Le texte de loi que nous examinons maintenant en séance publique après nos débats en commission, pose de nombreuses questions. Sous couvert de rendre l'école obligatoire à 3 ans, ce qui a priori ne peut être que source de consensus, il touche à de nombreux sujets sans les approfondir suffisamment. Par ailleurs, il évite d'autres sujets d'importance que nous aurions souhaité voir apparaître – ainsi la question de la place du handicap, d'abord absente du texte, y a-t-elle finalement été introduite sommairement.
Il y a ce que le texte affirme – l'ambition d'élever le niveau général des élèves et de promouvoir la justice sociale – et ce qu'il ne dit pas du tout – l'obligation qu'il va entraîner pour les communes de financer les écoles maternelles privées et publiques à hauteur de 100 millions ou 150 millions d'euros, ce qui risque d'accentuer la concurrence entre le public et le privé, ou la problématique du harcèlement, dont nous devons nous saisir. Surtout, entre les deux, il y a des sujets d'importance majeure, parmi lesquelles : les notions controversées d'exemplarité et de droit de réserve, qu'il faudrait rappeler aux enseignants ; la formation initiale et continue des enseignants et les structures pour les prendre en charge ; la nécessaire mise en lumière de l'apprentissage des langues vivantes autrement que par la réponse beaucoup trop limitée que constituent les EPLEI ; les missions d'évaluation ; la question cruciale du recrutement des enseignants ; ou encore celle de l'école du socle, réintroduite par un amendement du groupe LaREM, qui court-circuite les discussions pourtant nécessaires avec la communauté éducative.
Le continuum entre la maternelle et le primaire mis en place en 2013 ainsi que celui que vous proposez d'introduire avec le secondaire ne peuvent reposer sur une vague expérimentation et quelques idées importées de pays voisins ou de l'OCDE pour tenter d'imposer un système qui, pour l'instant, ne satisfait pas les personnels concernés et fait fi d'une réelle consultation des communes, pourtant en première ligne dans la gestion des écoles. En accélérant les regroupements et les fusions sans avoir réglé un point essentiel de cette réorganisation, à savoir le statut et la place du directeur d'école, vous prenez le risque de priver certains bassins de vie déjà fragilisés des écoles de proximité nécessaires afin de permettre à tous les enfants de notre République d'être accueillis dans les meilleures conditions possible.
La nouvelle carte scolaire que vous voulez dessiner mérite que vous preniez en compte les inégalités géographiques, corrélées à des inégalités sociales inacceptables, par un travail transversal avec les ministères concernés, et surtout en concertation avec les acteurs de l'éducation. La généralisation de ces expérimentations, annoncée sur tout le territoire pour 2020, ne nous rassure pas.
L'échec scolaire, discriminant, est inégalement réparti dans la population scolaire. Les critères explicatifs sont nombreux : les temps de transport, la concentration d'enseignants jeunes moins expérimentés et la forte présence de non-titulaires dans les zones les plus difficiles, le nombre d'élèves par classe, la présence ou non d'un internat, la part de mobilisation des budgets des différentes collectivités territoriales, la réussite aux examens, la présence plus ou moins forte des personnels de santé et d'orientation, la fréquentation des cantines scolaires, l'accompagnement des familles, la place de l'équipement numérique. Bref, nos enfants n'ont pas les mêmes chances et les mêmes espérances, et c'est bien ce qui doit constituer l'enjeu de notre principale bataille.
Monsieur le ministre, vous défendez le changement de nom des ESPE – qui deviennent des INSPE – au nom des principes d'universalisme et d'homogénéité des fondamentaux que les enseignants doivent inculquer aux élèves, et de la nécessité de donner une valeur ajoutée aux contenus de formations en remplaçant « école » par « institut ». Il est pour le moins étonnant de vous entendre, vous pour qui l'école est le projet d'une vie, préférer à la simple « école » le terme « institut », avec tout ce que cette notion véhicule de sous-texte élitiste et savant.
Cependant, là n'est pas l'essentiel. Pour évaluer les pratiques des ESPE, sommes-nous au clair sur le bilan des évaluations quant aux apprentissages des fondamentaux ? La disparité des taux d'acquisition de la lecture et de la numération résulte-t-elle d'injonctions différentes selon les ESPE ou des inégalités sociales et territoriales déjà évoquées ? Au-delà du symbole, vous ne nous dites pas comment vous envisagez de donner des réponses différenciées au regard de ces réalités et des remédiations nécessaires, comme le nombre et le profil des enseignants, la stabilité des équipes et l'intégration dans les fondamentaux des pratiques artistiques, qui sont en réalité de puissants vecteurs de remédiation, d'inclusion et de découverte de ses propres potentialités, de ses propres désirs.
Certes, comme les IUFM – les instituts universitaires de formation des maîtres – avant elles, les ESPE n'étaient pas parfaites, mais quel gaspillage en prévision ! Pour l'académie de Grenoble, par exemple, on prévoit un coût situé entre 600 000 euros et un million d'euros, quand rien ne vous empêchait de proposer des changements de contenus et de méthodes à l'intérieur des organismes existants. Faire de la formation un outil plus performant, qui redonne confiance aux personnels et donc aux élèves, et qui soit plus attractif pour les futurs enseignants, oui, mais comment ?
Le recrutement connaissant une crise réelle, nous devons réfléchir aux conditions d'exercice de ce métier, essayer de comprendre pourquoi l'un des plus beaux métiers du monde est devenu au fil du temps au mieux, un métier mal reconnu et mal rémunéré, au pire, un synonyme de galère. Votre proposition consistant à permettre à des AED préparant le concours de se voir confier des tâches d'enseignement pourrait être intéressante, mais elle mérite d'être abordée dans le cadre d'une réflexion plus globale sur le parcours des futurs enseignants et la place et le contenu du concours.