Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 21h30
Fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Nous sommes à l'heure de vérité : il nous reste à peine une heure pour franchir une étape, faire un pas, mettre un pied dans la porte – chacun trouvera l'image qui lui convient le mieux. Cela va supposer, de notre part à tous, un effort extraordinaire ; je fais le pari, en ce début d'année 2019, alors que la France, en ébullition et en plein débat, cherche une sortie par le haut, que nous en sommes capables. Cet effort extraordinaire va demander à chacun d'entre nous un sacrifice ordinaire : la sobriété de la parole, le choix de l'efficacité du débat plutôt que celui de la posture ou de l'ego. L'exercice est très difficile car un tel sujet aurait pu occuper trois ou quatre heures de discussions sans que cela ne soit étonnant ni dispendieux en temps de débat public. Mais nous sommes soumis à une contrainte. Je vais donc m'efforcer de donner l'exemple en allant à l'essentiel.

Je retracerai d'abord différentes trajectoires temporelles.

La première va de l'après-guerre, vers 1950, à 2050. Je gage ici que ce siècle aura été celui où la plupart des solutions permettant de remporter le pari agricole et alimentaire seront venues de la chimie, et qu'à l'horizon 2050 nous serons sortis de cette phase comme on referme une parenthèse. L'INRA – Institut national de la recherche agronomique – vient de lancer la première étude « zéro phyto », ce qui était absolument impensable il y a deux ans. J'ai récemment présidé, en lien avec la Fondation Jean-Jaurès, le groupe « Accélérons la transition écologique et solidaire ! » ainsi que d'autres partenaires dont l'IDDRI – Institut du développement durable et des relations internationales – et Sciences Po, une tentative de prospective européenne pour une Europe sans phytos capable de nourrir 550 millions d'Européens, d'exporter au Maghreb, permettant à ses habitants de boire du vin et de manger moins de viande mais mieux. Bref, il y a des solutions en perspective, qui supposent un autre commerce mondial et une agro-écologie, et cette perspective est heureuse. Nous vivons donc une étape, qui nous impose à la fois de prévenir, pour préparer ce futur plus heureux, et de réparer les erreurs du passé.

J'en viens à la seconde trajectoire temporelle. La prise en considération des questions de toxicité est bien exposée dans le rapport de l'INSERM, qui condense toute la littérature sur le sujet, tant en expologie qu'en épidémiologie et en toxicologie, et fait référence – c'est en tout cas la mienne, et je le parcourais encore ce matin. Il en ressort clairement que les premiers signaux ont été donnés dans les années 1970, qu'il a fallu attendre 1975 ou 1976 pour que des doses minimales soient instaurées, les années 1980 pour que les premiers produits, les plus toxiques, soient retirés de la vente, les années 1990 pour que soient prises des mesures de sécurité destinées aux agriculteurs, et les années 2000 pour que la première directive européenne en la matière soit adoptée.

Le temps s'est en quelque sorte accéléré sous l'effet de deux expertises, scientifique et politique, quasi conjointes. Le rapport de l'INSERM date de 2013. Parallèlement, les sénatrices Nicole Bonnefoy, à qui je tiens à rendre hommage, et Sophie Primas – l'une socialiste, l'autre membre des Républicains, dont la concorde, le constat partagé, l'audace commune devraient nous inspirer – ont su rendre un diagnostic sur le « risque zéro » en matière de pesticides et formuler une série de propositions, dont la création d'un fonds d'indemnisation.

Quelle est l'inspiration de ce travail ? Sur ce point, nous allons diverger, madame la ministre. Il établit l'existence d'une véritable responsabilité, partagée et objectivement confuse, vu la longueur de la période visée ainsi que la multiplicité des molécules incriminées et des causalités. Il y aurait ainsi une double responsabilité : celle de la puissance privée, par trop désinvolte et peut-être mue par l'appât du gain à court terme ; celle de la puissance publique, qui, par méconnaissance et inconscience, a tardé à apporter des réponses entre le moment du diagnostic et celui de la prise de précautions pour protéger le monde agricole et l'ensemble des partenaires de l'agriculture.

C'est ce qui s'est passé pendant ce délai que, pour l'essentiel, nous devons réparer, sans tergiverser. Du point de vue défendu dans le rapport, le bon moyen de le faire, comme pour l'amiante – c'est un point de désaccord avec vous, madame la ministre – , comme pour les essais nucléaires, comme pour l'hépatite C et d'autres accidents liés aux pratiques médicales ou aux transfusions sanguines, est un fonds d'indemnisation permettant d'associer diverses responsabilités et différents contributeurs.

Le rapport a débouché sur une proposition de loi en ce sens, laquelle a abouti en 2018. Parallèlement, au vu de ce travail, le précédent gouvernement a diligenté une étude élaborée par trois instances : l'IGAS, placée sous votre autorité, madame la ministre, celle du ministère des affaires sociales et de la santé ; le CGAAER, pour l'agriculture ; l'IGF, au ministère des finances. Leurs conclusions sont convergentes : elles privilégient la solution du fonds en présentant sept scénarios assis sur des principes dont je sais, madame la ministre, que vous ne les partagez pas, mais qui n'en font pas moins partie d'un rapport demandé par le Gouvernement et qui lui a été remis en janvier 2018.

Dans le même temps, avec mes collègues socialistes, avec Delphine Batho, mais aussi avec Matthieu Orphelin, Jean-Baptiste Moreau et Gilles Lurton, nous organisons à la questure une sorte de relais – nous avons peu de mérite, nous ne sommes que des passeurs – du travail effectué par le Sénat. Dès lors s'est constituée une sorte d'union sacrée de toutes les tendances politiques pour continuer le combat et le mener au Parlement.

C'est ce que nous faisons ce soir, avec le groupe Socialistes et apparentés, en rendant hommage à la capacité de nos collègues sénateurs à approfondir le sujet, à émettre un diagnostic, à définir des solutions et à rassembler. Au Sénat, leur proposition de loi a été adoptée à l'unanimité ; c'est ce défi que nous devons relever maintenant.

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