Intervention de Joël Gombin

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 10h10
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Joël Gombin :

Je vous remercie de votre invitation, qui, cependant, a d'abord suscité chez moi une certaine interrogation sur mes compétences en la matière et de ce fait, sur la pertinence de ma présence ici. Mes recherches portent en effet sur l'électorat du Front national, ce qui n'a pas de lien direct avec les groupuscules d'extrême droite. J'essaierai donc d'apporter quelques éléments sur la notion même d'extrême droite.

Cette notion fait l'objet de vifs débats et de nombreuses définitions. Dans son travail de référence, le chercheur néerlandais Cas Mudde en citait vingt-six ; on en compte sans doute trois ou quatre fois plus aujourd'hui. Aussi la tentative de cerner la bonne définition pour l'appliquer à telle ou telle organisation se révèle-t-elle compliquée, voire vaine.

Faut-il dès lors abandonner cette notion ? Non, mais plutôt qu'une catégorie, y voir un champ sociologique, un espace de nature relationnelle permettant de décrire et analyser un système de relations entre différents acteurs, partis, organes de presse, groupuscules, sites web ou individus. Un tel champ s'organise autour d'enjeux, de références, de symboles que ceux qui y participent reconnaissent. Il existe des enjeux internes qui font sens pour les acteurs de ce champ et non pour ceux qui n'y appartiennent pas. D'autre part, un champ est le théâtre d'affrontements qui le structurent et auxquels ses acteurs accordent de l'importance. De ce fait, il se caractérise plus par son hétérogénéité que par son homogénéité.

Dans cette perspective, tous les groupuscules qui vous intéressent ne sont pas strictement identiques même s'ils appartiennent à la même catégorie ; ils peuvent même être concurrents, voire adversaires. Les relations entre les acteurs du champ sont donc complexes et je m'en tiendrai au principal, le Rassemblement national, ex-Front national.

Le Front national appartient bien au champ de l'extrême droite. Il en partage les enjeux, les références, les racines historiques. Pour autant, on ne le mettra pas dans le même sac, si je puis dire, que les autres acteurs de ce champ. Il y occupe une place particulière. En premier lieu, et c'est fondamental, il est différent des autres par sa taille, son nombre d'adhérents, son audience, au point qu'il polarise le champ : tous les autres acteurs doivent se positionner, de façon négative ou positive, par rapport à lui ; l'inverse n'est pas vrai. La relation est donc asymétrique.

D'autre part, le Front national fait partie non seulement de ce champ de l'extrême droite – traversé par lui, ses enjeux et ses débats –, mais aussi du champ politique institué, il est présent dans la compétition électorale et a des élus. Il se doit donc d'observer les règles politiques et juridiques de ce champ, ce qui le soumet à des contraintes dans le champ de l'extrême droite, notamment pour ce qui est du respect, ou des apparences de respect, de la légalité. Cette contrainte majeure le différencie, structurellement, des autres acteurs de l'extrême droite.

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