Le 15 janvier dernier, le tribunal administratif de Lyon a rendu un jugement historique en annulant l'autorisation de mise sur le marché du Round Up Pro 360, au motif du principe de précaution. C'est un tournant majeur dans la lutte contre les pesticides et leurs ravages. La justice a su entendre les victimes, les riverains, les travailleurs agricoles, toute la société civile, qui disait : « Nos vies valent plus que leurs profits. » Sa décision désavoue complètement l'agence de sécurité sanitaire ANSES, qui a toujours refusé de suspendre l'herbicide à base de glyphosate, pourtant classé comme cancérogène probable par le CIRC – Centre international de recherche sur le cancer – , classement fondé sur un corpus scientifique international dense.
Je ne peux par conséquent que déplorer que l'Assemblée en reste à débattre de la mise en place d'un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytosanitaires, plutôt que d'un plan de sortie définitive des pesticides. Une fois encore, on regarde le problème des pesticides par le petit bout de la lorgnette. C'est le procès de tout le système des permis de tuer délivrés aux géants pharmaceutiques qu'il faudrait intenter.
Mais l'actualité est aussi particulièrement éclairante sur l'action du Gouvernement et sa façon de traiter la question des pesticides. Face à la contamination générale au chlordécone de la Guadeloupe et de la Martinique et à l'empoisonnement de tous nos concitoyens de ces départements par cette molécule, le Gouvernement vient de trouver la solution. Voici la trouvaille de l'arrêté interministériel de mardi dernier : supprimer les limites maximales de résidus dans les aliments. Ainsi, fruits, légumes, produits laitiers, oeufs ou certaines viandes peuvent être contaminés par le chlordécone sans aucun seuil et être autorisés à la consommation. Cette décision est une pure folie, un empoisonnement légalisé, un homicide par inconséquence.
Au niveau européen, les autorisations de mise sur le marché sont devenues de véritables permis d'empoisonner, rédigés sous la dictée des industriels eux-mêmes, à la fois juges et parties. Les Monsanto Papers ont démontré à quel point l'EFSA – Autorité européenne de sécurité des aliments – , est incapable d'assurer la protection des populations : elle n'a ni les moyens ni l'indépendance à même de nous assurer de l'absence de dangerosité des produits mis sur le marché. L'affaire révélée il y a deux semaines impliquant le BfR – Institut fédéral allemand d'évaluation des risques – , dont les rapports sont des copier-coller à hauteur de 70 % des rapports glyphosate de Bayer, en est une éclatante et honteuse révélation de plus.
En France, l'ANSES nous conduit à de terribles scandales sanitaires en délivrant des autorisations de mise sur le marché à partir de tests de toxicité incomplets et effectués par les industriels eux-mêmes. Encore récemment, alors que des chercheurs reconnus alertent depuis des mois sur la dangerosité pour la santé humaine des pesticides de type SDHI, ces fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase, qui bloquent la respiration cellulaire, l'ANSES, après avoir traîné des pieds pendant des mois, a finalement rendu un avis assurant qu'il n'y avait pas de raison d'interdire ces substances, épandues massivement sur nos grandes cultures. Alors qu'elle est incapable de prouver la non-toxicité de ces fongicides pour l'homme, l'agence refuse d'appliquer le principe de précaution, pourtant inscrit dans la Constitution. Doit-on attendre un nouveau scandale sanitaire et des vies sacrifiées pour que l'ANSES et le Gouvernement acceptent de tordre le bras aux lobbies ?
Mais revenons-en au projet de ce fonds d'indemnisation. Il vise à réparer le préjudice des victimes des firmes. Je suis élu d'une région envahie par les pesticides. Les grands châteaux viticoles y prospèrent sur la misère pour produire leurs grands crus, vitrine d'une région mais aussi catalogue des résidus de pesticides. Comment réparer les dégâts sur la faune et la flore, sur les terres polluées à jamais, sur les ouvriers exploités ? Comment réparer les inégalités sociales qui explosent, les travailleurs de la vigne étant logés dans des caravanes au milieu des bois ? Qui va payer pour cette casse sociale, sanitaire et environnementale ? Que les firmes ne s'imaginent pas qu'en abreuvant à la marge un fonds d'indemnisation, elles pourront se laver les mains de leurs responsabilités. La seule réparation valable serait celle prononcée par un tribunal judiciaire.
Si toutefois ce fonds d'indemnisation des victimes des pesticides venait à voir le jour, le groupe La France insoumise y posera des conditions indispensables, que nous développerons en défendant nos amendements.
La première est essentielle et non négociable pour les victimes : bénéficier d'une indemnisation ne doit en aucun cas hypothéquer les possibilités de recours en justice pour les bénéficiaires. Le procès des pesticides se joue devant les tribunaux. Ce fond ne doit-il pas servir à acheter le silence des victimes. Les responsabilités pénales des firmes doivent être engagées.
Deuxième condition : le périmètre. Qui serait concerné par le dispositif ? Le tableau des maladies professionnelles établi par la MSA – Mutualité sociale agricole – est tellement restrictif que de nombreuses maladies ne sont toujours pas reconnues. Le fonds doit permettre la modification de ce tableau et concerner non seulement les personnes bénéficiant d'une reconnaissance de maladie professionnelle mais aussi leurs proches, leurs conjoints et les riverains des zones d'épandage.
Il faut s'assurer ensuite de la totale indépendance de la commission qui rendra sa décision. Elle doit être composée de médecins spécialistes du sujet mais aussi de représentants d'organisations, d'associations qui ont une vision globale du sujet et sont au plus proche des victimes.
De même, l'inquiétude est grande sur le fait de savoir à qui incombe la charge de la preuve. Dans la situation actuelle, c'est aux personnes exposées de fournir les preuves de leur exposition. Il est temps de mettre fin à la culture du secret. Ce devrait être aux firmes d'apporter la preuve de l'innocuité de leurs produits et de donner un accès complet à la composition de leurs préparations.
La réparation doit être intégrale et non forfaitaire. Et elle doit être prononcée sans attendre le certificat de consolidation, impossible à délivrer pour des maladies par nature évolutives.
Enfin, et ce n'est pas un détail, qui paiera ? Le fonds doit être abondé par un prélèvement sur le chiffre d'affaires des firmes, multinationales et multi-milliardaires, et non sur le flux des ventes de pesticides. Sinon, cela reviendrait à ce que les utilisateurs paient leurs pesticides, leur empoisonnement et, en plus, leur propre indemnisation. J'espère que la majorité aura le courage de voter cet amendement qui relève du bon sens.
Pour conclure, chers collègues, ce texte nous offre une nouvelle fois l'occasion de réfléchir à cette impasse dans laquelle nous placent les pesticides et leur emploi massif dans l'agriculture. Les premiers prisonniers de ce système sont les paysans eux-mêmes, qui n'ont pas choisi ce métier noble pour finir en applicateurs hebdomadaires de chimie. J'entends souvent leur argument : « Si on arrête les pesticides, la distorsion de concurrence nous tuera. » Je leur réponds, et à vous aussi, qu'on ne peut pas poursuivre l'objectif de produire aussi salement que nos voisins et se battre pour cela.
Et si tel est le sens des traités de libre-échange européens, désobéissez, désobéissons ; battons-nous pour agir autrement. Je serai à vos côtés pour dessiner une autre trajectoire : produire dans le respect de nos savoir-faire et de votre travail, de votre santé et de la nôtre, pour l'avenir de nos sols, de nos oiseaux, de nos abeilles et surtout de nos enfants.