À y regarder de près, ce projet de loi est plus dangereux que ne le laissaient présager jusqu'ici vos sorties faussement rassurantes.
De ses articles émerge un fourre-tout de mesures prétendument techniques, qui reflètent en réalité de profondes réformes et une inquiétante volonté de reprise en main de l'ensemble du système éducatif – et tout cela, bien entendu, avec l'air de ne pas y toucher.
Nous devrions d'abord nous interroger pour savoir si les réformes incessantes des programmes scolaires ont permis à la France de décoller et d'élever le niveau des élèves.
Les études sur le niveau des écoliers français se suivent et se ressemblent. De l'enquête internationale TIMMS en mathématiques et en sciences au Programme international de recherche en lecture scolaire – PIRLS – , en passant par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves – PISA – , plusieurs études récentes pointent le retard de la France par rapport aux meilleurs résultats européens. La France est la seule, avec les Pays-Bas, à voir son score baisser depuis 2001, et passe aujourd'hui au trente-quatrième rang sur cinquante.
En CE1, 49 % des élèves ont des difficultés en calcul mental et 47 % pour résoudre des problèmes. En CP, 23 % des élèves en début d'année ont des difficultés à reconnaître les lettres et le son qu'elles produisent, et 8 % ont du mal à reconnaître les nombres dictés. Au bout du compte, 20 % des élèves sortent de l'école primaire sans maîtriser les fondamentaux.
À 15 ans, 20 % des jeunes sont aujourd'hui en échec scolaire, alors qu'ils n'étaient que 15 % en 2003. Au total, selon l'ampleur des cohortes, entre 110 000 et 140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans aucun diplôme ni connaissances de base. Le décrochage est donc un enjeu majeur. Hélas, on ne vous entend pas sur ce sujet. Ce texte est une occasion manquée à cet égard.
Les travaux de l'OCDE ne sont pas plus rassurants, puisque la France obtient un score dans la moyenne, qui n'en demeure pas moins médiocre pour la cinquième puissance économique mondiale. Ainsi, en mathématiques, le score a diminué de 16 points, ce qui fait passer la France du groupe des pays situés au-dessus de la moyenne de l'OCDE, à celui des pays qui se situent dans la moyenne.
Plus inquiétant : en France, si le nombre d'élèves très performants est resté identique, celui des élèves en difficulté augmente. L'écart se creuse entre les élèves très performants et ceux qui le sont peu. La France est, en quelque sorte, sauvée par ses bons élèves. Cette élite scolaire se distingue également par une importante corrélation entre le milieu socio-économique et la performance scolaire.
En France, le milieu socio-économique dont sont issus les élèves influence tout particulièrement leur performance. Dans l'hexagone, les élèves issus de l'immigration sont au moins deux fois plus susceptibles que les autres de rejoindre le groupe des élèves en difficulté en mathématiques – ils sont 43 % dans les niveaux les plus faibles, contre 16 % en Australie et au Canada.
Où en sommes-nous de la promesse de l'école républicaine ? Qu'en est-il de l'ascenseur social ? Votre texte, hélas, ne répond pas à ces défis et nous ne nous laisserons nullement bercer par le titre Ier, qui prévoit de « garantir les savoirs fondamentaux pour tous ».
Lors de l'examen du texte en commission, vous avez présenté l'article 2, qui prévoit l'instruction obligatoire à 3 ans, comme « une mesure emblématique, dont la portée est internationale : nous serons le pays qui positionne l'âge de l'instruction obligatoire le plus tôt dans la vie. Nous allons être scrutés et je suis persuadé que d'autres pays iront en ce sens car la justice sociale passe par l'école maternelle et un meilleur accompagnement des enfants de zéro à six ans ». Nous sommes donc passés de « pas de loi Blanquer » à une mesure de portée internationale !
Monsieur le ministre, puisque vous souhaitez un meilleur accompagnement des enfants de 0 à 6 ans, pourquoi vous arrêter à trois ans ? M. Peillon, avant vous, voulait proposer une scolarisation dès l'âge de 2 ans – il est vrai qu'il avait pour ambition d'« arracher l'élève à tous les déterminismes », qu'ils soient familiaux, ethniques, sociaux ou intellectuels.
Nous nous opposons avec force à cette mesure. Pour ma famille politique, il s'agit d'un marqueur : nous souhaitons que les familles restent les premiers éducateurs de leurs enfants et que l'État s'occupe de l'instruction.
Vous allez nous opposer que 97,7 % des enfants âgés de 3 ans vont déjà à l'école, le taux de scolarisation frôlant même les 100 % à partir de 4 ans. Pourtant, nous sommes un certain nombre à considérer que le fait de rendre l'instruction obligatoire à cet âge est trop coercitif. Doutez-vous à ce point de l'institution scolaire que vous considériez que la persuasion ne suffira pas et qu'il vous faut contraindre. C'est étrange !
La scolarisation est obligatoire à partir de 6 ans. Selon nous, pendant la période de 3 à 6 ans, il faut laisser aux familles la possibilité de décider – nous avons déjà débattu de cette question. Nous sommes très attachés à la liberté de choix des familles. En outre, votre proposition interroge la relation entre la sphère familiale et la sphère étatique. Nous rappelons le rôle indispensable des parents dans la scolarité de l'enfant, sans oublier qu'ils en sont les premiers éducateurs. Nous voyons dans cette mesure une forme d'ingérence qui ne nous paraît pas souhaitable à cet âge.
À vous entendre, nous serions le premier pays au monde à mettre en place la scolarisation obligatoire à 3 ans et d'autres pays ne manqueraient pas de suivre notre exemple. Le tableau comparatif sur la scolarité obligatoire figurant dans l'étude d'impact que vous avez fournie pour votre projet de loi montre que l'Estonie ou la Finlande, respectivement troisième et cinquième dans le classement PISA, ont fixé l'âge de l'enseignement obligatoire à 7 ans, ce qui montre qu'une scolarité précoce n'est pas nécessairement la garantie d'une meilleure réussite scolaire.
Je m'arrêterai un instant sur la situation des enfants handicapés, totalement absents du texte initial. Vous avez apporté quelques corrections en commission, notamment en acceptant un de mes amendements visant à prendre en compte le cas des enfants en situation de handicap et leur inclusion.
Parmi les enfants non scolarisés figurent pourtant des enfants handicapés qui ne peuvent être accueillis, faute d'auxiliaires de vie – AVS – dans les écoles, hors contrat notamment, et de bâtiments conformes. Que prévoyez-vous pour prendre en compte la situation de ces enfants ? Leurs parents subissent une double peine : ils peuvent être amenés à scolariser leur enfant dans une école mieux adaptée à son handicap, ce qui occasionne des frais supplémentaires, et ils ne sont pas assurés que leur enfant disposera d'un AVS.
L'obligation d'instruction dès 3 ans apportera son lot de problèmes. En pratique, en effet, une telle disposition ne tient aucun compte du rythme d'évolution des enfants, dont le développement présente de grandes disparités. L'obligation scolaire se traduira par des contraintes d'assiduité accrues, alors que l'absentéisme ou la présence à temps partiel sont actuellement tolérés dans un grand nombre d'établissements. De nombreux parents connaissant le rythme de leurs enfants et la fatigue causée par l'école, notamment dans les premières années de maternelle, choisissent de ne les y déposer que le matin, les en retirant l'après-midi pour leur permettre de faire la sieste. Les classes seront-elles adaptées afin que tous les élèves fassent la sieste l'après-midi ?
Le Défenseur des droits dresse un constat très sévère sur deux points : le faible taux d'encadrement compte tenu du nombre d'enseignants dans l'enseignement préprimaire et les conditions d'accueil du jeune enfant dans les espaces collectifs. Je le cite : « avec une moyenne trop élevée de 22 élèves par enseignant selon les données 2015 de l'Oraganisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il paraît difficile d'offrir aux enfants une attention individuelle suffisante ». Nous nous situons juste derrière le Chili et le Mexique, pour lesquels la moyenne s'établit à 25, bien au-dessus de la moyenne des pays membres, qui est de 14.
Pour ce qui est des conditions d'accueil, le Défenseur des droits donne un exemple très concret : « l'entrée à l'école maternelle va souvent de pair avec l'acquisition de la propreté, qui n'est pas toujours complètement maîtrisée par le tout-petit. Or, il peut être constaté que les sanitaires sont souvent éloignés des salles de classe, voire même délocalisés à l'extérieur du bâtiment, au fond de la cour de récréation par exemple ».
Il est prévu de créer 800 postes d'enseignants pour permettre à la mesure de voir le jour à la rentrée 2019. Comment seront-ils répartis ? N'y a-t-il pas danger de surcharger plus encore les classes de maternelle ? Certains redoutent aussi que soit utilisé le vivier des enseignants prévus pour les remplacements, afin de limiter les créations de postes. N'y a-t-il pas là le risque de supprimer encore et encore des postes dans la ruralité, comme l'avait souligné Maxime Minot la semaine dernière ?
Cette disposition peut se révéler totalement contre-productive, particulièrement en outre-mer, où 70 % seulement des enfants de 3 ans sont inscrits en maternelle. Sans véritable investissement, l'arrivée en classe des 30 % restants risque de perturber l'apprentissage, au lieu de le favoriser.
Les collectivités territoriales seront également touchées : qui dit école maternelle, dit agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles – ATSEM. Des moyens supplémentaires seront-ils affectés aux collectivités territoriales concernées pour leur permettre de faire face à cet enjeu ?
La presse souligne que, bien malgré vous, vous êtes en train de raviver la guerre scolaire entre public et privé. En effet, si l'instruction devient obligatoire à partir de 3 ans, les communes devront nécessairement financer les maternelles sous contrat afin que l'enseignement reste gratuit – certaines communes versent déjà volontairement une aide aux écoles maternelles privées sous contrat d'association. En commission, Charles de Courson et moi avons soulevé plusieurs problèmes. Nous souhaiterions ainsi savoir quel sera le surcoût réel pour l'État et pour les collectivités. Il y aura, en outre, des inégalités entre les collectivités puisque la compensation ne sera pas intégrale – ce sont les bons élèves, les communes vertueuses assurent déjà un financement, qui seront pénalisées car ce sont les autres qui recevront les compensations de l'État. Quel paradoxe !
Mais il y a plus grave encore : selon l'étude d'impact – vos données, monsieur le ministre – , les compensations seront décalées de deux ans. La mesure entrera en vigueur en septembre, alors que la compensation correspondant au surcoût du premier trimestre scolaire 2019 ne sera versée aux collectivités qu'en 2021, au mieux. Envisagez-vous un versement provisoire et un ajustement ultérieur, afin de faire coïncider les coûts et la compensation ? Les maires souhaitent connaître vos intentions – cela rappelle de mauvais souvenirs aux communes. Serez-vous, comme certains de vos prédécesseurs, un ministre de l'éducation nationale qui décide, puis demande aux communes de payer ?
L'article 5 vise à encadrer l'instruction dans la famille. Des dispositions ont déjà été adoptées, sous la précédente législature, dans le cadre de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté, pour exercer un contrôle en la matière. Parmi les raisons invoquées pour justifier cette mesure, vous dites vouloir empêcher l'instruction d'enfants dès leur plus jeune âge dans des écoles coraniques. Pourquoi ne le dites-vous pas ouvertement ?
Par ailleurs, il paraît totalement disproportionné de prévoir l'intervention d'inspecteurs de l'éducation nationale pour vérifier si des familles dispensent à des enfants de 3 ans une instruction leur permettant d'acquérir le socle commun.
Selon la direction générale de l'enseignement scolaire – DGESCO – , c'est-à-dire votre ministère, les principales raisons justifiant le choix d'instruire à domicile sont le respect de l'individualité et des rythmes de l'enfant, l'adaptation aux enfants atypiques et, enfin, le harcèlement et les phobies scolaires. D'après des enquêtes menées par des associations regroupant des familles scolarisant leurs enfants à domicile, la non-scolarisation subie pour cause de phobie, de harcèlement ou d'inadaptation de l'enfant au système scolaire représente, en tout, plus de 60 % des cas. D'après la DGESCO, les motifs religieux ne sont invoqués que dans 1,4 % des cas.
Ces familles, quand elles ne suivent pas les programmes de l'éducation nationale, utilisent le plus souvent des pédagogies actives, par exemple Montessori, Freinet ou d'autres, qui nécessitent un environnement stimulant et accordent une plus grande autonomie à l'enfant, lequel apprend à être acteur de ses apprentissages, à développer sa créativité et à se connaître lui-même.
L'article L. 131-10 du code de l'éducation, qui précise les conditions du contrôle de l'instruction dans la famille, était, jusqu'à présent, assez large. Le décret n° 2016-1452, pris pour son application, porte à la fois sur le contenu des connaissances requises, la prise en compte des méthodes pédagogiques des parents et des spécificités des enfants, ainsi que sur les modalités du contrôle exercé par l'inspection d'académie.
Le texte, tel que modifié par la commission, prévoit désormais de fixer le contenu des connaissances et les modalités de contrôle au niveau législatif, et non plus réglementaire. Il bride la liberté pédagogique des parents. En outre, les modalités du contrôle pourront être arbitraires, puisqu'elles sont laissées à l'appréciation de l'inspecteur. Enfin, il est imposé aux enfants une obligation de résultat.
Le texte ne prend plus en compte l'adaptation aux spécificités de l'enfant, sauf si ce dernier présente « un handicap ou un trouble de santé invalidant ». Pourquoi ne pas laisser aux parents la possibilité d'adapter l'enseignement sans avoir besoin d'un diagnostic médical ?
Cet article impose aux familles une obligation de résultat, sans tenir compte du rythme de chaque enfant, alors que les écoles hors contrat et sous contrat ont une obligation de moyens. Il ne prend pas en considération la situation de nombreux enfants qui sont instruits dans la famille car ils ne sont pas adaptés au système scolaire ou ont même pu en souffrir. Il s'agit, une fois encore, d'une mise sous tutelle des familles par l'État et même, en cela, d'une mesure liberticide.
J'en viens maintenant à l'article 9, qui supprime le Conseil national d'évaluation du système scolaire – CNESCO – et le remplace par le conseil d'évaluation de l'école. Il est pour le moins étonnant que le Gouvernement veuille supprimer un organisme créé il y a moins de cinq ans, car celui-ci, créé pour procéder à des évaluations a besoin de temps pour acquérir une réelle expertise dans son domaine.
Des modifications ont été apportées en commission pour donner à ce conseil relativement plus d'indépendance, en portant de quatre à six le nombre de personnalités qualifiées – choisies par le ministre de l'éducation nationale – , celles-ci devenant ainsi plus nombreuses que les représentants des ministres. Vous avez supprimé la soumission pour avis au ministre de son programme de travail annuel.
Par un amendement, je vous propose une réforme beaucoup plus ambitieuse portée par le groupe Les Républicains, qui crée notamment une Haute autorité de l'évaluation, de la statistique, de la prospective et de la performance. Je n'ai néanmoins pas pu présenter cet amendement en commission, du fait de son irrecevabilité au titre de l'article 40 de la Constitution, alors qu'on aurait pu simplement redéployer des moyens.
En matière d'évaluation du système éducatif, la France fait figure d'exception par rapport à ses partenaires, puisque l'acteur principal chargé de concevoir des outils d'aide à l'évaluation, au pilotage et à la décision est une direction d'administration centrale.
Dans de nombreux autres pays, les évaluations des acquis des élèves, de la performance des établissements et de la qualité des diplômes sont souvent obligatoires et imposées périodiquement en vertu de protocoles d'évaluation définis publiquement. Cette mission cruciale est confiée à des équipes universitaires ou à des agences indépendantes du ministère de l'éducation nationale. C'est ainsi que la République de Corée et le Canada, deux pays très performants en matière éducative, disposent d'importantes bases de connaissances sur l'éducation, qui tendent autant à orienter les politiques publiques éducatives qu'à en limiter les changements trop fréquents. La publicité de l'ensemble des rapports est également une différence significative avec le système français. Monsieur le ministre, combien de rapports de l'Inspection générale de l'éducation nationale sont sur votre bureau et n'ont pas obtenu votre nihil obstat ? Cela aussi peut interroger.
Notre droit positif consacre, au niveau constitutionnel, le « droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Depuis 2006, la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, votée à l'unanimité par le Parlement, offre également une source de légitimité à la démarche d'évaluation des politiques publiques éducatives, en proclamant un objectif général de performance des services de l'État et l'obligation de produire des indicateurs pour en rendre compte. Dans cette perspective, la question de l'autonomie scientifique et de l'indépendance politique d'une instance d'évaluation du système éducatif se pose désormais avec une acuité toute particulière.
L'évaluation du système éducatif est pourtant une nécessité à tous les niveaux. Elle l'est d'abord au niveau macrobudgétaire : le poids considérable de la dépense publique consacrée à l'éducation ainsi que le nombre colossal de professionnels qui y participent exigent des indicateurs pertinents, seuls à même de garantir un pilotage efficace et équitable. L'évaluation de la performance des établissements scolaires est également nécessaire afin de répartir équitablement les moyens sur l'ensemble du territoire. Nous devons débattre de ce sujet avec vous, monsieur le ministre, car nous doutons de cette équité. Enfin, l'évaluation des acquis des élèves est primordiale.
Bien sûr, on ne peut que se féliciter que vous abordiez les questions stratégiques de l'évaluation dans ce texte, même si c'est parfois avec un faux air scientifique. Alors que tous les standards internationaux recommandent une stratégie indépendante de l'évaluation, vous voulez que cette dernière se fasse sous votre tutelle. Cela n'a évidemment pas de sens, d'autant que cela reviendrait aussi à écarter l'enseignement agricole de cette démarche. Surtout, nous avons besoin d'évaluations permettant de partager un diagnostic entre le pouvoir exécutif, le Parlement et l'ensemble des parties prenantes du système éducatif.
Un rapport publié par l'OCDE en 2015, intitulé « Perspectives des politiques de l'éducation 2015 », consacre un chapitre entier à l'évaluation. Tous les pays qui mettent en oeuvre l'évaluation systémique du système – l'Allemagne, le Chili, la Corée du sud, la Finlande, la Grèce, l'Islande, le Mexique – confient cette tâche à une agence totalement indépendante du pouvoir exécutif, qui fournit au système les moyens dont il a besoin pour s'améliorer. Il serait donc paradoxal que la France aille dans une autre direction.