Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 21h45
Prévention et sanction des violences lors des manifestations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Le climat dans lequel nous sommes amenés à examiner la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs nous donne le sentiment de marcher sur un fil, avec le risque de basculer, à chaque instant, d'un côté ou de l'autre. Or basculer du côté de la défense des libertés publiques à tout prix serait ignorer qu'il ne peut exister aucune liberté si la sécurité n'est pas garantie, tandis que basculer du côté d'un renforcement sans discernement de l'ordre, notamment par l'intermédiaire de mesures d'exception, serait fragiliser nos libertés, qui sont pourtant la pierre angulaire de notre État de droit.

Monsieur le ministre, je voudrais en premier lieu vous redire que notre groupe condamne sans ambiguïté toutes les formes de violences et appelle à ce que les casseurs qui sévissent dans les manifestations des gilets jaunes soient arrêtés et sanctionnés. Nous avons toutes et tous été choqués et révoltés en voyant des symboles attaqués, des commerces vandalisés, des voitures et autres biens détruits. Profondément attaché aux libertés et au respect de l'ordre républicain, notre groupe voit la démocratie comme un bien commun précieux, qu'il est nécessaire de préserver à chaque instant. La recherche constante de ce subtil équilibre entre la prévention efficace des atteintes à l'ordre public, d'une part, et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis, d'autre part, est ce qui nous unit au sein du groupe Libertés et territoires.

Toutefois, l'unité n'interdit pas la diversité, et c'est pourquoi nous avons parfois des appréciations différentes quant à savoir si nous devons ou non adapter notre droit aux situations exceptionnelles auxquelles nous sommes confrontés. Majoritairement, le groupe Libertés et territoires se positionne contre la proposition de loi. Si certains membres de notre groupe considèrent qu'il est nécessaire de renforcer l'arsenal juridique existant, afin de mettre un terme aux débordements violents que notre pays connaît depuis plusieurs semaines, pour beaucoup d'entre nous, le droit existant permet de prévenir ces violences et d'en sanctionner les auteurs. C'est pourquoi nous avons déposé plusieurs amendements tendant à supprimer des articles de la proposition de loi.

Nous sommes convaincus que le maintien de l'ordre peut s'exercer efficacement sans que nous ayons à adopter une nouvelle loi dont la constitutionnalité semble douteuse à certains égards. Cela avait d'ailleurs déjà été le constat dressé par votre majorité à l'occasion de l'examen du texte au Sénat. Elle avait notamment souligné le fait que certaines dispositions de cette proposition de loi portaient « une atteinte démesurée aux droits et libertés constitutionnels ».

J'ajoute que sur un sujet aussi grave et dans un climat aussi confus, nous devrions pouvoir légiférer sereinement et prendre de la hauteur, eu égard à l'importance des principes qui sont en jeu – je veux parler de la liberté d'expression et de la liberté de réunion, garanties dans toute société démocratique.

C'est pourquoi, mes chers collègues, il faut nous garder de systématiquement légiférer dans l'urgence lorsqu'une difficulté se pose, et cesser de faire entrer des mesures d'exception dans le droit commun.

Il faut également permettre au Parlement de travailler dans de bonnes conditions. De ce point de vue, la manière dont se sont déroulés les travaux en commission a une nouvelle fois démontré le peu de considération que ce gouvernement accorde à la représentation nationale.

En ce qui concerne l'examen de ce texte en séance publique, dire que les choses ne se sont pas améliorées est un euphémisme ! Ce n'est qu'en fin de matinée, aujourd'hui, que le Gouvernement a déposé son amendement de réécriture de l'article 2, qui d'ailleurs nous inquiète. Nous n'aurons ainsi eu qu'une petite douzaine d'heures pour étudier cet amendement qui touche aux libertés fondamentales, alors que le Conseil d'État, lui, a eu toute une semaine. Voilà l'état de la Ve République, ce régime parlementaire où le Gouvernement laisse au Conseil d'État plus de temps qu'aux députés pour étudier un texte de loi !

Par ailleurs, nous avons pu remarquer, avec une certaine surprise, que la commission a émis un avis défavorable sur l'ensemble des amendements que nous allons discuter, y compris ceux de la rapporteure et du Gouvernement. C'est dire le niveau de flottement et d'impréparation !

Toutes ces considérations nous conduisent à penser que cette proposition de loi pourrait s'avérer « inutile et dangereuse », comme l'a dit le Défenseur des droits. Donnons plutôt les moyens à notre justice d'appliquer les textes en vigueur, donnons les moyens à nos forces de l'ordre d'assurer pleinement leur mission, et ce dans le respect de leur intégrité physique.

La réalité, c'est que nous n'avons ni les moyens humains, ni les moyens financiers de mettre véritablement en oeuvre notre législation actuelle, et ce n'est pas cette proposition de loi qui comblera ces failles. Bien loin d'apporter des réponses adaptées à la situation, elle risque de méconnaître les exigences de la liberté individuelle, de la liberté d'aller et venir et du droit d'expression collective des idées et des opinions. Prenons garde, mes chers collègues, de ne pas grignoter peu à peu le périmètre des libertés publiques ! Elles sont précieuses, et toutes les mesures qui visent à les remettre en cause doivent être strictement nécessaires et proportionnées, ce qui n'est manifestement pas le cas avec cette proposition de loi.

Pourquoi, monsieur le ministre, vouloir absolument reproduire le dispositif relatif à l'interdiction administrative de stade, alors que celui-ci n'a fait l'objet d'aucune évaluation en treize ans d'activité ? La seule véritable évaluation que nous pouvons en faire, à ce jour, est qu'il a été dévoyé. Initialement créé pour éloigner les casseurs des stades, il a rapidement été mis en oeuvre pour d'autres infractions, comme la détention de fumigènes, voire l'alcoolémie, la détention de stupéfiants ou encore les sit-in de supporters. Il semble d'ailleurs que le Gouvernement refuse toute transparence vis-à-vis de la mise en oeuvre, dans les territoires, de cette interdiction par les préfets. Cette transparence est pourtant une réalité dans la plupart des pays européens, comme l'Italie, l'Allemagne ou le Royaume-Uni.

Vous nous objecterez certainement que la situation sera tout autre pour ce texte, qui prévoit, en son article 3 bis, la remise d'un rapport annuel. Alors, engagez-vous plus avant et soutenez notre amendement tendant à préciser que ce rapport devra être réalisé dès la première année suivant la promulgation de la loi au Journal officiel ! Cette précision est la garantie que ce rapport ne sera pas sans cesse repoussé.

Monsieur le ministre, vouloir un juste équilibre entre la nécessaire préservation de nos libertés publiques et le respect de l'ordre républicain, ce n'est pas prendre le parti du « chaos », comme vous le disiez il y a quelques instants ; ce n'est pas prendre le parti des « brutes » qui prônent « la violence » ; c'est prendre le parti de la modération, de la recherche de l'équilibre, de la démocratie, le parti du respect des valeurs de la République. Comme vous, nous considérons que la violence ne doit pas être la norme, mais nous pensons aussi que la réponse à cette violence ne doit pas être la restriction de nos libertés publiques. Être responsable, ce n'est pas adopter des lois de circonstance.

Vous dites qu'il fallait agir, et nous en sommes d'accord ; mais agir, c'est donner plus de moyens à nos forces de l'ordre, c'est permettre aux textes en vigueur de trouver leur pleine efficacité. Ce n'est pas ajouter une énième loi qui viendra brouiller notre arsenal juridique et ne sera pas plus opérationnelle que les précédentes.

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