Intervention de Christophe Naegelen

Réunion du jeudi 5 octobre 2017 à 9h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Naegelen, référent de la commission des affaires étrangères :

La mise en perspective présentée par M. Mendes nous amène à évaluer les avancées contenues et les inquiétudes soulevées par cet accord, selon le rapport de Mme Schubert, auditionnée conjointement ce mardi par la commission des affaires étrangères et la commission des affaires économiques.

Ses auteurs soulignent que sont garantis le principe de précaution, tout comme la capacité des États à légiférer comme ils le souhaitent dans les domaines de l'environnement et de la santé. Il n'en demeure pas moins, toutefois, que les États partie peuvent être attaqués devant la Cour d'Investissements et subir des procédures de réparation sanctionnant des pertes subies par l'investisseur ou ordonnant la restitution de biens, en cas d'expropriation jugée abusive. Dès lors, il convient de s'assurer que ces procédures n'aboutissent pas à un « chilling effect », à savoir l'hésitation des États partie à légiférer dans l'avenir, de peur d'être sanctionnés par la suite. Lors de son audition devant la commission des affaires étrangères, Mme Schubert a expliqué qu'il était très difficile d'évaluer la réalité de cet effet, qui ne peut être balayé d'un revers de main.

Par ailleurs, pour répondre aux critiques portant sur la difficile lisibilité de cet accord pour les citoyens européens et la relative obscurité des négociations, il a été adjoint à l'accord un instrument interprétatif commun, qui permet de préciser clairement et simplement l'interprétation de l'ensemble des parties des clauses de chaque secteur. Enfin, et même si ce n'est pas forcément de nature à nous rassurer, l'ensemble de l'accord est amené à évoluer après sa ratification, au fur et à mesure que des instruments de coopération communs seront créés, par le biais d'un Comité mixte.

La réforme de la cour d'arbitrage peut également être portée au crédit du CETA. L'instrument retenu pour traiter des désaccords entre investisseurs et États membres est le système de Cour d'investissements, ou ICS, en anglais. Composée d'un panel de quinze juges permanents, issus à parts égales du Canada, de l'Union européenne et de pays tiers, leur nomination est du ressort des États partie. En l'occurrence, pour l'Union européenne, les candidats devront respecter des critères équivalents à ceux qui sont choisis pour exercer au sein de la CJUE. Ces juges doivent également suivre un code de conduite, qui constituait l'une des réclamations les plus importantes du Parlement wallon. Enfin, cette cour sera soumise à un tribunal d'appel, qui sera susceptible de former des jurisprudences contraignantes s'imposant aux juges et aux États partie.

Il n'en demeure pas moins qu'il existe encore certaines zones de vigilance fortes, dont notre Assemblée, et plus spécialement la commission des affaires étrangères, devra débattre.

En premier lieu, le rapport de Mme Schubert insiste sur les différences réelles qui demeurent de chaque côté de l'Atlantique. Si le risque d'exportation de poulets chlorés est à exclure, l'accord demeure muet sur les questions du bien-être animal, de l'alimentation du bétail, voire de l'administration d'antibiotiques comme activateurs de croissance. Les réglementations relatives aux OGM de part et d'autre de l'Atlantique ont suffisamment de différences pour laisser craindre l'introduction dans l'Union européenne de produits canadiens génétiquement transformés. Il n'existe enfin aucun engagement contraignant en matière environnementale, ce qui explique l'une des propositions majeures du rapport : l'instauration d'un « veto climatique » dont les États partie pourraient faire usage en cas de litige avec un investisseur étranger, afin que les Parties puissent déterminer, en lieu et place du tribunal, si la mesure attaquée est conforme au traité. En pratique, cela permettrait aux États de faire en sorte que leurs politiques climatiques ne soient pas entravées par les procédures du chapitre sur l'investissement, pour reprendre les termes du rapport Schubert.

Il existe en sus de véritables inquiétudes pour certaines filières agricoles. En particulier, l'élevage sera amené à souffrir de la concurrence canadienne, qui dispose d'un quota d'importation dans l'Union européenne de 67 500 tonnes. Or ce ne seront pas des carcasses qui seront exportées, mais, dans le détail, de la viande hachée et de l'aloyau, dont les consommateurs français sont particulièrement friands. 45e du cheptel canadien étant composés de vache à viande, et non de vache de réforme comme en France, l'impact dans certains secteurs très précis, tels que la viande transformée, pourrait être sévère.

La logique de l'accord est toutefois de prévoir des gagnants dans ce même secteur, en l'occurrence les producteurs laitiers. Mais là encore, le diable se niche dans les détails. L'Union européenne a obtenu la reconnaissance de 173 indications géographiques, dont 42 françaises, désormais importées et protégées comme telles sur le marché canadien. Mais il semble que la moitié des importateurs canadiens soit composée de PME et de TPE n'ayant ni l'expérience ni nécessairement l'intérêt d'importer des produits laitiers européens d'origine protégée. On touche du doigt ici le risque de mesures protectionnistes et l'Union européenne ne peut se permettre d'être naïve en la matière. En effet, le CETA est un accord préfigurant la future politique commerciale européenne à maints égards, et les négociations avec les pays du MERCOSUR peuvent laisser craindre une fragilisation supplémentaire des filières d'élevage.

C'est pourquoi le plan d'action interministériel du gouvernement doit prendre en considération les conclusions du rapport de Mme Schubert, mais aussi toutes les observations qui lui ont été faites hier en commission par les députés, et par les acteurs français de manière générale.

En conclusion, le CETA est un accord dit « vivant ». Il est donc évolutif. Il nous revient d'en assurer la meilleure interprétation possible et de rester vigilants sur les intérêts de la France et de l'Europe.

Je vous remercie.

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