Chers collègues, imaginez si, à la dernière rentrée, plus d'un million d'élèves, soit 10 % des quelque 12,4 millions d'élèves que compte la France, n'avaient pu être pleinement scolarisés. Quel aurait été l'émoi ? On aurait sans doute parlé de scandale.
Ce scandale, les élèves en situation de handicap le vivent pourtant chaque année, toute proportion gardée. En effet, d'une rentrée scolaire à l'autre, c'est environ 10 % selon les statistiques officielles, et parfois jusqu'à 30 % d'après les chiffres de certaines associations, des quelque 150 000 élèves en situation de handicap bénéficiaires d'une aide humaine qui se retrouvent sans accompagnement le jour de la rentrée, et donc le plus souvent sans solution leur permettant d'être pleinement scolarisés.
Cette situation est inacceptable. C'est de l'indignation face à cet état de fait qu'est née la proposition de loi pour une école vraiment inclusive que j'ai déposée en décembre dernier avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés et que j'ai aujourd'hui l'honneur de défendre devant vous. Je n'ignore pas que c'est la seconde fois en l'espace de quatre mois que la commission des Affaires culturelles et de l'Éducation est saisie, à l'initiative des oppositions, d'un texte relatif à l'inclusion des élèves en situation de handicap.
La précédente proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié et du groupe Les Républicains ayant été rejetée au motif que la représentation nationale serait saisie sous peu d'un projet de loi pour une école de la confiance, et ledit projet de loi ne comportant aucune disposition concernant l'inclusion scolaire des élèves en situation de handicap, il m'a paru utile et constructif de vous proposer de réparer cet oubli et de cesser de procrastiner en adoptant dès à présent des mesures susceptibles de répondre de manière pragmatique à l'urgence que nous constatons toutes et tous sur nos territoires.
En effet, vous avez sans doute comme moi vu affluer dans vos permanences un nombre sans cesse croissant de familles inquiètes, démunies et plongées dans une grande souffrance en raison des difficultés, voire de l'impossibilité, de scolariser leur enfant en milieu ordinaire, faute de bénéficier de l'accompagnement humain qui a pourtant été prescrit par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH).
Il ne s'agit pas ici de faire le procès de l'actuel Gouvernement ni de l'actuelle majorité, ni même d'aucun gouvernement ou d'aucune majorité passée. On ne peut nier que des progrès ont été réalisés, depuis la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui a instauré l'obligation d'assurer à l'élève en situation de handicap une scolarisation en milieu ordinaire au plus près du domicile, jusqu'à la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, qui a gravé dans le marbre de l'article L. 111-1 du code de l'éducation la notion d'« inclusion scolaire » des élèves en situation de handicap.
L'actuel gouvernement a quant à lui engagé en octobre dernier une concertation intitulée « Ensemble pour une école inclusive ». Il faut saluer cette initiative. Il a aussi lancé un plan national visant l'ouverture de 250 unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) supplémentaires en lycée d'ici à 2022. Mais il semblerait que ce plan soit loin d'être à la hauteur des enjeux puisque, selon un rapport publié l'an dernier, sur la base du scénario actuel d'augmentation annuelle de 7 % d'élèves en ULIS de 2018 à 2022, ce n'est pas cinquante ULIS supplémentaires qu'il faudrait créer chaque année, mais 240 par an en moyenne, soit près de cinq fois plus que ce que qui nous est proposé, même s'il faut distinguer entre lycée et collège.
Force est donc de constater qu'il y a une marge de progrès pour mieux accueillir les quelque 340 000 élèves en situation de handicap aujourd'hui scolarisés en milieu ordinaire. D'ailleurs, le Défenseur des droits dénonce régulièrement un certain nombre de « ratés », tout comme le comité des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations unies qui, en 2016, s'est déclaré « préoccupé par la persistance en France de la discrimination à l'égard des enfants handicapés… en termes d'accès à l'éducation et d'égalité avec les autres enfants… au sein des établissements scolaires », ainsi que par « l'insuffisance de la formation et du soutien dont bénéficie le personnel scolaire ». Au printemps 2018, certains députés de la majorité ont même reconnu que le système était « à bout de souffle ».
À mes yeux, c'est notre mission de parlementaires que d'adopter les mesures propices à créer les conditions pour qu'il n'y ait plus autant, voire plus du tout, d'élèves en attente d'accompagnant à la prochaine rentrée scolaire.
Pour ce faire, la présente proposition de loi ne suggère pas de bouleverser l'écosystème de la scolarisation des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire. S'inspirant des constats et remontées du terrain, elle propose simplement de corriger, d'aménager, voire d'étoffer les dispositifs existants pour mieux anticiper les difficultés et faire en sorte que nous ne connaissions plus les situations choquantes auxquelles nous avons aujourd'hui à remédier.
Tout d'abord, afin de répondre aux préoccupations des familles qui, aujourd'hui, subissent trop souvent les conséquences d'un défaut d'anticipation de la rentrée scolaire, l'article 1er de la proposition de loi leur garantit l'affectation d'un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) au moins un mois et demi avant la rentrée ainsi que la tenue, au plus tard le jour ouvré précédant la rentrée scolaire, d'un entretien avec l'enseignant et l'accompagnant qui auront la charge de leur enfant.
La mise en oeuvre d'une telle mesure suppose toutefois d'encadrer les délais d'examen des demandes d'aide humaine par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), ce que fait l'article 6 de la proposition de loi. Je tiens à cet égard à préciser que j'ai parfaitement conscience qu'un certain nombre d'écueils ne pourront être surmontés sans que soit posée la question des moyens, à la fois humains et financiers. Je n'ignore pas non plus les chantiers ouverts par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), notamment en termes d'harmonisation des systèmes d'information, et le travail d'appui qu'elle mène actuellement auprès des MDPH.
Toujours est-il que, grâce à ces deux mesures des articles 1er et 6, les élèves en situation de handicap auront, comme les autres élèves, une visibilité sur les conditions de leur prochaine rentrée scolaire, dont on pourrait en outre imaginer qu'elle soit facilitée grâce à l'aide d'un certain nombre d'acteurs associatifs. Ils sont volontaires et disponibles, et ont l'expertise pour accompagner ces démarches.
Par la même occasion, les accompagnants auront une meilleure visibilité sur leur devenir professionnel lors de cette prochaine rentrée.
Afin de répondre aux préoccupations de ces derniers, l'article 2 de la proposition de loi sécurise leur situation professionnelle en leur garantissant un recrutement pérenne en contrat à durée indéterminée (CDI) de droit public, dont je souhaite qu'il soit conçu de façon que le contrat survive aux éventuels changements d'académie, rendus par exemple nécessaires pour les besoins d'éventuels rapprochements de conjoints.
Cette première étape vers la stabilisation de statuts aujourd'hui précaires est complétée par la sécurisation du parcours professionnel des accompagnants, auxquels l'article 2 garantit la formation continue et la validation des acquis de l'expérience (VAE) propices à leur évolution de carrière.
L'article 3 clarifie quant à lui leur positionnement au sein des établissements scolaires en les associant aux équipes de suivi de la scolarisation (ESS).
Enfin, pour répondre aux préoccupations des enseignants et personnels de l'éducation nationale, que les incertitudes pouvant entourer la rentrée scolaire des élèves en situation de handicap inquiètent tout autant que les familles, l'article 4 de la proposition de loi organise les conditions d'une meilleure formation à l'accueil et à l'éducation de ces élèves. Cette formation semble aujourd'hui très hétérogène et s'apparente souvent à une simple information.
L'article 5 tend quant à lui à améliorer les conditions d'enseignement, d'une part en fixant un effectif maximal au sein des classes du premier degré dans lesquelles des élèves en situation de handicap sont scolarisés, et d'autre part en prévoyant une majoration de la dotation horaire globalisée (DHG) des établissements du second degré accueillant ces élèves. À cet égard, je tiens à souligner que, de mon point de vue, la présence dans ces établissements d'unités d'enseignement externalisées devrait aussi conduire à une bonification de leur DHG.
L'amélioration des conditions d'enseignement passe aussi par celle du bâti, de son accessibilité mais aussi de ses fonctionnalités. C'est la raison pour laquelle l'article 7 favorise une meilleure anticipation des besoins en prévoyant que l'avis des équipes des établissements sociaux et médico-sociaux sur les projets de construction des futurs établissements de l'enseignement public soit systématiquement sollicité. Des amendements proposent d'élargir cette sollicitation et cet avis à d'autres professionnels qui pourraient contribuer à une meilleure adaptation de ces bâtiments. Afin que la rentrée scolaire se déroule dans des conditions optimales dans le plus grand nombre d'établissements de l'enseignement public et que l'on cesse d'être confronté chaque année à l'inadaptation des locaux et de leurs fonctionnalités, je vous proposerai par amendement que l'obligation de recueillir cet avis s'impose aussi pour les projets de reconstruction ou de réhabilitation de bâtiments existants.
Vous l'aurez compris, la présente proposition de loi ne prétend pas remettre en cause l'architecture globale de la scolarisation des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire. Elle entend simplement apporter des réponses pratiques et concrètes à la détresse de milliers d'élèves et de familles qui attendent aujourd'hui une réponse de notre part.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi nous donne l'occasion de faire en sorte qu'il ne nous soit pas reproché, plus tard, de n'avoir rien fait pour apaiser les souffrances et les angoisses de milliers de nos concitoyens.
Dans le contexte que nous connaissons, la majorité gagnerait non seulement à témoigner de sa confiance à l'égard de ses oppositions, mais aussi à retisser le lien de confiance entre nos concitoyens, leur école et leurs représentants. Personne n'a bien évidemment le monopole de l'école inclusive. L'histoire récente a montré que chacun a su y apporter sa pierre. Faisons en sorte que cette proposition ne soit pas celle d'un député ou d'un groupe, ou même d'une opposition, mais celle de tous.