Intervention de Jean-Yves Camus

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 10h10
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Jean-Yves Camus :

Sur le premier point, même si proclamer qu'on veut prendre le pouvoir fait partie du jeu, 99 % des militants de ces groupes n'ont pas la moindre illusion sur leur capacité à prendre le pouvoir par la force ou par les urnes. Ni leur nombre ni l'état embryonnaire de leurs organisations ne le permettrait. Ont-ils des liens entre eux ? Dans un si petit milieu, dans une ville donnée il y a en effet des contacts personnels, des affiliations multiples, des alliances éphémères des réunions publiques communes. Mais n'imaginons pas l'émergence d'un front commun. Au bout de quelques mois le naturel revient au galop, les querelles d'ego et d'argent reprennent le dessus. A titre d'exemple, dans le Bastion social, on a récemment accusé certains responsables de « taper dans la caisse ». Il n'y a pas d'horizon de constitution d'un front commun de ces groupuscules. L'idée a été lancée de présenter une liste aux élections européennes. Peut-être trouveraient-ils un nombre suffisant de candidats. Mais leur faible capacité de financement rend la chose peu crédible.

S'agissant des liens avec un parti politique constitué, Marine Le Pen a fait clairement savoir dès son arrivée à la présidence qu'elle n'acceptait plus la double appartenance, tolérée par la direction précédente qui avait ainsi permis à des militants de l'Œuvre française, organisation dissoute en juillet 2013, d'accéder à des mandats locaux ou régionaux, avec des scores dans la moyenne de ceux du Front national. Elle a donc suspendu ou exclu depuis 2011 bon nombre de militants qui ne satisfaisaient pas aux consignes. Il est possible qu'à la base, certains conservent des contacts interpersonnels. Mais, en tout cas le Front national n'est plus, comme il le fut de 1972 au milieu des années 1990, la maison commune dans laquelle tous les militants de groupuscules avaient au moins un pied. Le programme leur apparaissait certes trop mou, mais ils comptaient ainsi sortir d'une marginalité qui leur pèse en même temps qu'elle est une seconde identité. Ils se vivent en effet en proscrits, au ban de la société. A travers le Front national, ils ont cru possible de renverser le cours d'une histoire dont ils sont les perdants, de l'Affaire Dreyfus aux ligues et à l'Epuration de la collaboration. C'est l'assassinat de Brahim Bouarram jeté dans la Seine le 1er mai 1995 par une bande de skinheads venus à bord d'un bus qui transportait des militants à la manifestation du Front national, qui a été déterminant dans la prise de conscience de la nécessité de débarrasser le Front national des groupuscules. Un parti qui s'inscrivait dans une perspective de conquête du pouvoir devait donner des gages d'adhésion au système démocratique et ne pouvait plus tolérer, dans ses marges, quelques dizaines ou quelques centaines d'individus ayant une telle propension à la violence.

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