de questions juridiques parce que je me suis beaucoup occupé, d'une part, de coopération internationale et, d'autre part, de gestion des administrations et des ressources humaines.
Dans le domaine de la coopération internationale, j'ai, à l'agence Erasmus, travaillé sur l'harmonisation des enseignements de droit ; au ministère de la Recherche, je me suis notamment penché sur le statut juridique des organisations internationales ; comme conseiller du ministre des Affaires étrangères enfin, j'ai traité le problème des biens spoliés et des relations avec d'autres pays, notamment les États-Unis d'Amérique.
Comme sous-directeur, directeur, puis directeur général adjoint du Quai d'Orsay, je me suis également occupé de coopération internationale dans le domaine du droit, qu'il s'agisse de comparer les filières d'enseignement du droit ou de promouvoir le droit, au travers, par exemple, des « maisons du droit », notamment en Amérique latine, où j'ai vécu plusieurs années et où j'ai oeuvré à la promotion du droit romano-germanique dans un espace où il se trouve en concurrence avec d'autres droits, au premier rang desquels la common law.
Comme ambassadeur en Bulgarie ou au Brésil, pays voisin de la France à travers la Guyane, j'ai également été amené à travailler sur la coopération et l'entraide judiciaire, tout comme dans le poste que j'occupe actuellement comme ambassadeur en Espagne, poste que je quitterai dans deux mois et demi, atteint par la limite d'âge. À Madrid, j'ai eu à animer un dialogue intense entre nos pays sur les questions judiciaires, dans un contexte marqué par la fin progressive de la question de l'ETA basque en Espagne mais également par les attentats de l'Hyper Cacher et du Bataclan, puisque je suis arrivé en Espagne quelques semaines avant ces attentats. On comprend aisément, au vu de ces circonstances, combien la coopération entre les institutions judiciaires espagnoles et françaises est absolument fondamentale et à quel point elle se trouve au coeur des relations de confiance nouées entre nos deux pays. C'est ce qui m'a d'ailleurs donné l'occasion de rencontrer très régulièrement les plus hautes autorités judiciaires en Espagne et en France, au sujet du terrorisme, de la radicalisation, de la politique carcérale et des droits des victimes, mais également à propos de la lutte contre la grande criminalité et les trafics.
La justice n'est évidemment pas une administration comme les autres et, en tant qu'ambassadeur, je me devais de respecter son indépendance, ses procédures et la confidentialité qui s'imposent, tout en l'insérant dans un ensemble interministériel plus vaste, sachant qu'une ambassade peut être vue comme un microcosme où se retrouvent l'ensemble des administrations.
S'il est cependant une compétence plus spécifique que je peux apporter au Conseil supérieur de la magistrature, c'est en matière de gestion des administrations et des ressources humaines, ayant été plusieurs fois chef de poste ou chef d'administration, ambassadeur à trois reprises, directeur d'administration centrale, mais également président d'un établissement public, le Grand Palais. Je dois insister ici tout particulièrement sur mon expérience en tant que directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des Affaires étrangères. Ce ministère est une maison qui a ses corps et ses codes, mais qui devait absolument se moderniser, notamment dans sa gestion des ressources humaines. Il a fallu mettre en place et promouvoir l'évaluation, avec la mise en place d'un dispositif à 360 degrés qui permet d'appréhender dans leur globalité les problématiques qui se présentent à un chef de poste ou à un chef d'administration dans son environnement. J'évoquerai également le dialogue social, la déontologie et la confection d'un guide à l'usage du ministère, la discipline, et la parité, autant d'enjeux que l'on retrouve au ministère de la Justice. Enfin, nous avons oeuvré à bâtir un véritable dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, permettant de construire des carrières à partir du profilage et du repérage des potentiels, en s'appuyant sur la formation continue et sur la mobilité, qui permettent aux personnels de diversifier leurs parcours.
J'espère avoir apporté à ce travail de gestion des ressources humaines ces qualités indispensables que sont le jugement, le discernement et l'impartialité, autant de vertus qui sont inscrites dans les obligations des magistrats mais également, très souvent, dans celles des serviteurs publics. J'ai d'ailleurs remarqué, en relisant le guide de déontologie du ministère des Affaires étrangères, qu'à défaut du terme d'indépendance, qui caractérise au premier chef la justice, y figuraient les termes de dignité, d'intégrité et d'impartialité, ceux-là mêmes qu'emploie la loi organique de 1994. Je pense donc, sans préjuger des modifications constitutionnelles et législatives à venir, qu'il existe de nombreuses pistes d'action dans le cadre du CSM pour améliorer la gestion des ressources humaines.
Je sais que le parquet connaît des problèmes d'attractivité, notamment pour les postes de chef de juridiction, qui, par ailleurs, ne respectent pas du tout la parité. Il me semble que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences peut, dans ce cas, améliorer la situation. Cela permettrait, d'une part, de définir convenablement les qualités requises pour diriger une juridiction et, d'autre part, de prendre en compte toutes les problématiques liées au territoire car, comme pour les postes diplomatiques, les questions liées à l'environnement – économique, social, voire politique – ont une importance majeure dans la définition des postes. À tout cela s'ajoutent encore des enjeux liés aux usages des technologies de l'information et de la communication, qui sont à la fois techniques et déontologiques.
En regardant les rapports d'activité du CSM, il m'est apparu que la gestion du corps représente les trois quarts de l'activité du Conseil. Or il me semble que, dans ce domaine, mon expérience peut profiter au CSM, d'autant que j'y apporterai un regard extérieur, mais non étranger. Après quarante-cinq ans de service public, telle serait ma plus-value, cela dit avec une humilité qui n'a rien de rhétorique, puisque il s'agit de s'inscrire dans un fonctionnement collégial.