Intervention de Philippe Gosselin

Réunion du mardi 22 janvier 2019 à 15h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Beaucoup de choses ont été dites et nous partageons globalement le diagnostic établi. Il y a quelques mois, vous étiez, madame la présidente, à Mayotte pour la première fois et Stéphane Mazars découvrait l'île. Pour ma part, avec Didier Quentin et René Dosière, j'ai eu la chance d'y faire mon premier déplacement il y a quelques années ; mais c'est là notre côté « vieux monde », car certains d'entre nous sont là depuis longtemps…

À l'époque, il s'agissait de participer à la mise en place de la départementalisation, en réponse au souhait des Mahorais eux-mêmes, il faut le rappeler. On le leur promettait depuis des décennies, mais cette promesse n'avait jamais été tenue ; je signale ce fait, car le contexte historique local a son importance. Nous avons avec Mayotte une histoire forte et ancienne, qui remonte à 1841, avec un processus de colonisation peu habituel puisqu'il résulte d'une demande volontaire, d'accords entre deux pays qui connaissent aujourd'hui un destin commun.

Si je regarde dans le rétroviseur, le regret que je peux avoir c'est que, quels qu'aient été les gouvernements successifs, la République ne se soit pas suffisamment préoccupée de Mayotte. Lorsque j'ai découvert ce territoire il y a quelques années, j'ai été étonné au plus haut point de constater une situation qui relevait un peu de l'abandon. Non du fait des Mahorais, mais bien de la République qui ne s'est pas donné les moyens d'assurer, tout en respectant les spécificités locales, d'affirmer clairement l'état civil, problème qui empoisonne toujours le quotidien de bon nombre de nos concitoyens mahorais. Des commissions y ont travaillé d'arrache-pied pendant des années, mais la situation demeure encore un peu compliquée. Le cadastre aussi est inexistant, ou encore à ses débuts ; nous sommes encore loin d'avoir stabilisé les choses, ce qui pose des problèmes de propriété foncière, et donc de possibilités de construction, et nuit au développement économique, et j'en passe. Cet archipel recèle une richesse qui ne fait pas de doute, mais qui n'est pas simple à gérer. D'autant que sa population a explosé : en 1966, Mayotte comptait environ 32 000 habitants ; nous en sommes à 260 000 aujourd'hui – sans doute plus, car il y a une différence entre le recensement officiel et la population qui est effectivement sur place.

Ce territoire un peu délaissé a donc collectivement fait le choix de la départementalisation au sein de la République ; ce qui, je crois, est une bonne chose, même si ce n'est pas simple à gérer, j'en conviens. La République a des obligations, et elle ne peut pas établir de distinction entre les citoyens d'un territoire ou d'un autre : on est citoyen de la République ou on ne l'est pas. Le juriste que j'espère être l'affirme haut et fort, car il ne peut pas y avoir de différence. Mais lorsque l'on a dit ça et que l'on s'est rendu sur place, on comprend bien que les approches théoriques qu'on pourrait avoir depuis la commission des Lois ne tiennent pas bien longtemps face à la réalité. Et ce que nombre de Mahorais demandent eux-mêmes n'a rien de stigmatisant ni d'exorbitant : ils veulent le droit commun, ce qui est bien normal, mais, pour un certain nombre de sujets, ils demandent qu'il soit adapté à leur situation.

Je l'ai dit tout à l'heure, Mayotte a besoin d'une réponse globale. Il ne s'agit pas de stigmatiser l'immigration, ce qui, loin d'apaiser les maux, serait une bonne façon de remettre de la politique nationale sur une situation fragile et sensible ; reste que tout un chacun s'accorde à reconnaître que l'immigration, compliquée et contrastée, je l'entends bien, est une des principales clés du problème mahorais en ce qu'elle en vient à y empoisonner et obérer le développement économique et social. Voilà pourquoi nos concitoyens de Mayotte attendent de la République et de l'État, non pas qu'on les stigmatise, mais qu'on prenne en compte leurs besoins particuliers. C'est ce qui a été fait dans le cadre de la loi « Asile et immigration », par quelques petites touches, qui ne remettent pas en cause le droit fondamental. Du reste, le Conseil constitutionnel lui-même a validé cette approche ; ce que je trouve heureux, car il ne s'agit pas de faire un droit singulier, mais d'adapter la loi, tout en restant dans le cadre de la République et de la départementalisation. Nous avons collectivement intérêt à ce que Mayotte puisse se développer dans de bonnes conditions.

Pour l'heure, Mayotte souffre d'une image regrettablement négative, alors que c'est un territoire magnifique. Son lagon recèle une biodiversité exceptionnelle ; sa situation en fait un point stratégique pour la République. Il ne s'agit pas de refaire du néocolonialisme avec les conceptions du grand-père, de l'arrière-grand-père ou je ne sais quoi. La France est diverse, elle est partout, sur tous les continents ; elle a aussi des missions particulières, pas simplement diplomatiques, mais également en matière de protection de l'environnement et de la biodiversité. Et Mayotte est un très bel exemple qu'il faut protéger ; pour cela, il faut l'aider.

Bien entendu, des mesures plus globales devraient être mises sur la table, je sais que le ministère des outre-mer et la ministre ont des idées en tête. Mais ce que vous disiez, madame la présidente, est tout à fait exact : il n'y a pas l'outre-mer, mais des outre-mer. Ce qui suppose, tout en restant dans le cadre de la République, de prendre en compte le besoin d'adaptations ; et celle dont nous débattons à l'instant est nécessaire.

Tels sont les enseignements que l'on pouvait tirer de ce déplacement : nous avons intérêt à agir sans attendre, et à inciter les membres de la commission des Lois qui le peuvent à travailler tous ces sujets ; nous devons aussi inviter le Gouvernement à prendre en compte le fruit de nos déplacements ainsi que nos rapports divers et variés. Car tous vont dans le même sens : hormis sur quelques sujets un peu plus sensibles, nous partageons sur tous les bancs le même constat, et la même envie d'avancer.

Emparons-nous donc du sujet, ce territoire le vaut vraiment ; et pour ma part, j'y vois vraiment l'intérêt de la population et de nos concitoyens, qui ne veulent pas être des citoyens de seconde zone : ils n'ont aucune raison de l'être. Pour cela, il faut les aider par le développement économique, par les relations internationales notamment avec l'Union des Comores. Mais aussi – mais peut-être n'est-ce pas totalement politiquement correct – en luttant contre le détournement des droits et des procédures dans lequel s'engouffrent parfois des candidats à l'immigration de façon indue. Il ne s'agit pas de rejeter ceux qui ont besoin d'être assistés, secourus et accueillis, mais de combattre avec clarté et fermeté les détournements des droits et des procédures, faute de quoi les choses se font au détriment de tous, et en particulier de ceux nos concitoyens qui vivent sur place.

Ce déplacement a été riche et plein d'enseignements. Même si parfois nos compatriotes de l'hexagone imaginent que travailler sur les outre-mer, c'est « coquillages et cocotiers », c'est « se la couler douce »… qu'ils n'en croient rien ! Il est indispensable que les parlementaires non ultramarins se rendent sur place : comment sinon pourrions-nous légiférer sur ces questions ? Il y a bien des territoires où y faut venir découvrir les situations, et on ne peut pas avoir de certitudes sans être allé un minimum se rendre compte sur le terrain.

C'était bien l'intérêt de ce déplacement, et je vous remercie, madame la présidente, de m'avoir, sinon emmené dans vos bagages… en tout cas permis de vous accompagner avec Stéphane Mazars. N'oublions pas non plus, je le dis en toute sincérité, que ces déplacements, en outre-mer ou ailleurs – cela avait été le cas sur le « dossier prisons » –, sont aussi l'occasion, dans le respect de nos différences assumées, de travailler en bonne intelligence dans l'intérêt collectif. Saluons et remercions donc les outre-mer, et surtout Mayotte, de nous avoir permis de nous retrouver plus souvent que nous ne le ferions autrement.

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