Je vais, avant toute chose, revenir sur ce terme de subordination, sans doute mal choisi, et dont je sens bien qu'il vous a interrogés. Si j'ai employé ce mot, c'est en référence aux politiques publiques. Loin de moi en effet l'idée que le juge puisse être subordonné au pouvoir politique. Le fait qu'il n'y ait plus d'instructions individuelles adressées au parquet montre bien que cette subordination n'existe pas, ce dont je me réjouis, comme citoyenne et comme juriste. Je suis sans réserve attachée à l'indépendance du juge.
Cela étant, le rôle du juge dans la mise en oeuvre des politiques publiques est une question essentielle. Je travaille actuellement sur le rôle du juge dans la préservation de l'intérêt public et, plus particulièrement, dans cette perspective, sur les modes alternatifs de règlement des différends, notamment l'arbitrage. Cette dernière procédure suscite de ma part de l'intérêt mais aussi une certaine réserve, car il me semble qu'en matière de commerce international, l'arbitre a souvent tendance à juger en fonction de l'intérêt égoïste des parties, sans prendre en compte suffisamment le contexte, c'est-à-dire ce que j'appelle l'intérêt général, qui doit avoir une incidence sur la fonction de juger.
Ce que j'ai fondamentalement voulu dire, c'est que le juge, parce qu'il appartient à l'appareil d'État, est bien placé pour prendre en compte l'intérêt général, lequel s'exprime notamment au travers des politiques publiques. Tel était le sens de ma pensée, et je m'y tiens. J'ajoute que c'est probablement pour cela que j'accorde une plus grande confiance aux juges qu'aux arbitres privés.
Concernant toujours la question de l'indépendance des juges, vous m'avez interrogée sur la pertinence d'interdire aux magistrats d'appartenir à un parti politique ou à un syndicat. Cela me paraît très compliqué. En effet, on ne peut dénier aux magistrats leur statut de citoyens, de sujets de droit. Or, en tant que tels, ils jouissent des droits fondamentaux garantis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou par la Convention européenne des droits de l'homme. Je ne suis donc pas totalement séduite par une telle idée.
Vous avez également évoqué les déclarations d'intérêts, et je vous rejoins sur ce point, madame Untermaier. Je salue les dernières évolutions, car ces déclarations participent du contrôle des conflits d'intérêts, sachant que toute la difficulté, pour un magistrat, est de parvenir à concilier ses opinions – qu'il peut, dans une certaine mesure, exprimer publiquement, – et son devoir de réserve. La déclaration d'intérêts permet sur ce point de connaître les engagements politiques, syndicaux ou autres d'un magistrat et d'en tirer, le cas échéant, les conclusions qui s'imposent.
En ce qui concerne le rôle du Conseil supérieur de la magistrature en matière de recrutement initial des magistrats, je ne remets évidemment pas en cause le concours, grâce auquel la majorité d'entre eux intègrent aujourd'hui le corps. Mais il existe également de nombreuses voies parallèles, empruntées aujourd'hui par environ 20 % des magistrats qui, avant d'intégrer le corps, avaient une vie professionnelle sans lien direct avec la magistrature. J'ai cru comprendre que le CSM ne jouait quasiment aucun rôle dans ces recrutements parallèles, alors qu'il me semble qu'en tant que garant de l'indépendance de la magistrature il pourrait être utilement sollicité.
En ce qui concerne la fonction consultative du CSM en matière de déontologie, j'ai souligné le peu d'avis rendus par le Conseil, bien consciente que l'article 64 de la Constitution limite sa marge de manoeuvre en la matière. Cependant, cela n'a pas empêché le CSM de mettre en place son propre service d'aide et de veille déontologique…