Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 21h45
Prévention et sanction des violences lors des manifestations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Pierre-Joseph Proudhon disait : « Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu'on appelle Assemblée nationale pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l'état d'un pays sont presque toujours ceux qui le représentent. »

C'est ce que traduit bien le débat que nous avons eu en commission, complètement déconnecté du réel, ne s'appuyant sur aucune étude d'impact ni aucune audition. Le Gouvernement s'est emparé dans la précipitation, pour faire un coup politique, d'une proposition de loi dont il faut rappeler qu'elle avait été déposée par Les Républicains au Sénat pour lutter contre les « black blocs » qui vampirisaient les manifestations contre la loi travail.

Je ne peux m'empêcher de rappeler ici – mais je ne suis pas la première à le faire – la façon dont l'article 1er a été étudié : des amendements déposés par Mme la rapporteure in extremis, des sous-amendements déposés par le Gouvernement ce matin même !

Le texte, qui n'est pas dépourvu d'intérêt, aurait pourtant mérité un travail parlementaire aussi sérieux que précis, car il peut porter un coup fatal au droit de manifester. Je pense ici à l'interdiction de manifester qui, au lieu d'être une peine complémentaire, devient une peine autonome qui vous empêche de battre le pavé pendant trois ans, uniquement parce que vous êtes en lien avec des personnes potentiellement violentes. Cette sorte de présomption de culpabilité est aussi arbitraire que dangereuse. Je pense aussi à ceux qui organisent des manifestations non déclarées et qui pourraient se voir privés pour cette raison de leurs droits civiques, civils et de famille.

Plutôt que de nous donner les moyens de travailler correctement en nous permettant d'auditionner un certain nombre de personnes, comme l'avait demandé notre collègue Guillaume Larrivé, on nous a répondu que ce n'était pas le moment, que nous n'avions pas le temps. Pourtant, alors que quatre-vingt-deux enquêtes de l'Inspection générale de la police nationale sont en cours, l'audition de son directeur aurait été le minimum, me semble-t-il, avant l'examen du texte dans l'hémicycle. Au lieu de quoi nous avons eu droit à des discussions ubuesques où la majorité nous demandait de voter la suppression d'articles sans même savoir ce qui les remplacerait – encore une façon de jeter le discrédit sur le Parlement et, plus généralement, sur nos institutions. C'est le pâle reflet d'une majorité qui n'arrive pas à tirer les leçons de semaines de mobilisation pendant lesquelles les Français n'ont demandé qu'une chose : le respect – lequel passe aussi par le respect du travail de leurs représentants.

Outre le travail parlementaire saccagé, on ne peut traiter cette proposition de loi sans parler du contexte dans lequel elle est votée ni sans dénoncer la responsabilité immense du Gouvernement, qui n'a de cesse de jeter les Français les uns contre les autres.

Depuis bientôt douze semaines, les gilets jaunes comme les forces de l'ordre sont sur le pied de guerre. Les uns sont épuisés, les autres sont à cran. La presse comme le Gouvernement cherchent sans cesse à les opposer les uns aux autres. La haine du flic monte, alimentée par les nouvelles gueules cassées des manifestations : ce samedi, c'est Jérôme Rodrigues qui était défiguré ; le 8 décembre, c'est une jeune fille de vingt ans qui a perdu un oeil pour avoir été là au mauvais moment et au mauvais endroit. De l'autre côté, les forces de l'ordre, qui, dans leur immense majorité, fournissent un travail remarquable, sont à bout ; certains dans leurs rangs n'ont pas eu de jour de repos depuis six semaines alors que leurs conditions de travail sont déplorables.

Il serait pourtant possible d'apporter des solutions sans opter pour de nouvelles mesures judiciaires qui, au bout du compte, ne feront qu'attiser la colère des gilets jaunes et les dérapages éventuels, d'un côté comme de l'autre.

En Allemagne, par exemple, les débordements sont bien mieux maîtrisés grâce à des mesures simples et sans qu'il soit nécessaire de porter atteinte au droit de manifester. Un exemple : au lieu de refermer la nasse sur les manifestants lorsque la tension monte, on installe des corridors d'évacuation, ainsi que des panneaux de signalisation indiquant les zones de danger.

Nous aurions pu nous inspirer de cet exemple. Encore aurait-il fallu se donner le temps de conduire des auditions en bonne et due forme plutôt que se précipiter, une fois encore, pour donner l'illusion aux Français que le Gouvernement agit.

En outre, si vous vouliez véritablement lutter contre les casseurs, pourquoi ne pas avoir inclus dans votre texte des peines plancher pour sanctionner les violences commises à l'encontre des forces de l'ordre ?

S'il faut, bien sûr, assurer la sécurité physique des Français – je veux croire que c'est bien là votre objectif – , il faut aussi s'assurer que le présent texte n'est pas une fausse bonne idée de plus qui portera un coup sévère à l'une des libertés fondamentales de notre société, sans pour autant ramener le calme ni faire cesser les violences : une nouvelle loi de circonstance, un nouvel effet d'annonce, un nouveau coup de com', puisque vous en êtes devenus des spécialistes.

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