je veux dire mon soutien à la mobilisation légitime d'enseignants qui souhaitent la restauration d'un service public de l'éducation de qualité. Monsieur le ministre, je ne vous reprocherai pas d'avoir changé d'avis sur l'opportunité de faire ou non une loi, mais plutôt ce que votre texte contient. J'y vois une habileté visant à ne pas affoler plutôt qu'une marque de modestie. En effet qualifier ce projet de loi de vingt-quatre articles d'ajustement législatif nécessaire vous permet de taire sa cohérence.
Après la réforme du lycée et Parcoursup, ce projet de loi entérine une même logique : déstructurer le cadre national de l'éducation, former des parcours d'initiés et accompagner les objectifs de CAP 2022 – comité d'action publique 2022. Sous une apparence d'assemblage disparate, ce projet de loi ambitionne en réalité la transformation libérale radicale du système éducatif. Alors que vous vous réclamez de Jules Ferry, monsieur le ministre, vous appliquez en réalité la pensée de Luc Chatel.
Les hussards noirs de la République, à qui vous demandez de la confiance, ressentent au contraire une immense défiance, légitime au regard de ce que vous leur faites : suppression de postes, gel des salaires, augmentation du temps de travail, devoir de réserve hors du temps de travail, suppression du paritarisme, liberté pédagogique plus que menacée.
Ce texte permet la reprise en main de l'institution scolaire par le ministère et le ministre, à l'image de l'article 1er, mesure de pression, de défiance vis-à-vis des professeurs. Vous parlez là d'une exemplarité qui n'a rien d'objectif, rien de normatif, selon le Conseil d'État. Il en va de même de la suppression du CNESCO au profit d'un conseil aux missions plus restreintes et sous contrôle du ministère. L'indépendance n'est pas un principe de seconde zone.
Poursuivant la déstructuration du cadre national, il est par exemple prévu, à l'article 8, sous couvert d'expérimentation, que la répartition des heures d'enseignement par matière pourra être différente d'un établissement à l'autre, en fonction des moyens locaux.
L'article 17 programme la fusion des académies, ce qui va entraîner la disparition de la moitié d'entre elles, de façon à n'en laisser qu'une par région. La constitution de treize académies, avec la fusion des vingt-huit existantes, constitue bien un pas supplémentaire vers la régionalisation de l'éducation nationale et la remise en cause des règles nationales.
Cette rupture du principe d'égalité est complétée par la création des EPLEI, qui traduit la mise en place d'un enseignement à deux vitesses. Ces établissements dérogeront au socle commun éducatif et bénéficieront de financements privés. L'ensemble de ces mesures renforce la mise en place d'un parcours d'initiés, réservé à un nombre restreint d'enfants, triés sur le volet.
L'article 6 quater consacre le concept d'« école fondamentale ». La décision d'ouverture des établissements de ce type par les préfets, sans qu'aucune instance de l'éducation nationale soit consultée, empêchera tout contrôle. Par ailleurs, faire intervenir des enseignants du premier degré face à des élèves relevant du second pose la question du respect des statuts, des programmes et de l'éventualité de recourir à ce type de dispositif par souci d'économie et non par souci pédagogique.
Ces articles nous questionnent sur l'éventuelle modification de la carte scolaire et des zones prioritaires. Nous aimerions obtenir des réponses précises sur ces points.
D'autre part, à une demande de revalorisation salariale et d'une élévation du niveau de qualification, vous opposez la création d'une masse d'étudiants précaires, sans diplôme ni formation pédagogique, auxquels les chefs d'établissement demanderaient d'assurer des enseignements pour pallier le manque d'enseignants.
Vos logiques créent une situation de pénurie que vous tentez de gérer au lieu de lutter contre elle en rendant le métier attractif. En effet, l'article 14 prévoit que les AED – assistants d'éducation – , contractuels chargés de la surveillance, soient utilisés comme professeurs apprentis, enseignants à moindre coût et sans possibilité de titularisation pendant quatre ans.
Nous défendons certes l'idée de pré-recrutement, mais elle ne peut devenir effective sans moyens et nécessite la création d'un statut de fonctionnaire-stagiaire, lequel pourrait être accordé dès la licence à des étudiants et des étudiantes ayant l'objectif de passer un concours de l'enseignement et s'engageant à travailler pendant au moins cinq ans pour l'État après le passage du concours. Voilà qui me semble plus conforme à votre nostalgie des IPES, les instituts de préparation aux enseignements de second degré.
Ce projet de loi, tout comme les 2 600 suppressions de postes d'enseignants dans les lycées et collèges, répond plus aux injonctions du comité d'action publique 2022 – qui porte décidément mal son nom – qu'aux exigences d'égalité si nécessaires à une société émancipatrice. Nous sommes favorables à l'obligation de scolarisation à l'âge de trois ans mais cela ne suffira pas à nous faire adhérer à cette loi, contre laquelle nous voterons.